C’est la pièce de l’hiver ! Elle a déjà fait un malheur à l’automne 2021 au théâtre Darius Milhaud, où elle se jouait à guichets fermés. Elle revient en 2022, électriser une plus grande salle de la Comédie Saint-Michel. Courez la voir dès le 14 janvier 2022 ! C’est l’évènement immanquable de ce début d’année. Du grand, du très grand Guitry renaît de ses cendres, vivifié comme jamais, qui éclabousse de sa verve et de son brio la Comédie Saint-Michel. Sur scène, c’est une fête de l’esprit, un festival de fulgurances, de faux-semblants sur fond d’adultère, de cruauté et d’amour. LeMari, laFemme, l’Amant c’est tout simplement un instant de grâce. Et un pari réussi pour sa metteur en scène, une toute jeune femme de 23 ans, Diane Lotus, sans doute l’une des premières à mettre en scène cette pièce du répertoire de Guitry. Le parti pris était osé : jouer « contre » Guitry. Renverser les rôles, choisir le parti des femmes, et non celui des hommes. Défendre joyeusement les droits des femmes : le droit de désirer pour une femme, d’être désirable sans se se sentir coupable, le droit de s’épanouir en dehors du désir masculin, le droit de se soustraire aux diktats maritaux, etc. Un véritable plaidoyer féministe. Et prendre ainsi le fameux misogyne à son propre piège. Les admirateurs de Guitry apprécieront : cette jeune troupe vibrante de passion interprète d’une façon incroyable et novatrice le texte ravageur du maître de l’ironie. On assiste à la naissance d’une compagnie surdouée, d’un naturel insensé, laquelle nous entraîne durant deux heures dans un époustouflant, éblouissant jeu de dupes, drôle, subtil, succulent d’intelligence. On sourit, on rit, on pleure de rire.
Ils sont beaux, jeunes, talentueux, venez les applaudir à la Comédie Saint-Michel
La pièce se joue tous les vendredis et samedis à 21h30, du vendredi 14 janvier 2022 au samedi 7 mai 2022, à La Comédie Saint-Michel, 95 bd Saint-Michel, 75005 Paris.
Site officiel des Coureurs de Jardin : https://lescoureursdejardin.fr/
C’est incontestablement le plus grand chocolatier au monde. Son talent n’a d’égal que son originalité. Il est le seul à avoir su transformer le chocolat en un voyage. Un voyage à Madagascar, où des bouffées sensuelles d’une terre sauvage et indomptée vous assaillent, où le parfum puissant de la fève du cacao vous enivre, jusqu’à vous faire tourner la tête. Vous humez à plein poumons les fragrances grisantes de ces horizons lointains comme autant de bulles d’oxygènes d’un ailleurs envoûtant, vous mordez dans la chair vivante de ce cacao qui vous emmène au bout du monde, tel un voyageur immobile qui ferait l’expérience du plaisir en savourant les flaveurs épicées, aux arômes fruités, des chocolats de Madagascar.
Patrick Roger c’est un chocolatier. Mais c’est aussi un sculpteur. Cet amoureux des grands animaux sauvages, dont l’animal fétiche est le gorille, n’a pas son pareil pour faire surgir du chocolat les plus glorieux primates. Sous ses doigts de génie éclosent des orangs-outans, des gorilles, ou de petits chimpanzés. Toute la forêt se retrouve dans ses boutiques vertes, pareilles à des berceaux de verdures, que couve jalousement une nursery de bouchées en chocolat. C’est comme si le Patrick Roger avait su replanter une forêt en plein Paris. Ses huit magasins tels une coulée de chlorophylle semblent abriter des milliers de troncs d’arbres débités en petits chocolat. C’est ça la magie Patrick Roger. En entrant dans ses boutiques, vous n’entrez pas dans une simple chocolaterie, vous pénétrez en pleine nature, où bruissent les cris des grands primates, qui du haut de leur stèle, vous contemplent d’un oeil impavide. Festin visuel. Féerie. D’abord, vous voyagez par les yeux. Puis vous voyagez par le goût. Et là, c’est tout simplement la fête des sens. La ruée vers les étoiles. On atteint des sommets inimaginables. Tantôt c’est le choc de la fusion du chocolat, de la citronnelle et de la menthe poivrée, tantôt c’est la douceur amère de la ganache au poivre de Sichuan sertie de pâte d’amandes infusée au gingembre. Tantôt, c’est le chocolat signature de Patrick Roger, baptisé Sauvage, une demi-sphère alliant yuzu, citronnelle et verveine au sein d’une coque à l’allure d’un millefeuille de chocolat noir-blanc-noir, tantôt l’envoûtement d’un praliné feuilleté-crêpe dentelle, amandes et noisettes torréfiées caramélisées. C’est encore le fondu d’une ganache infusée au thé au jasmin aux parfums uniques qui vous laisse à bout de souffle. C’est à peine croyable, c’est comme si votre palais ne reconnaissait pas cette symphonie de saveurs qui l’emporte soudain dans un tourbillon de volupté. Les mots manquent à décrire la sensation. Car vous êtes tout simplement au coeur du plaisir. Et ce voyage est inlassablement bon. On voudrait que l’instant dure toujours, mais le périple se termine que déjà le souvenir s’invite. Le goût se fait inoubliable. Désormais, la promenade se poursuivra dans la mémoire. Le plus grand des chocolatiers vient de vous ravir avec ses créations. Et le plus grand chocolatier, c’est Patrick Roger.
A l’ombre des grands arbres, dans la boutique Patrick Roger, à la Madeleine
L’homme au chocolat
Patrick Roger, l’homme chocolat
Le Penseur en chocolat, inspiré du Penseur de Rodin
Harold, une pure merveille. Avec cette sculpture de 62 kilos de chocolat, Patrick Roger remporte le titre de Meilleur Ouvrier de France, catégorie chocolat, en 2000.
