0

Yvonne Poncet-Bonissol

 « Le seul devoir d’une mère, c’est d’être heureuse »

Yvonne Poncet-Bonissol

Psychologue clinicienne, psychanalyste réputée, auteur d’essais sur le harcèlement moral dans la famille, la perversion narcissique, les emprises et les addictions, Présidente de l’Association de défense contre le harcèlement moral, Yvonne Poncet-Bonissol est connue du grand public pour ses interventions en qualité d’experte psychologue dans l’émission télévisée « Toute une histoire ». Durant dix ans, elle a fait connaître au public français les rouages de la maltraitance psychologique, de la perversion, de la manipulation, la notion de projection, les mécanismes de défense que les pervers mettent en place pour se protéger. S’inscrivant dans la lignée de Françoise Dolto, qui avait vulgarisé la pédopsychiatrie au meilleur sens du terme, Yvonne Poncet-Bonissol a fait en sorte de rendre la psychologie accessible à tous. Elle a mis ses compétentes professionnelles, sa capacité d’écoute et sa rigueur intellectuelle au service de millions de téléspectateurs, secourant des êtres dont l’estime de soi avait été fragilisée par des personnalités toxiques, les aidant à s’affranchir de situations douloureuses et destructrices. Cette grande psychanalyste profondément bienveillante a fait beaucoup de bien autour d’elle. Depuis des années, elle se bat aussi contre les violences faites aux femmes.

Conversation à bâtons rompus avec une femme merveilleuse.

L’émission « Toute une histoire » présentée Sophie Davant a rencontré un immense succès auprès du public durant dix ans, mais s’est malheureusement arrêtée en juin dernier…

Oui, et c’est dommage. Mais si vous voulez bien avant de commencer notre entretien, j’aimerais rendre hommage à Sophie Davant. Sophie est une femme exceptionnelle. Tout ce qu’on a pu dire sur elle de négatif est très médiocre. J’aime beaucoup la sensibilité de Sophie, son intuition. Et j’ai envie de vous dire que c’est aussi une excellente psy. Elle a un sens de l’autre, un respect de l’autre rare et belle vivacité d’esprit. De plus, elle est belle, elle illumine le plateau…

Dans cette émission « Toute une histoire », vous étiez souvent accompagnée aussi de l’avocat Marc Geiger…

En effet. Avec Marc, nous allons, peut-être, essayer de refaire quelque chose ensemble. C’est un grand professionnel, un homme remarquablement compétent et c’est quelqu’un à qui je veux être fidèle.

Venons-en maintenant à la perversion narcissique dont vous analysez le mode de fonctionnement dans votre essai « Le harcèlement moral dans la famille ». Etes-vous d’accord avec le psychanalyste Jean-Charles Bouchoux qui dit que le pervers narcissique se situe aux frontières de la folie et en réchappe en assujettissant l’autre, pour lui faire porter ses propres symptômes ? 

Oui, la perversion narcissique est une défense contre la psychose. Il m’arrive souvent de parler de psychose blanche, ce sont des êtres qui sont psychotiques, qui n’ont pas le sens de l’autre, qui n’ont pas le sens de l’altérité et qui projettent sur l’autre ce qu’ils sont et qu’ils ne veulent pas être. C’est-à-dire qu’ils fonctionnent sur la culpabilité, la dévalorisation. Quand ils dévalorisent l’autre, c’est d’eux dont ils parlent. Ils ont un rapport en miroir, c’est-à-dire que l’autre est un support de leurs projections. C’est un peu comme si l’autre devenait leur « poubelle », le porteur de tout leur dysfonctionnement. Cette projection est un mécanisme de défense et c’est le propre de la perversion narcissique. Mais cela veut dire aussi que le pervers narcissique est isolé, c’est un autiste de l’affect, un invalide de l’amour. Il est incapable d’aimer et c’est un comédien. Il joue aux sentiments mais il n’en éprouve pas.

Pourquoi certaines personnes entrent-elles dans le jeu des pervers quand ceux-ci discréditent ou salissent à tort les autres ? Ces personnes n’ont-elles pas de sens critique ?

Parce que ces personnes ont une faille narcissique elles-mêmes. Les gens bien construits ne rentrent pas dans le jeu des pervers…

Vous avez commis un superbe essai sur les dépendances affectives et les emprises toxiques. Selon vous, qu’est-ce qui déclenche la dépendance affective ? D’où vient cette insécurité intérieure ? 

Ce sont des êtres qui sont toujours en quête d’amour et qui n’ont pas eu de réponse à leur avidité affective. Ils sont restés suspendus, assoiffés d’amour. Donc ils deviennent dépendants et ils deviennent souvent dépendants d’une forme de maltraitance et de non réponse à leur besoin. On ne devient dépendant que lorsqu’on a eu des besoins que l’on a exprimés et auxquels on n’a pas répondu. Donc, on est toujours en attente d’une satisfaction de quelque chose qui n’arrive jamais. Si vous voulez, on reste toujours en attente comme l’oisillon dans son nid, le bec ouvert. La dépendance c’est une attente jamais comblée.

En ne lui donnant pas son amour, est-ce le parent qui crée cette attente chez l’enfant ?

Oui.

La peur profonde de la solitude est-elle le signe de la dépendance affective ?

Oui ! On ne se supporte pas parce que la vraie solitude c’est une forme de non-vie, on ne supporte pas d’être seul parce qu’on ne supporte pas d’être avec soi-même, d’être avec son image… Donc, l’autre est là pour venir vous gratifier, vous narcissiser.

Est-ce pour cette raison qu’on s’enferme dans le virtuel, qu’on a recours à Internet pour combler cette solitude ? Ne pensez-vous pas, à ce propos, qu’Internet est une offensive pour envahir le territoire psychique ?

C’est en effet très intrusif. C’est subtilement intrusif. Il ne faut pas oublier une chose c’est que le virtuel, la télé est devenue la deuxième nounou des enfants.

Vont-ils faire leur éducation alors ?

Un peu. D’ailleurs, ce qui me trouble en ce moment, c’est qu’il y a de plus en plus d’enfants autistes, des Aspergers. Ce sont des hauts potentiels intellectuels, ils sont sur stimulés, ils ont une mémoire faramineuse. Je pense que si j’ai un nouveau dossier à traiter dans les prochaines années, j’aimerai bien traiter sur l’Asperger.

C’est une psychose ?

En effet, c’est une forme d’autisme. Mais cela va souvent avec des hauts potentiels intellectuels et des hauts potentiels émotionnels.

Parlons maintenant des femmes et des violences faites aux femmes dans une société qui a tendance à occulter cette réalité. Faut-il briser la loi du silence ? Aider les femmes à sortir de la honte et de la culpabilité ?

Il est vrai que la violence est un de mes combats. Contre quoi faut-il se battre ? Tout ce qui est malin, c’est-à-dire le mal. Il faut que le bien triomphe du mal. Le mal au sens diabolique (diabolos signifie diviser). Le pervers divise toujours, il a une dimension diabolique. Quand on a un parent diabolique et pervers, il faut beaucoup de temps pour accéder enfin à un peu de paix. Par exemple, j’ai un patient qui a 55 ans, une très belle situation, qui a réussi brillamment. Il a compris qu’il a perdu énormément d’argent dès qu’il a rencontré une femme qui ressemblait à sa mère. Comme si soudain son argent ne lui était plus dû. Qu’il n’avait pas le droit de le gagner. Je crois que quand on a des parents un peu maltraitants psychologiquement, on peut être résilient, mais on se bat toute sa vie pour accéder enfin à un peu de paix, mais vers 60 ans…

En 2015, 146 femmes sont décédées suite aux violences infligées par leur conjoint. Que peut-on faire contre ce fléau ?

Briser la loi du silence, informer, mettre un terme à la culpabilité, tout ce qui est fait actuellement. Etre dans la prévention. Cette violence ordinaire du quotidien est intolérable et insoutenable.

Estimez-vous que les femmes qui subissent des violences sont plus tolérantes que les autres ?

Par loyauté pour leur famille, parfois elles se taisent…

Certaines ont des parents ou des grands-parents qui ont déjà vécu des violences. Par loyauté familiale, vont-elles jusqu’à les revivre ?

Souvent, il y a une généalogie de victime. Et une généalogie de bourreau. Mais bien sûr qu’on peut sortir de ce schéma. Pour cela, il faut se tourner vers de bons psys, des gens qui vous « boostent », qui vous disent que vous avez le droit de ne pas être victime, le droit d’être heureux. De souligner combien l’autoflagellation n’aboutit pas à grand-chose. Et surtout, on se doit, quand on a des enfants, et je dirai presque que c’est le rôle principal d’une mère, d’être heureuse. C’est son seul devoir…

Estimez-vous que la perversion est le contraire du respect ?

Bien sûr, c’est l’irrespect et l’égocentrisme portés à leur apogée.

Un essai vient de sortir dernièrement intitulé « La fabrique du pervers », Estimez-vous que la société fabrique actuellement des pervers ?

Oui

Selon vous, le monde s’oriente-t-il vers une perversion généralisée ?

J’ose espérer qu’un jour on mettra un terme à ça. Comme disait Malraux, le XXIème siècle sera spirituel ou pas. Soit on verse dans une forme d’échange ou de bonté, soit on verse dans la perversion et dans une forme de matérialisme exacerbé et cela c’est dangereux.

Yvonne Poncet-Bonissol, être adulte est-ce s’accepter, accepter ses limites ou renoncer à sa toute-puissance ?

De toute évidence, c’est renoncer à la toute-puissance, c’est faire preuve d’humilité. C’est accepter la vie au quotidien, c’est la remercier. C’est ça être adulte et puis c’est ne pas avoir peur des épreuves. Parce que bien souvent, on ne se rend pas compte mais on a les épreuves que l’on peut surmonter…

Vous croyez ?

C’est une impression, mais ce n’est pas du tout de la psychologie, c’est de l’expérience, comme une intuition, en tout cas, cette intuition m’a souvent portée, disons que cela m’a fait taire les angoisses que chacun peut avoir, dont l’angoisse de la mort, de la maladie, et je me dis toujours cette phrase « on a souvent que les épreuves que l’on peut supporter »…

Est-ce l’inconscient qui nous inflige ces épreuves pour nous apprendre à vivre ?

Oui, pour nous apprendre à vivre…

Mais pourrait-il aller jusqu’à nous faire mourir pour nous apprendre à vivre ? Par exemple, dans les cas de cancers, de maladies inopérables…

Dans tous les témoignages que j’ai pu avoir à travers cette émission de « Toute une histoire » depuis 10 ans, ce qui correspond donc à un nombre incalculable de gens, je trouve que bien souvent après la maladie, le handicap, les cancers, les personnes sont différentes. Avoir frôlé la mort, cela donne un sens à leur vie. C’est fréquent. Les personnes disent souvent cette phrase : « le cancer m’a sauvé », « ma souffrance m’a transformé » « on m’a donné une deuxième chance », « je vois la vie différemment » « j’ai tout quitté parce que maintenant, je veux vivre ». C’est ce que je vous disais tout à l’heure, c’est ce principe d’individuation où il faut absolument se délester de ce que l’on vous a demandé d’être et d’être ou de devenir ce que vous êtes.

D’advenir enfin à soi-même ?

D’accoucher de soi-même comme disait Socrate.

Mais il faut une vie pour ça… Au moment où on a acquis tout ça, c’est déjà la mort…

Oui, il faut une vie… Mais on l’acquiert jamais vraiment parce qu’on ne s’autorise pas totalement à l’avoir. C’est vrai que si on l’acquiert totalement, eh bien qu’est-ce qu’il nous reste, un grand vide… donc vaut mieux pas. Il faut toujours être en recherche ! Regardez Victor Hugo, à 83 ans, une semaine avant de mourir, il avait encore des rapports sexuels, jusqu’au bout, il y a cru… Chacun d’entre nous n’a pas la notion de la mort, l’inconscient nous protège de ça. L’inconscient n’a pas la notion du temps. C’est tellement génial que l’on se demande si parfois l’inconscient n’a pas été fabriqué d’une manière quasiment magique et cela ça fait partie d’un secret de la vie… La psychologie et la psychanalyse n’expliquent pas tout. Il y a aussi la vie et ses secrets…

Nos peurs sont-elles nos plus grandes ennemies ? La peur est-ce le contraire de la liberté ?

Oui. La phobie est un enfermement. Si on considère que la peur s’inscrit dans la phobie et se matérialise par des phobies, par des anxiétés, c’est vrai que c’est le contraire de la liberté parce que ce qui nous prive de liberté. Nos angoisses, nos peurs, nos verrous intérieurs, nos craintes, tout cela fait que l’on ne va pas de l’avant. Lorsque l’on a des peurs, on n’ose pas. Or, il faut oser la vie.

Ces peurs viennent-elles de l’enfance ?

Elles viennent de l’intérieur. C’est plurifactoriel. Très souvent ce sont des peurs projetés par nos parents.

Ce que ce que l’on appelle le destin, la fatalité ne serait-il pas plutôt l’œuvre de l’inconscient ?

C’est intéressant ce que vous dites ! Je pense que l’inconscient nous guide, nous mène par le bout du nez ! Et pas seulement notre inconscient individuel mais l’inconscient collectif qui lui aussi joue un rôle très important. Et l’inconscient transgénérationnel. C’est-à-dire que quand quelque chose n’a pas été réglé, eh bien la patate chaude est donnée, transmise à l’autre génération. Par exemple, une de mes patientes ne veut pas faire le don d’ovocytes alors qu’elle veut absolument un enfant. Parce qu’elle a fait beaucoup de recherches sur la mémoire cellulaire, parce qu’elle considère qu’il y a aussi une fracture transgénérationnelle, ne serait-ce que dans le don d’ovocytes, C’est symbolique, le don. A travers son analyse, on va à la rencontre de son histoire. Quant à moi, j’ai vu dans mon histoire, disons lorsque j’ai fait le bilan de mon parcours, que j’avais rassemblé toutes les choses qui étaient restées un peu inachevées…

Vous avez refait le puzzle ?

Oui, j’ai refait le puzzle. Mes arrières grands-parents étaient des hommes d’armés très bons, toujours en combat. J’ai fait un combat de mon Association. Ensuite ma mère guérissait avec les plantes. J’ai travaillé un peu dans des laboratoires de phyto, presque à mon insu. Si je suis devenue psy, c’était pour mettre un terme peut-être à ce côté qui me faisait peur, ce côté invisible, cette lecture clairvoyante qu’ont les Médiums et qu’avait ma mère. Adolescente, cela me faisait très peur et j’ai voulu contrer ça d’une façon scientifique et je suis devenu psy. Enfin, un de mes grands-pères était écrivain publique, et je suis devenu écrivain !

Mais si l’inconscient nous guide, cela signifie qu’il n’y a plus de libre arbitre ? Cela veut dire que nous sommes déterminés par notre inconscient, que nos choix affectifs sont déterminés par lui, que nous ne sommes pas vraiment libres… Qu’on est mû par quelque chose qu’on ne contrôle pas…

J’ai peut-être été porté par quelque chose en effet, mais j’avais le choix de le faire ou de ne pas le faire. On a toujours la liberté d’accueillir les choses…

L’inconscient, cela peut être un ami, mais cela peut-être un ennemi aussi…

J’ai fait de mon Inconscient mon ami…

Comment fait-on pour faire de son inconscient son ami ?

D’abord, je suis à mon écoute. A l’écoute de ce que les autres me disent. A l’écoute des choix que j’ai faits. A l’écoute de la répétition.

Pour éviter la compulsion de répétition (la répétition morbide de situations douloureuses), que faut-il faire ?

Il faut un jour s’arrêter et se demander : pourquoi je répète tout le temps ? Et avoir le courage d’aller à la recherche de soi. Et s’affronter…

Oui, mais il y a des violences familiales comme le suicide d’ancêtres qui s’inscrivent à notre insu en nous…

Oui, et il faut faire très attention à cela. Les suicides dans une famille s’inscrivent en effet. Vous savez, je crois que les gens devraient prendre conscience que lorsqu’ils divorcent, cela s’inscrit aussi d’une manière transgénérationnelle…

La société permissive actuelle fait tout pourtant pour nous faire croire que ce n’est rien du tout de divorcer…

Je me bats contre cela. J’ai mis beaucoup de temps pour avoir ma fille, j’ai fait beaucoup de traitements. Dans mon couple, j’ai parfois été humilié par mon mari puis j’ai repris le dessus…

Est-ce pour cette raison que vous avez créé votre Association de défense contre le harcèlement ?

Oui, c’est pour cela… Mon mari a demandé le divorce, et j’ai refusé. Personne ne comprend mon choix. Parce que je ne veux pas que ce soit inscrit dans l’histoire de ma fille. Je me suis battue pour ne pas divorcer. J’ai repris le dessus sur le mal. Et maintenant, je n’ai que des choses merveilleuses qui m’arrivent…

Oui, mais vous êtes extrêmement bien construite ! Avouez qu’il y a quand même un déterminisme plus prégnant pour certains que pour d’autres. Parce qu’il y a quand même des familles plus abîmées que d’autres…

Oui, mais l’important, c’est l’énergie de base que l’on vous a donné, c’est la pulsion de vie. Parfois quand vous n’avez pas été désiré, l’enfant est dans une pulsion de mort et d’autodestruction et il a tendance à s’auto-flageller.

