Célébrée partout dans le monde (Dubaï, Miami, New-York, Monaco, Hong Kong, Séoul etc. ) pour ses sucreries en plexiglas, Bonbon-drapeau ou Wrapping, l’artiste française Laurence Jenkell est en passe de devenir aux Etats-Unis aussi célèbre que Jeff Koons. Pour ne citer que New York, c’est tantôt une exposition en plein air sur Madison Avenue, tantôt un parcours d’art au Port Authority Bus Terminal (la plus grande gare routière au monde avec ses 70 millions de passagers par an.) Les Américains l’adorent et c’est justice car ses berlingots appétissants, ludiques, aux couleurs franches, pop, bariolées ou acidulées, ces papillotes éclatantes qui décorent les rues de New York, font le bonheur des passants. Leur glacis coloré, léger et joyeux donne l’eau à la bouche, suscitant en nous une envie régressive de succion. Grâce aux sculptures Bonbon de Laurence Jenkell, c’est toute la société qui retombe en enfance… Et c’est merveille. Car ces sculptures ludiques, source de douceur, de tendresse et de réconfort, nous font du bien. Véritables madeleines de Proust, accélérateurs de mémoire, capteurs d’éternité, les Bonbons de Laurence Jenkell déclenchent à notre insu les mécanismes de la mémoire involontaire. A les contempler, émergent en nous la fraîcheur de souvenirs d’enfance oubliés, de fous-rires entre camarades, ces moments joyeux et insouciants où le pur bonheur de la dégustation d’une confiserie sucrée suffisait à nous combler. Le charme opère. Le passé refleurit dans le présent, Laurence Jenkell vient de donner vie aux bonbons et c’est tout simplement délicieux… Sans doute est-ce pour cette raison que cette artiste qui vit et travaille à Vallauris (dans les Alpes-Maritimes) rencontre un tel succès : ses bonbons représentent un peu de douceur dans un monde de brutes… Ils font plaisir à voir, parlent et plaisent à tous et à chacun, jeunes ou moins jeunes, sont universels et intemporels. Ils ont l’art de nous replonger dans le monde enchanté de l’enfance. Tant et si bien qu’à l’avenir, on ne pourra plus voir un bonbon sans penser à Laurence Jenkell…
L’art est une fête
Ces sculptures Bonbons, les parisiens et autres visiteurs du monde entier pourront les admirer sur toute l’avenue George V (Paris 8ème). Dans ce lieu mythique de Paris, proche des Champs-Elysées, qui accueille du mardi 14 octobre au vendredi 15 novembre 2019 pas moins de 60 œuvres d’artistes contemporains connus et reconnus pour une exposition monumentale et gratuite sur 2 kilomètres. Plus besoin de musée, le beau se tient dehors, à portée de main. Bien sûr, on pourra contempler les oeuvres de Laurence Jenkell devant le magnifique hôtel Prince de Galles où a eu lieu le vernissage de l’exposition le mardi 14 octobre avec ses prestigieux invités, mais aussi devant l’enseigne Vuitton ou Elie Saab. Mais ce n’est pas tout… L’enchantement poétique continue au cours de notre flânerie sur l’avenue George V. On croise des oeuvres de l’icône américaine de la sculpture hyperréaliste, Carole A. Feuerman, qui nous donne à apercevoir des corps plus réels que nature. Elle renouvelle notre vision du monde et nous révèle ce que nous ne voyons plus : la réalité vivante. Avec son style inimitable, elle campe la silhouette adorable d’une jeune nageuse enlaçant un ballon aux couleurs chatoyantes. Là aussi, on retrouve la perfection de la jeunesse, sa douce insouciance, son abandon ravissant. Pure beauté. Sous le soir rosé qui tombe sur l’écrin de verdure de l’avenue George V, c’est un peu de rêve qui nous est donné. Plus loin, on découvre une superbe danseuse de Carole A. Feuerman devant Bulgari. Ou encore un nageur à bonnet de bain doré ornant l’incontournable Fouquet’s. Paradent en bas de l’avenue des bustes en « portrait optique » du peintre et sculpteur Marcos Marin comme sa célèbre sculpture à l’effigie de Neymar ou encore des œuvres de la photographe Charlotte Mano. L’art sort du musée, il sort dans la rue pour notre plus grand plaisir. Accessible à tous, il se laisse appréhender lors d’une promenade en plein air, à ciel ouvert, sous une étoile, un clair de lune ou en plein jour dans notre capitale dédiée à l’Art. Après un peu de douceur, voilà enfin une source infinie de beauté dans un monde que l’on voudrait plein de grâce…
« Marie-Antoinette était une femme bienveillante, bonne et simple »
« Devant le
regard inflexible de la postérité » que reste-t-il de
Marie-Antoinette ? De la plus célèbre des reines de France ? Un
portrait flatteur, celui d’une icône ravissante « dont il est difficile de
balayer l’éclat qui environne son existence » qui fascine encore et
toujours écrivains et cinéastes, « une jeune femme toute de grâce et de
grandeur » à « la démarche de déesse » écrit Stefan Zweig, une
reine tendre et dévouée à ses enfants, la femme énergique, courageuse,
admirable des dernières années, qui monte dignement les marches de
l’échafaud. Ou une légende plus noire, celle d’une reine volage, dépensière,
futile et frivole, d’une espionne autrichienne que l’on traînera des palais à
la prison, du trône à l’échafaud. Qui a raison, qui a tort ? Qui est
vraiment Marie-Antoinette ? On croyait tout savoir sur elle. On se
trompait. Il n’est qu’à ouvrir le superbe roman de Christine Orban
« Charmer, s’égarer et mourir » pour entrevoir une vérité qui n’est
pas forcément celle des livres d’histoire. Comme si la romancière, déterminée à
rendre justice à Marie-Antoinette, nous autorisait enfin à la comprendre de
l’intérieur, à approcher son âme, à entrer dans sa psyché. Comme si Christine
Orban possédait une oreille musicale assez fine, une forme d’hypersensibilité,
une sorte de troisième oreille comme le requerrait Nietzsche, pour entendre ce
que les autres n’entendent pas, pour percevoir avec une acuité inédite ce qui
est discordant, dissonant dans tous les couacs, les contradictions, les
malentendus qui ont émaillé la route de la reine. « C’est Marie-Antoinette
que je voulais écouter. L’écouter comme si j’avais été sa confidente. Sa voix
résonne dans sa correspondance, dans ses silences, dans les mots effacés et
retrouvés » souligne Christine Orban. Car il s’agit bien là de
correspondance, d’une correspondance sonore, musicale, entre deux âmes, l’une
qui vécut au XVIIIème et l’autre au XXIème siècle. Une correspondance entre une
reine et un écrivain. « Je perçois l’incertitude de son timbre, sa
sensualité, je perçois des sons graves et légers comme l’eau d’une rivière, une
rivière de larmes. » Ecouter Marie-Antoinette, c’est l’ausculter.
Ausculter son corps, son cœur, son sang, son âme. Résultat, de page en page,
c’est un choc. Du premier au dernier mot de ce magnifique roman, on est
emporté, transporté au XVIIIème siècle, en compagnie de Marie-Antoinette dans
un irremplaçable voyage au bout de l’Histoire, qui plonge ses racines dans le
plaisir et la mort. Christine Orban n’a pas son pareil pour nous faire toucher
du doigt le calvaire que furent ses dernières années, son agonie déchirante.
Chaque mot porte. Chaque phrase atteint son but. C’est bouleversant, envoûtant,
palpitant. Surpassant même Stefan Zweig qui malgré son immense subtilité, sa
psychologie féminine, n’en demeure pas moins un homme. Oui, il fallait
peut-être une femme, une intuition féminine, celle d’un écrivain perspicace,
tendre et voyant comme l’est Christine Orban, pour venir à bout de tous ces
malentendus. Pour enfin écouter la voix de Marie-Antoinette. Et pour lui
redonner vie comme jamais…
A lire à tout prix pour qui s’intéresse de près ou de loin à Marie-Antoinette.
Christine Orban, vous
donnez l’image d’une jolie femme qui incarne le chic et la vie parisienne. A
lire votre Marie-Antoinette, je trouve que vous êtes bien autre chose. Vous
êtes pleine de délicatesse, de hauteur d’âme, de sagesse …
L’image que l’on
projette sur vous ne vous appartient pas. Vous ne pouvez rien y faire, même si
elle est erronée, elle appartient aux autres, à eux d’en faire ce qu’ils
veulent. Cela n’a pas beaucoup d’importance. Il faut un peu de bienveillance
pour aller au-delà de l’apparence. Certaines sont trompeuses. On peut en être
responsable pour des raisons complexes. La société est un miroir déformant, les
jugements « prêts-à-penser » sont dangereux. Moi aussi je m’étais
laissée prendre à la réputation de Marie-Antoinette. C’est une des raisons pour
laquelle j’ai voulu l’approcher de plus près. Marie-Antoinette illustre bien le
malentendu entre l’être et le paraître.
Vous aussi ?
Je suis une femme qui
écrit, qui aime comprendre nos fragilités. J’aime les gens, j’aime les voir,
leur parler, mais je préfère les tête-à-tête, et je passe plus de temps avec
mes personnages derrière mon bureau que dans des salons. C’est ma façon de
vivre, plus de temps dans l’imaginaire que dans la réalité, cela n’est ni
mieux, ni plus mal. C’est ainsi. A mon vingtième roman, je me suis demandée si
je n’étais pas passée à côté de la vie. Mais, je n’ai pas eu le choix. Question
de tempérament, de blessure personnelle. L’écriture s’est imposée à moi, comme
une seconde vie -une porte de sortie, une vie où tout est possible, même vivre
au XVIIIème- Je soigne ainsi ma mélancolie… J’espère aussi aider les autres. Un
livre réussi est un livre qui aide à se comprendre…
Que se passe-t-il
quand vous remettez votre manuscrit à votre éditeur ?