Patrick Roger en bonne compagnie
A gauche, Charles Znaty, Président MEDEF Paris, remet à l’artiste Patrick Roger, au centre (en tee-shirt blanc avec voiture jaune), le Prix de la Catégorie « Alimentaire » (rebaptisée « Gourmand » l’an prochain)Sapins cubiques en chocolat noir garni d’allégories : bâtonnets d’amandes caramélisées, cubes d’oranges confites et raisins secs enrobés de chocolat noir, pour fêter Noël 2021
Le poète Bernard Noël s’est éteint le 13 avril 2021 à l’âge de 90 ans. Celui qui fut incontestablement l’un des plus grands poètes contemporains, laisse derrière lui une oeuvre puissante, une oeuvre majeure composée d’une centaine de recueils et d’opus, d’écrits inoubliables comme LeChâteaude Cène, LaChutedestemps, LePoèmedesmorts. Bernard Noël était un poète mais aussi un philosophe. Son essai LaCastrationmentale s’affirme comme une oeuvre visionnaire, d’une importance extrême. Dans les années 1998, j’avais écrit un article sur ce remarquable ouvrage (article initialement publié dans Le JournaldesGrandesEcoles) et Bernard Noël avait eu la gentillesse de me répondre en me confiant qu’il avait apprécié mon article. Le choix de ses mots, la teneur de ses compliments, cette soudaine reconnaissance de la part d’un immense essayiste que je plaçais si haut, ont été un choc pour moi. J’étais stupéfaite. En quelques lignes griffonnées au centre d’une plage blanche, il m’adoubait en tant que journaliste. C’est ce jour-là que je suis devenue journaliste. Ni avant, ni après. A cet hommage du passé, je réponds par un hommage au présent. Bernard Noël, vous avez été pour moi un poète, un phare, un père, un guide. Bien plus encore.
Alors permettez-moi de retranscrire ici l’article rédigé en 1998, et dont le titre était : Résister.
Bernard Noël : « La sensure désigne la privation de sens »
LITTERATURE
Qui s’indigne du nouvel « ordre économique absolu et impitoyable » présenté comme le but de la société contraignant chacun à accepter le chômage comme une fatalité ? « Sous le totalitarisme économique, le sens se limite à la volonté de gagner et d’être riche » écrit Bernard Noël. Qui s’étonne désormais « des stratégies de l’asservissement visuel » lequel transforme la marchandise mentale humaine en passif consommateur ? Dans un admirable, salutaire et tonique ouvrage publié chez P.O.L, composé de 22 textes irrigués par une idée forte, décrire les modalités et les occurrences de la « Castration mentale », Bernard Noël appelle à retrouver du sens. Que dit-il ? L’oppression a changé d’apparence. Nous sommes passés des régimes totalitaires dont la censure s’attaquait à la liberté d’expression, au nouveau système totalitaire économique qui vise, lui, la « sensure » en pourfendant la liberté de penser. De fait, à la culture s’est substituée l’économie. A la création, la représentation. A l’action, l’image. Très habilement, les forces médiatiques, asservies à la loi du marché, ont assiégé notre intimité. Menaçant l’intelligence humaine d’émasculation cérébrale. Dés lors : « châtré de notre sexualité mentale » cette source de puissance intellectuelle, intuitive, sensible, de création, de plaisir, de désir, le XXème siècle sera-t-il frappé d’impuissance mentale ?
Bernard Noël écrit pour éreinter les censures. Toutes les formes de censures, sans oublier les siennes. Celles qui font leur lit dans les literies célestes où couchent nos pudeurs et nos tabous. Histoire de musarder dans l’oeuvre d’un dissident, revenons quelques années en arrière, au moment de la parution du ChâteaudeCène. Ce roman censuré, poursuivi pour outrage aux moeurs, nous poursuit encore de ses mots offensifs. Il y a des romans qui brûlent, incandescents et dont les cendres salivent en bouche. Leur achèvement verbal est leur victoire. Se dressent les mots. Jaillissent les images. Toutes ces images qui fouillent, s’enfouissent, s’insinuent, s’encavent au plus profond de la vie du souvenir. Les traitresses vous incisent la mémoire, effilées et blessantes comme des lames. Impossible de s’en débarrasser. Elles vous accompagnent jusqu’à la domination. On en appelle à l’oubli. Rien n’y fait : elles ressurgissent sans prévenir, palpitantes et emportées, fortifiées par une absence prolongée. Rejet inutile : la bête mugit encore plus fort. Elle revient obsédante, sept ans plus tard. Ne cherchez ni à l’apprivoiser, ni à la purger de sa densité; elle reste, s’installe, vous hante. Comme les deux molosses au large fouet rose du ChâteaudeCène ou le Noir gigantesque qui flotte dans un espace laiteux. Mona à la beauté sans âge. « Emma qu’encage seulement son propre désir », cette lune à dépuceler. Avec « au fond de l’abjection, un ange (qui) se lève »
Voilà tout est dit. Hier la censure attaquait la liberté de parole. Aujourd’hui, la « sensure » s’attaque à la liberté de pensée.
Visible et invisible
Quelle est donc cette nouvelle « sensure » qui nous intime des ordres muets et totalitaires ? Dans la Castrationmentale, Bernard Noël s’en explique : « la privation de sens – ou sensure – est l’arme absolue de la démocratie : elle permet de tromper la conscience et de vider les têtes sans troubler la passivité des victimes. » Redoutable, diffuse et confuse, elle vend l’apparence pour la réalité et nous perfuse de ses images cathodiques. « La censure bâillonne. Elle réduit au silence. Mais elle ne violente pas la langue. Seul l’abus de langage la violente en la dénaturant. » Quelle est la nature de cet abus de langage ? Serait-ce ce que nous baptisons crânement du nom de communication ? Après tout, que mettons-nous en commun ? La vérité ? Un dialogue ? Des monologues ? Rien de tout cela. La parole est passée de la bouche dans les yeux. Résultat : il ne s’agit ni plus ni moins aujourd’hui que du marché de l’image. La communication fait commerce du visible puisque l’image est son principal produit. De toute évidence, cette libre circulation des images ne connaît aucune entrave puisqu’elle se glisse dans la sphère du privé, au coeur de l’intime : la maison, le foyer. Non sans génie, la télévision a trouvé son fief. Elle occupe une position qu’aucun autre moyen d’expression n’avait occupé avant elle. Grâce à ce système de diffusion unique, on s’empare du champ culturel sous