N’avez-vous pas l’impression que la société occidentale est actuellement plus dans la pulsion de mort que dans la pulsion de vie ?

Oui, et on est aussi dans la crainte, avec tout ce qui nous arrive. Paradoxalement, on a eu des guerres qui étaient certainement plus meurtrières que ce que l’on vit actuellement. Néanmoins ce qui est meurtrier c’est la solitude affective des gens qui grandit.

Avec les sites virtuels qui se multiplient…

On ne touche pas au corps, on ne prend pas le risque. On fuit l’autre.

Nous sommes aussi dans une société très narcissique…

Il y a ceux qui sont de plus en plus dans la lumière, qui sont dans une quête spirituelle et les êtres narcissiques, les prédateurs qui sont dans la quête matérielle. D’un point de vue économique, ces derniers veulent de l’argent et considèrent que le pouvoir comme l’argent leur permettent de tout contrôler. Ils se servent de l’argent comme élément de domination.

Etes-vous d’accord avec le philosophe Bernard Sichère qui dit que « la haine de l’autre va avec la méconnaissance de soi » ?

Oui, on hait en l’autre ce qu’on est soi-même et qu’on ne veut pas voir… La haine de l’autre c’est souvent la haine de soi… Il faut parfois choisir entre haïr, juger et aimer.

Se connaître soi-même, est-ce le travail de toute une vie ?

C’est un travail au quotidien et c’est le travail de toute une vie. Ce qui peut être paniquant pour certains, c’est qu’à un moment donné, on se rend compte que l’on ne sait plus rien. Socrate disait « Je sais que je ne sais pas ». En vieillissant, et je peux presque le dire, à mon âge, j’ai l’impression de quitter des théories, de quitter beaucoup de choses, d’avoir une forme d’humilité et je vais beaucoup plus au cœur de l’autre parce que je ne suis plus envahie par des principes, des théories, des dogmes.

Aldo Naouri affirme dans son essai « Qu’est-ce qu’éduquer son enfant ? » qu’auparavant les parents disaient à leurs enfants « dans la vie, on ne peut pas tout avoir » tandis que maintenant on leur dit « non seulement tu peux tout avoir mais tu as droit à tout ». Pensez-vous comme Aldo Naouri que les interdits, la frustration sont nécessaires à l’évolution de l’enfant ?

Oui, les interdits sont nécessaires mais pas n’importe quand et à n’importe quel moment. Je crois que ce qui est important c’est d’apprendre à l’enfant le manque. Parce que c’est le manque qui crée le désir et que des enfants trop comblés sont des enfants sans désir. Donc, cela crée une dimension très narcissique. On les met dans une posture de toute puissance. Je crois qu’il faut essayer de leur dire non et c’est très dur, mais aimer l’enfant c’est savoir à certains endroits lui dire non, là, ce n’est pas possible. Cela renvoie à quelque chose qu’ils apprennent : il faut avoir soif pour gagner. Si on n’a pas soif, si on n’a pas faim, on n’a pas envie de réussir. On n’a pas envie de se battre. Or, je crois qu’il faut du manque pour désirer et pour se battre.

Cela veut-il dire que ces enfants non frustrés ne franchissent pas toutes les stades de la construction du moi ?

Ils restent dans la toute-puissance, dans le stade narcissique, régressif et immature.

Et comme la société, elle aussi, devient de plus en plus narcissique…

En effet, parce qu’on est dans le stade de l’enfant-roi. Alors, c’est vrai que l’enfant est une personne à part entière. On respecte l’enfant comme un invité mais un invité ne fait pas n’importe quoi à la maison. C’est Dolto qui disait qu’il faut accueillir l’enfant comme un invité. Je trouve que c’est très important. Vous accueillez l’enfant comme un invité, il a des droits, mais aussi des devoirs, il ne fait pas n’importe quoi quand il vient chez vous. Sans le couple, il n’y a pas l’enfant et quand l’enfant prend toute la place, il n’y a plus de couple.

Aldo Naouri affirme encore que le père n’a qu’une fonction, ce n’est pas forcément d’emmener l’enfant à l’école, de pousser la poussette ou de le conduire chez le pédiatre, c’est d’être amoureux de la mère. Etes-vous d’accord avec lui ?

Oui, le père a comme fonction d’être amoureux de la mère et comme ça chacun reste à sa place ! Mais il a aussi le rôle de tiers-séparateur. Quand il est amoureux de la mère, il dit à l’enfant, « attention c’est ma femme », et là, il n’y a pas de confusion. C’est là qu’il fait office de tiers séparateur entre la mère et l’enfant.

Acquérir une image suffisamment bonne de soi dans la petite enfance permet-il de mieux trouver sa place dans la société ?

C’est une évidence, plus on est construit, c’est-à-dire qu’on est construit avec des manques, avec des frustrations, avec de l’amour; plus on est construit, mieux on trouve sa place. Deux concepts qui sont des concepts de Winnicott me paraissent importants pour se construire. C’est le holding, cela veut dire que la mère porte l’enfant, et le helding, cela veut dire accompagner l’enfant vers quelque chose.

Selon vous, la maladie est-elle une réponse à des non-dits ?

Le mal a dit… Certaines maladies, je pense. C’est une voix par laquelle les émotions s’expriment. Donc, c’est le cœur qui parle, c’est un mal qui ne peut pas être dit, c’est des émotions bloquées. Et j’ai envie de vous dire, ce qui ne s’exprime pas s’imprime. Et s’imprime où ? Sur le corps. Par exemple les ruptures difficiles, les ruptures impossibles, les deuils non faits peuvent s’exprimer par de l’eczéma ou du psoriasis. Cela crée une dimension anxiogène qui crée un état ou des maladies auto-immunes. Les maladies de peau sont des maladies où l’on crie sa quête d’amour. Un amour perdu et qu’on ne retrouve pas…

En fait, on meurt tous du manque d’amour, comme l’écrivait Michel Houellebecq…

J’ai envie de vous dire on meurt tous du manque d’amour de soi… Il faut être sa propre mère quand on a été fragilisé. Il faut devenir sa meilleure amie. Il faut faire en sorte d’être très bienveillant vis-à-vis de soi. Il faut être ami de soi-même…

Comment fait-on pour renouer avec soi ?

Pour renouer avec soi, il faut renouer avec la vie et considérer que la vie est belle. C’est la première chose. Il faut renoncer à des plaisirs illusoires, c’est-à-dire de complétude, de perfection. Les gens qui sont dans une quête de perfection ne seront jamais satisfaits. Donc, il faut quitter cette forme d’insatisfaction majeure sur tout. Il faut accueillir la vie chaque jour, il faut vraiment l’accueillir au sens « ne panique pas, la vie est là, je l’aime la vie » et puis on gère ce qu’on trouve. Il faut savoir renouer avec ce qu’on appelle l’interconnectivité. Quand vous êtes dans une situation qui vous parait insurmontable, vous vous dites : il y a deux solutions. Qu’est-ce que je fais là ? Je me bats ou j’attends que la vie me donne des réponses. Eh bien mon expérience me dit qu’il ne faut pas paniquer, mais il faut déjà un peu lâcher pour accueillir la vie. On ne se bat pas contre des choses impossibles. On accueille plus la vie. Et on voit comment cela se déroule. Il ne faut jamais paniquer…

Donc la vie vous donne ses propres réponses…

Oui, c’est en tout cas comme cela que je l’expérimente. Peut-être que je suis spirituellement protégée… C’est la question que je me pose, mais je n’aurai jamais la réponse…

Ecrivez-vous sur quelque chose en ce moment ?

J’aimerai bien écrire justement sur « à la recherche de soi ». Peut-être aussi sur l’autisme…

Mais l’autisme n’est-ce pas aussi le déni de l’altérité ?

Oui, on n’est pas avec l’autre…

Vous allez me trouver pessimiste mais j’ai l’impression que nous sommes de plus en plus dans le déni de la réalité, le déni de l’altérité, le déni de l’intériorité… Nous sommes de plus en plus dans les faux-semblants, dans le mensonge, dans la tricherie…

Vous êtes en train d’évoquer les trois D de Freud : le déni, le défi, et le délit. Voilà les trois dénominateurs de la perversion…

Cela fait froid dans le dos… Enfin, Yvonne Poncet-Bonissol, connaissez-vous cette phrase de Pascal sur le divertissement « La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement et cependant c’est la plus grande de nos misères » ?

Pascal était un philosophe très rigoriste. Je crois qu’il faut faire la différence entre se divertir, s’étourdir, s’enivrer et se réjouir. On peut se réjouir, il faut s’autoriser à la légèreté. Parce que pour aimer, il faut offrir son propre bonheur à l’autre. On ne peut pas aimer si d’abord on n’est pas bien avec soi-même. C’est pour cela que je vous disais tout à l’heure que le devoir d’une mère c’est de travailler à son propre bonheur pour l’offrir à ses enfants. C’est ce que je fais avec ma fille. Elle a 23 ans. Elle a un humour farouche, elle est merveilleuse. Quelle réussite ! Tout le monde me le dit. Elle travaille dans la communication. On fait de la boxe ensemble le soir. Elle a beaucoup d’énergie. Je l’ai toujours éduqué dans ce sens, Laurine exprime toi, exprime toi ! Je lui disais tout ce qui ne s’exprime pas, s’imprime…

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

0

La Table du sud

Yannick Franques

Un palais rose surplombant une mer cobalt. Sur son écrin de rochers, la perle de la Riviera barbote les pieds dans l’eau. Ici tout est calme, tout est beau. Seul le clapotis des vagues rompt le silence. Une lumière pulpeuse, charnue, enivre l’horizon. Si l’Eden a une adresse, c’est sûrement celle de « La Réserve » de Beaulieu. Nichée entre Nice et Monaco, cette merveille vaporeuse, dans le soir ravissant, semble flotter à la surface des eaux. Ce palace pastel, à l’allure rétro et glamour, établissement mythique de la Côte d’Azur, parmi les plus beaux de France, fut jadis le lieu de villégiature préféré de Liz Taylor, Charlie Chaplin, J.F. Kennedy, Winston Churchill, et aujourd’hui de Jack Nicholson, Bono, Tina Turner, de la fine fleur des people. Si vous cherchez la preuve du Paradis sur terre, n’allez pas plus loin, vous êtes à la bonne adresse. Poussez la porte du « restaurant des Rois »… Et laissez-vous guider pour un voyage intemporel, une expérience inoubliable que vous ne vivrez nulle part ailleurs. Cap sur le « Temps retrouvé ».

Celui qui préside à cet envoûtement temporel, c’est Yannick Franques, le chef étoilé, qui a fait ses classes chez les plus grands, au Crillon, puis au Bristol où il secondait Eric Frechon, avant de prendre la tête du « Château Saint-Martin » à qui il a donné deux étoiles Michelin en deux ans. Aujourd’hui, le chef surdoué a fait du « Restaurant des Rois » de la Réserve de Beaulieu, une table royale. Il nous emmène dans son univers poétique, et c’est vertigineux de simplicité et de maestria. Rien de plus fascinant que ce « Mystère de l’œuf », un des plats signatures de Yannick Franques. On se laisse emporter par le souffle neigeux du blanc d’œuf, sa nuée de jaune, ses brisures de chapelure briochée, ses pétales de truffe à la surface brune du coulis de truffe. Sublime de bout en bout. Derrière chaque saveur, c’est une symphonie de tendresse, de douceur, qui nous fait fondre de plaisir. Mais le plus surprenant dans ce choc gustatif, c’est que ce « Mystère de l’œuf », véritable hommage au dessert glacé, est un peu notre Madeleine de Proust. On remonte le temps. On rajeunit à chaque bouchée. Il suffit d’un parfum, d’un goût délicieux pour retrouver subitement notre âme d’enfant, la candeur, l’émerveillement, les vibrations radieuses, le choc des commencements de notre prime jeunesse. Ce que le passage de la vie avait émoussé, ce que l’écume des jours avait recouvert d’années en années, on le retrouve en une bouchée de bonheur. Le passé revient en force, on redécouvre avec exaltation la fraîcheur givrée de la glace à la vanille au soir d’une journée caniculaire, le moelleux de la meringue, le fondant sucré aux amandes pilées du praliné du « Mystère ». C’est délice sur délice. Et c’est de la métaphysique culinaire. Une joie intemporelle s’empare de nous. La béatitude dirait Proust… Oui, la cuisine portée à son plus haut niveau a ce pouvoir. D’une simple saveur peut naître ce télescopage entre le passé et le présent. Et c’est là où réside le génie de Yannick Franques, son alchimie culinaire. Ce chef totalement créatif, incroyablement talentueux, ce virtuose a la faculté unique d’inverser le temps. Car Le « Mystère de l’œuf », c’est le mystère du temps. Et cet immense Chef réussit ce que peu de chefs peuvent réussir : nous offrir notre enfance sur un plateau d’argent…

Le Mystère de l’oeuf

« Monsieur Paul » vous manque-t-il ? Avez-vous assisté à ses obsèques ?

Oui, je tenais absolument à être là pour lui dire « au-revoir ». Je n’étais pas un intime de Paul Bocuse mais je l’ai rencontré lorsque j’ai passé le concours de Meilleur Ouvrier de France. Il était très présent sur ce concours et nous avons fait connaissance. Je l’admirais beaucoup. Ses obsèques en la Cathédrale Saint-Jean de Lyon ont été très émouvantes. J’avais l’impression de perdre un père… Le père de la gastronomie… C’est, sans doute, pour cette raison qu’il y avait autant de monde à l’église. Près de 1500 cuisiniers. D’un seul coup, nous nous sentions tous orphelins…

Etait-il pour vous un modèle ?

C’était un modèle pour tout le monde. Un modèle et un guide. Il était le reflet de la cuisine française. C’était quelqu’un de très ancré dans la cuisine classique, traditionnelle. Il mettait du génie dans l’assiette. C’est lui qui avait les clefs de notre cuisine.

Avez-vous eu d’autres modèles ou d’autres influences ?

J’ai côtoyé assez peu de chefs mais j’ai eu la chance de les suivre dans plusieurs grandes maisons. J’ai commencé avec Christian Constant au Crillon. A l’époque, Eric Frechon le secondait. Par la suite, Eric Frechon est devenu Chef du Bristol, avec 3 étoiles au Michelin. J’ai travaillé aussi aux côtés d’Alain Ducasse, et j’ai découvert les cuisines du Relais du Parc à Paris et celles du Louis XV à Monaco. Le jour où Eric Frechon a été nommé Chef au Bristol, j’ai reçu un appel de lui. Il m’a simplement posé cette question : « Est-ce que cela te dirait de venir avec moi au Bristol en tant que premier sous-chef ? ». Sans hésiter, j’ai accepté et je me suis lancé dans l’aventure à ses côtés. Cette aventure a duré sept ans !

Est-ce au Bristol, en compagnie d’Eric Frechon, que vous avez tout appris de la cuisine ?

Bien sûr, les autres expériences ont compté. Mais c’est vrai, qu’Eric Frechon a représenté énormément pour moi. C’est un homme adorable. Et un immense chef. Et puis, c’est lui qui m’a incité à passer le MOF. C’est lui encore, qui m’a entraîné, soutenu durant ce concours et je l’en remercie.

Quelle a été votre première impression en recevant cette prestigieuse distinction, le MOF, Meilleur Ouvrier de France catégorie cuisine en 2004 ?

En règle générale, je ne suis pas très amateur de concours, mais Eric Frechon m’a poussé à le faire. « Il faut que tu le passes, il faut que tu le passes absolument ! » insistait-il. Comme je me faisais prier, à deux semaines de la fin des inscriptions, il est revenu à la charge. « Tu vas t’inscrire et tu vas le passer ! » a-t-il décrété. Donc, j’ai fini par m’inscrire ! Je me suis prêté au jeu, et je l’ai eu du premier coup ! Là, j’avoue que j’étais content.

Avez-vous « le feu sacré » comme Paul Bocuse ? La cuisine était-ce, pour vous, un coup de foudre ?

Pour devenir cuisinier, il faut forcément qu’une passion vous anime. Vous restez quand même du matin au soir dans votre cuisine. Si vous n’avez pas « le feu sacré », c’est un métier où vous ne faites pas long feu !

Vous avez participé, il y a quelques années, à l’émission MasterChef en tant que Chef. Les autres participants ont reconnu qu’ils étaient subjugués par votre menu « parfait »…

A l’époque, j’officiais au « Château Saint-Martin ». J’avais 2 étoiles au Michelin et l’on m’a sollicité pour participer à cette émission. C’était la première saison de MasterChef à la télévision. J’ai accueilli les élèves en quart de finale. Il fallait qu’ils composent un menu, deux plats à la carte. J’ai fait un menu et j’ai mis un sous-chef sur chaque équipe. Ils devaient préparer « Le Mystère de l’Oeuf » qui est une de mes spécialités. Je la réalise maintenant depuis un certain temps, et j’avoue que je ne peux plus l’enlever de la carte tant les clients viennent de loin pour éclaircir ce mystère !