Je me sens dépossédée,
fini le rendez-vous de tous les matins avec mes personnages. Ils me manquent
comme des proches. C’est toujours un moment difficile. Je sombre dans la
mélancolie, jusqu’à ce que je recommence à écrire, à imaginer un autre monde.
Vous écrivez en
parlant de Marie-Antoinette « que vous vouliez approcher son âme ».
Pourquoi ? Pour vous glisser dans sa peau ? Dans sa psyché ?
Pour ressentir ce qu’elle ressentait ? Par identification, osmose,
transfert ?
Peut-être avais-je besoin de m’éloigner de moi, de vivre une autre vie que la mienne, certaine de ne pas me rencontrer sur ce chemin… Je me suis trompée, Marie-Antoinette est une femme moderne…. Pourquoi Marie-Antoinette ? La destinée de Marie-Antoinette est des plus cruelles, en effet. Un jugement erroné la poursuivait. Je me suis érigée en avocat, en psychanalyste. J’ai essayé de la comprendre de l’intérieur, de lever le voile sur les malentendus. En plus des malentendus, la chance ne lui souriait pas. La main du diable la poursuit et ne la lâche pas. La fatalité est là, qui l’accompagne. Chaque fois qu’il y a un choix à faire, elle fera le mauvais. Sa vie pose aussi la question de notre liberté par rapport à la destinée…
J’ai l’impression que
Marie-Antoinette c’est l’Eve première, l’incarnation de la féminité, la mère de
toutes les femmes… Marie-Antoinette, c’est votre Maman ?
Je n’ai jamais pensé à
Marie-Antoinette en tant que mère ! J’ai souffert d’une mère-enfant… Mais
ce n’est pas le sujet, on a reproché à Marie-Antoinette d’être une enfant -elle
était dauphine à 14 ans !- pas une mère enfant. Bien au contraire. Une
femme qui prétend s’être trouvée « dans le silence et dans la solitude des
Tuileries » ne peut pas être une femme futile. Elle écrira encore
« C’est dans le malheur qu’on sent davantage ce qu’on est ». Oui,
Marie-Antoinette c’est la féminité même, mais c’est aussi une femme
bienveillante, bonne et simple, qui ne méprisait personne et qui se comportera
admirablement à la fin de sa vie…
C’est une mère
suffisamment bonne…
Oui, bonne. Mais, il faut rappeler que Marie-Antoinette avant d’être mère -elle attendra 7 ans- était une fille dominée par la sienne, l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse. C’est Nietzsche qui dit que celui qui souffre est une proie facile pour les autres. C’est une enfant en souffrance. Elle sait, quand elle quitte Vienne pour Versailles, qu’elle ne reverra plus ni sa mère ni son pays. Versailles lui offre l’apparence de poupée pomponnée mais on ignore ce qui se passe à l’intérieur d’elle. On la jalouse, elle souffre de la malveillance des courtisans, de l’impuissance de son mari, des moqueries qui s’en suivent. Elle ne se plaint pas. Elle donne le change. Par élégance, pudeur, éducation. Puisque le monde des adultes lui est interdit -son mari ne vient pas lui rendre visite dans sa chambre- elle va donc sortir, jouer comme une enfant à colin-maillard, danser etc. Elle n’est pas d’une nature dépressive, elle est vivante, elle est intrépide donc elle va chercher à se divertir, à s’étourdir au lieu de rester à attendre. Mais il n’y a ni malice ni vice en elle.
Le titre de votre
roman fait écho à la phrase de Lamartine parlant de Marie-Antoinette
« Elle ne sut que charmer, égarer et mourir ». Pourquoi ce
titre ?
J’ai d’abord eu envie
d’appeler ce livre « Psychose Marie-Antoinette » car il me semble que
nous avons tous un avis sur elle. Marie-Antoinette a fait délirer la France.
C’est la première star ! Elle excitera le désir, l’envie, la jalousie, la
médisance. Mon titre est un peu sévère mais il lui convient
: « Charmer, s’égarer, mourir ». Elle sut charmer, on l’a
égarée, et elle a su mourir avec un courage et une dignité extraordinaires.
C’est toujours difficile de résumer un être en trois mots, mais ces trois mots
lui vont. Ses contemporains étaient éblouis en la voyant – et non des moindres
– (Madame de Staël, Lamartine, Burke…) alors qu’elle n’était pas d’une beauté
classique ni parfaite, mais c’était une femme très charismatique, égarée dans
ce siècle…
Vous dites que
Marie-Antoinette n’a pas su vivre mais elle a su mourir avec une dignité
impressionnante….
Marie Antoinette s’est
trompée sur son époque. Elle n’a pas compris le peuple, le drame sous-jacent
qui se préparait. Elle était une orchidée sous serre. Elle arrive à Versailles
et elle n’en sort pas. Elle passe de Versailles au petit Trianon à Saint-Cloud.
Elle ne connait ni la France ni les français. Elle n’est véritablement
confrontée au peuple que lorsque la Révolution est en marche et qu’une foule de
femmes réclament du pain devant les grilles de Versailles. Alors c’est vrai que
Marie-Antoinette aurait pu manifester le désir de visiter la France, de
rencontrer les français mais elle ne pouvait pas être plus royaliste que le
roi ! Si le roi ne cherche pas à faire le tour des chaumières, la reine
n’a pas le droit à la parole et elle n’a aucun pouvoir politique. Elle n’a pas
été élevée pour diriger un pays mais pour donner un héritier à la France. Marie-Antoinette
est sous cloche, elle est en dehors du monde et de la réalité. Loin de moi
l’idée d’en faire une sainte. Il lui manque la curiosité. Elle s’est laissée
embarquée dans le rôle d’une femme de roi de cette époque : se laisser se
vêtir, être en représentation, même si cela lui pesait. Marie-Antoinette n’a
été elle-même qu’à la fin de sa vie. Dans le silence et dans la solitude. A
Versailles, c’était impossible, elle est tout le temps entourée, épiée,
espionnée. Comment voulez-vous vous trouver, vous comprendre, être vous-même au
milieu des autres ? On pense pour elle, on lui dicte ce qu’elle doit
écrire, deux espions envoyés par sa mère la suivent pas à pas. Marie-Antoinette
a subi les usages de la cour tout en cherchant à s’en défaire. Elle a renvoyé
la sévère « Madame Etiquette », elle a essayé de ne plus porter de
corset, d’aller vivre ailleurs qu’à Versailles, plus simplement. Mais c’est le
petit Trianon qui lui est offert…
Au début,
Marie-Antoinette est une reine à la mode et une reine de la mode. Elle est
acclamée par la foule des parisiens aux Tuileries. Ce qui fait dire au Duc de
Brissac : « Madame, vous avez 200 000 amoureux ». Elle
captive les foules. Elle a un succès fou. Est-ce à cause de son magnétisme, de
sa grâce, de son éclat ?
A cause de son statut
de reine, elle n’y peut rien, à cause de ces sept années sans enfant,
contrairement aux autres reines qui étaient ainsi occupées… à cause d’un roi
sans concubine : elle est en première ligne. Dès son arrivée sur le sol
strasbourgeois, elle est accueillie avec chaleur et émotion par le peuple
français. Elle s’en étonne. Elle arrive en carrosse de Vienne, elle n’a encore
rien fait, et les Français l’acclament et l’adulent sans la connaitre. Donc,
tout est faux au départ. On l’a aimé sans la connaitre pour de mauvaises
raisons, parce qu’elle fait son entrée dans un carrosse doré avec une couronne
sur la tête, cela fait rêver, ces mêmes personnes qui l’acclament, la
détesteront plus tard, la traiteront d’hydre cruelle, d’ogresse sexuelle, d’agent
double, d’espionne autrichienne, de maîtresse de Madame de Lamballe etc. Mais
tous ces crimes n’existent que dans l’imagination populaire. On a imaginé tant
de choses fausses sur Marie-Antoinette. C’est le drame de la célébrité, des
fantasmes. Marie-Antoinette fascine. Trop de regards plein d’envie se portent
sur elle. Son physique, sa grâce, sa séduction jouent contre elle.
Marie-Antoinette n’a pas la tête de l’emploi. La Cour n’est pas habituée.
D’ordinaire les reines sont austères, elles enfantent, sont trompées…
Vous écrivez que
Marie-Antoinette sortait, multipliait les escapades nocturnes à partir de 11
heures du soir au moment où Louis XVI se couchait. Vous avez un joli mot pour
évoquer ça « Le roi dort, la reine sort »…
Marie-Antoinette aime
la vie, elle est jeune, elle n’est pas aussi névrosée que Louis XVI. Celui-ci
n’était pas un méchant homme, mais il a un côté bonnet de nuit… Sans compter
qu’il présente peut-être une sorte de blocage psychologique : sa mère
n’aimait pas les autrichiens. En réalité, c’était la favorite de son
grand-père, Madame de Pompadour, qui voulait un mariage avec une autrichienne
pour des raisons politiques. On oblige Louis XVI à épouser une ennemie pour le
bien de la France et la paix en France. Il est donc sur ses gardes. Il s’agit
des deux côtés d’un mariage forcé. Marie-Antoinette dans son carrosse admire le
petit portrait très enjolivé du futur mari. Mais une fois en France, c’est un
colosse de presque 2 mètres enrhumé et malhabile qui l’accueille.