prétexte de divertissements, du champ intellectuel sous prétextes d’informations : « le spectacle tient lieu d’activité mentale ». D’un mot : le trop-plein télévisuel a fait le vide intérieur. Et la pesante liberté (« nous sommes condamnés à être libres » disait Sartre) a fait place à l’inconsciente passivité. A moindre effort, la « culture » vient à nous. L’écran nous apporte à chaud le réel sur un plateau-télé. Vêtue d’un habit de lumière, plus scintillant qu’éclairant, la télévision s’empare en douceur de l’espace mental des consommateurs. Qui se plaindra qu’elle use de nous comme d’une valeur marchande ? Qu’elle dispose de nous et nous impose mode et diktats ? Qu’elle programme l’agonie de l’esprit critique ? Mais qu’importe notre intégrité mentale à celle qui vise l’adhésion consensuelle ? Reste qu’on « nous vole notre oeil. » N’en déplaise à ses partisans : « l’image est ce bourreau délicat qui crève les yeux mentaux sans crever les yeux physiques ». Trop de luminosité opacifie le regard. On le crève à force de le forcer à voir. Il s’agit avant tout d’aveugler l’adversaire afin de le rendre inoffensif. Comment est-ce possible ? Grâce à la boulimie oculaire et son corollaire le diabète optique. Nous sommes les nouveaux malades du voir. On nous a rendu voyeur. Et plus que jamais non-voyant. L’art rien que l’art, il ne nous reste que l’art pour retrouver la vue de l’intelligence…
Navrante perspective : l’oeil du dehors va tuer l’oeil du dedans. Pour quelle raison ? Simplement parce que tout ce qui exigeait effort, attention, activité, médiation, devient immédiat, passif, subi, inactif. Platon disait que lorsque les yeux du corps se fermaient, les yeux de l’âme s’ouvraient. Aujourd’hui, l’inverse nous guette . Et benêts, nous assistons sans réagir, sans rugir à ce coup porté. Des morts en vie, à demi-morts, dans une vie à éclipses… Au moment où il est nécessaire de remettre en question notre comportement téléphagique : « on ne réfléchit plus, on croit le faire en zappant, et cela n’aboutit qu’à sectionner le temps et la vie en une suite de fragments. » Assentiment immédiat, crédulité totale. Le danger est invisible car trop vu. A l’affût du spectaculaire, du sensationnel, du prêchi-prêcha médiatique, nous oublions de nous interroger. Quant aux créations télévisuelles, elles demeurent inexistantes pour Bernard Noël. « Les grands créateurs sont Bouvard et Collaro, Drucker et Sabatier. Leur génie possède ce trait commun : il vulgarise la vulgarité. » Avec le risque que plus la télévision devient commerciale, plus elle pratique l’art du mépris. Peu à peu, sans effusion de sang, mais dans la confusion du sens, on « tue la tête. » Le marché de la communication exigeant une victime de choix : la marchandise mentale. Dans l’acquiescement le plus mol, sans secousses rageuses ni prise de conscience, les zélateurs télévisuels se laissent emporter par le flot des images pareil au flux du temps. Comme dans un « courant irréversible. » A croire qu’il s’agit d’une fatalité. Réveillons-nous avant que l’écran ne devienne le nouveau fatum de la tragédie du XXème siècle. Pis, désormais, l’homme n’est plus un être-pour-la-mort c’est un être-pour-l’image qui lui dispensera sa mort mentale. Ancré dans l’écran, il vit orbitalement.
Du visuel au virtuel
Après l’ère du voir, l’ère du visuel. Télévisuel, audiovisuel… Quelle différence entre voir et visuel ? Voir est un acte voulu et décidé, dont la source vivante est la pensée. Le visuel recouvre un comportement passif, clos dans le champ du visible, non irrigué par l’esprit, qui marche au « principe de plaisir. » D’où idolâtries et fétichismes incessants. D’où tyrannie des spirales d’images dénuées d’Etre, dépourvues ontologiquement, mais surchargées de Vedettes audimatisées, d’Idoles incarnées et de Présent sur-représenté. A la place de l’Absolu s’est installé un nouveau Dieu : l’argent et une nouvelle Trinité : hiérarchie, compétition, pouvoir. A quoi sert le visuel : à ignorer les odeurs, la transpiration, le frisson, à mépriser les saveurs, à occulter les vraies couleurs, à gommer l’imprévu et l’imprévisible. Le visuel nous dispense de vivre le vivant, le sensitif, le sensible qui est en nous. Il entrave nos rencontres, il est cet empêchement à l’Autre, l’humain, l’homme. Le visuel est ce détour qui évite le monde, quand le voir est ce retour au monde.
Tapi dans le visuel, le virtuel. Sournois et avide d’hégémonie, prêt à contrôler non seulement les consciences mais la réalité. Le virtuel est fermeture. Le virtuel est enfermement. Le virtuel est la mort de l’imaginaire. Mais encore ? Le virtuel, atemporel et despatialisé, déréalise la réalité en se targuant soi-disant de l’imiter. Aspirons-nous à cela ? Un avenir anticipé créé en images virtuelles sur nos écrans. Un virtuel qui prévoit tout dans les moindres détails et oblitère à jamais surprise, inconnu ou étonnement. Stupeur de réaliser ceci : l’imprévu de l’avenir est prévu au point d’empêcher sa réalisation. Pourquoi cette fuite dans le virtuel ? Uniquement par peur. D’où un besoin irrépressible de contrôler. Ainsi par peur de ce que l’avenir réserve, on préfère le castrer de son possible et fabriquer un avenir virtuel, gigantesque invitation mécanique à consommer. Après tout, rassurant est le virtuel, car maîtrisable. Comme tout dérivé informatique, on a mainmise sur lui…
L’art