Votre « Mystère de l’œuf » est d’ailleurs devenu mythique !

C’est vrai, c’est un plat qui plaît !

Grâce à toutes ces émissions culinaires, les français se passionnent de plus en plus pour la cuisine. Comment expliquez-vous cet engouement ?

La télévision, plus scintillante qu’éclairante, est parfois trompeuse. Cela brille mais ce n’est pas toujours la réalité. En regardant ces émissions, on ne se rend pas compte de ce qu’est réellement la cuisine. Ce n’est pas seulement faire un plat, à envoyer comme ça… c’est quand même beaucoup de sacrifices, c’est une discipline, c’est un métier, et il faut être passionné. On a souvent des jeunes qui viennent à la cuisine parce qu’ils aiment cuisiner à la maison, mais lorsqu’ils découvrent toutes les astreintes, le travail le soir, le travail le week-end, le service, plus d’un renonce.

Après sept ans passés au Bristol, vous décidez de voler de vos propres ailes. Vous vous envolez si bien que vous obtenez, en 2 ans, presque un record, 2 étoiles au Michelin au restaurant « Le Château Saint-Martin » à Vence. Est-ce le défi que vous vous étiez lancé ?

Lorsque j’ai pris mes fonctions de Chef au « Château Saint-Martin », mon objectif était de récupérer l’étoile qu’ils avaient perdue. Dès la première année, j’ai récupéré la première étoile. Et la deuxième année, j’ai eu le deuxième macaron !

Deux étoiles coup sur coup, est-ce rarissime dans la gastronomie? Y a-t-il eu des précédents ?

C’est vrai que c’est déjà arrivé, mais c’est vrai aussi que cela n’arrive pas souvent…

Vous êtes trop modeste…

Je ne sais pas…

La Réserve de Beaulieu

On dit que la première impression est toujours la bonne… Votre cuisine frappe d’abord par son allure. Elle est plus qu’élégante. On la mange des yeux, elle ensoleille l’assiette puis le palais. C’est une cuisine inspirée, de haute-volée, qui frise la féerie. Avez-vous le désir de réenchanter l’instant ?

On essaye de se faire plaisir avant tout. Et de partager ce plaisir avec nos hôtes qui viennent déjeuner ou dîner. La cuisine, c’est une histoire d’amour. On veut créer du rêve, de la magie, enchanter la clientèle. De mon côté, je m’efforce de faire mon métier du mieux possible. J’essaye de conjuguer le beau et le bon. On voit l’assiette avec les yeux avant de la déguster. Quand cela attire l’œil, on a déjà fait 40 % du travail !

Composez-vous un plat comme une peinture ?

On le peaufine au fur et à mesure. On travaille les goûts puis on travaille l’esthétique. Je me fie à mon instinct. Je n’essaye pas d’être à la mode, je fais la cuisine que j’aime.

Quand vous créez une recette, aimez-vous vous surprendre, vous surpasser ?

Dans ma cuisine, on va vraiment sur le produit principal. Après, il y a deux-trois ingrédients qui viennent se greffer à lui. Il n’y a pas beaucoup de parfums. J’aime bien créer avec de la simplicité.

C’est, peut-être, ce qu’il y a de plus difficile à atteindre, la simplicité ?

Oui ! Justement, c’est cela qui est compliqué ! Quand on mélange plein de choses, plein de produits, donc plein d’informations, les goûts s’estompent. A mon sens, trop en mettre c’est altérer le produit. Or, j’aime bien savoir ce que je mange. Ma philosophie c’est de prendre un bon produit et de le magnifier.

Où vous fournissez-vous ?

La volonté affichée de notre maison, c’est de mettre en avant le terroir. La région regorge de merveilles. On a nos fournisseurs pour les meilleurs produits. Au niveau des légumes, on s’approvisionne chez les producteurs de la région. Nous valorisons essentiellement les produits locaux. On met à l’honneur l’agriculture locale, les saveurs de la Provence, et celles de la Méditerranée.

Le célèbre critique Gilles Pudlowski ne jure que par vous ! Il parle de « La Réserve » de Beaulieu comme d’un paradis sur terre où l’on pêche par gourmandise… Tous les commentaires sur le Net sont unanimes. « Le Restaurant des Rois » est l’une des meilleures adresses de la Côte d’Azur. Tous s’accordent à dire que cette table mérite vraiment 2 ou 3 étoiles au Michelin. Est-ce l’objectif que vous vous êtes fixé ?

Tout à fait ! Je ne cache pas mes ambitions ! Ce n’est pas comme au «Château Saint-Martin » où tout m’est arrivé d’un seul coup. Auparavant, j’avais deux étoiles, donc, ici, je veux récupérer mes deux étoiles. « La Réserve », c’est une maison où il y a eu pas mal de Chefs, peut-être que le Michelin attend aussi une forme de stabilité avant de nous donner cette récompense. En tout cas, je vous avoue que j’aimerais bien l’avoir cette année…

Langoustine aux graines de Futuba, émulsion Yuzu

Une troisième étoile, est-ce possible ou inaccessible?

On va déjà essayer de décrocher le graal, la 2ème étoile ! Après, on verra !

Qu’est-ce qui fait la différence entre un deux et un trois étoiles ?

Un trois étoiles, c’est une grâce, une excellence que l’on ne trouve pas ailleurs. C’est vraiment une table unique. Une maison, un service, un ensemble de choses inoubliables.

Souhaitez-vous faire du « Restaurant des Rois » la table incontournable de la Riviera ?

Je n’ai pas cette prétention. Parce que je n’aime pas dire que je suis meilleur qu’un autre. Les Chefs essayent tous de se faire plaisir… « La Réserve » c’est un très bel endroit, un peu rétro, très glamour. Reste qu’il y a d’autres belles tables sur la Côte d’Azur, comme « L’Oasis » à Mandelieu, le « Belle Rives » à Juan-les-Pins, « La Chèvre d’or » à Eze, « Le Louis XV » à Monaco etc.

Vous êtes plein d’humilité…

Nous ne sommes que des cuisiniers…

Oui mais c’est un métier, un art que vous pratiquez à la perfection…

Je n’aime pas me mettre en avant…

Est-ce une pression terrible pour un Chef et sa brigade que de viser chaque jour la perfection pour décrocher justement un 2ème ou un 3ème macaron ?

Absolument ! Je sens cette pression mais je m’efforce d’éviter le plus possible de la répercuter. Mon équipe doit travailler dans la bonne humeur, sinon cela se ressent forcément dans l’assiette. Je ne veux pas que mon équipe soit stressée. Il y a des cuisines où les Chefs mettent la pression, où c’est tendu. Moi, je ne suis pas dans cet esprit-là. Je me sens mieux dans la convivialité. Je suis exigeant tout en veillant à garder une bonne ambiance.

Vous faites la part belle à la Méditerranée avec votre carte orientée mer. Etes-vous spécialisé en poisson ?

Oui ! D’ailleurs « La Réserve » tire son nom du bassin de poissons niché au pied du massif de pierres. Dans notre restaurant, il y a beaucoup de poissons à la carte parce que nous sommes au bord de la mer, et les clients viennent ici pour manger du poisson. Mais il y a aussi de la viande. On essaye de panacher pour satisfaire notre clientèle. Les viandes, je les travaille avec les produits de la région. On fait une volaille fumée au bois d’olivier. Avec des olives locales et rien d’autre !

Quels sont vos plats signatures ? Je sais que votre « Mystère de l’œuf » est célèbre dans toute la Côte d’Azur…

Vous connaissez le mystère glacé, ce fameux dessert à la vanille qui a enchanté des générations d’enfants ? Je le propose en entrée avec un œuf. Je prépare un œuf en neige avec le jaune cru à l’intérieur. Je les fais cuire au four vapeur pendant dix minutes. Je prépare une brioche croustillante qui va servir à parsemer de chapelure le dôme de blanc d’œuf. Je mets ça sur un lit de truffes. J’ai inventé ce plat lorsque j’étais au « Château Saint-Martin ». Souvent, les Chefs mettent un œuf à la carte, car on peut faire des milliers de choses avec les œufs. Pour ma part, j’aime tout particulièrement travailler les œufs. Là, j’ai mis en route cet Oeuf Mystère et les gourmets viennent de loin pour le goûter. Comme plat signature, nous avons aussi la Langoustine aux graines de futaba, émulsion yuzu. L’acidité du yuzu, un concentré de peps à lui tout seul, relève le goût iodé de la langoustine. C’est divin… Sinon, il y a le Loup sauvage« Réserve ». C’est un loup que j’ai mis en place dès je suis arrivé ici. C’est un loup de Méditerranée fourni par un pêcheur local, composé uniquement avec des produits de la région comme du fenouil bio de Saint-Jeannet, de l’huile d’olive du Moulin de Beaussy, produite à côté de Grasse. Ce loup, on le fait en écailles soufflées. On va verser de l’huile très chaude sur les écailles. Cela va les souffler et ensuite on peut les manger. C’est croustillant. On le sert flambé au pastis. Nous faisons aussi « le foie gras terre et mer ». On prépare un chutney de citron de Menton pour accompagner le foie gras aux algues. Des algues, pour le côté iodé, lequel sera relevé par l’acidité du citron. Ces deux saveurs se marient très bien. C’est le côté terre et mer du foie gras.

Vous venez de publier un magnifique livre de recettes aux éditions Ducasse « Best of ». Quelles recettes déniche-t-on dedans ?

Toutes celles que je viens d’évoquer ainsi que celle de « La Volaille au bois d’olivier ». Il y a aussi la recette de « La Tomate Burrata », celle de la « Soupe de poisson » de roche revisitée. Et pour les desserts « La Fraise Mara des bois », « La Mandarine Berlugane », « La Tarte fondante » au chocolat grand cru et sa glace au café brûlé.

Vous avez eu la chance de travailler aux côtés d’Alain Ducasse…

Oui, c’est un chef que j’aime beaucoup. C’est un très grand chef. J’ai travaillé au début avec lui, au Louis XV à Monaco. Il peut se permettre de faire les choses pas comme les autres…

Je trouve votre cuisine éminemment vivante, savoureuse, inventive et poétique. Une simple salade niçoise, chez vous, c’est déjà un enchantement. Les produits dansent dans l’assiette, les goûts correspondent entre eux. Etre un bon cuisinier, c’est savoir magnifier le produit ?

C’est primordial de le magnifier ! On cherche à le sublimer avec les produits qu’on va rajouter. Par exemple, une épice. Il faut aussi une garniture. C’est plus compliqué pour moi, parce que je n’aime pas trop mettre des produits comme la pomme de terre ou des féculents, comme du riz ou des pâtes.

Je me suis laissée dire que vous avez un petit péché mignon : Le Comtes de Champagne Taittinger rosé 1996…

J’adore ce champagne ! Pas trop frais dans des verres un peu évasés, c’est fabuleux !

Quel est votre prochain rêve ? Ouvrir votre propre restaurant ?

Non ! Mon prochain rêve serait d’avoir la 2ème étoile !

Avez-vous l’impression d’être arrivé au sommet de votre art ?

Non ! Parce qu’on cherche toujours à mieux faire, on n’est jamais totalement satisfait de ce que l’on a réalisé. Et puis on se remet tout le temps en question. On concocte des recettes mais on cherche toujours à les faire évoluer aussi.

A « La Réserve de Beaulieu », vous supervisez trois tables. Bien sûr, la table gastronomique, le « Restaurant des Rois ». Mais aussi la «Table de la Réserve » et « Le Vent debout ». Pouvez-vous nous en dire plus…

« Le Vent debout », c’est le restaurant au bord de la piscine, face à la mer. La vue est superbe ! Quand il fait beau, on fait 60 couverts. On ouvre au mois de mai et c’est plein tous les jours. Et la «Table de la Réserve », c’est le bistrot à l’entrée de l’hôtel.

Votre pâtissier Freddy Monier fait aussi merveille, à vos côtés, au « Restaurant des Rois ». Comme dessert, on peut se régaler d’une «Pomme granny », en granité, sorbet citron-yuzu. La poire Belle-Hélène, chez vous, n’a plus rien à voir avec une poire Belle-Hélène classique. Elle devient sublime, généreuse, gourmande. C’est une base de poire surmontée d’un dôme de glace en forme de poire serti d’une croûte de chocolat, chapeauté par une queue de pomme dorée à l’or fin. C’est un voyage visuel avant d’être une aventure gustative…

La poire Belle-Hélène est pour la piscine ! On fait «Le Citron» et «La Mandarine » pour le «Restaurant des Rois».Tous les desserts mis à la carte, je les goûte et les peaufine avec le Chef-pâtissier. Comme c’est la continuité du repas, les desserts sont très importants, ils doivent être à la hauteur. Il faut une cohérence, une harmonie entre la cuisine et la pâtisserie. Freddy Monier, ce jeune et talentueux pâtissier, me suit depuis que je suis au « Château Saint-Martin ». J’ai emmené toute mon équipe, ma brigade avec moi à Beaulieu !

On l’aura compris, le « Restaurant des Rois » est une sublime table… C’est la famille Delion (Nicole et Jean-Claude Delion) qui est propriétaire de l’hôtel « La Réserve ». Cette formidable famille transforme tout ce qu’elle touche en or, s’implique merveilleusement dans l’hôtellerie et la restauration de luxe, réalise des exploits… 

Oui, la maison est tenue par Monsieur et Madame Delion. Ce sont deux propriétaires incroyables. En 1985, lorsqu’ils ont fait l’acquisition de l’hôtel « La Pinède » à Saint-Tropez, celui-ci était en mauvais état. Ils se sont totalement investis pour le rénover. Dans la foulée, ils ont créé l’éblouissant restaurant « La Vague d’Or » de « La Pinède », qui est devenu 3 étoiles au Michelin (le seul restaurant triplement étoilé de la Côte d’Azur, hormis celui de Monaco). Ils en ont fait le lieu le plus prisé de tous les gourmets de la Côte d’Azur. Ils ont un don incomparable pour redonner une âme à un lieu… Maintenant, ils s’occupent avec la même ferveur et le même talent de « La Réserve ». Je suis ravi de travailler avec eux. Ils me font une absolue confiance. Ils m’ont offert la chance de concevoir ma carte dans la plus grande liberté. C’est épanouissant de pouvoir travailler dans ces conditions. J’avoue que je suis un Chef heureux !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Yannick Franques et Jean-Claude Delion

0

Denis Aurousse

« Il y a eu dans l’Histoire des belles-mères bienveillantes »

Denis Aurousse

Votre belle-mère vous excède ? Vous endurez ses critiques, son hostilité ou son mépris depuis des lustres ? Elle occupe une place exagérée au sein de votre couple ? Votre tendre époux s’entête à vous désavouer devant elle pour ne pas la contrarier ? Rassurez-vous, vous n’êtes pas la seule dans ce cas, les belles-filles bafouées sont légions ! Et certaines belles-mères célèbres de l’Histoire relégueraient même au rang de bluette vos relations conflictuelles… En effet, la grande Histoire regorge de belles-mères cruelles, écrasantes, étouffantes, démoniaques, hargneuses, persécutrices, des « machines de guerre » qui s’acharnent inlassablement sur leurs belles-filles ou leur beaux fils. Les pauvres brus ou gendres échouant tout naturellement à calmer l’ire de ces créatures dominatrices. Retenez bien votre souffle, voici une succulente et inoubliable galerie de portraits des belles-mères les plus croustillantes de l’Histoire. L’ouvrage Les Belles-mères de l’Histoire. Des siècles d’amour et de haine, paru aux éditions Jourdan, est de Denis Aurousse, un passionné d’histoire, polytechnicien et ingénieur dans l’aménagement urbain. Son livre est si formidable qu’une fois la couverture refermée, on émerge enivré de ce manège de mariages, ce festival d’amour et de haine, avec une seule envie : se précipiter à la librairie pour acheter un nouvel exemplaire et l’offrir sur-le-champ à sa belle-mère ! Cadeau idéal, livre de chevet que toute belle-mère se devrait de posséder (!), ces Belles-mères de l’Histoire recèlent bien des vertus apaisantes. Véritable baume à adoucir les tensions, à relativiser les griefs, à calmer les conflits, ce livre passionnant et divertissant présente des vertus pédagogiques indéniables puisqu’il permet de faire entendre à toute belle-fille moderne que si sa belle-mère n’est pas parfaite, c’est loin d’être la pire ! Sous la plume légère et talentueuse de Denis Aurousse, on découvre que depuis toujours les belles-mères souffrent d’une image négative. A raison pour certaines qui furent tout simplement odieuses comme la princesse Palatine, jugeant, jaugeant, décrivant sa belle-fille la duchesse d’Orléans, à la manière de Saint-Simon : « Ma belle-fille est une désagréable et méchante créature (…) Son arrogance et sa mauvaise humeur sont insupportables, et sa figure est parfaitement déplaisante. Elle ressemble, sauf votre respect, à un cul comme deux gouttes d’eau : elle est toute bistournée; avec cela une affreuse prononciation comme si elle avait toujours la bouche pleine de bouillie, et une tête qui branle sans cesse. Voilà le beau cadeau que la vieille ordure (Madame de Maintenon) nous a fait » Sic ! A l’évidence, ces propos déplaisants montrent que les motifs de mécontentement règnent des deux côtés ! Pour en finir avec cette guerre perpétuelle, avec ce procès intenté aux belles-mères, rien de tel qu’une joyeuse immersion dans les couloirs et boudoirs de l’Histoire, là où s’est joué l’avenir de la France, urbi et orbi. Bienvenue chez Les Belles-mères de l’Histoire. Un livre à lire et à faire lire !