Marie-Antoinette est une enfant spontanée, naturelle. Elle va se promener sur
la petite terrasse, parler avec ses amies, boire un bol de lait, manger des
fraises, s’asseoir sur le gazon, monter sur un âne, faire du traîneau quand il
neige, très vite, son attitude alimente les conversations malveillantes de la
cour…
Marie-Antoinette, une
femme trop libre, insoumise, insouciante, rebelle, spontanée, désinvolte,
inconséquente, espiègle. Qui vit selon son bon plaisir. Et qui paiera cette
liberté de sa vie…
Ce n’est sûrement pas elle qui a déclenché la Révolution française ! Le mal était là, sous-jacent. Les excès de louis XIV et Louis XV avaient déjà abîmé la France. Louis XVI et Marie-Antoinette, victimes expiatoires, boucs émissaires, sont tout désignés pour endosser les erreurs de Louis XIV qui a ruiné le pays et de Louis XV qui, entre guerres et plaisirs, a terni l’éclat de la royauté. Marie-Antoinette est tombée au mauvais moment et son manque de jugement n’a fait qu’accroître la colère du peuple, mais elle n’est pas responsable de la Révolution. Marie-Antoinette, native d’un pays ennemi, est une proie facile, sans défense, sans protection, pas même celle de son mari. Aucune épouse de roi n’a jamais été aussi calomniée que Marie-Antoinette. Les ragots les plus invraisemblables courent sur elle et provoquent l’esprit de ses détracteurs.
Hans Axel von Fersen
Et l’irrésistible Axel
de Fersen, le comte suédois « beau comme un ange »…
La première fois
qu’elle va tomber amoureuse, c’est de Fersen. Est-ce un mal ? La reine
était loyale envers le roi. Marie-Antoinette était une femme de devoir. Je suis
sûre qu’elle a été fidèle à Louis XVI jusqu’à la naissance de son quatrième
enfant. Jusqu’à ces mystérieuses vingt-quatre heures dans la même chambre aux
Tuileries… Elle et Fersen n’ont pas pu se rencontrer souvent seul à seul à
Versailles. Mais Trianon facilitait l’intimité. Là, Marie-Antoinette pouvait
s’isoler. On sait qu’à la cour, Fersen était surnommé « l’amant de la
Reine ». D’ailleurs, Marie-Antoinette écrit à son frère Joseph après son
quatrième enfant, qu’elle est décidée à ne plus avoir de relation charnelle
avec Louis XVI. Comme si elle avait accompli son devoir d’épouse.
Envisageait-elle de se garder exclusivement pour Fersen ? Est-ce lui qui a
exigé la séparation de corps des époux ? Lui aussi pouvait souffrir de
voir la femme qu’il aime toujours enceinte de son mari. A sa sœur Piper, Axel
de Fersen confie dans une lettre : «Je ne puis pas être à la seule
personne à qui je voudrais être, la seule qui m’aime véritablement, je ne veux
être à personne. » Toutes ces questions restent sans réponse car nous
ne disposons d’aucune certitude. Sauf que Fersen n’a jamais démenti sa liaison
avec Marie-Antoinette devant Bonaparte qui l’accusa assez brutalement « d’avoir
couché avec la reine de France. » Devant cette accusation, Fersen se tait.
Marie-Antoinette avait conscience de son rôle de reine et elle n’aurait pas eu
un enfant adultérin. C’est une âme droite, incapable de mentir et de
dissimuler. Mais après le quatrième enfant, elle ne veut plus avoir de
relations charnelles avec le roi. Est-ce qu’elle a appartenu à partir de ce
moment-là physiquement à Fersen ? On l’ignore. La seule chose que l’on
sait, ce sont ses lettres qui prouveraient qu’il y a eu une vraie relation
entre eux. Par exemple : « Adieu le plus aimant et le plus aimé des
hommes… » La dernière lettre que l’on vient de découvrir « Je vous
aime mon amour » laisse à penser que c’était plus qu’une amitié amoureuse.
Et puis il y a quand même cette clef de la porte secrète des appartements
privés des Tuileries de Marie-Antoinette qu’Axel de Fersen possédait. Il prend
tous les risques pour la rejoindre, il arrive aux Tuileries, il ouvre la porte.
Là, ils passent vingt-quatre heures ensemble. De cela, on est sûr. Peut-être ont-ils
seulement parlé, mais étant donné le caractère et le tempérament de
Marie-Antoinette, j’en doute. C’est une femme humaine, vivante, qui aime la
vie, je vous l’ai dit, je ne pense pas qu’elle ait pu résister à la plus
séduisante des attirances. Elle est folle amoureuse de cet homme et ils savent
qu’ils ne se reverront plus jamais sur cette terre après les Tuileries. Et
Fersen est un homme extrêmement séduisant. Le testament de Louis XVI, semble
donner une réponse à ces interrogations : « Je prie ma femme de pardonner
tous les maux qu’elle souffre pour moi, et les chagrins que je pourrais lui
avoir donné dans le cours de notre union; comme elle peut être sûre que je ne
garde rien contre elle, si elle croyait avoir quelque chose à se reprocher.»
La mort de Fersen est
dramatique aussi. Il meurt lapidé et piétiné par la foule le 20 juin 1810.
Durant toutes ces années, il demeurera inconsolable, le cœur brisé…
Dix-neuf ans plus tôt,
le 20 juin 1791, le jour où Axel de Fersen quitte le carrosse lors de la fuite
à Varennes sur l’ordre de Louis XVI, il écrit dans son journal : « J’aurai
voulu mourir ce jour-là ». Il mourra exactement le même jour, un 20 juin,
mais en 1810… Auparavant, à la mort de Marie-Antoinette, en 1793, Fersen écrit
à sa sœur Piper : « J’ai maintenant perdu tout ce que j’avais au
monde (…). Elle que j’aimais tant, pour qui j’aurais donné mille fois ma vie,
n’existe plus. »
Marie-Antoinette, une
femme fatale…
Elle était fatale dans le sens où elle était entourée de fatalité. Le drame et la mort la poursuivent. Cela fait penser au mot de Shakespeare dans Hamlet : « Un ciel si sombre ne pouvait s’éclairer que par un orage. » Le ciel si sombre, c’est la Révolution française…
Vous écrivez que les
pamphlets et les libelles finiront par construire un personnage haïssable et
crédible de Marie- Antoinette et c’est ce personnage que la foule conduira à
l’échafaud. Pensez-vous que Marie-Antoinette meurt de la médisance qu’elle
voulait ignorer ?
Marie-Antoinette est
morte non de la médisance, mais accompagnée de la médisance. Dans une charrette
avec les mains liées dans le dos durant deux heures, le dos brisé, souffrant
d’une violente hémorragie, elle est morte sous les insultes de la foule.
Entourée de quatre-vingt mille hommes sur le pied de guerre, de canons placés à
l’entrée de tous les ponts et de toutes les places, de patrouilles qui
sillonnent la ville, et de la foule assoiffée de sang. Elle est seule au monde,
elle ne peut plus correspondre avec Fersen. Louis XVI, son mari qu’elle
adorait, parce qu’ils étaient devenus frère et sœur, est mort. Sa mère est
morte, son frère est mort. Il ne lui reste plus personne. Elle est seule,
livrée aux barbares, loin de ses enfants qu’elle n’a pas pu malgré ses
supplications serrer une dernière fois dans ses bras. Mais elle va leur montrer
comment meurt une reine…
Louis XVI est présenté
comme un roi faible alors que c’était un roi qui a reçu une éducation très
poussée et qui chose rare dans la royauté, va se cultiver toute sa vie…
Très cultivé, et
c’était un honnête homme, au sens noble du terme. Peut-être n’a-t-il voulu
concevoir un enfant avec son épouse que lorsqu’il a ressenti de l’amour pour
elle. Il ne veut pas d’une personne imposée par l’Etat et par son grand-père
Louis XV, un libertin…
Finalement Marie-Antoinette
est la seule reine de France dont l’époux est un mari fidèle, un roi amoureux
de sa femme. Louis XVI n’a pas de favorites. Seulement ce privilège va vite
tourner au désavantage. Car les maîtresses des rois ont toujours servi de
paratonnerre, elles attiraient les foudres de la cour, elles déchaînaient
contre elles l’ire du peuple. Là, Marie-Antoinette est en première ligne. Elle
devient la cible idéale…
Tous les rois
auparavant avaient toujours eu des concubines, Louis XVI, c’est le seul qui
n’en a pas. C’est le problème : Marie-Antoinette va être traitée en
concubine, elle est en première ligne face à la méchanceté. Elle écope de la
haine et de la jalousie qui leurs étaient jadis réservées. Elle est
excentrique, distrayante, dissipée, séduisante, ce que les reines ne se
permettaient pas. Epouse d’un mari fidèle, elle est moquée – pas d’enfants
pendant 7 ans- et enviée. Elle n’a même pas à se plaindre. Comble de
l’indécence, c’est Marie-Antoinette qui aurait un favori. Elle renverse les
rôles, déstabilise tout le monde…
Vous avez visité ses
appartements à Versailles, vous dites pourtant que son appartement reflète
celui d’une femme seule, que Marie-Antoinette n’avait personne à aimer à part
elle-même. Etait-elle une femme affective ?
Oui, elle avait besoin
d’affection. Elle avait besoin d’aimer et on va le lui reprocher. Elle avait
besoin d’amitiés sincères. Elle préférait les femmes de cœur aux femmes
d’esprit. Elle disait « Jamais pédante ne serait mon amie ». Elle a
aimé ses amies, La Polignac, Lamballe. Elle aimait parler avec elles sur un
pied d’égalité « en particulier ». Elle pouvait se laisser aller à
des confidences en leur présence. Elle avait besoin de cette relation-là. Elle
aimait aussi Madame Campan, elle a pleuré dans ses bras au moment où sa
belle-sœur a eu un bébé alors que le roi ne lui en donnait pas. Quand enfin le
roi se « décidera », elle adorera ses enfants.
Marie-Antoinette a
touché votre cœur ?
Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas être touchée par elle…
L’actrice Kirsten Dunst dans le film » Marie-Antoinette » de Sofia Coppola
Dans le très
esthétisant film «Marie-Antoinette » de Sofia Coppola, la réalisatrice
insiste sur la non-consommation du mariage. A l’époque, toute l’Europe fait des
gorges chaudes des déboires conjugaux de Marie-Antoinette et de Louis XVI…
Je consacre un chapitre de mon livre au « Lit affaire d’Etat ». J’analyse l’embrasement de toute l’Europe parce que le roi ne couche pas avec sa femme. Pourquoi cette fièvre ? Parce que tout le monde s’inquiète. Marie-Thérèse, la mère de Marie-Antoinette, alarmée par la nouvelle de la non-consommation du mariage, est affolée. Elle appréhende le pire, persuadée que sa fille va être répudiée si les choses ne s’arrangent pas. Elle a peur que son contrat de paix avec la France ne prenne fin. Il faut absolument sauver cette alliance. L’impératrice conseille donc à sa fille pour éveiller le corps du roi « Caresses et cajolis ». Elle envoie ses médecins. Louis XV envoie ses médecins aussi. Louis XV ausculte lui-même son petit-fils pour voir pourquoi cela ne fonctionne pas. Le pauvre Louis XVI passe son temps à se justifier, à expliquer, à reconstituer la scène lorsqu’il se trouve dans le lit conjugal. Marie-Antoine est épousée pour donner un héritier à la France. Et Marie-Antoinette ne porte toujours pas d’enfant. L’humiliante situation va durer sept ans. Celui qui, semble-t-il, va résoudre le problème en 1777, c’est Joseph II, le frère de Marie-Antoinette qui adore sa sœur. Il vient en France, et va expliquer « à ces deux nigauds » comme il l’écrit à l’impératrice Marie-Thérèse, comment il faut s’y prendre. Quand Joseph II repart après avoir conseillé les deux tourtereaux, très vite Marie-Antoinette écrit à sa mère qu’elle est la plus heureuse du monde, parce qu’elle attend un enfant. Et Louis XVI, et c’est assez bêta, va voir ses tantes en s’exclamant « j’ai beaucoup aimé le plaisir » ! L’affaire a réussi, il en redemande et ils auront ensemble quatre enfants.
Dont le cadet, le
Dauphin, le futur Louis XVII, le « chou d’amour » comme l’appelait
Marie-Antoinette, dont une légende raconte qu’on l’a aidé à s’enfuir du Temple…
Malheureusement, cette
légende est fausse. Le Dauphin va bien mourir au Temple dans des conditions
abominables, privé de soin, de nourriture, enfermé dans un cachot, on le
laissera mourir. Beaucoup d’histoires ont été raconté sur le Dauphin. On
voudrait toujours que les innocents survivent à la barbarie. Ce ne sont que des
légendes … Les autrichiens n’ont rien fait pour le sauver. Si l’impératrice Marie-Thérèse
avait été vivante, les choses se seraient peut-être passées autrement. La seule
qui échappera à la mort, c’est la fille de Marie-Antoinette.
Venons-en au soulier
de la reine. L’histoire – enfin les gazettes de l’époque – raconte qu’au moment
de monter les marches de l’échafaud, Marie-Antoinette perd son soulier. Elle
perd un peu l’équilibre, bouscule le pied du bourreau, s’excuse auprès de lui
en lui disant qu’elle « ne l’a pas fait exprès ». C’est un magnifique
acte manqué. Pour Bruno Bettelheim, le soulier symbolise la féminité (le
soulier comme réceptacle). Marie-Antoinette cherche-t-elle inconsciemment à
séduire son bourreau, « en lui faisant du pied » ?
A midi et quart,
Marie-Antoinette monte les marches qui mènent à l’échafaud « avec légèreté
et promptitude » selon les échotiers de l’époque. Marie-Antoinette
est empressée de vivre comme elle est empressée de mourir. Elle a
tellement souffert qu’elle veut en finir. En abandonnant une chaussure,
exhibe-t-elle inconsciemment un pied nu en signe de liberté ? Est-ce un
pied de nez à ses bourreaux ? Ou un message de détresse d’une femme qui
n’a pas « trouvé chaussure à son pied » ? Franchement je ne le crois
pas. J’ai voulu consacrer tout un chapitre au soulier parce qu’il symbolise la
féminité mais aussi sa grandeur et sa décadence. Ce soulier de prunelle fait
des matériaux les plus précieux, fait pour danser sur les parquets de
Versailles, pour traverser avec grâce la galerie des Glaces, se retrouve dans
une flaque de sang sur l’échafaud. Cela résume de façon assez symbolique la vie
de Marie-Antoinette. Cette vie qui commence comme un conte de fées : Il était
une fois une princesse qui arrive dans son carrosse doré du palais de Vienne
pour se rendre au palais de Versailles, et finit comme un cauchemar. La
princesse se retrouve en haillons dans une charrette, les mains liées. Il ne
lui reste de beau que ses souliers, on lui a tout pris, ses robes, la petite
chevalière à l’intérieur de laquelle étaient gravées les armes de Fersen et ces
mots « Tutto a te mi guida » (tout me conduit vers toi), la montre de
son enfance. Elle porte une robe tachée de sang et elle monte sur l’échafaud
avec ses petits souliers, de taille 36 et demi, brodés dans une étoffe
précieuse. Elle glisse probablement dans son empressement à mourir et perd un
soulier. Un assistant du bourreau Samson va le ramasser immédiatement, revendre
la relique pour un louis à un royaliste, le comte de Guernon-Ranville.
On pourrait encore
avancer une autre interprétation : en perdant son soulier, Marie-Antoinette
perd sa féminité. Cela signifie que sa féminité ne meurt pas avec elle… La mort
ne lui a pas volé sa féminité, elle a réussi à la protéger de l’échafaud. C’est
peut-être pour cette raison que bien des siècles plus tard, Marie-Antoinette est
toujours aussi fascinante, incandescente. Sa féminité irradie encore…
Je n’en suis pas sûre…
Marie-Antoinette avait de très jolis pieds. Les pieds sont encore plus féminins
que l’enveloppe, que la chaussure. Certains gazetiers de l’époque, dont la
décapitation de la reine n’avait pas suffi à étancher la haine, se répandent
encore en commentaires malveillants, allant jusqu’à dire que Marie-Antoinette
en perdant sa chaussure, faisait l’intéressante. « La coquine a eu la
fermeté d’aller à l’échafaud sans broncher. » Ses détracteurs ne cesseront
jamais de l’accabler…
Finalement, vous avez
écrit ce livre bouleversant, déchirant sur Marie-Antoinette pour lui redonner
vie ?
Oui, on n’écrit que pour ressusciter les morts… mais tributaire de l’histoire. Il est difficile pour une romancière de se soumettre à l’histoire. L’histoire est là. J’ai apposé le point final très émue, dans un état comparable à celui qui était le mien quand j’ai fini « L’âme sœur ». Impuissante, plus démiurge du tout. Je n’ai pas pu changer le destin de Marie-Antoinette… ni celui de ma petite sœur. Je reviens au roman !
Caterina Murino, c’est
Vénus et Mère Teresa à la fois. Un grand cœur dans un corps de rêve. Un pur
concentré d’amour de l’humanité dans un superbe écrin. Celle qui rêvait d’être
médecin pour « sauver les autres » a fait carrière au cinéma. Sur le
tapis rouge, la James Bong girl, la bombe explosive de « Casino
Royale » qui fait chavirer le cœur des spectateurs, n’en oublie pas pour
autant ses premières amours : aider les autres. Servir son prochain.
Mettre sa notoriété au service des plus démunis. Elle met aussi son
intelligence de la vie, sa bienveillance à faire connaître et promouvoir les
artisans joaillers de son beau pays, la Sardaigne, afin de préserver l’art de
la filigrane, ce savoir-faire incomparable sarde. Elle est encore, cette femme
au cœur d’or qui s’implique dans des combats humanitaires en tant
qu’ambassadrice de l’AMREF (qui aide à la formation des sages-femmes en
Afrique), qui milite pour aider la Recherche contre le cancer, qui crée de
magnifiques bijoux dont les bénéfices serviront à réduire la mortalité
maternelle en Afrique. « C’est la Sardaigne qui aide un peu
l’Afrique » commente-t-elle joliment. Depuis toujours, la belle sarde
cherche à apporter sa contribution en faisant du bien à l’humanité. Comme si
elle vivait pour tenter d’endiguer la souffrance humaine, pour atténuer les
malheurs du monde. On l’aura compris, Caterina Murino a le cœur pur. Généreux.
Transparent. C’est d’ailleurs le titre de son prochain film, qui sortira en
salle le 16 mai 2018 « Et mon cœur transparent ». Un superbe
thriller, à ne manquer sous aucun prétexte ! Actuellement, Caterina Murino
est en tournée théâtrale à Rome et dans le Nord de l’Italie dans une magnifique
pièce écrite et mise en scène par Giancarlo Marinelli « L’idea di
ucciderti » (« L’idée de te tuer »).
Conversation avec une
femme merveilleuse
Le 16 mai 2018,
sortira au cinéma un sublime thriller psychologique réalisé par David et
Raphaël Vital-Durand « Et mon cœur transparent ». Dedans, vous
incarnez le rôle d’Irina. C’est l’histoire d’un mari qui découvre la vérité sur
son épouse alors qu’elle vient de mourir. Pourquoi Irina est-elle victime d’un
accident de voiture au volant d’une voiture inconnue alors qu’il venait
lui-même de l’accompagner à l’aéroport ? Il mène l’enquête et découvre la
face cachée de son épouse. Dans un couple, peut-on être transparent l’un pour
l’autre ?
Dans ma vie, surtout
au début d’une relation, je me vois toujours comme un verre d’eau sans
bulles ! Une eau transparente… C’est ma façon de vivre. Peut-être ne
devrais-je pas le dire, mais c’est plus fort que moi, je suis incapable de
dissimuler. Dans mon couple, si je commence à cacher quelque chose, cela
signifie que c’est le début de la fin. Je veux protéger ceux qui sont auprès de
moi. Même si ce n’est ni très intelligent, ni très mystérieux, ni très sexy,
c’est compliqué pour moi de cacher les choses à mon homme. Après, bien sûr,
cela dépend comment on mène sa vie. Irina, dans le film, est une femme qui aime
profondément son mari. Elle décide le jour de sa mort de changer de vie. Mais
c’est trop tard. Alors qu’elle était prête à raconter à son époux sa double
vie, une vie très particulière, une vie en trompe-l’œil, malheureusement le
pire arrive…
Votre rêve, c’est
d’être « transparente » dans l’amour…
Exactement. Je me sens
en accord avec ce titre magnifique « Et mon cœur transparent » qui
fait écho à une phrase de Verlaine (tiré du poème « Mon rêve
familier ») « Car elle me comprend, et mon cœur transparent.