Notre culture est menacée. Notre culture ou « pensée du corps social » est en péril. Qu’est-ce à dire ? Que ce qui fait l’étoffe de l’homme libre – intelligence, culture, art – est la cible privilégiée de cette « sensure. » « L’art n’est pas uniquement l’art, sinon sa disparition n’aurait qu’une importance relative : l’art est le terme sous lequel nous désignons une activité dont l’exercice permet à l’espèce humaine d’affronter sa mortalité, afin de tirer de cet affrontement même un surcroît de vie et de durée. Pour une espèce qui prétend tout devoir à la raison, ce geste a quelque chose d’insensé, y compris dans son résultat qui est de détruire la destruction. » Seulement voilà, aujourd’hui, alors que l’art représente une échappatoire possible à ce système – de par sa création et sa conservation d’un sens entièrement humain – il n’échappe plus à la tyrannie du système. Désormais, la signature d’un artiste a plus de valeur que sa toile. Et comme le nom n’exprime que la valeur marchande, il y a fort à parier que l’art se transmue docilement en marchandise. D’où des artistes qui produisent en série, en viennent à se plagier eux-mêmes, s’interdisant l’exigence pour s’autoriser la négligence. Laissant la promotion compenser la médiocrité. Autrefois une oeuvre avait des spectateurs, aujourd’hui le produit artistique -cet ersatz de l’oeuvre- a des consommateurs. A l’appétit d’invention s’est substitué le goût de la convention. « Ce qu’il y a de plus odieux dans l’argent, c’est qu’il confère même des talents » écrit Dostoïevski. Le talent de savoir se vendre. Rien de plus. Tout est marchandise, marchandise et marchandise ! L’argent n’a pas d’idée, disait Sartre et « l’art ne peut se relever d’être devenu marchandise, cette perversion du sens est irrémédiable » ajoute Bernard Noël. Désormais l’art est soumis au marché. D’où la tentation pour lui de revêtir ses valeurs, à commencer par la nouveauté. Nouveauté qui n’a de cesse de faire « glisser l’oeuvre d’art vers l’insignifiance de la marchandise. » On devient le peintre ou l’artiste du système et non plus le créateur d’un système. De la médiocrité érigée en norme culturelle. Après la nouveauté, il y a les modes. Celle du conceptuel. L’art officiel, l’art contemporain, sont passés au crible par Bernard Noël, ce qui nous vaut de superbes pages inspirées. « Est-il plus pesant exemple d’un art contemporain qui n’impressionne que par une mise en scène où l’argent est tout et la qualité artistique rien ? Cet art, il est vrai, se moque de sa qualité, et s’il se donne à voir, ce n’est pas pour qu’on le regarde. » S’ensuivent des explications clairvoyantes sur l’inflation dogmatique qui frappe cet art conceptuel. Puis, l’auteur évoque la nécessité d’en revenir au tout-travail-est-de-l’art lequel ne fait appel qu’au plaisir de chacun. Si le coeur du poète bat plus fort dans ces dernières pages, c’est parce que l’art est émancipation. L’art est indépendance. L’art est résistance. Lire Bernard Noël c’est se soustraire à la Castration mentale et retrouver du sens. Lire Bernard Noël c’est rencontrer un visionnaire. Mieux : c’est recouvrer la liberté dans des mots où surabonde la grâce…
Article initialement publié dans LeJournaldesGrandesEcoles, janvier 1998, signé par I.G
Aujourd’hui, nous avions rendez-vous avec la directrice générale du Studio Harcourt, Catherine Renard, pour un entretien à bâtons rompus sur l’art du Portrait. Confinement oblige, l’interview a été reportée. Pour patienter, cap sur ces appels de fiction dont parlait Roland Barthes, splendeurs inaltérables, immatérielles, intemporelles, désincarnées que sont les actrices, acteurs et leurs portraits Harcourt. Car il s’agit bien de cela au Studio Harcourt. Dans cette fabrique à rêves, on métamorphose le réel en irréalité. On transmue le vivant en imaginaire. On fait surgir d’un acteur ou d’une actrice « un dieu ou une déesse, éternellement jeune, fixé à jamais au sommet de sa beauté. » Un être éthéré, évanescent, dont l’apparence immarcescible, à l’opposé du PortraitdeDorianGray, échappe au temps, au vieillissement et à la mort. Non content de fixer l’éternité dans un instant, le portrait Harcourt offre au comédien une carte d’identité, une intronisation dans le métier d’acteur, et une place dans le Panthéon des Stars. Il lui accorde aussi la chance de s’inscrire dans cette mémoire mythique de la photographie, celle qui appartient au plus ancien et au plus célèbre studio de photographie. Reconnaissance suprême, véritable estampille, le portrait Harcourt fait penser à cette empreinte que les acteurs américains laissent sur Hollywood Boulevard. Histoire d’immortaliser leur passage au cinéma et sur terre. Loin de l’inflation narcissique actuelle où chacun s’expose, s’exhibe, se donne à voir, s’auto-séduit en se contemplant, le Studio Harcourt apparaît comme un lieu de résistance. Ici, la vanité n’est pas de mise. On ne vient pas chercher dans son Portrait Harcourt le quart d’heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol, on vient chercher quelque chose qui vous échappe, une part secrète, inconnue, mystérieuse, inconsciente de soi, mise en lumière par l’objectif du Studio. Où l’on comprend mieux que la surface est le miroir de la profondeur. Dans ce clair-obscur, la psyché se révèle…
André Terrail, Yannick Franques, Stéphane Trapier et Julien Touitou
La Tour d’Argent : sans doute le plus beau et le plus célèbre restaurant au monde. Une adresse culte, une référence gastronomique. Mieux, une Institution. TheRestaurant. Connu, fêté dans le monde entier, inspirant les réalisateurs du film Ratatouille, on s’y presse des quatre coins de la planète pour célébrer les grandes occasions de la vie, le temps d’un dîner inoubliable. Festoyer à cette table mythique c’est, bien sûr, se délecter du fameux canard au sang, des crêpes Mademoiselle, déguster les meilleurs crus au monde, ou encore profiter de la vue renversante mais c’est surtout -excusez du peu- entrer dans l’histoire. « En être », faire partie de ces happy few, côtoyer symboliquement, par-dessus les siècles, ceux qui firent la renommée de cette grande maison. Une pléiade de stars, célébrités, d’altesses, d’esthètes, de plumes littéraires, de puissants (Henri IV, Louis XIV, le président Kennedy, l’empereur Hirohito, Balzac, Proust, Sacha Guitry, Dali, Ava Gardner, Marilyn Monroe, Brigitte Bardot etc.) qui contribuèrent à faire de ce lieu plus qu’un restaurant, une légende. Car il existe quelque chose d’indéfinissable, de mystérieux, de magique qui émane de la Tour d’Argent, et que l’on s’approprie en y dînant. Une part de rêve… Voilà ce qu’est la Tour d’argent depuis des siècles – depuis 1582 – un temple de l’élégance et du raffinement, un phare scintillant sur la Seine illuminant de son prestige Paris et la France. Voilà pourquoi, malgré les siècles, celle qui a mis le monde à ses pieds, reste indémodable, intemporelle. Propriété, depuis 1911 de la famille Terrail, la Tour d’Argent est aujourd’hui dirigée par André Terrail. Un bel homme élégant, moderne, qui épouse parfaitement son époque. Un