Pourquoi écrire un livre sur les belles-mères ? Avez-vous souffert de la vôtre ?

Je me suis aperçu que c’était un sujet assez peu traité sur le plan historique. Bien sûr, on trouve toutes sortes de livres sur les rapports mères-filles ou mères-fils mais très peu de livres historiques envisagent la relation sous l’angle des belles-mères, de leurs gendres et de leurs brus. On ne dénombre que quelques essais sur ce sujet, souvent traités sous un éclairage psychanalytique, comme celui d’Aldo Naouri : Les belles-mères, les beaux-pères, leurs brus et leur gendres. Quant à ma belle-mère, j’avais de bons rapports avec elle ! Disons que j’ai pris le parti de ne m’intéresser qu’aux belles-mères historiques et non aux belles-mères actuelles, me cantonnant aux mères des conjoints de l’Histoire de France ou parfois d’ailleurs, et non aux nouvelles femmes du père, la fameuse marâtre des contes de fées.

A quand remonte l’appellation de belle-mère ?

Il est l’héritage d’un usage médiéval. Le mot « belle-mère » date du XVème siècle. Au Moyen Age « beau » s’employait comme un terme d’affection et de respect. On parlait ainsi d’un beau et doux ami. C’est d’ailleurs ce sens que l’on retrouvera plus tard dans le titre du roman de Maupassant Bel-Ami. Le mot de beau-frère est né le premier, et l’usage s’est étendu ensuite aux autres membres de la famille : belle-sœur, belle-mère, beau-père.

Rôle négligé dans l’historiographie foisonnante des rapports familiaux, les belles-mères n’ont pas bonne presse dans l’imagerie populaire. Souvent caricaturées, toujours critiquées (qualifiées d’intrusives, d’invasives, d’envahissantes, de super-protectrices, de dominatrices, de castratrices, de manipulatrices etc.) elles semblent accumuler tous les défauts. Comment expliquer cette mauvaise réputation ?

Peut-être parce que le gendre ou la bru, ce nouvel arrivant dans la famille, va « voler » l’enfant de la mère et donc déranger la relation fusionnelle mère-fils ou mère-fille, ce qui va engendrer inévitablement rivalités et frictions. D’ailleurs, c’était souvent une guerre aux siècles derniers où belles-mères et belles-filles cohabitaient ensemble dans le même foyer. Mais gardons-nous de généraliser, il y a eu aussi dans l’Histoire des belles-mères bienveillantes, aimantes qui ont aidé leur gendre, leur bru, qui leur ont appris une foule de choses, qui ont été des initiatrices, de judicieuses conseillères pour leurs belles-filles, qui leur ont permis de trouver leur place dans la famille royale.

La Duchesse d’Orléans, belle-fille de la princesse Palatine

On dit souvent que le pire défaut d’un mari, c’est sa mère ! Notre belle-mère est-elle notre meilleure ennemie ?

Pas toujours ! Par exemple Louise de Belgique qui avait fait un mariage un peu contre son gré, affirmait que la seule qualité de son mari, c’était sa mère ! Comme quoi, il y a des exceptions !

Freud affirme que l’on épouse toujours sa mère. Ce qui incline à penser que certaines belles-filles ressemblent malgré tout à leurs belles-mères, ou tout au moins présentent des similitudes avec elles. Existe-t-il dans l’Histoire des exemples de ces belles-filles ?

En effet, il peut y avoir des substitutions car la belle-fille prend parfois la place de la mère. Elle devient une deuxième maman pour son mari. Mais peut-être épouse-t-on toujours sa mère quand on fait ce choix d’une manière indépendante et volontaire comme c’est le cas actuellement, mais dans beaucoup de mariages historiques, dans les familles royales ou nobles, il s’agissait plutôt de mariages arrangés. On ne choisissait pas son futur conjoint selon son inclination mais en fonction d’intérêts économiques ou politiques.

Claude Levi-Strauss rapporte que la loi de l’espèce, c’est l’échange des femmes. Pendant des millénaires de civilisation, votre compagnon était celui qui vous préservait du rapport à votre mère. « Je ne suis plus ta fille, je suis sa femme » : telle était, en substance, la loi du mariage. La Bible dit, à peu près, la même chose : « Tu quitteras tes parents pour fonder ta propre famille ». Le couple se forme donc pour mettre à l’écart la mère…

Mettre à l’écart la mère, en quelque sorte « liquider » sa relation fusionnelle avec sa mère, c’est effectivement salutaire pour un fils afin de ne pas parasiter son mariage et de courir à la catastrophe quand la belle-mère occupe une place exagérée au sein du couple, mais cela ne veut pas dire qu’il faille l’isoler complètement. Certes, la belle-mère ne doit pas diriger le foyer, envahir le territoire de sa belle-fille ou lui disputer sa place, comme le faisait par exemple Blanche de Castille. Sans doute celle qui était surnommée « la Reine magnifique » refusait-elle d’être détrônée dans le cœur de son fils par sa belle-fille Marguerite de Provence. En tout cas, Blanche de Castille s’ingéniait à décider de tout et cherchait même à contrôler la vie intime du Roi, son fils Louis IX. Par exemple, elle obligeait Saint Louis et sa femme Marguerite de Provence à faire chambres séparées et trouvait tous les prétextes pour entrer inopinément dans la chambre de son fils. Comme Blanche de Castille avait la réputation de se promener dans les couloirs du château de Pontoise pour surveiller les jeunes époux, le couple avait dressé un petit chien à aboyer lorsque celui-ci détectait la présence de la Reine-mère près de leur chambre. Ce qui leur évitait d’être surpris ensemble ! Dès que la Reine-Mère arrivait, le chien aboyait, les serviteurs tapaient sur la porte pour prévenir Saint Louis qui s’enfuyait dans sa propre chambre à l’étage supérieur par un escalier dérobé ! Il faut tout de même préciser, à la décharge de Blanche de Castille, qu’ avant le XVIIIème siècle, la notion d’intimité n’existait pas. Il n’y avait pas d’appartements privés, aussi bien chez le peuple que dans la bourgeoisie ou l’aristocratie, tous vivaient souvent dans une même pièce, dans une promiscuité voulue, sauf peut-être dans les châteaux royaux…

Blanche de Castille, belle-mère de Marguerite de Provence et mère de Saint Louis

Saint Louis était-il trop faible ?

Disons qu’à l’époque, on témoignait un grand respect envers ses parents et envers toute la lignée. Cela dit, la surveillance intempestive de Blanche de Castille n’a pas empêché le couple d’avoir onze enfants ! Il faut ajouter aussi que lorsque Saint Louis est parti en Croisade, son épouse Marguerite de Valois, même enceinte, s’est empressée de l’accompagner plutôt que de rester seule avec sa belle-mère !

Existe-t-il dans l’Histoire de France des belles-mères bienveillantes, admirables, idéales, qui n’ont pas besoin de dominer, et qui accueillent avec joie leur bru ou leur gendre ? Qui acceptent que leur fils devenu un homme aime une autre femme, bref des belles-mères qui ne sont pas dans la rivalité ?

Bien sûr ! C’est le cas de Yolande d’Aragon (la mère de Marie d’Anjou) qui se révèle très bienveillante envers son gendre, Charles VII. Charles VII est pourtant dans une position peu envieuse. Il a été rejeté par sa mère, qui a décidé qu’il n’accéderait pas au trône de France (sa mère Isabeau de Bavière préférant son gendre le roi d’Angleterre Henri V). Son fils s’en trouve tout désemparé et c’est sa belle-mère qui va le prendre en charge, l’encourager, le conseiller à ses débuts, elle va même lui donner sa formation de futur roi. C’est  elle qui va le faire connaitre partout, qui va lui faire visiter le royaume. Finalement, c’est grâce à elle qu’il a pu s’imposer. C’est encore Yolande d’Aragon qui va découvrir Jeanne d’Arc et pressentir tout le potentiel que l’on peut tirer de cette jeune fille. C’est enfin elle qui va organiser la rencontre de Chinon entre la Pucelle et Charles VII. Bien sûr, Yolande d’Aragon, dans son soutien indéfectible, n’oublie pas ses propres intérêts mais elle a toujours eu une véritable affection pour Charles VII. De plus, elle se révèle très tolérante parce qu’elle a tout de suite accepté que son beau-fils ait des maîtresses. Dont la célèbre Agnès Sorel qui avait vingt ans de moins que Charles VII, qui devient pour la première fois de l’Histoire de France, la maîtresse officielle du Roi, et à qui Charles VII va offrir un domaine à Beauté-sur-Marne. Agnès Sorel reçoit alors le titre officiel de Dame de Beauté.

Si les belles-mères ont des comportements parfois si intrusifs et tyranniques, n’est-ce pas la faute de leurs fils trop faibles ? Ce sont eux qui ont du mal à se détacher d’elles, à couper le cordon ombilical, ce qui entraîne inévitablement une rivalité entre les deux femmes aimées. Inconsciemment le fils se laisse infantiliser, il refuse de devenir adulte, et laisse les pleins pouvoirs à sa mère… Le rôle du mari n’est-il pas de soutenir et de rassurer sa femme, en lui montrant qu’elle reste la première dans son cœur, que son avis compte davantage que celui de sa mère. Afin que chacun trouve sa place dans la famille, et que la Belle-mère ne devienne pas un véritable obstacle au bonheur du couple ?

C’est vrai que certains maris faibles ne savaient pas trancher entre leur mère et leur femme. Zola n’était pas toujours très affirmé, il n’osait pas s’opposer à sa mère, il restait soumis à son autorité. Quant à Madame Zola, elle qui rêvait d’une épouse exemplaire pour son fils chéri, souhaitait un autre parti pour lui. Elle espérait une bru qui vienne d’un milieu bourgeois alors qu’Alexandrine venait d’un milieu très simple, elle avait fait tous les métiers, et elle avait déjà eu un enfant placé à l’assistance publique avant d’épouser Emile Zola. Pour Madame Zola, ce mariage était une mésalliance… De la même façon, le futur Edouard VII n’a jamais su couper le cordon ombilical avec sa mère, la Reine Victoria. Mais, comme il était assez avisé, il savait donner le change. Sans s’opposer formellement à sa mère, il contournait l’obstacle. Par exemple, la Reine Victoria tenait absolument à être présente à la naissance de chacun de ses petits-enfants. Edouard VII, dit Bertie, ne s’y est jamais opposé pour ne pas froisser sa mère, mais comme par hasard, il s’est toujours trompé dans les dates. Ce qui fait que la Reine n’était jamais là au bon moment… Pareil pour les prénoms de leur premier enfant, le couple s’est dépêché de le choisir avant que la Reine Victoria n’y mette son grain de sel. Une façon comme une autre de lui résister tout en douceur …

La Reine Victoria, mère d’Edouard VII et belle-mère d’Alexandra de Danemark

Existe-t-il des maris célèbres ou des rois dans l’Histoire qui se vengent sur leurs épouses en les trompant, des humiliations maternelles qu’ils ont subies d’une mère toute-puissante et castratrice ?

Très certainement ! Mais, il faut voir aussi qu’à une certaine époque, on faisait un mariage de raison, organisé par les parents, dont la finalité était « d’assurer la conservation et la transmission d’un patrimoine » parce que cela correspondait à une famille, que le lignage était plus important que l’individu, et que l’amour et les galipettes n’entraient pas forcément en ligne de compte !

Comme le dit très justement Luc Ferry dans « L’homme-Dieu ou le Sens de la vie », jadis, on ne fondait pas le mariage sur l’amour – ce qui était une bonne chose, ajoute-t-il , puisque les sentiments ne sont pas toujours durables, que l’amour s’éteint, qu’il existe une usure du désir – on le fondait sur des intérêts nobiliaires, économiques ou financiers… « Si le sentiment seul unit les êtres, il peut à lui seul aussi les désunir » remarque-t-il. C’est sans doute pour cette raison qu’il y a autant de divorces aujourd’hui, parce que dès qu’il n’y a plus d’amour, le couple ne voit pas pourquoi il prolongerait cette union, et le mariage perd sa raison d’être…

Sans doute !

On critique beaucoup les belles-mères, mais on oublie que passer du rang de mère à celui de belle-mère n’est pas chose aisée. Il faut quitter un statut bien agréable, celui de mère qui chérit ses enfants et accepter l’absence prolongée des enfants et la solitude. On oublie aussi que c’est à ces mêmes belles-mères que les jeunes couples confient durant les vacances ou la semaine la tâche de garder leurs petits-enfants…

Ce phénomène concerne les mères actuelles ! L’ironie de la chose, c’est de constater que dans l’imaginaire populaire, la belle-mère représente une femme abominable, dotée de tous les défauts. C’est pourtant la même qui se métamorphose en grand-mère adorable, en mamie-gâteaux qui s’occupe merveilleusement de ses petits-enfants ! Pourtant, il s’agit bien de la même personne !

Peut-être est-ce juste parce que la belle-mère change de nom, qu’elle change de statut, de rôle et d’image ! Elle passe de belle-mère à grand-mère ! Le fait de s’occuper de la petite-enfance la rend inoffensive, et annihile les pouvoirs et les menaces qu’elle peut faire peser sur sa belle-fille…

Peut-être ! Mais je ne peux pas vous répondre, je ne suis pas psychanalyste !

Lucile et Camille Desmoulins

Pour quelle belle-mère de l’Histoire avez-vous le plus d’affection ?

Il y a beaucoup de femmes admirables ! Parmi elles, la belle-mère de Camille Desmoulins. Tout jeune avocat, Camille Desmoulins se promenait souvent au Jardin du Luxembourg. Il rêvait le long des allées ombragées, et rencontrait parfois une jeune femme très gracieuse, Madame Duplessis, qui fréquentait assidûment le parc en compagnie de ses deux petites-filles, Adèle et Lucile. Camille était charmé par la beauté de Madame Duplessis. En jeune poète qu’il était, il lui récitait des vers qu’il avait composés pour elle, ce qui plaisait à la jeune femme, qui considérait son trouble avec amusement. Quelques années plus tard, alors que le vent de la Révolution commence à souffler et que Camille en devient l’ardent défenseur, celui-ci songe à se marier. Comme si le destin se pliait à sa volonté, il revoit par hasard au Jardin du Luxembourg, la petite Lucile qui est devenue une belle jeune fille. Il la reconnait et veut aussitôt l’épouser. Mais Madame Duplessis trouve que sa fille est trop jeune pour se marier, sans compter que Camille Desmoulins n’a pas beaucoup de revenus. Elle le repousse gentiment car elle trouve ce jeune homme toujours aussi sympathique. Il revient à la charge quelques mois plus tard, fort de sa toute nouvelle notoriété due à ses pamphlets qui s’arrachent à Paris. Lucile, de son côté, est très éprise de son beau poète. Monsieur Duplessis finit par se dire que par les temps qui courent, il serait peut-être bon d’avoir un gendre qui a peut-être un bel avenir dans la politique. Le mariage se fait. Robespierre, Saint Just, tous sont là pour célébrer la noce. Le couple est heureux en ménage, il a même un enfant. Mais la Révolution gronde et Camille Desmoulins est accusé de trahison par Hébert. Il est condamné à mort. Le dernier geste de Camille Desmoulins sera pour sa belle-mère. Juste avant son exécution, Camille tend au bourreau, le fameux Sanson, un médaillon qu’il portait sur lui et qui contenait une mèche de cheveux de sa chère Lucile. Il demande au bourreau de la remettre à sa belle-mère. Sanson accepte. On raconte que Sanson fut bouleversé par la détresse des beaux-parents de Camille, au point qu’il confiera que jamais il n’avait autant souffert que ce jour-là… Sans doute savait-il aussi qu’il devait bientôt couper la tête de la belle Lucie, arrêtée depuis peu.

La romancière George Sand aussi a été une belle-mère idéale pour Lina, sa belle-fille, au point que cette dernière écrira : « J’ai bien plus épousé Georges Sand que Maurice et je me suis mariée avec lui parce que je l’adorais elle… » Ce qui ne manque pas de piquant !

Maurice avait du mal à affirmer sa personnalité, d’ailleurs ce n’est pas lui qui a choisi Lina, c’est George Sand. Maurice vivait dans l’ombre de sa mère. George Sand était beaucoup plus protectrice dans sa vie familiale que dans sa vie sociale où elle était assez libérée.