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème »). J’ai le
« cœur transparent » pour mon conjoint… Du coup, c’est
particulièrement amusant et piquant de jouer un rôle de femme insaisissable,
double, à facettes, car dans la vie je suis très loin de lui ressembler…
Donc, c’est un rôle de
composition ?
Absolument. Même si,
parfois, je partage la philosophie d’Irina. Son combat, sa lutte, son
militantisme. Mais je ne veux pas dévoiler l’histoire, juste dire que ce film
incroyable est riche en rebondissements, en revirements de situation.
Pensez-vous que la grâce
de l’amour est de rendre le cœur transparent ? Ou l’amour, forcément
opaque, masque-t-il la vérité des êtres ?
On doit avoir
confiance en l’amour… Si l’on masque quelque chose, cela veut dire que l’on n’a
pas confiance dans le pouvoir de l’amour. On a peur que l’être aimé nous cache
quelque chose. On a peur que l’être aimé nous juge, donc on cache, on se cache
et on ne sera jamais pleinement soi-même. Je me souviens d’un de mes ex
qui vivait quelque chose de très douloureux dans sa famille. Le premier
jour de notre rencontre, nous avions échangé notre premier baiser. Dès le
lendemain, il m’a confié avec émotion : « il faut que je t’avoue
quelque chose ». C’était plus fort que lui, il devait me révéler un secret
sur sa famille. Lui n’était pas « concerné » personnellement, mais
pour lui ce n’était pas possible de commencer une relation sans être
transparent l’un à l’autre. J’ai trouvé cet aveu loyal, émouvant. Nous partions
sur de belles bases…
Dans son excellent
roman « Une affaire conjugale », Eliette Abécassis écrit à propos du
couple : « Pour bien faire les choses, il faudrait commencer par
divorcer ». Ne pensez-vous pas que c’est dans les épreuves qu’on connait
réellement les gens ?
Je suis d’accord. Je
n’irais pas jusqu’à souhaiter un divorce parce que cela ne sert à rien et que
je trouve cela vraiment dommage mais c’est sûrement dans les épreuves que l’on
découvre la personne telle quelle est. Au quotidien, on peut se disputer sans
comprendre l’autre pour les petites chamailleries ou les petites tracasseries
de la vie. A la limite, là, si l’autre n’est pas à la hauteur, ce n’est pas
bien grave. Mais lorsqu’il y a une véritable épreuve, des malheurs ou des
difficultés à surmonter, là on réalise vraiment si celui avec qui on vit est à
la hauteur. S’il assume sa place ou non. Ceux qui assurent royalement face à
l’adversité, alors là chapeau ! Ces hommes-là, on sait que l’on peut
compter sur eux…
Sans compter que dans
un couple, on est toujours trois ! Il y aussi l’Inconscient de l’autre…
Oui, car on est le
résultat d’une vie. La personne que l’on est aujourd’hui n’est rien d’autre que
le fruit de son passé, de son histoire. De l’histoire de ses parents, de celle
de ses ancêtres. On reçoit dans certains cas, à la naissance, des bagages
« un peu pourris », si je peux me permettre, et il faut malgré tout,
construire notre vie. Une autre vie.
Vous avez raison, le
vrai couple commence lorsque celui-ci édifie sa propre vie, une vie nouvelle,
et non quand il reproduit le vécu de ses parents…
Il faut avoir une
énorme force de volonté pour construire quelque chose. On peut se dire
« ok, je n’ai pas eu beaucoup de chance dans ma vie au départ, mais je
suis capable de changer ce destin qui était déjà un peu marqué et de trouver
autre chose pour moi. Maintenant, je fais les choses pour moi, et je vais
changer mon destin. Il n’y a pas que les gens magnifiques, dont la vie est
toute tracée, qui parviennent à réaliser leurs rêves.
C’est beau ce que vous
dites. Il n’y a pas de fatalité si on fait montre de suffisamment de volonté…
Absolument. Je pense
que chacun de nous, peut, avec énormément de volonté, écrire son destin. Il y a
des cas extraordinaires dans l’Histoire, il suffit de s’inspirer d’eux.
Comment êtes-vous
entrée dans l’âme, dans la peau d’Irina ? Vous êtes-vous préparée
physiquement ? Avez-vous eu un coach pour vous aider ?
Non, pas pour ce rôle.
Pour la série « Deep », j’avais eu un coach physique. Je devenais une
championne d’apnée, et là, c’était une préparation incroyable. Pendant un mois
et demi, six heures d’entrainement tous les jours ! C’était de
l’intensif ! Pour « Et mon cœur transparent », bien sûr, j’ai
étudié le rôle. J’ai plongé dans ce rôle en m’intéressant à la cause qui tient
à cœur à Irina. Ce fut une immersion totale pour tenter de comprendre ses
motivations. J’ai aussi essayé de trouver différents angles pour séduire un
homme totalement pur, afin qu’il puisse tomber amoureux d’une femme aussi
extravagante.
Dans tous vos films,
vous êtes merveilleusement vivante, vraie, criante de vérité, et émouvante.
C’est le propre des grandes actrices. Pensez-vous que les femmes s’identifient
à vous ?
J’aimerais bien
qu’elles s’identifient à moi ! Surtout pour le combat que porte Irina.
C’est tellement convaincant son personnage.
Trouvez-vous que les
deux réalisateurs, David et Raphaël Vital-Durand, ont su magnifier la femme que
vous êtes dans « Et mon cœur transparent » ?
Une fois le film fini,
j’ai visionné les rushes. Lorsque j’ai vu « Et mon cœur transparent »
en projection, j’ai été étonné. J’avais l’impression de ne pas avoir tourné ce
film-là ! Il était totalement différent. C’était une œuvre accomplie,
un pur joyau, un vrai bijou éblouissant, parce qu’il y avait un vrai parti
pris, une vraie direction de la part des metteurs en scènes. A partir du
scénario, ils ont su créer un monde fantastique, extraordinaire. Donc, chapeau
aux deux metteurs en scène parce que ce n’était pas évident ! Transformer
une histoire non pas anodine certes mais relativement ordinaire au point d’en
faire un tel petit bijou extraordinaire, là c’est vraiment unique. Le film est
unique. Il y a eu un vrai choix de la part des deux réalisateurs. Ils ont eu
des idées géniales !
Parlons maintenant de
votre cœur à vous… Pour qui bat-il ? J’ai lu quelque part que vous aimiez les
hommes prévenants et mâtures. Quel est votre genre d’homme ?
C’est mon homme !
Un homme drôle, séduisant, intelligent ! Quelqu’un sur qui je peux poser
ma tête sur son épaule…
Eva Green, Daniel Craig et Caterina
Murino dans le film « Casino Royale »
Vous êtes très belle
et célèbre, comment gérez-vous le désir que vous suscitez ?
Je me vois
quotidiennement, donc je ne me reconnais pas dans ce que vous dites… Je ne sais
pas… Je ne me préoccupe pas de tout cela…
En ce moment, on parle
énormément de « l’affaire Weinstein ». Avez-vous été victime
d’agression, ennuyée ou harcelée par des hommes de pouvoir ? Par des
producteurs ou des réalisateurs ? Par exemple, un chantage au rôle…
Jamais, heureusement.
Depuis vingt ans que je fais des films, je n’ai jamais connu ce type
d’agression. J’ai même rencontré Harvey Weinstein lorsque j’avais 20 ans. Il
est venu dans ma chambre d’hôtel avec une autre personne. Il m’attendait
pendant que je me préparais, il n’a pas cherché à m’agresser. On a fini à
quatre heures du matin ensemble en mangeant des hamburgers. Je n’ai pas eu de
problème avec lui… Dans ma vie, on m’a fait des avances, mais elles ne venaient
pas forcément des producteurs, mais des hommes en général. A chaque fois,
c’était de la séduction, jamais personne n’a cherché à m’imposer son désir.
J’ai travaillé à la télé, j’ai été danseuse à la télé, j’ai travaillé à la télé
en tant qu’actrice, j’ai travaillé pour le théâtre, j’ai été mannequin. Une
fois, à la télé italienne, j’ai remarqué que le producteur essayait de temps en
temps avec les autres actrices. Mais jamais avec moi !
Tant mieux, vous êtes
chanceuse !
Oui !
Vous attachez-vous
facilement ?
Très jeune, je
m’attachais assez vite. Maintenant, je ne m’attache plus aussi vite ! Au
moment d’une rencontre, il y a beaucoup de choses qui se passent dans ma
tête ! Mais après, quand c’est parti, c’est parti !
Etes-vous
romantique ?
Oui, et j’ai trouvé un
homme qui est merveilleusement romantique aussi. Alors c’est parfait !
En parlant de votre
compagnon, le 7 octobre 2017, vous avez inauguré la suite Michèle Morgan du
palace cannois « Le Majestic » du groupe Barrière, en présence d’un
ami, Edouard Rigaud. Est-ce indiscret de vous demander si vous êtes
amoureuse ?!
Très !
Alors je repose ma
question différemment ! Qu’est-ce qu’il faut faire ou être pour vous
rendre amoureuse ?
Dans l‘amour, Il y a
des choses que l’on ne peut pas rationnaliser. Quand on rencontre l’âme sœur,
il se passe quelque chose d’insaisissable, d’incompréhensible, qui échappe à la
raison. C’est le mystère et la grâce de l’amour. C’est une attraction physique
contre laquelle on ne peut pas lutter. Le cerveau est en ébullition…
Vous aimez les bijoux.