brillant entrepreneur qui voit grand, vise l’excellence et vient d’offrir à la Tour sa plus belle métamorphose. Comme une incomparable renaissance pour celle qui souffrait d’une image un peu poussiéreuse. Mais comment faire peau neuve sans perdre son âme ? André Terrail, en amoureux de la Tour, a trouvé la recette. Car ce jeune patron a du génie. Il vient d’apporter à la Tour un supplément d’âme. S’appliquant à la faire entrer tout en douceur dans la modernité, qui multipliant les services comme une épicerie fine en ligne, qui proposant une prestation unique LaTourchezVous (La Tour met sa cuisine au service de vos convives). Il y a trois semaines, André Terrail inaugurait une sublime boutique (ouverte 7 jrs/7) LaPetiteépicerie jouxtant la Tour et regorgeant de merveilles (foie gras succulent, canard de chez Burgaud, beurre salé à la robe jaune safran, camembert LaurentDubois – le must -, noix de cajou aux truffes, baba au rhum à se damner, époustouflantes confitures framboise ou fraise mara des bois au champagne, vins exceptionnels etc.) Pour parfaire cette métamorphose, on n’attend plus que le retour des grands esprits et écrivains de ce monde, manière de renouer avec le faste et la féerie intellectuelle des années Claude Terrail, véritable trait d’union entre les nourritures terrestres et les nourritures spirituelles. Dans ce souci de renouveau, et accessoirement pour réaccrocher fièrement deux ou trois étoiles Michelin au firmament de la Tour, il fallait rien moins qu’un nouveau Chef. C’est chose faite. Yannick Franques, un cuisinier surdoué, sans doute l’un des meilleurs de sa génération, au sommet de son art, fait vibrer l’assiette comme personne. On raffole de son Mystère de l’Oeuf, une recette qui tient du miracle culinaire, on se pâme devant sa Langoustine aux graines de Futaba, on pleure de plaisir en savourant les ravioles de foie gras de sa Soupe de lièvre. C’est une cuisine d’une précision époustouflante, inspirée, maitrisée, poétique. Yannick Franques enchante l’assiette et le résultat est irrésistible : le Caneton Mazarine (avec sa tatin de navets) est tout simplement parfait, les Quenelles de brochet sauvage mousseuses, aériennes, exquises. C’est l’extase à chaque bouchée, on est touché par la grâce. Avec son Merlan en croûte de pain inspiré du Bristol, on passe de la surprise à la stupéfaction. Incontestablement, Yannick Franques est un grand cuisinier. Sans parler de son délicieux dessert L’Or noir. De l’Or pour la Tour d’Argent, un fantasme ? Plutôt un défi pour 2021, histoire de remonter sur le podium, de décrocher la médaille d’or, les étoiles Michelin, et la première place dans le coeur des Français…
L’actuel et très charismatique propriétaire de la Tour d’Argent, André Terrail
Le restaurant de la Tour d’Argent et sa vue époustouflante sur Notre Dame
Conversation avec le nouveau Chef de la Tour d’Argent
Le nouveau Chef de la Tour d’Argent, Yannick Franques, MOF 2004
Vous êtes le tout nouveau Chef cuisinier de la Tour d’Argent. Régner sur les cuisines d’une « légende intouchable » comme La Tour, avec pour mission de la réinventer, d’être l’instrument de sa renaissance, comment relève-t-on un tel défi ?
Le véritable défi n’était pas simplement de venir à la Tour d’Argent, c’était surtout de la respecter. Je ne pouvais pas arriver et déclarer : je vais tout révolutionner ici, je vais faire ma cuisine, je vais enlever le Canard Delair, gommer la Quenelle André Terrail, tout effacer. Ce n’était pas du tout ma vision des choses. La Tour d’Argent est un restaurant chargé d’histoire, il a un héritage, des valeurs, des traditions. Je devais m’inspirer de tout ce qui avait été fait auparavant et réavancer comme ça. C’était la seule attitude possible pour parvenir à une véritable osmose entre passé et présent. Pour ma part, j’aime jouer avec ce côté classique, j’aime restaurer les classiques, les moderniser. Il n’empêche, il ne faut pas perdre de vue que nous avons une clientèle qui vient pour le Foie gras d’oie des trois Empereurs ou le Canard au sang. Cette clientèle a des attentes bien précises et mon rôle est de tenter les satisfaire. Pour moderniser le Foie gras des trois Empereurs, je m’attache aujourd’hui à faire une présentation avec de la gelée, à ajouter une brioche truffée, peut-être une râpée de plus sur le foie gras. C’est ça mon challenge. Réinventer ne signifie pas faire tabula rasa. C’est plutôt donner une envergure nouvelle, renouveler un plat certes, mais tout en respectant son essence. Je ne suis pas venu à la Tour d’Argent, en me frottant les mains et en m’autofélicitant » Génial, on va entendre parler de moi ! » Non, je ne suis pas ce genre d’homme, je n’ai ni ego surdimensionné ni vanité. Ma seule et unique mission c’est de refaire rayonner la Tour, de lui redonner son éclat, cet aura qu’elle a toujours eu. C’est tout.
Alorsvous êtes l’homme providentiel ! On murmure que c’est Eric Frechon qui vous a recommandé…
Je ne sais pas si je suis l’homme providentiel ! Mais c’est vrai que c’est Eric Frechon qui a donné mon nom ! Monsieur André Terrail compte parmi ses amis plusieurs cuisiniers. Il ne voulait pas se tromper et souhaitait avoir un avis éclairé sur la question. Il a sollicité plusieurs Chefs pour se faire une opinion. Quand il a demandé à Eric Frechon » Quel Chef verriez-vous à la Tour d’Argent ? » Celui-ci a répondu : « Moi, je verrais bien Yannick Franques. Il correspond vraiment à l’établissement. »
Eric Frechon, le Chef du Bristol, est-ce pour vous un bienfaiteur ? Lorsque je l’ai interviewé pour LeSensCritique, il ne tarissait pas d’éloges sur vous. Pour lui, vous êtes un grand cuisinier...
J’ai connu Eric Frechon, lorsqu’il était sous-chef au Crillon. A l’époque, j’étais chef de partie. Quand il a repris le Bristol, il m’a appelé pour que je devienne son sous-chef. Je suis resté 8 ans avec lui. Et j’ai gardé un magnifique souvenir de ces années. C’est Eric Frechon qui m’a formé et c’est lui qui m’a incité à passer le MOF (Le concours du Meilleur Ouvrier de France). C’est vrai qu’il a toujours été là pour moi. Il m’a donné sa confiance en donnant mon nom ici…
La Tour d’Argent
Pourvous, y-a-t-il d’autres raisons affectives qui vous ont poussé à venir à la Tour?