Manifestement, Madeleine Béjart fut une belle-mère pour le moins conciliante puisque de maîtresse de Molière, elle laissa sa place à sa fille Armande Béjart, qui prit le relais et épousa Molière…

Les historiens s’accordent à dire qu’Armande était bien la fille de Madeleine et non pas sa sœur comme on l’a d’abord cru. Bien sûr, Madeleine Béjart a été surprise que son amant veuille épouser sa fille mais, bon gré mal gré, elle a fini par accepter leur relation. Dans le même genre, on a aussi Adolphe Thiers, qui a épousé Elise, la fille de sa maîtresse, Madame Dosne. Jeune, Adolphe Thiers était souvent invité à la table familiale des Dosne, ceux-ci ayant décidé de prendre le jeune homme sous leur aile. Monsieur est un riche magnat de l’immobilier. Madame tient salon et occasionnellement boudoir avec Adolphe Thiers. Finalement, leur fille Elise a 16 ans lorsqu’elle épouse Adolphe Thiers qui en a 36. Il est alors ministre de l’Intérieur. Madame Dosne est ravie de ce mariage, elle estime qu’Adolphe Thiers est le gendre idéal. Sa gloire grandit peu à peu et Adolphe Thiers ne se déplace jamais sans sa femme, sa belle-mère et sa belle-sœur, ces trois femmes, qu’il appelle « ces dames ». On raconte même qu’il est devenu l’amant de sa belle- sœur…. Certains disaient aussi que madame Dosne pouvait être considérée comme la personne la plus puissante de France puisqu’elle gouvernait Thiers qui lui-même gouvernait la France ! Lorsque sa belle-mère, qui était pour lui une confidente, une conseillère, et une amie, meurt, Thiers très affecté par sa mort, déclare : « Je ne vis plus, je ne peux plus vivre »… Thiers semblait plus proche de sa belle-mère que de sa propre épouse. Malheureusement, Madame Dosne est morte trop tôt pour voir son cher gendre devenir le premier Président de la Troisième République.

Madame Dosne, belle-mère d’Adolphe Thiers

Il y a un bel exemple de belle-mère persécutrice dans l’Histoire, c’est celui de Madame de Montreuil, la belle-mère de Sade…

Madame de Montreuil avait quand même quelques raisons car Sade n’était pas vraiment le gendre idéal ! Mais c’est vrai qu’elle l’a poursuivi toute sa vie, sans jamais désarmer ! Pourtant, tout avait bien commencé. En 1763, Sade épouse Renée Pélagie de Montreuil. Joueur, libertin, le marquis a su conquérir le cœur de sa belle épouse. Mais très vite, Sade est condamné pour libertinage, sacrilège, puis empoisonnement. Il va de procès en procès. Sade fuit le château de sa belle-mère où il était tenu à résidence. Furieuse, sa belle-mère réussit à faire arrêter Sade en Italie où il venait de s’enfuir en emmenant sa fille cadette Anne, qui bien que chanoinesse, n’avait pas su résister à l’attrait du marquis. Anne le suit de son plein gré alors que son épouse légitime se morfond au château des Montreuil. Madame de Montreuil mande le roi de Sardaigne et le supplie de lancer sa police aux trousses du polisson. Sade est emprisonné en Savoie. Mais il parvient à s’échapper avec l’aide de son épouse Renée Pélagie, qui fera preuve toute sa vie d’un soutien indéfectible envers lui. Sade se réfugie dans son château de Lacoste en Provence. Nouveau scandale. La police perquisitionne le château mais Sade échappe à ses poursuivants puis finit par être arrêté à Paris le 13 février 1777. Il restera onze ans à la prison de la Bastille où il passera son temps à écrire son oeuvre. On le retrouve en juillet 1789 à la fenêtre de la Bastille à exhorter la foule à venir le délivrer. On le transfère le 4 juillet à la prison de Charenton réservée aux malades mentaux. Il devra attendre 1790, et la Constituante qui abolit les lettres de cachet du Roi, pour sortir de Charenton. Mais entre-temps, son épouse s’est retirée dans un couvent, et sa belle-mère s’est un peu calmée…

Jules Renard fait un terrible portrait de sa mère, Madame Renard, dans son roman « Poil de Carotte ». Celle qui fut la belle-mère de Marie Morneau, dite Marinette, l’épouse de Jules Renard, était insupportable avec sa belle-fille…

Déjà comme mère, Madame Renard était assez épouvantable, mais comme belle-mère, elle s’est surpassée ! Jalouse du bonheur de sa belle-fille, elle ne pouvait s’empêcher de la houspiller, de l’humilier, de multiplier les vexations quotidiennes, de distiller des petites phrases blessantes à son encontre, bref de l’asticoter. Ce qui agaçait prodigieusement Jules Renard qui aimait tendrement sa femme. Pour se venger de cette attitude, il épinglera ses travers dans un odieux portrait, celui de Madame Lepic, qu’il offrira à la postérité dans « Poil de carotte » !

Pour conclure, pouvez-vous nous raconter l’incroyable histoire de Madame Japy, la belle-mère de Madame Steinheil, laquelle fut connue pour avoir été la dernière maîtresse du Président Félix Faure…

Madame Steinheil en effet est très célèbre. C’est dans ses bras que meurt Félix Faure. Cette jeune femme était une demi-mondaine. Elle avait épousé un peintre qui se satisfaisait de cette situation parce que grâce à sa femme, il obtenait des commandes de tableaux, alors qu’il n’était pas un grand nom de la peinture. La mère de Madame Steinheil qui n’habitait pas avec sa belle-fille et son fils, était venue leur rendre visite pour quelques jours. Elle aurait dû, du reste, repartir mais avait finalement prolongé son séjour d’une nuit chez eux. Nuit qui lui fut fatale puisque le lendemain, on retrouva le mari égorgé, la belle-mère sans vie et madame Steinheil vivante mais attachée à un fauteuil. Madame Steinheil a affirmé que c’était des bandits qui étaient venus pour les voler, mais rien n’avait été dérobé. Sans compter que la police se demandait pourquoi les voleurs auraient pris la peine de tuer deux personnes et d’en épargner une troisième. Finalement, la véritable explication tient en peu de mots. Ce serait l’un des amants de Madame Steinheil, un Prince russe, qui aurait fait irruption chez elle, aurait fait un scandale, se serait battu avec le mari, l’aurait tué. La belle-mère débarquant et voyant son fils mourir, en aurait avalé son dentier. Elle étouffe et meurt sur place. Madame Steinheil, ne sachant que faire dans cette situation, appelle la police. Comme la France était très liée avec la Russie et qu’on voulait protéger les relations diplomatiques entre la France et le Prince russe, la police met en scène le crime et attache Madame Steinheil pour faire croire à des voleurs ! D’ailleurs, plus tard, il y aura un procès et bien évidemment Madame Steinheil sera acquittée…

Votre style est vif, léger, alerte, plein d’humour et très agréable à lire. Vous avez su croquer en peu de mots les traits les plus piquants de ces histoires de Belles-mères. .. On devine que vous connaissez parfaitement votre sujet. Le travail de recherche bibliographique a-t-il été important ?

Grâce à Internet, j’ai pu avoir accès à des livres anciens sur le site Gallica, le site de la BNF. J’ai consulté des écrits, des témoignages, des mémoires, des écrits de certaines belles-mères au XVIIIème siècle. Par exemple, l’épouse de La Fayette a écrit une histoire de sa mère. C’est passionnant car on découvre les relations entre Lafayette et sa belle-mère. D’ailleurs, on pourrait classer la duchesse d’Ayen, la belle-mère de Lafayette parmi les belles-mères les plus sympathiques de l’Histoire ! Ils se sont connus très jeunes, Lafayette était orphelin et c’est elle qui l’a poussé dans le monde, qui a parfait son éducation. Lors de leur rencontre, dès le premier jour, elle a deviné sa valeur, et l’a tendrement aimé.

A peine le livre refermé (à regret…), on n’a qu’une seule envie, l’ouvrir à nouveau pour prolonger cette délicieuse promenade avec vous à travers les siècles. A quand un nouvel opus sur les beaux-pères, ces grands absents des études historiques sur les rapports familiaux ?

C’est un sujet intéressant certes, mais peut-être moins croustillant que les belles-mères ! Enfin, on verra !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

0

Une belle ambassadrice

Francesca Bortolotto Possati

Personnalité très en vue à Venise, Francesca Bortolotto Possati est une merveilleuse philanthrope. Cette femme d’exception qui voue un amour inconditionnel à la Sérénissime, fait beaucoup pour les Arts et la Culture. Depuis toujours, elle consacre sa vie à offrir une jeunesse éternelle à la cité des Doges. Grâce à la fondation « Save Venice », elle s’efforce de préserver le patrimoine de Venise tout en respectant ses traditions et ses richesses historiques. La ville enchantée lui doit beaucoup, mais lui rend aussi beaucoup. Car Francesca Bortolotto Possati est une figure incontournable de Venise.Tous ceux qui la côtoient tombent sous son charme. Passionnée, cultivée, généreuse, spontanée, visionnaire, la belle vénitienne inspire ses contemporains. Cette merveilleuse ambassadrice de Venise impressionne aussi à l’international. Le magazine Forbes a vanté ses mérites. Un journal asiatique a parlé d’elle comme une « Extraordinary Woman ». Et c’est vrai que Francesca Bortolotto Possati est une femme incroyable. Seule femme PDG dans un monde d’hommes d’affaires vénitiens, elle est à la tête du luxueux groupe d’hôtels Bauer. Des hôtels de légende parmi les plus beaux de Venise. Parmi ces joyaux, on compte « Le Bauer » avec sa sublime terrasse (la plus haute de Venise) surnommée « Le Septième ciel » laquelle surplombe le Grand canal et La Douane de mer, l’hôtel « Le Palladio » situé sur l’île de Giudecca, dont le jardin exquis est « une immersion dans une mer de fleurs ». Seule Francesca  Bortolotto Possati sait donner à ses hôtels un supplément d’âme. Elle offre à des lieux magiques un surplus d’amour, de splendeur, de beauté, de lumière dont chacun peut s’enivrer à loisir. C’est encore elle qui a choisi personnellement chaque fleur, chaque arbre, chaque plante, des artichauts violets aux glycines et aux hydrangeas du jardin de l’hôtel « Le Palladio » (un lieu unique, hors du temps, accolé à un couvent du XVIème siècle) pour ramener à la vie la terre endormie. C’est cette puissance créatrice, cette puissance vitale qui caractérise Francesca Bortolotto Possati. Tout ce qu’elle touche, elle le rend vivant. Venise est donc entre de bonnes mains… Pour offrir à tous le rêve et le ravissement de Venise, Francesca Bortolotto Possati a publié dernièrement aux éditions Assouline un magnifique ouvrage « Venetian Chic », préfacé par son ami l’acteur Jérémy Irons, illustré par la photographe Robyn Lea. Un voyage éblouissant dans l’élégance, un voyage dans la ville de l’amour…

Flaubert écrit « Je compte être à Venise vers le commencement de juin et je m’en fais une fête ». Paul Morand ajoute : « Ma découverte de Venise, il y a 5 ans environ, a été comme un coup de foudre ». Venise, la plus belle ville du monde ?

D’autres sont belles dans le monde… Mais Venise ne ressemble à aucune et ne change jamais sinon pour nous surprendre et nous séduire à chaque fois qu’on y retourne !

Quel est le secret de sa splendeur ?

Le fait qu’elle ne fait rien pour l’être… C’est à travers l’amour et l’enchantement de ses amants que perdure depuis toujours sa splendeur.

L’écrivain Philippe Sollers (auteur du « Dictionnaire amoureux de Venise ») affirme que Venise est une ville féminine par excellence. Un lieu matriciel, une mère glorifiée ou une dame.  D’ailleurs La « Fenice » est féminin en Italien. D’accord avec lui ?

Oui, je suis d’accord. Si Venise était une femme, elle serait une courtisane : sensuelle, exotique, puissante et sage.

Vivre à Venise, est-ce un privilège ?

Encore plus qu’un privilège, c’est un choix de vie.

Estimez-vous que Venise est une « ville musée » ?

Pourquoi avoir peur du mot « musée » ? C’est juste une façon de dire, une façon de demander le respect et la connaissance, une façon de se rappeler que le passé est contenu dans le présent et qu’il est toujours actuel !

Pour Stendhal « Naples est la seule capitale de l’Italie ». Pensez-vous que Venise est le joyau, le bijou de la botte italienne ?  

Ni capitale,  ni joyau, ni bijou, elle est Venise, pour chacun différente. La ville “UTOPIE”- Le Rêve – Le Plaisir des petites et grandes choses.

Vous êtes issue d’une grande famille vénitienne. De par votre maman, vous descendez de la noble famille des Mocenigo qui donna sept Doges à la Sérénissime. Est-ce pour cette raison que vous êtes devenue une ardente défenderesse du patrimoine de Venise ? Vous faites même partie du Comité Directeur de la Fondation « Save Venice » qui œuvre depuis 1971 à la restauration de chefs d’œuvre en péril vénitiens comme des tableaux, des monuments ou même des églises. Quels sont les futurs projets et chantiers de cette fondation ?  

Je ne descends pas de la famille Mocenigo. C’était mon grand-père qui a acheté le palais de cette famille…

Chaque année depuis 50 ans le comité de « Save Venice » avec la collaboration de la Commission, constituée d’un groupe d’experts réputés, sélectionnent la restauration de projets sous la surveillance des Monuments des Arts et Musées. « Save Venice » a toujours un projet en cours de réalisation pour des millions de dollars et en même temps plusieurs autres projets plus petits. Parmi les projets majeurs, l’église San Sebastiano et la façade de la Scuola Grande di san Marco

Casanova a fait de sa vie un roman. Il écrit dans ses  « Mémoires » que sa « vie est sa matière. » Pour vous, la matière de vos livres c’est Venise ?

C’est Venise sûrement. C’est aussi la façon dont j’ai été habituée à vivre dès mon enfance, ce que m’ont apporté et appris ma mère, mon père et mes grand-parents. Par exemple que chaque jour est le premier et le dernier… Qu’il faut que ça vaille la peine d’être vécu pour soi-même et pour les autres autour de vous…

Vous êtes une personnalité très influente à Venise. Un personnage public très impliqué dans le rayonnement de la ville, la vie culturelle. Non seulement vous êtes la seule femme PDG de Venise, la seule femme à diriger un groupe hôtelier, mais en plus vous êtes une ravissante philanthrope. Vous donnez de votre temps, de votre énergie, de votre argent pour restaurer et conserver Venise…   

Je fais partie, comme vous le savez, de la Fondation à but non lucratif « Save Venice ». J’en suis le Directeur. Mes activités majeures de philanthropie sont au sein de cette Fondation. Mais j’ai aussi des projets en collaboration avec Ca’ Foscari, l’Université de Venise. En plus comme hôtelier, je me rends disponible pour des projets artistiques, photographiques, pour préserver l’art du rameau/gondoles, pour des fondations américaines de lutte contre le cancer. Parmi tous ces projets, ce qui me rend le plus fière, c’est ce que nous avons réalisé avec notre espace expositif Zuecca Projects Space à notre hôtel PALLADIO sur l’île de Giudecca. Là, j’assure mon rôle d’Ambassadrice à 100%. Nous avons hébergé les expositions suivantes :

1. Slater B. Bradley « Sundoor at World’s End » Venue: La Maddalena (Church of Mary Magdalene) – Campiello Maddalena 2205 Dates: May 11 – November 26, 2017

2. Native American Pavilion: Indian Water
Venue: Garden of Ca’ Bembo – FondamentaSangiantofetti 1075
Dates: May 10 – November 26, 2017

3. RyderRipps « DiventareSchiavo »
Venue: SpazioRidotto – Calle del Ridotto 1388, San Marco
Dates: May 10 – July 30, 2017

4. Marina Abramović « The Kitchen » 
Venue: Zuecca Project Space – Giudecca 33
Dates: May 13 – November 26, 2017

5. Lola Schnabel « Fluttuazioni »
Venue: Palazzo Marin – San Marco 2541
Dates: May 9 – May 28, 2017

6. Daata Editions Mixtape for Venice
Venue: Rialto Market, San Marco and Accademia area, Garibaldi and Biennale area
Dates: May 11 – 31 August, 2017

7. Kenya Pavilion: Another Country
Venue: Palladio Grade School – Giudecca 373
Dates: May 12 – November 26, 2017

Zuecca Projects

Fondation Save Venice

Vous habitez vous-même un palais à Venise. On raconte que vous avez reçu chez vous le couple Angelina Jolie et son mari Brad Pitt lorsque Angela Jolie est venue tourner  le film « The Tourist ». Racontez-nous ! Comment sont-ils tous les deux ?

J’ai eu le plaisir de les accueillir dans mon palais avec leur grande famille et leur team pour une longue période. Famille adorable !! De toute manière, mes hôtes sont toujours importants qu’ils soient ou non des acteurs hollywoodiens.