Vous avez été le visage de la maison Chaumet, vous avez représenté les marques
De Grisogono et Maubussin. Vous-même créez de magnifiques bijoux d’inspiration
sarde. Depuis toujours, vous vous battez pour préserver l’artisanat sarde, pour
promouvoir l’art de la filigrane (l’or torsadé), ce savoir-faire traditionnel
dont les sardes ont le secret. Dans vos superbes collections, vous valorisez
aussi le corail sarde, cet or rouge qui fait merveille sur un collier, un
pendentif ou des boucles d’oreille. Où peut-on acheter vos sublimes
créations ?
On peut les découvrir
et les acheter à la Galerie Elsa Vanier, au 7 rue de l’Odéon, 75006 Paris. Les
bijoux et toutes les nouvelles collections sont présentés là en permanence.
Caterina Murino en Dolce & Gabbana
au festival de Venise
En matière de
haute-couture, qui sont vos créateurs préférés ?
C’est indiscutablement
Dolce & Gabbana. Depuis très longtemps, ils m’habillent. Je leur reste
fidèle. Ce sont des créateurs incroyables. Ils n’ont pas leur pareil pour
sublimer la femme. Je suis une véritable addict de Dolce & Gabbana.
Toutes les robes que j’arbore pour le festival de Venise sont de Dolce &
Gabbana.
Quels produits de
beauté utilisez-vous pour prendre soin de votre peau ?
J’utilise des produits
de beauté qui viennent de la Sardaigne, les produits « Soha », des
cosmétiques que l’on peut trouver en parapharmacie. La Sardaigne est connue
pour abriter le nombre le plus élevé de centenaires au monde. Quel est le
secret de la longévité de ses habitants ? On raconte que c’est grâce au
vin Cannonau. C’est un raisin qui a 4% de polyphénols en plus que les autres
raisins. Il aiderait à la longévité des hommes et des femmes sardes.
« Soha Sardinia » utilisent ces raisins et font des crèmes de beauté à
base de ces raisins. Donc, j’utilise ça !
Qu’est-ce que la
beauté, pour vous ?
C’est un truc très
banal ! Bien sûr, c’est un cadeau du ciel. Mais une jolie plante, ça ne
sert pas à grand-chose ! Je pense que la beauté vient surtout de
l’intérieur. Les jolies plantes, il y en a plein le monde, mais les êtres qui
dégagent quelque chose, un peu moins…
Et vous, qu’est-ce qui
vous rend belle ?
D’arroser la plante
intérieure ! Il faut travailler sur l’intériorité et non sur la surface.
Sinon, bien sûr, l’amour me rend belle !!
Avez-vous un rituel
beauté, des produits fétiches que vous emportez partout dans vos
déplacements ?
Par le passé, j’avais,
pour les yeux, un crayon gris-noir sublime avec des paillettes incorporées de
chez Dolce & Gabbana. Je l’adorais mais malheureusement, ils ne le font
plus. Lorsque je rencontre un maquilleur de chez Dolce & Gabbana, il m’en
donne parfois deux ou trois parce qu’il sait que la gamme est terminée. Ces
crayons sont très précieux pour moi ! Mon seul rituel beauté c’est de me
démaquiller quotidiennement, avec application, même si je ne me suis pas
maquillée le matin, afin d’enlever toutes les impuretés de la journée.
Pratiquez-vous un
sport pour avoir un corps de rêve comme le vôtre ?
Oui, j’adore courir !
Je fais du jogging avec mes voisins le lundi, le mercredi et le vendredi sur la
butte Montmartre, à 7heures et demi du matin.
Pratiquez-vous la
natation ? J’imagine que oui puisque vous avez tourné dernièrement dans la
minisérie « Deep » diffusée sur studio+, une série digitale que l’on
peut suivre sur les tablettes et smartphones. Quel souvenir gardez-vous de ce
tournage ?
Un souvenir fabuleux !
C’est un film extraordinaire qui raconte quelque chose qui, je pense, n’a
jamais été exploité au cinéma, l’amour entre des jumeaux. L’un des frères
jumeaux meurt. C’est un champion d’apnée. Donc, le premier épisode, mon frère
meurt pendant les championnats du monde et moi, j’ai l’impression de devenir
complètement folle. Du coup, je décide de devenir une championne de plongée en
apnée. Mais à chaque fois que je plonge, j’ai une surprise au milieu de la mer.
C’est un film troublant, avec un immense amour. Qu’est-ce que cela veut dire
quand deux jumeaux ont grandi ensemble, et que l’un d’eux meurt ? C’est
comme s’il y avait une partie de soi qui n’existait plus… L’héroïne va aller
chercher cette partie d’elle-même qui lui manque le plus, en cherchant à
travers la plongée, son frère défunt. C’est vraiment un film extraordinaire.
Cela a été un magnifique bonheur et une immense douleur aussi de le tourner.
Parce que je ne savais pas nager… Donc, j’ai menti, tout au début, quand j’ai
rencontré le producteur et le metteur en scène en leur disant que je savais
nager. Je voulais tellement ce rôle qu’en un mois, j’ai appris à nager, à plonger,
l’apnée, toute la discipline extraordinaire et dangereuse qu’il faut pour faire
ce métier. A côté de Pierre Frolla, le champion du monde d’apnée, qui a été mon
guide, mon frère. Cela été un voyage extraordinaire…
Vous êtes aussi une
femme de cœur. Une femme généreuse qui s’épanouit dans le don et l’altruisme.
Depuis toujours, vous faites beaucoup pour les autres. Les autres, c’est votre
vraie passion. Vous soutenez les malades, les gens défavorisés, les femmes
africaines etc… Le 24 février 2017, à Monaco, en partenariat avec la Fondation
Princesse Charlène, en tant qu’ambassadrice de l’AMREF (Association pour la
Médecine et la Recherche en Afrique), vous avez aidé la princesse Charlène à
soulever des fonds pour le projet Kilifi. Etes-vous parvenu à en réunir
énormément ?
C’était l’AMREF Monaco
en partenariat avec la Fondation de la princesse Charlène, pour aider les
enfants africain à apprendre à nager. Sauver des vies en luttant contre les
noyades. En Afrique, on recense énormément de noyades parce que les enfants ne
savent pas nager. Il faut donc leur enseigner les mesures de prévention et leur
apprendre à nager. Oui, à cette soirée, nous avons récolté énormément d’argent.
Pierre Frolla, Princesse Charlène de
Monaco et Caterina Murino
Comment est la
princesse Charlène ?
Elle est adorable,
généreuse. C’était vraiment une très jolie rencontre. A cette soirée, j’étais
assisse à côté de Pierre Frolla, le recordman du monde de plongée en apnée.
Pierre Frolla est devenu l’ambassadeur de la fondation Princesse Charlène. Il
se consacre à l’enseignement de sa passion et à l’apprentissage de la natation.
En octobre dernier,
vous renouvelez l’expérience avec une soirée caritative pour la Fondation Arc,
pour la lutte contre le cancer du sein. Cette fois, les deux maîtresses de
cérémonie sont Marie Drucker et vous. Ce soir-là, vous interpellez
magnifiquement les 130 convives, avec ces mots bouleversants : « Ma
mère a eu un cancer du sein, mon père un cancer de la prostate. Dieu merci, ils
s’en sont sortis. Je vous demande juste de vous faire un cadeau :
faites-vous dépister le plus tôt possible ». Pensez-vous que la lutte
contre le cancer est une lutte contre la montre ?
Je redis exactement ce
que j’ai dit. Ma première belle-sœur est morte à 40 ans d’un cancer du sein, en
laissant un enfant de huit mois, et un de quatre ans. Elle était très jeune,
elle n’a pas songé à se faire dépister. Cela a été très douloureux pour moi.
Avec ma mère puis mon père, on a revécu la même expérience, mais grâce au
dépistage, on a pu arrêter à temps l’évolution de la maladie. Je demande et je
n’arrêterais jamais de demander d’aider la Recherche, parce que j’ai vu déjà
qu’en très peu de temps la Recherche avait fait des pas de géant. Il faut aider
la Recherche pas seulement avec des fonds mais surtout avec des campagnes
de dépistage. Il faut absolument se faire dépister. Certaines femmes disent que
cela leur fait mal de faire une mammographie, je leur réponds que cet examen
douloureux qui dure 40 secondes, peut leur sauver la vie et leur éviter la
chimiothérapie, la radiothérapie et les opérations. Il faut être sensé et se
faire dépister le plus vite possible. Aidons la Recherche et aidons-nous
nous-mêmes ! C’est que j’ai compris à travers toutes ces épreuves que la
vie m’a données. Quand j’ai su que ma mère était malade, je me suis dit que je
n’allais pas m’en sortir… C’était trop douloureux… C’était tellement
insurmontable… Je ne savais pas comment j’allais trouver la force pour lutter
contre ça… Et quand j’ai su que ma mère n’avait « que » le cancer
du sein, qu’il n’y avait pas de métastases, que les autres organes n’avaient
pas été touchés, j’ai commencé à relativiser. Je me suis dit, je pense que je
peux y arriver. Je vais faire face et trouver en moi la force, grâce à ma famille,
pour affronter tout ça et venir à bout de ce mal. Il faut comprendre que la vie
nous donne des épreuves, des croix…
Est-ce pour cette
raison, qu’aujourd’hui, vous voulez sauver les gens ?
Moi, c’était mon rêve,
comme vous le savez, de devenir médecin… Même petite, je voulais déjà sauver
les autres ! Mon chéri m’a dit l’autre jour : « Mais arrête, tu
ne peux pas sauver tout le monde ! »
Mais c’est
magnifique ! C’est tellement rare cette générosité !
Cela me détruit
réellement de voir les autres malheureux. Je ressens une douleur intérieure
très forte. Je pleure. Quand je vois quelqu’un d’autre souffrir, je souffre…
C’est tout à votre
honneur ! Vous avez une belle âme !