Lorsque Eric Frechon a donné mon nom à Monsieur Terrail, ce dernier a fait tout le trajet pour venir goûter ma cuisine au restaurant la Réserve de Beaulieu, sur la Côte d’Azur. Je n’étais même pas au courant. La Tour d’Argent, c’était un beau projet et je n’ai pas hésité. Participer au renouveau de la Tour d’Argent, c’était, pour moi, un challenge et une superbe perspective. Qui ne connait pas la Tour d’Argent ? Dans ses films, Belmondo va toujours dîner à la Tour d’Argent ! C’est un établissement mythique. Lorsque j’ai reçu mon contrat dans le Sud, mon facteur m’a dit, en me le remettant : » Ouah, la Tour d’Argent ! » Il avait des étoiles plein les yeux. Cela le faisait rêver. Il s’est promis, lors d’un voyage à Paris, de réaliser ce rêve !
Surtoutqu‘il y a aujourd’hui un menu au déjeuner de 105 euros qui reste relativement abordable !
C’est vrai. Mais le vin n’est pas compris dans le menu ! Cela dit, pour que le moment soit festif, car les gens ont envie de se faire plaisir à la Tour, beaucoup commandent le menu de midi, accompagné d’une coupe de champagne.
Romantique, euphorique, c’est l’effet Tour d’Argent !
Cherchez-vous, par ce prix attractif, à attirer une nouvelle clientèle ?
Bien sûr ! A ce propos, je trouve que notre clientèle rajeunit.
Votre mission est de redonner tout son lustre à cette table prestigieuse. Un restaurant qui a gardé ses trois étoiles Michelin jusqu’en 1996 (et perdu sa deuxième étoile en 2006). Dans un premier temps, pour vous, c’est cap sur la deuxième étoile ?
La deuxième étoile, c’est mon ambition bien sûr, mais je ne me focalise pas là-dessus. L’idée c’est d’abord de récupérer toute la clientèle de la Tour d’Argent et que tous repartent contents. Que chacun se dise, j’ai connu La Quenelle André Terrail, aujourd’hui elle a été modernisé et j’ai adoré. C’est cela que je souhaite vraiment.
Le restaurant de la Tour d’Argent
Les cuisines de la Tour d’Argent
Vous êtes aux commandes de la cuisine de la Tour depuis décembre 2019. Confinement oblige, vous n’avez exercé que très peu de mois. Avez-vous eu le temps de prendre vos marques ?
En effet, je suis tout jeune dans l’entreprise, je n’ai que 5 mois ! Mais j’ai vite trouvé mes marques. On a très bien commencé, on a fait de beaux chiffres, tout allait à merveille puis malheureusement on a du s’arrêter à cause du confinement. Après, on a dû se réinventer. On s’est concerté, en comité de direction, pour essayer de trouver des solutions. On s’est demandé : que pourrait-on faire durant le confinement que les autres restaurants ne font pas ? C’est comme ça que nous est venue l’idée de LaTourchezvous. On se déplace chez les gens afin de leur faire vivre l’expérience d’un repas gastronomique à la Tour d’Argent comme si ils y étaient. On vient avec tout notre matériel, la nappe, les couverts, l’argenterie, la verrerie de la Tour, notre presse à canard. Il y a un maître d’hôtel, et la brigade mobile sert les hôtes et leurs convives avec le faste de la Tour. On cuisine chez les gens, on dresse les assiettes et si l’on fait le Canard au sang, le serveur fait la découpe du canard à bout de fourchette sans toucher le plat, devant les convives ravis. C’est fabuleux ! On a fait des 8, des 17, des 19 couverts, un peu partout à Paris et même à Rueil-Malmaison. Ce service est proposé à Paris et en Ile-de-France. Parfois pour célébrer l’anniversaire de rencontre d’un couple, ou des dîners romantiques en tête à tête, ou des soupers festifs sur la terrasse d’un client le soir du quatorze juillet avec de grandes tablées. Du coup, lorsque l’on a réouvert le restaurant après le premier confinement, LaTourchezvous marchait si bien que l’on a décidé de continuer de proposer cette prestation.
La Tour d’Argent s’invite chez vous. Et c’est grandiose !
Depuis que vous avez inventé le concept LaTourchezvous, d’autres grands restaurants vous imitent, j’ai vu un reportage là-dessus au Journal de 20h…
Ah oui ?
Ce n’est pas la première fois d’ailleurs que la Tour innove et inspire les autres restaurants ! C’est grâce à elle que le roi Henri III inaugure pour la première fois à dîner un ustensile nommé fourchette. La fourchette fait alors son apparition en France ! Pareil pour les tasses à café. Les premières viennent de la Tour d’argent. C’est encore la Tour d’Argent, qui, tout à son culte de la courtoisie et de l’élégance, va lancer la mode de la Carte sans prix pour les femmes !
En effet, André Terrail, le premier du nom, fourmillait d’idées. Il a inventé cette coutume qui consiste à confier une Carte sans prix aux femmes et aux autres invités. C’est aussi lui, à l’époque, qui a initié le « Menu déjeuner » chose qui n’existait pas alors dans les grands restaurants.
LaPetiteEpicerie de la Tour d’Argent
Aujourd’hui, comment vivez-vous le confinement jusqu’au 20 janvier 2021 ?
On s’occupe activement ! On a ouvert une boutique en un mois et demi LaPetiteEpicerie située à côté de la Tour. Monsieur Terrail avait envie de créer une petite épicerie. Nous avions un grand local à côté de la Tour. Auparavant, c’était un entrepôt où l’on stockait notre matériel. Nous avons tout vidé et Monsieur André Terrail s’est occupé de la décoration. Aujourd’hui, vous pouvez acheter du café, du beurre, du lait, de la crème, des oeufs, du foie gras, des terrines de campagne, des vins, des canards, des bonbons, des épices, des biscuits, des nougats, des caramels etc. On fait même des mélanges pour l’apéritif, des noix de cajou au thym et romarin, aux truffes. On a du beurre que l’on va chercher à la Chalotterie, à quarante kilomètres d’ici, de la crème, des pots de yaourt et de fromage blanc. Ce n’est pas comme dans les autres magasins, ce sont des produits de la ferme. On essaye vraiment de réduire les circuits. On fait aussi des Jus Tour d’argent (des jus de canard, des jus de viande) en petit bocaux que l’on réchauffe au bain-marie avant de les verser sur la viande. On fait aussi le Canard Tour d’Argent de chez Burgaud pour les fêtes dans un beau packaging. Toujours dans l’optique de développer la marque de la Tour d’Argent, j’ai créé un Canard maturé (après la maturation, il est si tendre que c’est du beurre quand on le cuisine !) On vend ce canard maturé pour les fêtes avec un jus et un sel (et une explication pour la préparation). C’était une façon pour moi de moderniser le Canard Delair. Les gens poussent la porte de cette boutique et sont ravis. Ils font leurs courses chez nous. C’est ouvert 7 jrs/7. On ne voulait pas créer une épicerie trop chère donc on s’est efforcé de proposer des prix raisonnables, des prix accessibles à tous.