Terrasse du Bauer : « Le septième ciel »

Vous êtes la propriétaire des hôtels Bauer. Des palaces où tout n’est que luxe, calme et volupté. Sans doute parmi les plus beaux de Venise. Il est impossible de trouver à Venise une terrasse plus fantastique que celle du Bauer. C’est la plus élevée.  Elle surplombe les toits, les clochers, le Grand Canal, la Douane de mer. Elle embrasse l’horizon. La vue y est sublime…    

Oui, exactement ! Quand mon grand-père Arnaldo Bennati a racheté l’hôtel BAUER, il a construit au septième étage la plus haute terrasse de la ville, qui offre un panorama à 360 degrés. Elle s’appelle la terrasse du « Septième Ciel », nom plus qu’approprié ! J’ai juste ajouté le chauffage et l’air conditionné !

Une des suites de l’hôtel Bauer

Dans votre magnifique hôtel « Le Bauer », l’on trouve l’un des meilleurs restaurants de Venise : Le Pisis. Quels plats peut-on déguster en ce moment ? Le Chef cuisinier utilise-t-il vos recettes ?

Le restaurant gourmet « De Pisis » au BAUER,  grâce à sa terrasse située face à l’un des sites les plus spectaculaires au monde, le Grand Canal de Venise, avec vue sur la célèbre église Santa Maria della Salute, sert les toutes dernières nouveautés en valorisant les saveurs particulières. Pour ceux qui préfèrent l’intimité de l’intérieur, la salle du restaurant est meublée de façon élégante dans un style rappelant le passé de Venise. L’expérience d’un dîner multi-sensoriel associant la tradition à l’innovation, face à un panorama extraordinaire qui se dévoile depuis la splendide terrasse du restaurant « De Pisis » avec son inoubliable vue sur le Grand Canal, est un pur moment de bonheur. Le chef Martino Longo, sous la houlette du Chef Giovanni Ciresa donne à la cuisine du restaurant « De Pisis » une touche internationale tout en respectant pleinement les traditions du terroir, le choix des matières premières, un menu de « Cicchetti (amuse-bouche) vénitiens, premiers plats comme Risi et Bisi ainsi que Wiener Schnietzel avec pommes au four et comme nouvelle entrée la Pizza farine de pierre brisée et levure mère ».  Comme le souligne le chef Giovanni Ciresa : « Fini le temps des préparations élaborées, on retourne à la simplicité ainsi qu’à la tradition où la qualité des ingrédients de base seront la vraie et pure essence du plat ». 

Il y a quelques années, vous avez publié un livre « Celebrate in Venise ».  Il s’agissait de recettes de cuisine vénitienne, de saveurs méditerranéennes d’un goût exquis à réaliser soi-même. Francesca Bortolotto Possati, vous êtes un véritable cordon bleu, pouvez-vous nous dévoiler une de vos recettes préférées ?

Je ne suis pas un cordon bleu mais j’aime faire la cuisine ! Le temps que j’y passe ne dépasse jamais plus d’une heure ! Et mes recettes sont toutes à cette image ! Pour mes dîners, je concentre toute mon attention sur les achats d’ingrédients de saison qui viennent des sources les plus naturelles possibles, sinon j’achète bio. Je m’occupe des vins (les miens ou ceux des amis avec lesquels on dîne) de la décoration de la table, de la nappe, des assiettes, de la pièce de réception, simple mais recherchée, et on dîne soit à la cuisine soit à la grande table avec les amis.

Venetian Chic, de Francesca Bortolotto Possati aux éditions Assouline

Fin 2016, vous avez commis un magnifique livre paru aux éditions Assouline « Venetian Chic » qui est une promenade magique dans la Cité des Doges. On vous accompagne dans la visite d’ateliers d’artistes. En musardant, on découvre d’incroyables palais vénitiens, d’élégants restaurants. On fait son marché avec vous dans des échoppes où perdurent encore un merveilleux artisanat local…  

C’est justement le but de mon livre : une promenade dans ma Venise…

Votre livre « Venetian Chic » a été préfacé par le célèbre acteur britannique Jeremy Irons. Est-il tombé amoureux, lui aussi, de Venise ?  

Jeremy Irons en plus d’être un acteur fameux dans le monde est aussi un ami de longue date et il a accepté sans difficultés de rédiger cette préface, une valeur inestimable pour mon premier livre.

Francesca Bortolotto Possati et Jeremy Irons

En un mot, Francesca Bortolotto Possati, l’art de vivre vénitien se résume-t-il par l’élégance et le raffinement ?

La spontanéité, l’amitié, la  joie et la générosité d’âme.

A l’origine, le Carnaval de Venise c’était un tourbillon de fêtes, de soupers délicieux, de fêtes galantes secrètes sur fond d’alcôves et de palais vénitiens. Il était réservé à un monde privilégié, protégé, aristocratique. Toute la bonne société se recevait entre elle. Le Carnaval actuel (qui se déroulera cette année du 27 janvier 2018 au 13 février 2018) est-il plus anonyme, plus commercial ? 

Malheureusement, le carnaval est devenu trop commercial. Dommage ! Mais c’était à prévoir ! Il faudra retrouver l’enthousiasme pour le relancer sans trop d’éclat.

Ile de Burano

Le verre de Murano et ses fameux verriers remportent-ils toujours autant de succès auprès des touristes ?

En effet, les verriers, pardon les maîtres verriers, ainsi rassemblés se surpassèrent les uns les autres, acquirent peu à peu une technicité et une créativité telles dans le domaine du verre, que leurs productions devinrent célèbres, pas seulement dans les palais vénitiens ou les églises, mais à travers l’Europe et l’Orient. Ils innovèrent sans relâche au fil des siècles. Et au fil des siècles, ils furent sans cesse copiés. Mais, ils surent toujours inventer et donc être toujours en avance sur leurs concurrents extérieurs. Il y avait aussi d’ailleurs une grande concurrence entre les verriers eux-mêmes. Moi-même, je suis une collectionneuse irrépressible. Le verre sous toutes ses formes me séduit à la folie ! L’île des verriers compta jusqu’à 300 verreries, du temps où les maîtres verriers surent protéger (tant bien que mal) leurs secrets de fabrication. Des entreprises de verrerie sont restées célèbres, comme celle de Toso, Barovier, Seguso, Venini, etc. Mais, les fabriques connaissent de nos jours une crise difficile, pour deux raisons essentiellement : le coût de la main-d’oeuvre spécialisée et le déséquilibre dû à la concurrence industrielle étrangère, face à leur production artisanale, la plupart du temps manuelle.

Plus de trente millions de visiteurs sillonnent chaque année la Sérénissime. Les résidents vénitiens parviennent-ils à vivre en bonne harmonie avec ce tourisme de masse ?

Pour certains, c’est une ville où l’on fait du profit sans investissement à long terme. Il y a une grande inquiétude sur le tourisme de masse, qui est à la fois une bonne et une mauvaise chose. Tout l’enjeu sera de préserver la beauté et l’identité de la cité pour qu’elle reste une destination unique au monde à travers la connaissance de la culture de Venise.  Sinon on en viendra à choisir les visiteurs !

Où peut-on passer des moments d’exception à Venise ? Comment échapper aux sempiternels circuits touristiques ? Dans quel palais sublime, quelle église ou quel opéra peut-on se réfugier pour  s’enivrer de silence ou vivre un pur moment de félicité à l’écart de la foule ?

Un coup de cœur : la Basilique de Saint-Marc en soirée, hors des horaires de visites.

Quel est le secret pour réussir ses vacances à Venise ?

Je vais vous surprendre ! Venise revêt tout son charme en hiver. C’est un charme particulier qui se découvre seul ou avec son âme soeur…

La fondation Pinault

Que pensez-vous de La Fondation François Pinault et de ses collections d’art contemporain ?

L’art est partout à Venise. Le centre d’art contemporain de François Pinault, à la pointe de la Douane, a été restauré par l’architecte japonais Tadao Ando. Il regroupe des artistes de ces quarante dernières années. La première expo « Mapping the Studio » est un choc. On pénètre dans les lieux par un immense rideau de perles blanches et rouges de Felix Gonzales-Torres, artiste cubain mort du sida. Les perles symbolisent les globules de son compagnon, vaincu lui aussi par le virus. Les autres créations expriment les contradictions, les complexités, les violences, les excès du monde, avec des œuvres de Mike Kelley, Jeff Koons, Cindy Sherman, Richard Hughes, Mark Handforth, les frères Chapman… A Venise, on répète que si « l’art n’apporte aucune réponse, il permet de se poser des questions ».

Comment voyez-vous l’avenir de Venise ? Est-elle vraiment menacée par les eaux ? Est-elle en danger ?

Venise est concernée par la montée des eaux depuis son origine. Construite  sur une centaine d’îlots du rivus altus reliés par un dédale de canaux, la somptueuse ville est habituée au phénomène de l’acqua alta, cette période annuelle d’inondations liées aux fortes marées. Mais cette merveille est aujourd’hui menacée car sa lagune s’enfonce irrémédiablement dans la mer. Alors que l’on pensait avoir réussi à stabiliser le phénomène dans les années 2000, les prévisions anticipent un enfoncement de 8 cm au cours des vingt prochaines années et alarment les scientifiques italiens.

Enfin, Francesca Bortolotto Possati, qu’est-ce qui vous rend heureuse ?

Le temps que je passe avec mes enfants à Venise, et mes amis dans le monde.

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Photo de Robyn Lea

0

François-Marie Pailler

« Tout jour nouveau est un nouveau jour de séduction ! »

François-Marie Pailler

Professeur agrégé du Val de grâce, éminent biologiste, ex-titulaire de la Chaire de Sciences pharmaceutiques, toxicologie et expertises de l’EASSA-Val de Grâce, François-Marie Pailler a consacré sa vie à la santé humaine, tout en trouvant dans l’écriture « une merveilleuse compagne ».

Romancier, nouvelliste, poète, auteur de pièces de théâtre, cet homme intègre est un auteur émouvant. Il sait camper en peu de mots, en peu de pages, les paysages escarpés et grandioses d’une Bretagne venteuse et farouche, les sentiments les plus violents comme les plus tendres, la convoitise, la jalousie dévorante, la séduction amoureuse, la douceur de l’amour conjugal, grâce à une concision, une sincérité, une vérité, un mépris des artifices qui rend sa prose éminemment vraie, épurée et attachante.

Voilà un homme, blessé par une mère inéquitable dans ses affections, qui a su magnifier, transfigurer un manque affectif en un « art d’aimer » à la Ovide. Tel est l’art des écrivains, faire de l’or avec de la déception. En effet, François-Marie Pailler voue un merveilleux amour à son épouse. Il n’a de cesse de la séduire, de la charmer, de multiplier les oraisons à ce moment béni de la journée où les époux se retrouvent ensemble à communier à la table de l’amour et du petit-déjeuner… Ce couple a su inventer une forme de conversation amoureuse originale : l’une peint (Nicolle Pailler est une pastelliste de grand talent), l’autre écrit. François-Marie Pailler s’inspire de la beauté des pastels de son épouse pour faire rimer ses vers. De l’art d’aimer…

François-Marie Pailler, vous venez de sortir un recueil « Cinq nouvelles, un essai et quatre saisons de rimes ». Il contient une très jolie nouvelle : « Jalousie à Langoz’Vraz », l’histoire d’une jalousie dans les années 50 en Bretagne. Il y a tant de délicatesse et de réalisme dans votre prose qu’on dirait du Maupassant…

Je vous avoue que le fait d’être comparé à Guy de Maupassant me flatte, me va même droit au cœur ! Est-ce que cela me stimule ? Je ne sais pas… Parce qu’au fond, je me dis que je dois être d’un autre temps, que j’appartiens à un passé révolu ! D’ailleurs, il y a quelques années, j’ai écrit « J’aime mieux Eros que Platon … ou une vie normale », et des critiques m’ont dit que cela ressemblait à du Flaubert. Mon livre a même été comparé à « Bouvard et Pécuchet » ! Donc, pour en revenir à votre question, « Jalousie à Langoz’Vraz » est inspirée d’une situation vraie. Une histoire de partage de propriété, avec son lot de jalousies dérisoires. C’est une histoire de village, au moment de la guerre d’Algérie, puis, entre deux frères, sans réconciliation possible. Dernièrement, j’ai développé cette nouvelle afin d’en faire un roman en vue de participer au Salon littéraire international de l’Haÿe les Roses au mois de Novembre 2017 dont le thème est la Bretagne avec comme Invitée d’Honneur, Irène Frain. Mais dans ce roman, il y a la réconciliation entre les deux frères, en écho à ma vie puisque c’est aussi une de mes quêtes actuelles, cette réconciliation avec mon frère. En effet, notre relation s’est tout de suite améliorée à la suite du décès de ma mère.

Etait-ce votre maman l’instigatrice de cette rivalité ?

Oui, mon frère n’éprouvait aucune jalousie à mon égard, je crois…

Qu’est-ce qui vous a amené vers la nouvelle ?

Mes romans ne sont pas des romans opulents. J’écris 100 pages et je suis à bout de souffle… Disons que la nouvelle est la forme d’écriture qui me correspond le mieux. Quand j’ai été bachelier (en 1961), je me suis embarqué à bord d’un chalutier aux Sables d’Olonne, et suis resté pendant quinze jours sans voir la terre. Les conditions sont réunies, je vous assure, pour réfléchir et décider. Lorsque je suis revenu, mon père m’attendait sur le quai. A cet instant, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai avoué que je voulais être traducteur à l’ONU et souhaitais faire l’école d’interprétariat de Genève. C’est vrai, j’avais le goût et le don des langues. Mon père était médecin, il m’a regardé et il s’est dit qu’est-ce que c’est que cet olibrius ? J’ai lu dans ses yeux son désaccord. Alors dans mon élan juvénile, j’ai continué ma phrase et j’ai ajouté « si je ne peux pas être traducteur à l’ONU, je serai volontiers journaliste sportif ! » Mais comme un couperet, la décision irrémédiable est tombée : François-Marie, tu seras pharmacien ! Qui plus est, tu seras pharmacien militaire ! J’ai donc pris cette voie et terminé mon exercice professionnel comme Pharmacien chef de l’hôpital militaire à Paris.

Ainsi, vous n’avez pas voulu aller à l’encontre du désir de votre père ?

Non, j’étais extrêmement obéissant, je n’ai donc pas discuté la volonté paternelle. Je me suis adapté à une situation que je n’ai pas voulue, et j’ai essayé d’y exceller…

Mais vous avez été aussi loin qu’on peut aller dans ce domaine…

J’ai terminé par une Agrégation de biochimie et de toxicologie. Mais j’ai toujours gardé une merveilleuse compensation, celle de l’écriture… D’abord, j’ai commencé par écrire mes cours, corriger les mémoires ou les thèses de mes étudiants. J’avais également une relation affective avec le micro, et j’ai multiplié les conférences. Du jour où j’ai pu écrire, j’ai commencé par écrire un livre qui me « débarrassait » au sens noble du terme de ce que j’avais fait pendant ma vie professionnelle. Le titre de ce livre était : « Pourquoi suis-je devenu éco-toxicologue ? »

Et alors pourquoi ?

J’ai voulu montrer que la prévention serait le maître-mot de la médecine du 21ème siècle. Prévenir un certain nombre de pathologies par le respect de l’environnement de façon à espérer diminuer le déficit de la Sécurité Sociale. Je pense que la médecine du 21ème siècle se doit d’être plus préventive qu’interventionniste.

Vous avez écrit un roman « Le frère du Frère ». Quel en est le sujet ?

J’ai voulu écrire ce texte pour libérer ma mémoire. C’est-à-dire que je me suis posée la question non pas du pourquoi mais de la chronologie des faits qui nous avaient amenés à cette situation. Cela a nécessité de ma part la réactivation de mes souvenirs. Je suis né en 1943, je crois pouvoir dire que j’ai toujours eu beaucoup de respect pour ma mère mais ne la comprenait pas. Je ne la rudoyais jamais sauf quand elle m’agressait et terminait nos échanges en signifiant que je n’avais pas toutes mes facultés mentales, accompagnant cette affirmation gratuite du geste que tout le monde connaît. Mes parents étaient extrêmement ascétiques, rigoristes et pleins d’interdits mais nous avions reçu l’éducation de l’obéissance. Du plus loin que je m’en souvienne, quand j’essaye de remonter le temps, je vois la rupture affective avec ma mère à l’âge de 10 ans. Je me souviens de phrases qu’elle m’a dites qui n’étaient pas agréables à entendre pour un enfant si jeune. Je n’ai jamais su pourquoi cela avait été comme ça. Je me dis souvent qu’il y a deux choses qui ont marqué ma jeunesse. J’ai longtemps été le dernier d’une famille de trois enfants pour devenir le troisième d’une famille de quatre enfants. Ce qui n’est pas du tout la même chose. Et le deuxième événement qui a beaucoup marqué ma jeunesse, ce fut de côtoyer la mort très jeune. J’ai eu un très grave accident de vélo lorsque je faisais les auberges de jeunesse en Ecosse. Or, quand je suis revenu en France, je n’ai pas eu le témoignage d’affection que je pensais avoir de ma mère alors que j’avais failli mourir… « Le frère du Frère » cela a donc été la mémorisation chronologique d’un certain nombre de faits qui m’ont marqué. Un des commandements de mes parents se résumait par cette phrase : « Fais comme ton frère ! » Pourquoi mon frère a-t-il eu la préférence de ma mère ? Je ne sais pas… Il n’était pourtant pas l’aîné. Il était le second mais le premier garçon de la fratrie. Ma mère l’a toujours considéré comme ayant un avenir extraordinaire. D’ailleurs mon frère est devenu un brillant chirurgien. Ma mère était médecin, faisait-elle un transfert ?