Je ne sais pas, mais
cela me rend malheureuse…
En même temps, ce
combat vous rend heureuse… Sauver, partager, donner. Redistribuer aussi parce
que vous avez beaucoup reçu de la vie…
C’est ça…
Pour vous, sauver
c’est aimer ?
En fait, je rêve d’un
monde idyllique. Un monde où les êtres ne souffrent pas, un monde avec plus de
joie… Un monde sans malheurs…
Pour finir, on dit que
vous êtes pressentie pour incarner dans le biopic consacré à Ingrid Betancourt,
le rôle de l’ex-otage des Farc. Est-ce que ce projet de film va bientôt voir le
jour ?
Le film sur Ingrid Betancourt est toujours en quête de financement. J’espère qu’il verra le jour prochainement. C’est une femme tellement complexe et intéressante…
Propos recueillis par Isabelle Gaudé
Tournée théâtrale en Italie du 27
février à la fin mars
A voir absolument à
Noël et en 2019
Caterina Murino nous
fait rêver…
Du 30 novembre à la
fin janvier, à la Maison Goralska Joaillerie, au 12 rue de la Paix, à Paris,
venez découvrir les magnifiques créations signées Caterina Murino, des pièces
uniques en filigrane (l’or torsadé), une collection de bijoux de toute beauté
d’inspiration sarde. Pour chaque bague vendue « Fili di Vento », 25 euros
seront reversés à L’AMREF, et à sa campagne « Stand up for African
Mother’s » association, dont Caterina Murino est la marraine, et qui vise
à la formation des sages-femmes dans les pays d’Afrique. Le Beau et le Bon…
2016. Google publie un
classement des destinations week-end les plus prisées parmi les villes
européennes. A la surprise générale, Deauville s’arroge la quatrième place.
Devancée par Londres, Venise et Barcelone, mais se classant devant Paris, la
cité balnéaire normande rallie tous les suffrages. Plébiscitée par tous
(touristes, visiteurs occasionnels ou habitués) la ville bat chaque année des
records de fréquentation. Et pour cause. Véritable aimant à rêves, Deauville
n’en finit pas de fasciner. Ville attractive, capitale du cheval, ville des
amoureux depuis « Un Homme et une Femme », ville du glamour avec son
sublime casino, ses palaces de rêve, ses boutiques de luxe, son goût du
plaisir, sa parade des planches, sa plage mythique (deux kilomètres de sable
fin piqué de parasols multicolores), la perle du Pays d’Auge regorge
d’attraits. Et de mystères. Car il émane de Deauville un je ne sais quoi de
magique. Comme une promesse de bonheur. Un parfum d’exaltation et d’existence
heureuse. D’abord, il y a l’océan. Ces magies de la mer, ces couleurs du ciel,
la vibration du vent, la lumière de l’aube. Ces visions éblouissantes d’une
nature inlassablement belle. Énigme de cristal aux ciels changeants, fille de
la terre et de la mer, la belle normande semble n’être chaque fois ni tout à
fait la même, ni tout à fait une autre… Sa splendeur naturelle se prolonge
jusque dans l’élégance arborée de sa station, sa beauté architecturale, ses
magnifiques villas. Unique en son genre, Deauville n’a pas son pareil pour
éblouir. Il y a chez elle, quelque chose d’indéfinissable, comme un éclat, une
miraculeuse harmonie, une poésie qui nous laisse sous le charme.
Résultat : on ne peut y séjourner une fois, sans souhaiter y revenir mille
fois. Irrésistible Deauville, qui se goûte, se savoure pour un séjour, un été,
une année, une vie.
Le miracle de Deauville est de susciter tous les mirages. Celui de la richesse, avec le jeu, les courses hippiques, les ventes de pur-sang. Ici, on vibre, on flambe, les fortunes se font et se défont dans un vertige, une griserie fiévreuse qui a fait la légende de Deauville. C’est aussi l’invitation au luxe – ultime émanation de la beauté -, l’incitation à la beauté, le rendez-vous de la mode, de la couture et de l’élégance. Avec son penchant pour le prestige, les paillettes, le faste, les fêtes et les festivals, les tapis rouge et les célébrités, Deauville respire le mystère, le rêve, et inspire l’amour. C’est la ville des coups de foudre, la cité romantique par excellence. Car tout est possible à Deauville… C’est ce qu’a merveilleusement compris son maire, Philippe Augier. Cet homme visionnaire, a fait, d’année en année, de sa ville, la ville de tous les possibles. Grâce à lui, Deauville ne connait plus de limites. Il lui offre tout : une fabuleuse politique événementielle. Deux festivals de cinéma dont un sublime festival américain qui ravit un public toujours plus large. Des ventes prestigieuses de Yearlings où se pressent la planète toute entière. Non content d’assurer à sa station balnéaire une notoriété mondiale grâce à la filière équine, Philippe Augier lui donne davantage encore : une incroyable vitalité culturelle. L’art et la culture ne cessent de se rencontrer à Deauville. Avec des concerts prestigieux, de remarquables expositions de peintures et de photos. Mais aussi des voyages dans la littérature couronnés par plusieurs prix littéraires dont « Le Prix Littéraire de la Ville de Deauville » présidé par Jérôme Garcin. Philippe Augier porte un tel amour à sa ville, qu’en 2017, il réalise même l’impossible : faire de sa station balnéaire la cité de la philosophie. Grâce à son inventivité, cet esprit brillant et lettré va offrir à Deauville une nouvelle métamorphose. Car il est persuadé – à juste titre d’ailleurs – que la capacité à se réinventer de Deauville est infinie. Résultat : la philosophie est à l’honneur à Deauville avec des conférences de philosophie données par Michel Onfray, des colloques par Régis Debray. On y débat, discute, polémique. Deauville, ville de la pensée. A vrai dire, depuis 17 ans, le très charismatique maire de Deauville n’a eu de cesse d’exploiter toutes les potentialités de cette région qui lui tient tant à cœur, se battant pour offrir le meilleur à sa ville et à la Normandie. Ses ambitions pour elles n’ont jamais connu de limites, et c’est admirable. Il a fait aussi le pari de rendre ses administrés heureux. Pari réussi.
Vous êtes maire de Deauville depuis 17 ans, un maire très apprécié de ses administrés. Serez-vous tout naturellement candidat aux Municipales de 2020 ?
Pour l’instant aucune
décision n’est prise. Mais si je vais bien, j’y réfléchirai positivement…
Machiavel
disait : « Gouverner c’est faire croire ». Est-ce votre
conception de la politique ?
Je préfère la formule
de Mendes France : « gouverner c’est prévoir ». Je crois que
plus que jamais les élus doivent anticiper, à une époque où le monde
s’accélère, se transforme totalement du fait de la mondialisation et des
nouvelles technologies.
Avez-vous des modèles
en politique ?
Mon modèle fut mon
mentor, Michel d’Ornano. Il a été l’un de mes premiers liens avec Deauville, et
avec la politique. Il était directeur de campagne de Giscard en 1974 quand
j’étais moi-même le meneur de la campagne « Giscard à la barre ». Je
travaillais à ses côtés. C’est un homme pour qui j’ai toujours eu beaucoup
d’admiration et d’affection.
Vous appréciez
Emmanuel Macron. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Très tôt, j’ai été
séduit par Emmanuel Macron, bien avant qu’il ne soit candidat. Ce qui m’a plu
chez lui, c’est sa vision de l’avenir. Mon premier contact direct avec lui, en
tête-à-tête, a eu lieu en octobre 2015, il était alors ministre à Bercy. Pour moi,
il incarnait un vieux rêve politique, qui était de supprimer ce
dualisme droite-gauche, ce dont rêvait déjà Giscard. La détermination
d’Emmanuel Macron, son absence de crainte en politique, sa façon d’être
au-dessus des jeux partisans me donnaient envie de m’engager auprès de lui. Je
crois que les jeux partisans sont des freins au développement économique, au
développement social, et très tôt, j’ai senti qu’Emmanuel Macron n’avait peur
de rien, qu’il avançait quels que soient les obstacles, et surtout quels que
soient les obstacles politiciens.
Il a redonné aussi du
brio et du brillant à la fonction présidentielle…
En effet. J’ajouterai
aussi qu’il a redonné du crédit à la France dans le monde entier et
qu’aujourd’hui, c’est l’un des hommes d’état les plus écoutés.
Depuis 17 ans, vous
vous donnez « corps et âme » à Deauville, avec un engagement de
chaque minute pour servir votre région et vos concitoyens. Après avoir été
parisien, vous êtes devenu résolument normand. Depuis 2008, vous êtes Président
de la communauté des communes de la Côte fleurie. De 2010 à 2015, vous avez
présidé aussi le groupe centriste au Conseil régional de Basse Normandie.
Quelles sont désormais vos ambitions pour la Normandie ?
En 2015, j’ai choisi
de ne pas être candidat au Conseil régional. A la suite de l’élection de la
nouvelle majorité du Conseil régional, le président Hervé Morin m’a confié la
présidence d’une « Agence d’attractivité de la Normandie « ,
compte-tenu du travail de fond que j’avais réalisé sur la Normandie. J’avais
écrit un livre en 2003, « Mes ambitions pour la Normandie », pour
préparer les régionales de 2004, en vue de la réunification de la Normandie.
Notre vœu a été exaucé et depuis je reste un soutien indéfectible d’Hervé Morin.
Quant à « l’Agence d’Attractivité de la Normandie », elle a pour
objectif de mettre en évidence l’ensemble des atouts de la Normandie, de les
faire valoir aussi bien auprès des normands qui ont besoin de retrouver leur
fierté, leur identité de normands, (un peu comme les bretons ont su le faire),
mais aussi de les faire connaître à l’étranger. Nous avons mis en place tout un
réseau d’ambassadeurs (nous avons près de 3000 ambassadeurs) et nous installons
des clubs d’ambassadeurs dans tous les pays du monde de façon à ce que la
Normandie soit valorisée à l’étranger car elle a beaucoup d’atouts et
d’attraits qui ne sont pas connus.