Et que proposez-vous d’autre pour les fêtes de Noël et de fin d’année ?
On va faire des plats à emporter spécialement pour les fêtes. Sur la Rôtisserie de la Tour. Mais on ne veut pas livrer chez les gens parce que l’on ne sait pas comment cela arrive. Car si le client ne met pas les plats à réchauffer correctement, ils seront moins goûteux. Donc, on voulait éviter cet écueil.
LeComptoir de la Tour d’Argent
Le maître des lieux André Terrail, un jeune et brillant entrepreneur de 40 ans, s’attache à rajeunir la Tour. Il vient de crée une E-boutique, le Comptoir de la Tour d’Argent…
Oui, c’est une boutique au sein de la Tour qui propose un service en ligne d’épicerie fine, des coffrets cadeau, des champagnes, des vins, diverses confitures, du thé, des babas au rhum etc.
André Terrail, président de la Tour d’Argent
Pour rivaliser avec les grandes tables de ce monde et séduire une nouvelle clientèle, André Terrail a aussi engagé un nouveau Chef sommelier, Julien Touitou. A seulement 31 ans, celui-ci veille sur la plus belle des collections de vins au monde. 320 000 bouteilles dont des trésors inestimables comme un cognac 1788, un Pétrus 1947, un Château Yquem de 1871 etc. La bouteille la plus chère est à plus de 60 000 euros…. Vendez-vous certaines bouteilles en salle des ventes ?
Oui, et on vend pas mal de vins sur Internet. A La Petite Epicerie, on a une très belle clientèle qui achète de très bons vins. Et même au restaurant, il y a de très belles additions grâce aux belles bouteilles. J’estime qu’on ne parle pas assez de la cave. Tout le monde connait la Tour d’Argent mais pas forcément pour sa cave. C’est une cave exceptionnelle avec des vins plus que prestigieux, c’est l’une des plus grandes de Paris. Il y a 14 000 références sur le livre du sommelier et il est épais comme la Bible. Les serveurs sont obligés de mettre un chevet à côté de la table de restaurant afin que que le client puisse regarder à son aise la Carte des vins. Parfois, cela peut prendre une demi heure avant qu’il ne choisisse le vin ! C’est une cave fabuleuse. Passé par le Meurice, Julien Touitou est un très bon sommelier.
La Carte des vins de la Tour d’Argent et ses 14 000 références.
La cave de la Tour d’Argent
Pour sa Carte, la Tour d’Argent vous laisse-t-elle vous exprimer pleinement ?
Oui, on a une Carte avec d’un côté » L’Héritage » de la Tour d’Argent (avec le Foie gras d’oie des Trois Empereurs, La Sole cardinale). En 1970, Claude Terrail a publié un livre de recettes » La Tour d’Argent », je l’ai feuilleté et j’ai repris les plats. Par exemple le Canard Mazarine est à l’orange, le Canard Marco Polo au poivre vert, le Canard Mac Arthur que j’ai remis au goût du jour, a une sauce poivrade au vin rouge. J’ai fais ces trois Jus à la boutique : orange, poivre vert Marco Polo et Mac Arthur vin rouge. On peut les acheter. C’est trois jus et c’est trois sels (le sel Mazarine est donc orange, le sel Mac Arthur, et le sel Marco Polo) pour accompagner. Je m’amuse un peu sur les plats Héritage que je fais, les nouveaux, comme La Sole cardinale. Je les prépare au goût du jour. On ne les cuit plus comme avant, maintenant on les cuit à juste cuisson, on fait le jus d’écrevisse un peu différemment. A l’époque, quand il y avait les écrevisses, elles étaient entières avec les pinces et tout, c’était à l’ancienne. Je m’amuse à faire goûter les nouveaux classiques à Monsieur Terrail et j’aime bien avoir son retour car lui, a connu les anciens plats. On en discute ensemble. Pareil pour la Quenelle de brochet André Terrail, on l’a revisité. Je fais une quenelle et je la fais poêler sur du pain. Ca donne un côté croustillant. On essaye de moderniser cet héritage. Les clients sont ravis car ils ont retrouvé le Canard, l’animal emblématique de la Tour. Sur la carte, on propose donc le Canard Delair, et toujours un autre canard (soit le Mazarine, soit le Marco Polo, soit le Mac Arthur). Comme cela fait 60 ans que l’on travaille avec la maison Burgaud, j’aimerais aussi avoir notre Canard estampillé Tour d’Argent.
Le Caneton Mazarine et sa tatin de navets
Les quenelles de brochet sauvage
Yannick Franques, qu’est-ce qu’un grand cuisinier ?
Un cuisinier qui trouve des accords. Pour ma part, je suis plus pour deux trois saveurs au maximum, pour que l’on sache ce que l’on mange, mais après on peut avoir une autre vision des choses.
Le Mystère de l’Oeuf
Vous êtes le créateur d’un plat incroyable. Sublime. Mieux que ça : inoubliable. Le Mystère de l’Oeuf. S’est-il mué en Mystère de l’Oeuf de Cane ?
Eh bien oui, j’ai fait un mystère de l’Oeuf de cane ! On a essayé au début, cela a marché, c’était très bien. Cela dit, l’oeuf de cane est un peu plus riche, un peu plus écoeurant, un peu plus compliqué.
Le Mystère de l’Oeuf est un plat magique. Plaît-il aux habitués de la Tour ?
Beaucoup ! C’est mon plat signature. Avec la Langoustine aux graines de Futaba.
Langoustine aux graines de Futaba
Les pommes soufflées de Yannick Franques
Vous avez inventé une trouvaille qui ravit vos clients : les pommes soufflées en forme de goutte, faciles à attraper avec les mains. Les clients ne jurent plus que par elles !
Normalement, les pommes soufflées sont ovales. Avec cette forme de goutte, on la saisit par la pointe, et on la mange à la main sans se salir les doigts. C’est amusant !