Donc, vous avez éprouvé durant votre jeunesse comme un déficit d’amour ?

J’ai toujours senti une différence. Je n’étais pas reconnu puisqu’on me disait : « fais comme ton frère » alors que je m’étais efforcé de faire comme lui ! J’avais l’impression de vivre dans son ombre et cela m’était dit. Mes parents me disaient « fais comme ton frère et tu seras pharmacien militaire ! », « Tu te marieras quand ton frère sera marié ! ». Ou ce genre de phrase terrible prononcée par ma mère : « Je ne souhaite pas te voir avec ton frère parce que tu m’empêches d’en profiter ». C’était difficile à entendre. Ma mère m’a parlé comme ça jusqu’à son décès qu’elle a « organisé » sans que j’ai pu la revoir alors que j’étais venu pour la saluer et me trouvais à 28km d’elle ! Mes frères et sœurs étaient toujours ensemble et moi je jouais seul… Le jour où j’ai pu écrire pour y voir plus clair sur cette blessure, j’ai publié un roman et ma mère n’a pas compris que je puisse évoquer ces souvenirs et leur bien-fondé. Là aussi, elle a évacué le problème en le balayant d’un revers de la main… Tout cela n’avait pas de sens, pas de réalité pour elle…

L’écriture est-elle pour vous une matrice, quelque chose qui vous protège, qui vous materne ?

Quelque chose qui me protège ? Je ne suis pas sûr dans la mesure où je ne suis pas un homme très conciliant. Je suis plutôt en quête de vérité dans l’écriture, si tant est que l’on puisse y accéder. Quand j’ai quitté mon travail à l’hôpital, j’étais infiniment triste. J’ai trouvé dans l’écriture ce que j’appelle une merveilleuse compagne. Elle me permet de décrire des moments difficiles, des moments de doutes, d’échecs, mais jamais des moments de bonheur. Parce que pour moi, dire que je suis un homme heureux, c’est tellement présomptueux que je ne pourrais jamais formuler cela. L’écriture m’accompagne pour une analyse de l’échec, de l’incompréhension, de la jalousie… Pour moi l’écriture, c’est une aide à la preuve. Catherine Pancol observe très justement que « La vérité peut être utile à celui qui la reçoit, mais c’est une épreuve pour celui qui l’énonce. » Cette belle phrase trouve écho en moi. Prendre le chemin de l’écriture, ce n’est pas nécessairement chose facile, c’est un perpétuel aller-retour sur soi, parsemé de satisfactions, d’enthousiasme, mais aussi de découragement et parfois d’angoisse.

Ce qui sous-tend tout ça, c’est la vérité de votre vie ?

En effet ! Angoisse peut-être de découvrir la vérité… L’écriture vous fait redécouvrir un certain nombre de choses, elle vous oblige à vous voir en face. J’avoue que mon écriture n’est pas imaginative car toujours basée sur des faits réels. Voltaire disait « L’écriture, c’est la peinture de la voix, plus elle est ressemblante, meilleure elle est »…

Par-delà la vérité, il y a aussi de la beauté littéraire dans vos nouvelles…

Disons que j’essaye surtout d’écrire vrai. Je suis rentré dans l’écriture par privation. Et puis le goût de l’écriture s’est progressivement développé par compensation…

Et maintenant, l’écriture vous comble ?

Ah oui ! Il n’y a pas de journée sans écriture. J’ai une relation très affective avec mon clavier. Je suis heureux en sa compagnie, il me comprend parfaitement !

D’accord avec Vladimir Volkoff qui affirme que l’on écrit pour séduire ?

Oui, en premier lieu, on écrit pour plaire. Forcément Il n’y a rien de rien de plus agréable que de s’entendre dire que l’on écrit bien et donc de séduire ses lecteurs!

En parlant de séduction, vous avez écrit une pièce de théâtre sur ce thème : « Séducteurs pour toujours »…

Oui, la séduction est un thème récurrent chez moi, j’en fais un paramètre de vie ! Elle figure souvent dans mes écrits. Dans « A la conquête de sa mère », mon héros Pierre-Marie décide de partir à la conquête de sa mère pour lutter contre la différence. Dans « Séducteurs pour toujours », mes héros, trois jeunes gens sont séduits par Marie, qui elle, leur annonce un jour qu’elle est séduite par la parole de Dieu. Elle rentre dans les ordres et ils en sont décontenancés car ils perdent leur référence de séduction.

Pour vous, la séduction est-elle une compensation ?

La séduction, c’est un phénomène dynamique. Quand elle ne fonctionne que dans un sens, cela peut ressembler à une espèce de compensation, c’est sûrement un phénomène aussi qui conduit à se rassurer. Mais cela peut être une ligne de conduite quotidienne, un art subtil, qui ne traduit pas nécessairement un manque affectif. Il n’y a, selon moi, pas de dynamisme sans séduction. En tant que maire adjoint de la commune de Chaville, je célèbre énormément de mariages. Eh bien, à chaque mariage, je m’empresse de dire aux futurs mariés : « Tout jour nouveau est un nouveau jour de séduction ! »

Avez-vous mis en pratique cet adage dans votre vie ?

Tous les jours, je cherche à séduire mon épouse ! En multipliant les attentions, les mots galants, en étant attentif, aimable en rentrant à la maison. Le petit déjeuner est pour moi un moment privilégié de séduction ! On se retrouve pour commencer la journée ensemble… A celle qui charme mes yeux, je veux charmer le cœur ! Alors j’emploie des mots caressants. Connaissez-vous ce mot de Voltaire : « On attrape un homme par les yeux et une femme par les oreilles » ? Les femmes aiment les compliments, les promesses… Nous arrivons à 52 ans de mariage. 52 ans multipliés par 365 jours par an ! Imaginez ce que cela fait comme nombre de petits déjeuners et de moments de séduction ! Il n’empêche, la séduction peut être un fil conducteur de vie. Séduire, c’est conquérir. Voltaire écrivait « J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé ». Et moi, de dire : « aujourd’hui, j’ai décidé de séduire parce que c’est bon pour la santé ». Séduire son épouse mais aussi son entourage, son patron, sa secrétaire…

Séduire, c’est alors une marque de respect, une façon de remarquer que l’autre existe…

Exactement ! Une marque de respect… Mais la séduction conduit-elle au bonheur ? Il me semble que oui ! Serge Joncour a écrit un très beau texte là-dessus. Il parle de séduction dans « L’amour sans le faire ». Une forme d’amour platonique, d’amour non consommé, d’amour pudique qui peut devenir très intense aussi tout en faisant remarquer que « ne pas pouvoir s’aimer, c’est peut-être plus fort que s’aimer vraiment…».

Pour séduire votre épouse, Nicolle, vous rimez sur ses peintures. C’est une véritable déclaration d’amour… Elle peint des pastels que vous accompagnez d’un texte. Il y a par exemple ce magnifique « Jeux de sable », où vibrent à l’unisson les reflets saphir, émeraudes et les sables safranés et mordorés du désert, illustré par ces rimes :

Jeux de sable, Nicolle Pailler

Jeux de sable

Les anciens m’ont certifié que je trouverai richesse dans le sable,

Mais pour moi, le sable n’est que grains et poussière.

Le vent s’acharne à le faire tourbillonner d’avant en arrière,

Sans que jamais aucun trésor ne soit dans mes mains, palpable.

Vous écrivez aussi de superbes poèmes, comme « Souvenirs d’un jardin sur une île ». Ce poème entre en résonance avec le pastel de votre épouse « Marines-Bréhat. Un jardin sur une île.» C’est l’accord parfait !

Bréhat, jardin sur une île, Nicolle Pailler

Souvenirs d’un jardin sur une île

La première fois, ce fut par un temps merveilleux ;

La deuxième fois, c’était sous un soleil radieux,

Que de Saint Brieuc, après un embarquement facile,

Nous avions pu découvrir ce jardin sur une île.

Bruyère et marjolaine se disputaient les couleurs,

Laissant aux troènes la responsabilité des odeurs.

Sur un chemin de mousse, nous nous étions égayés,

Pour finalement regarder la rentrée des chalutiers.

Sautant de rocher en rocher, nous étions descendus sur la grève

Où malgré le bruit des vagues et la remontée des flots,

Nous avions passé, blottis l’un contre l’autre, une nuit de rêve

Avant que d’être réveillés par les rayons d’un doux soleil chaud …

Bréhat, île au très beau jardin propice à l’amour

Tu offres à ceux qui veulent découvrir tes contours

Des souvenirs d’abandon et de rêverie vivaces

Que pas même le retour sur le continent n’efface.

© François-Marie Pailler

Vous avez même eu la gentillesse d’écrire un poème pour Le Sens Critique. Un poème sur la triste actualité…

Aux amis, victimes du terrorisme…                                                   

Les amis, pourquoi êtes-vous morts ?

En ces mois de terrible  tristesse

Sous les coups d’individus en détresse

Qui ne connaissent de la vie que la mort !

En janvier, ils ne vous ont pas reconnu le droit

De défendre votre liberté d’écrire et de penser

Afin que chacun d’entre nous puisse espérer

Vivre une religion et une société de son choix !

En novembre, ils ne vous ont pas reconnu le droit

D’aimer et d’écouter de la musique branchée

Ou de vous trouver, un verre à la main, sous un toit

Qui vous a conduits à tous mourir persécutés !

Alors, dans le monde, le terrorisme s’est propagé

En Belgique, en Espagne, en Allemagne, en Angleterre

N’épargnant aucune des contrées  qui nous sont chères

Et nous conduisant, des uns et des autres, à douter !

Alors, dans le monde, le terrorisme s’est propagé

A tel point que le 14 juillet, tout a recommencé

Sur la promenade où dans la nuit, ils ont été écrasés

Par un camion fou qui avait décidé de ne rien respecter !

Cette vie infernale, ne la souhaitons à personne,

Que nos familles et nos enfants en soient épargnés

Et que le Bon Dieu, courage et pardon nous donne

D’éviter de propager un sentiment de férocité.

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

© François-Marie Pailler

Fête nationale, Nicolle Pailler

A Marée basse, Nicolle Pailler, pastel primé au Congrès européen du Pastel de Saint Denis en 2007

François-Marie Pailler est écrivain biographe, il donne de son temps pour écrire la vie des autres.

www.peinture-et-ecriture-pailler.com

A ne pas manquer en 2018 : Nicole Pailler exposera du 21 au 28 février 2018 au salon des peintres du Marais (qui se tiendra à la Halle des Blancs-manteaux 48 rue Vieille du Temple 75004 Paris

0

Giampaolo Schiratti

« On oppose l’entreprise à l’homme, mais l’entreprise, c’est l’homme ! »

Aujourd’hui, le lait fait couler beaucoup d’encre. On lui reproche tout et n’importe quoi. D’être responsable de maladies cardio-vasculaires, de rhumatismes, d’otites etc. Aux Etats-Unis, il est décrié comme jamais. Dans un livre devenu best-sellers « Milk, the deadly poison » Robert Cohen, affirme que boire du lait c’est consommer de la colle, des hormones et du pus. Alors, le lait, allié et ennemi ? Et pourquoi cette mise au banc des accusés de celui qui durant des générations a été considéré comme une source indispensable de calcium ? Pour démêler le vrai du faux, nous avons souhaité rencontrer le spécialiste de la question, Giampaolo Schiratti. Expert du secteur agroalimentaire, cet ancien élève des Ponts et Chaussée est le PDG de Candia depuis 2013. On lui doit, en 2014, le logo « lait conditionné et collecté en France » qui garantit au consommateur la provenance et la qualité du lait. Giampaolo Schiratti, c’est un grand patron mais c’est aussi un homme loyal, chaleureux, estimable qui prône la tempérance et l’exigence en toutes choses.

Candia appartient au groupe Sodiaal, premier groupe laitier français qui collecte 4, 6 milliards de litres de lait par an. Sodiaal, la maison mère de Candia, abrite-t-elle d’autres sociétés ?

Précisons d’abord que Sodiaal est une coopérative et la particularité de cette coopérative est d’appartenir aux 14000 éleveurs qui produisent le lait en France, lait utilisé dans nos produits. En plus de Candia, Sodiaal compte Entremont (une grande marque de fromage) et Yoplait qui même si elle n’est pas gérée par Sodiaal, utilise le lait des producteurs de Sodiaal.

Candia a pour concurrent Lactel. Les deux marques se livrent une guerre sans merci. Comment se différencient-elles ?

La première différence c’est que Candia, comme je vous le disais est une coopérative. Candia est là pour assurer la pérennité de la filière laitière française dans une logique de qualité et de développement du territoire. L’objectif numéro 1 de Candia n’est pas de faire du profit mais de valoriser le lait des éleveurs de façon à assurer la pérennité de la filière laitière française, alors que Lactel, lui appartient au groupe Lactalis qui est un groupe privé, qui par définition a comme finalité le profit…

Quels sont les atouts de Candia ?

Il faut savoir que Candia est le précurseur du lait de consommation. C’est Candia qui a inventé en France et dans le monde le premier lait UHT, le premier lait délactosé, le premier lait aromatisé, la première bouteille, la première bouteille à poignée. Candia a toujours été le précurseur en terme d’innovation et aujourd’hui lorsque vous achetez une bouteille de Candia, vous êtes certain que le lait qui est à l’intérieur est un lait français dans des fermes tracées que nous connaissons qui sont dans un modèle d’élevage extensif (la moyenne des fermes chez Candia est de l’ordre de 50 à 60 vaches) contrairement à d’autres laits qui sont produits dans des systèmes beaucoup plus intensifs avec des garanties de respect de l’environnement et de qualité qui évidemment ne sont pas les mêmes.

Candia, c’est donc une grande marque…

C’est une grande marque et derrière la grande marque, il y a une éthique, il y a aussi un produit de qualité auquel nous faisons très attention parce que c’est un produit que nous n’achetons pas, que nous produisons nous-mêmes à travers nos éleveurs. Cet ancrage coopératif et dans le monde agricole nous donne évidemment des atouts importants.

Candia est une marque internationale. Elle exporte partout. Afrique, Moyen orient .Depuis quelques années, elle part à l’assaut de l’Asie. Peut-on trouver aujourd’hui dans les supermarchés chinois du lait Candia ?

On peut trouver du lait Candia dans pas mal de pays. On peut en trouver aux Antilles, en Algérie, en Tunisie, en Iran, à la Réunion, en Côte d’Ivoire. On commence également à en trouver en Chine, dans certains supermarchés ou certains magasins de la côte Est chinoise, mais pas suffisamment ! Le marché chinois est un marché très intéressant, malgré le fait que le consommateur chinois n’est pas encore un très grand consommateur de lait puisqu’il ne boit environ que 6 litres de lait par an alors qu’un français en boit 53, un irlandais 120. La Chine est un pays qui est déficitaire en lait, sur lequel il y a un potentiel d’exportation mais c’est aussi un pays très différent par ses habitudes alimentaires. Par exemple, en Chine, le lait se boit dans de petits formats de 200 millilitres, (on boit ça comme un petit goûter, même à la maison). Les laits aromatisés consommés en France, c’est plutôt du chocolat et de la vanille, là-bas c’est plutôt de la banane. Donc, nous devons nous adapter aux goûts et habitudes du consommateur chinois. Par exemple en France, on boit du lait demi-écrémé, en Chine, c’est plutôt du lait entier. Ensuite, faire des affaires avec des chinois demande un certain apprentissage, un certain sens de la négociation. De plus, les chinois n’ont pas la même perception du temps que nous, c’est un peu comme si ils avaient l’éternité devant eux… Par exemple, nous venons de signer un accord de partenariat avec un client chinois qui s’appelle Synutra. Nous allons installer dans l’une de nos usines quatre lignes de production pour eux, lesquelles vont produire 450 millions de briquettes par an. Quand je suis arrivé chez Candia début 2013, ce projet était déjà à l’étude. Il a été signé la semaine dernière (le 31 mars 2016). Il a fallu presque trois ans !

Les chinois se sont-ils intéressés au lait Candia parce qu’il y a eu des scandales alimentaires chez eux ou est-ce parce qu’ils avaient l’impression que notre lait français était d’une meilleure qualité ?