Soupe de lièvre
On peut aussi déguster une Soupe de lièvre à la Tour. Avec un visuel éblouissant : dans l’assiette s’ébattent des copeaux de châtaigne, des flocons de ravioles de foie gras flottent paresseusement sur un coulis onctueux. C’est savoureux à l’oeil et au palais…
C’est un plat assez marqué, assez faisandé, et c’est puissant au goût. Le foie gras adoucit le côté fort du lièvre. Je fais aussi un Canard à la Royale dans le Menu des classiques : c’est une sauce au sang à base de foie gras et de truffes.
Le Chef doublement étoilé Yannick Franques
On ne peut qu’aimer votre cuisine parce qu’en plus d’être d’une stupéfiante précision, d’une grande technique, elle est aussi poétique. Vous ne cherchez pas à imiter qui que ce soit, vous inventez vos propres règles...
J’essaye de faire la cuisine qui me correspond, avec le plus de sincérité et d’honnêteté possibles. Je pense que pour parvenir à cela, il faut avoir l’établissement qui vous corresponde aussi. Ici, à la Tour, je vais pouvoir m’accomplir totalement. La Tour d’Argent me correspond parce qu’ici, on est dans les vraies valeurs essentielles, il n’y a pas d’esbrouffe.
Le dessert L’Or Noir fait le délice de vos clients. Ainsi que les Crêpes Mademoiselle. Qui est le Chef pâtissier ?
Le Chef pâtissier était déjà là quand je suis arrivé, mais il est parti durant le confinement, donc le sous-chef a pris sa place. Je suis en train de rechercher un Chef pâtissier.
Le dessert L’Or noirLes crêpes Mademoiselle
Quel est votre rêve pour la Tour d’Argent ?
Je m’efforce avant tout d’être réaliste ! Et avant tout, ce que je souhaite, c’est offrir à nos clients de l’amour dans les assiettes et de la joie grâce à notre cuisine. Si ce projet, cette aventure me plaisent tant c’est parce qu’il y a une bonne dynamique, une belle ambiance à la Tour. Mais, il faut y aller étape par étape et ne pas brûler les étapes. Bien sûr, décrocher un deuxième macaron pour la Tour, serait pour moi l’aboutissement de toute une carrière. Il faut aussi que je me stabilise, et j’espère vraiment rester ici. Puisque vous me le demandez, je vais vous confier mon plus grand rêve : si je pouvais marquer mon nom dans l’histoire de la Tour d’Argent, ce serait pour moi, la plus belle récompense et le plus bel accomplissement !
La Tour d’Argent du temps de Claude Terrail et Ava Gardner
Marias Callas à la Tour d’Argent
André Terrail entouré de Brad Pitt et d’Angélina Jolie
Saluons la sortie du magnifique et magistral Dictionnaire amoureux de Montaigne du philosophe André Comte-Sponville aux éditions Plon. A lire et feuilleter « sans ordre et sans dessein, à pièces décousues… » comme le requerrait Montaigne. Entrer dans ce livre c’est explorer ce monument de lucidité et d’humanisme que fut Montaigne. Le philosophe gascon nous réconcilie avec nous-mêmes, mieux, nous rend ami de nous-mêmes. Il n’est qu’à tirer profit de son expérience pour apprendre à s’accepter et à s’aimer. « C’est une perfection absolue et pour ainsi dire divine que de savoir jouir loyalement de son être » écrit Montaigne. C’est encore Montaigne qui n’a pas son pareil pour nous inciter à aimer la vie, à la goûter pleinement, à « étendre la joie, mais retrancher autant qu’on peut la tristesse ». Sa merveilleuse lucidité nous libère de nos illusions sur nous-mêmes, nous révèle l’inconsistance de notre moi. Grâce à lui, on réalise que la « vie est elle-même à soi sa visée », qu’elle ne va nulle part, elle passe, simplement, elle passe, et sans cohérence ni progrès. » Mieux que personne, Montaigne peint ce passage et nous exhorte à en profiter intelligemment, à « servir la vie selon elle ». Car « on ne vit pas pour, on vit simplement ». Ne reste que le plaisir de vivre, de jouir de notre vitalité. Montaigne fait l’éloge de la volupté en nous invitant à accepter « la sagesse de nos organes », et ce miracle du corps accroché à notre âme, indissociable, avant que n’arrive l’inévitable mort. » Tous les jours vont à la mort, écrit Montaigne, le dernier y arrive »…
Michel de Montaigne
Quelle merveilleuse philia que celle d’André Comte-Sponville pour son maître, « ce génie tout libre de Montaigne » comme le disait Pascal. Devant tant d’émerveillement, d’admiration pour l’auteur des Essais, on pourrait parler d’amour sinon d’attachement au sens aristotélicien du terme. Cet élan de gratitude d’André Comte-Sponville envers le plus fraternel de nos écrivains mais aussi le plus « humain trop humain » qui jamais ne voulu « échapper à l’homme », irrigue chaque ligne, chaque page de ce bien nommé Dictionnaire amoureux de Montaigne. Car Montaigne fut un être unique. Un homme désarmant de sincérité, de simplicité, de tolérance, de vérité, sans complaisance ni vanité qui se peignit dans ses Essais « tout entier et tout nu ». C’est sans doute pour cette raison qu’il nous semble aujourd’hui un ami si proche, si libre, si contemporain, si fraternel, si familier, en un mot si sympathique. Dans ce Dictionnaire amoureuxde Montaigne, dans cette communion des esprits, même la mélodie philosophique d’André Comte-Sponville s’accorde parfaitement à la musique des mots de Montaigne. La prose libre et poétique de l’auteur du Petit traité des grandes vertus fait écho au style vagabondant, à sauts et gambades de Montaigne. Dans ce texte, tout n’est qu’harmonie. Résultat : c’est inlassablement beau…
A celui qui proclamait sans feinte que son livre (Les Essais) « ne sert à rien », on pourrait objecter que cette fête de l’esprit que sont les Essais, rédigés il y a plus de quatre siècles, furent pour beaucoup un livre phare. Tolstoï emporte avec lui les Essais lorsqu’il partit pour mourir, Gide racontait que le fameux chapitre 5 des Essais « Sur les vers de Virgile » consacré à l’amour, lui arrachait des larmes, André Comte-Sponville, lui, parle du chapitre 9 « De la vanité » comme l’un des plus beaux textes que nous ayons. Pour découvrir ce chef-d’oeuvre, lisez André Comte-Sponville. Lisez son Dictionnaire amoureuxde Montaigne. C’est un grand livre. Et incontestablement, ce livre fera date.