Trois paramètres ont, semble-t-il, motivé leur choix. Le premier, c’est qu’ils n’avaient plus complètement confiance dans la filière chinoise à cause des problèmes sanitaires rencontrés. Le second, c’est qu’ils n’avaient pas suffisamment de lait en Chine. Troisièmement, nous avons des savoir-faire en France, nous savons faire du lait infantile ou du lait pour les enfants (de six, neuf ou douze mois) sous forme liquide donc très facile à boire alors que les chinois ne maîtrisent pas encore ces technologies.

Quel est le lait qui se vend le mieux aujourd’hui : le lait bio, le lait sans lactose, le lait enrichi en vitamine D, le lait demi-écrémé, le lait entier ?

En France, trois segments sont en croissance, le lait délactosé (sans lactose, ou à taux réduit de lactose). Certains consommateurs ont des intolérances partielles au lactose et donc préfèrent consommer un lait dont ils seront sûrs qu’ils vont le digérer. Ensuite, il y a le lait bio, segment en croissance lui aussi, parce que certains consommateurs sont très attentifs à l’environnement, et que le lait bio leur apparaît comme un signe de réassurance de qualité (justifié ou non, c’est un autre problème). Troisième segment en croissance : ce sont les laits de type vitaminé, de type aromatisé qui ne sont pas vraiment utilisés comme des laits mais plutôt comme des boissons pour les enfants au petit-déjeuner, en goûter, ou en cas. En contrepartie, si je peux m’exprimer ainsi, les laits classiques que sont le demi-écrémé qui font la plus grosse partie du marché et le lait écrémé sont en décroissance. Dernier point, un segment qui était en décroissance ces dernières années et qui est en train de se stabiliser (que l’on espère même faire recroître) c’est le lait frais, pasteurisé.

Peut-on dire que le consommateur de lait français a changé ces dernières années ?

C’est un fait, le consommateur en général a changé. Il est soumis aujourd’hui à une variété de modes de distribution, à plein de nouvelles impulsions (négatives ou positives). En ce qui concerne le consommateur de lait français, il consomme moins de lait qu’il y a dix ans. Pour deux raisons : la première est liée aux évolutions des habitudes alimentaires des français. On prend un peu moins de petit-déjeuner ou quand on le prend, on « l’avale » plus rapidement, pas nécessairement à table, avec notre bol de lait et notre tartine comme avant. Parfois les enfants remplacent le bol de lait par un verre de soda. Toujours, sur ses changements d’habitude, on cuisine moins avec du lait parce que les plats que l’on faisait avec du lait comme le soufflé, la purée sont un peu moins dans l’air du temps. Enfin, on consomme moins de lait parce qu’il existe actuellement une défiance de la part des français vis-à-vis du lait.

Depuis un certain temps une rumeur enfle comme quoi le lait pourrait être dangereux pour la santé. Il serait responsable de maladies cardio-vasculaires, rhumatismes, otites voire de cancer. Pourquoi le lait qui depuis des générations était considéré comme source de calcium et bénéfique pour la santé, se retrouve-t-il au banc des accusés ?

C’est une bonne question ! Il faut avoir en tête que la grande majorité des études attestent des qualités positives du lait (sur dix études positives, vous n’en trouverez qu’une négative). Mais vous avez raison certaines études minoritaires jettent la suspicion sur le lait. Ces études montrent que si on boit énormément de lait, si on dépasse une certaine dose, effectivement, cela peut être nocif. Mais c’est une question de bon sens, tout excès est toujours négatif ! Reste que c’est la tendance actuelle (qui dure quand même depuis quelques années !), il y a une accélération « du bruit »  anti-lait.

Pourquoi ?

D’abord, on peut se demander d’où cela vient…

D’études scientifiques ?

Ce sont surtout des associations autour de l’anti-animal (d’aucuns disent qu’ils seraient financés essentiellement par les lobbies des végétaux) qui ont tendance à dire que l’homme ne doit pas consommer d’animal, l’homme ne doit pas consommer ce qui sort de l’animal, ne doit pas consommer du lait parce que le seul animal qui boit du lait quand il est adulte, c’est l’homme…

Cela profite-t-il à des gens ?

Bien sûr que cela profite à des gens ! Il n’empêche, en France, on parle souvent de ce qui va mal, on préfère parler du négatif que du positif… On a aussi tendance à mettre au pilori certaines catégories, le lait par exemple ce n’est rien par rapport au gluten. Actuellement, il y a une mode qui consiste à manger sans gluten alors qu’il n’y a que 0,2 pour cent de la population qui présente une intolérance forte au gluten. Mangeons de tout de façon modérée, raisonnable, variée, c’est ça le secret ! Une des chances de notre culture européenne par rapport à la culture américaine, c’est la diversité alimentaire. Trois repas par jour, prendre le temps, s’asseoir, varier l’alimentation. C’est tout simple !

Ni l’OMS, ni aucune étude scientifique probante ne semblent pourtant incriminer directement les produits laitiers. Au contraire, on recommande même aux français, par le biais d’une publicité ludique, de consommer par jour trois produits laitiers…

En effet, aucune étude scientifique sérieuse n’a montré que le lait est nocif. Toutes les opérations publicitaires en faveur de la consommation de produits laitiers sont évidemment observées au microscope, disséquées par les autorités sanitaires françaises et européennes. Même si nous n’avons pas beaucoup confiance dans nos gouvernants, c’est plutôt le principe de précaution qui s’applique à l’excès que le contraire. Donc, s’il y avait le moindre soupçon de la part des autorités sanitaires françaises et européennes que le lait est mauvais, ou que le lait pourrait être mauvais ou que le fait de prendre trois produits laitiers par jour pourrait être nocif pour la santé, je pense qu’on ne nous autoriserait pas à diffuser ces publicités.

Oui, mais on a déjà vu des cas de scandales sanitaires comme la vache folle ou la viande de cheval dans les surgelés…

Ce n’est pas tout à fait pareil. Qu’à l’intérieur d’une profession, des individus ne fassent pas bien leur métier comme dans le scandale de la viande de cheval dans les plats cuisinés, c’est une chose. Ce n’était pas un produit en absolu qui est en cause, ce sont des malversations de la part d’industriels. Là, il s’agit d’un produit qui est le lait, de ses effets sur l’alimentation et la santé publique, le rôle que cet aliment a dans l’alimentation des personnes, les alertes qu’il peut y avoir comme les excès. Il faut faire très attention et distinguer les choses. Il ne faut être pas angélique mais il ne faut pas non plus tirer à vue sur un produit. Cela fait des centaines d’années qu’on boit du lait et que l’on se porte bien. Ce qui est vrai pour le lait est vrai pour tout. Notre espérance de vie est aujourd’hui d’environ 80 ans, donc une quinzaine d’années de plus qu’il y a cinquante ans. L’alimentation, et donc le lait, a peut-être participé à cet accroissement de la longévité. De plus, si l’on veut être sérieux, on doit se baser sur des études sérieuses. Sur des études sur trente ans, sur des dizaines de milliers de personnes. Dans les cohortes, on prend des personnes comparables, par exemple des jumeaux et on les traite avec des régimes alimentaires différents sur trente ans, là on peut en tirer des conclusions.

Au Etats-Unis, un livre écrit par Robert Cohen « Milk, the deadly poison » fait fureur. Surnommé « l’homme anti-lait », il affirme que boire du lait c’est consommer de la colle, des hormones et du pus. Il dénonce aussi les agissements de la multinationale Mosanto qui produit une hormone de croissance destinée à augmenter la production de lait. Certains éleveurs qui utilisent cette hormone voient leur production journalière de lait par vache passer de 14 à 40-50 litres. Il affirme que les vaches sont malades, qu’elles sont bourrées d’antibiotiques et que personne n’évalue la toxicité de ce lait, qu’il s’agit là d’un mépris de la santé publique. Rassurez-nous, Giampaolo Schiratti, dîtes-nous qu’en France, on n’utilise pas cette hormone de croissance…

Il n’y a pas d’hormone de croissance en France. Lorsqu’une vache malade est traitée par antibiotiques, son lait ne peut pas arriver en usine. La première chose que l’on fait dans nos usines, lorsqu’une citerne arrive, c’est un test aux antibiotiques. S’il y a le moindre soupçon, on jette le lait. Donc en France, vous ne pouvez pas trouver d’hormones et d’antibiotiques dans les produits laitiers que vous mangez. C’est impossible…

Toujours dans un registre aussi noir, Philippe de Villiers dans son livre « Le moment est venu de dire ce que j’ai vu » affirme qu’on a brutalisé, abîmé, dénaturé la nature. Que soixante-dix mille tonnes de pesticides sont répandus dans nos sols en France, que la France est devenue le premier consommateur européen de pesticides. Que les risques sur la santé humaine sont dissimulés au public. Il affirme qu’il y a un danger pour les nourrissons qui boivent du lait parce que les vaches ingurgitent les nicotinoïdes répandus dans l’ensilage. Vous qui êtes un spécialiste du lait, que pensez-vous de ces assertions ?

Je pense que c’est un vrai sujet, mais le problème c’est que ce n’est pas que dans le lait… On trouve aussi ces pesticides, ces nicotinoïdes, ces hormones de croissance dans l’eau…

Dans l’eau du robinet ?

Oui, dans l’eau du robinet et dans certaines autres eaux. Quand vous prenez des médicaments, votre organisme n’assimile pas l’ensemble des substances chimiques et une partie de ces substances se retrouve dans les toilettes, ensuite dans les stations d’épuration, et ensuite est recyclée. Aujourd’hui, on a un vrai problème de présence d’un certain nombre de produits dans nos eaux, dans nos légumes. C’est pour cette raison que les entreprises comme les nôtres ont mis en place ce qu’elles appellent « des chartes de bonne pratique » pour être sûres qu’elles ont les bonnes pratiques d’élevage en terme de proximité des animaux par rapport aux sources éventuelles de contamination de proximité, par rapport à des cultures intensives, et en terme de ce qui est donné à manger et à boire à notre bétail. Et ce, pour faire que toutes ces problématiques de pollution de notre environnement que souligne Philippe de Villiers (et il a tout à fait raison) se retrouvent le moins possible dans les produits que l’on consomme.

Heureusement que dans ce concert de reproches, quelques voix s’élèvent pour dire que le lait est un nutriment essentiel, un allié incontournable pour la santé pour faire le plein de calcium. Qu’il est indispensable pour prévenir les pertes osseuses après 50 ans et l’ostéoporose. Que sa consommation est plus bénéfique que risquée. D’après vous, faut-il privilégier le lait bio ou non ? 

Je crois qu’en toute chose, il ne faut jamais oublier son bon sens. Wittgenstein avait un bon mot pour dire ça. Il écrivait : « Quand vous entrez dans une pièce pour philosopher, ne traitez pas votre bon sens comme votre parapluie. Ne le laissez pas à l’entrée. » Bien sûr qu’il faut privilégier le lait mais avec modération, comme tout. Par contre, je ne crois pas qu’il faille nécessairement boire du lait bio. Le bio en général, c’est un mode de production qui est plus respectueux de l’environnement. Mais si on ne produisait que du bio, nous n’aurions pas assez pour nourrir la population mondiale. Un rendement bio, s’il y a une sécheresse, l’attaque de telle ou telle maladie, eh bien on ne produit plus. Je respecte le consommateur bio, c’est son choix mais le bio en terme de santé, personne n’a prouvé qu’il était meilleur pour la santé. Il est meilleur pour l’environnement, c’est sûr, mais en terme de goût, par exemple moi je n’aime pas le lait bio, je trouve qu’il a un petit gout de foin. Cela dit, je respecte les consommateurs qui sont rassurés par le bio, soit pour des raisons psychologiques soit pour des raisons environnementales…

Giampaolo Schiratti, vous avez été à la tête de grandes entreprises de l’agroalimentaire (Lesieur, Cacao Barry, Charal etc.), vous avez passé votre vie à défendre la qualité des produits que vous mettiez sur le marché. Faites mentir le philosophe Gilles Deleuze qui dit : « On nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est la nouvelle la plus terrifiante du monde », et dites-nous en quoi vous êtes l’âme, et une belle âme intègre, de l’entreprise Candia…

D’abord, je ne vais pas répondre au philosophe parce que je n’ai pas son niveau, mais il me semble que la France meurt de sa propension à opposer les gens… On oppose l’entreprise à l’homme mais l’entreprise c’est l’homme ! Cessons d’opposer jeune et vieux, entreprises et syndicats, patrons et salariés, majorités et minorités. Prenons le cas de la grande distribution, cette volonté permanente qu’ont les gens de dénigrer, de critiquer la grande distribution. La France est le seul pays au monde où on dévalorise tout. On ne cesse de diviser les gens, de les dresser les uns contre les autres. Serait-ce parce que nous vivons dans le pays de la contradiction philosophique ? Je ne sais pas… Toujours est-il que nous pêchons peut-être par excès de pensée philosophique, par esprit de contradiction mal placé. D’autres pays, comme l’Italie, cherchent davantage le compromis…

Quand j’entends ces mots de Gilles Deleuze, je comprends (même si je n’excuse pas) que des gens manifestent contre la loi du travail, en disant que c’est une loi pour les patrons. Mais en quoi les patrons sont-ils contre les jeunes ? Aujourd’hui, on a tous besoin de tous. Un patron tout seul ne peut rien faire et le jeune qui lit ces mots, sera peut-être patron dans 5 ou 10 ans…

Candia souscrit-elle à un programme écologique ?

Oui, par son agriculture raisonnée. Nous sommes dans une démarche RSE, de responsabilité sociale et économique. Il s’agit de mesurer notre empreinte carbone, mesurer notre consommation d’eau, mesurer nos consommations d’énergie, mesurer le nombre de kilomètres que parcourent nos produits. Et pour chacun de ses indicateurs, nous nous fixons des objectifs d’amélioration et des plans d’action pour les atteindre.

Quand je vous écoute, j’ai l’impression que Candia est une entreprise modèle…

Non, nous avons encore beaucoup de choses à faire ! Et la plupart des entreprises françaises sont comme nous. Comme je vous le disais, en France, l’image de l’entreprise est négative. Alors que toutes les entreprises œuvrent à faire au mieux. Simplement, on a l’image médiatique de grands patrons richissimes associés à des salaires indécents, à des parachutes dorés. C’est une image très réductrice que celle qui assimile l’entreprise au patron. En France, il doit y avoir 30 000 entreprises environ, il doit y en avoir 100 dont les patrons ont des parachutes dorés. Les médias ne s’intéressent qu’à ceux-là. Là encore on ne parle toujours que du verre à moitié vide…

Comment voyez-vous l’avenir de Candia ?

Actuellement, il faut gérer le court terme dans le secteur laitier et c’est quelque chose d’assez compliqué, parce que 2015 et 2016 ont été deux années dans lesquelles se sont produits trois événements majeurs qui ont révolutionné le monde laitier.

Le premier qu’on connaissait mais dont on n’a pas anticipé les conséquences, c’est la fin des quotas laitiers en Europe. Jusqu’au 31 mars 2015, la production de lait en Europe était fixée par des quotas. Chaque producteur laitier se voyait attribuer un quota laitier et ne pouvait pas produire plus. La Commission Européenne a décidé le 31 mars de lever ces quotas donc cela veut dire que depuis le 1 avril 2015 les producteurs européens peuvent produire tout ce qu’ils veulent et ils se sont mis à produire beaucoup plus. Et cette réaction était difficile à prévoir…

Quant au second événement, il concerne la Russie. Vladimir Poutine a décidé l’embargo d’un certain nombre de produits vers la Russie dont les produits laitiers. C’est une sanction contre la position européenne sur l’Ukraine et donc, en conséquence de ça, 200 000 tonnes de fromages qui partaient de l’Europe vers la Russie ne partent plus. Cela correspond à 2 milliards de litres de lait. Candia n’est pas trop touchée par cette sanction (car elle n’exportait pas trop en Russie) mais cela signifie que nos voisins allemands, non seulement produisent beaucoup plus de lait qu’auparavant mais en plus ils ne peuvent plus l’envoyer en Russie. Or, il faut bien qu’ils l’envoient quelque part….

Enfin, non seulement les marchés européens sont saturés, mais les marchés en croissance régressent. La Chine est passée de 20 pour cent de croissance à moins de 7 pour cent. La Chine qui était un énorme importateur de produit laitiers a diminué ses importations. Toute l’urbanisation de la Chine a fait qu’aujourd’hui le salaire moyen en Chine est supérieur au salaire moyen mexicain. Le ralentissement économique fait que les Chinois ont donc ralentis leur consommation de lait.

Pour synthétiser, nous sommes dans une crise laitière assez grave. Beaucoup plus de lait dans la Communauté Européenne et beaucoup moins de lait à l’exportation car la Chine a diminué ses importations, donc aujourd’hui, il y a du lait partout… La valeur des produits laitiers sur les marchés mondiaux est en train de reculer depuis un an et demi, et le prix qu’on paye au producteur laitier est en train de chuter, de descendre même en dessous du prix de revient.

Propos recueillis par Isabelle Gaudé