Deauville fait rêver. Ville de lumières, de plaisir, de people, de glamour, de luxe, de jeux, ville tendance et touristique. Deauville, ville « bling-bling », ou a-t-elle une âme ?
Je pense que Deauville a été « bling-bling », mais elle ne l’est plus dans la mesure où c’est une ville d’élégance, de luxe sans le côté ostentatoire du « bling-bling ». Compte-tenu des services qu’elle offre, du fait de ses palaces, de son casino, de ses magasins de marque etc., Deauville attire beaucoup de gens fortunés, qui s’y trouvent bien. Pourquoi ? Parce que Deauville a su garder son âme. Lorsque je suis arrivé à la Mairie, les villas disparaissaient remplacées par des immeubles. A l’époque, le foncier n’était pas aussi attractif que maintenant, et souvent lors des successions, les maisons revenaient à la troisième ou quatrième génération avec des indivisions terribles. Les descendants ne voulaient pas faire de travaux, ils préféraient vendre leur bien à des promoteurs désireux de construire des immeubles. J’ai tout de suite cherché à stopper ce mouvement-là. Cela a été l’une de mes premières actions. J’ai protégé les villas grâce à la mise en place d’une zone de protection du patrimoine architecturale. Dès que j’ai lancé la procédure, cela a permis de ne plus démolir. Nous avons ainsi protégé 555 bâtiments, ce qui est colossal politiquement. Et nous en sommes fiers car l’âme de Deauville passe par ses villas de style Belle Epoque, ses bâtiments à colombages. Deauville a gardé sa beauté, son élégance architecturale. Par ailleurs, ce qui a donné une nouvelle dimension à la ville, c’est toute la politique culturelle, événementielle, sportive que nous avons développée. Le fait qu’aujourd’hui l’année soit ponctuée de festivals, d’événements sportifs, culturels a donné un supplément d’âme, en tout cas un supplément d’image à Deauville qui n’est plus réputée uniquement parce qu’elle attire des gens riches mais aussi parce qu’il s’y passe toujours quelque chose.
Deauville vit essentiellement du tourisme. Avez-vous l’intention de favoriser la venue d’entreprises pour sédentariser la population ?
Oui, et je crois que
l’une de nos problématiques, c’est la diversification de notre économie qui est
à 90% touristique. La seule façon de procéder, c’est d’attirer des entreprises
du tertiaire. Sauf que dans une cité balnéaire toute petite (Deauville s’étend
sur une superficie de 360 hectares dont 60 de champs de course, soit un sixième
de la ville) il n’y a pas de bureaux. L’une de mes préoccupations, depuis
maintenant plus de dix ans, c’est d’arriver à créer des bureaux de façon à
attirer des entreprises. Il y a eu des opérations privées que nous avons
facilitées, la ville a racheté la grande maison de l’aumônier des
Franciscaines, avec ses 500 mètres carrés que nous avons transformés en
bureaux. Dans les immeubles de la presqu’île qui sont en cours de construction,
il y a un immeuble entier de bureaux. Pour avoir cette offre de bureaux, nous
avons également rénové des locaux de mille mètres carrés que nous avons mis à
la disposition de start-up, orientées vers le tourisme, le sport et la
culture. Nous leurs louons ces locaux à des tarifs préférentiels.Tout cela a
l’avantage d’accueillir de nouvelles entreprises et de jeunes entrepreneurs à
Deauville. Ce qui nous permet aussi d’améliorer notre pyramide des âges.
Mieux que personne, vous ravivez en permanence les lumières de Deauville, avec une politique événementielle de tout premier ordre. Le bonheur des habitants de Deauville vous tient-il à cœur ?
C’est ma première
préoccupation. Que souhaitent les gens pour vivre heureux dans une ville ?
Un cadre de vie agréable, une vraie qualité de vie. Pour ce faire, que
faut-il ? Un enseignement de qualité. Nous avons une école primaire
absolument remarquable en termes d’activités et d’éveil pour les enfants. Il
faut de la médecine. Nous avons aidé à l’installation d’une maison médicale qui
regroupe tous les médecins, les spécialistes, les radiologues, les laboratoires
d’analyses, les kinés, dans un immeuble de 2000 mètres carrés. Là, il y a un
accès facile pour l’ensemble de la population. Il faut de la culture, du sport,
de la convivialité, nous avons développé une vie associative extrêmement riche,
avec plus de 130 associations sur le territoire. Nous avons construit un
complexe sportif. Ces équipements sportifs permettent à la fois la pratique du
sport par les locaux mais aussi l’accueil d’équipes nationales ou
internationales qui viennent s’entraîner, ou la venue d’événements sportifs
importants. Quant à la culture, nous parions sur elle pour développer
l’attractivité de notre ville et son rayonnement international. Nous avons un
festival de photos au mois de novembre, deux festivals de musique classique à
Pâques et au mois d’août, un festival du livre, deux festivals du cinéma (un
festival du cinéma américain, et un festival du film asiatique), il y a ici une
totale diversité de vie culturelle. La culture est une source de lien social.
C’est même un outil de paix, car en découvrant les autres cultures, on comprend
mieux les autres. Nous avons aussi des congrès internationaux sur l’économie,
nous avons eu le G8 en 2011 avec Barack Obama et Nicolas Sarkozy. Le monde et
les cultures se rencontrent à Deauville. Enfin, nous sommes en train de
construire un lieu de vie culturel permanent « Les Franciscaines ».
Nous avons racheté les locaux de la congrégation des sœurs Franciscaines, avec
6000 mètres carrés de plancher sur lesquels nous allons installer un musée, une
médiathèque, des univers thématiques liés au territoire. C’est un concept
totalement innovant, entièrement digitalisé, qui ouvrira en 2020.
Deauville est une ville modèle. Quiconque veut s’offrir une escapade romantique ou un week-end festif, pense tout de suite à Deauville…
En 2016, Google a
sorti un classement absolument hallucinant, « quelles sont les villes
européennes que vous choisiriez en priorité pour passer un week-end
(c’est-à-dire un séjour court) ? ». Et devinez quoi ? Deauville était
quatrième ! Derrière Londres, Venise, et Barcelone ! Et avant
Paris ! C’est magnifique, non ! C’est vrai que l’on essaie de faire
de Deauville une ville modèle, on essaie aussi d’en faire une ville modèle en
matière de propreté, en matière de fleurissement. C’est vrai que parfois
la plage est un peu sale le soir mais elle est nettoyée tous les matins. Comme
les gens sont inciviques, ils jettent leurs détritus sur la plage. On vient de
commencer une campagne de lutte contre l’incivisme, avec des ramassages
symboliques de déchets sur la plage, certains jours de la semaine. Sachez que
Deauville est l’une des seules plages françaises à être intégralement nettoyée
tous les matins entre quatre heures et dix heures du matin.
Cioran disait « Il n’y a de vivant que l’avenir » Avez-vous l’intention d’écrire celui de Deauville ?
Ma vision de l’avenir
de Deauville tient dans les mots clefs que sont nos valeurs. C’est-à-dire la
rencontre, le partage, la culture, la créativité, le plaisir, et le bien-être.
Ce sont ces valeurs-là que les visiteurs rechercheront dans l’avenir pour venir
en villégiature dans les meilleures conditions.
Le réalisateur de « Mission Impossible » affirme qu’une ville aujourd’hui n’existe internationalement que si elle passe au cinéma. Cinquante-cinq films ont été tournés à Deauville et sur Deauville dont « Un homme et une femme », « Je suis timide mais je me soigne », « Sagan », « La Disparue de Deauville », « Hôtel Normandie » etc. Y-a-t-il actuellement d’autres films en préparation ?
Pas à ma connaissance. Mais c’est vrai que le cinéma compte pour beaucoup dans l’aura de Deauville. Je suis tellement convaincu de cela, qu’après cinq ans de pourparlers, j’ai réussi à obtenir que le tournage d’une série télévisée coréenne « The Package » se passe à Deauville. Quand les spectateurs à l’étranger découvrent une ville au cinéma, ils s’y précipitent ensuite. Depuis la diffusion de cette série, nous avons remarqué une affluence de Coréens à Deauville. Non seulement la série « The Package » a été diffusée en Corée mais le producteur a vendu la série en Chine, ce qui veut dire que les Chinois vont sans doute venir à Deauville.
Deauville, c’est le Festival du Cinéma Américain avec ses 70 films présentés au public. Se déroulant cette année du 31 août au 9 septembre, il sera présidé par l’actrice Sandrine Kiberlain. Sachant que le festival accueille plus de 60 000 visiteurs durant dix jours, quelles sont les retombées économiques pour Deauville ?
Le festival a été créé
en 1975, par Michel d’Ornano, pour prolonger la saison. C’était une époque où
Deauville ne vivait que deux mois par an. Le dernier dimanche d’août, le Grand
Prix de Deauville clôturait la saison, tous les rideaux de fer tombaient,
c’était fini. Aujourd’hui, le festival, ce sont des retombées économiques
importantes, puisque pendant dix jours, (quand le festival a été créé, il ne
durait que trois jours), ce sont des visiteurs qui remplissent les hôtels, les
restaurants, les commerces au mois de septembre. Après, il y a aussi des
retombées d’image, c’est quand même le deuxième festival de cinéma en France
après Cannes, et puis il y a cette image des acteurs, des metteurs en scène qui
viennent à Deauville, qui inscrivent leur nom sur les Planches comme sur Sunset
boulevard.
Deauville est-elle une
ville amie des américains ?
Deauville est une
ville profondément attachée aux USA. Elle l’a été d’autant plus que ma
prédécesseur Anne d’Ornano avait la double nationalité, elle avait été élevée
aux USA et était très proche des Américains. Aujourd’hui, j’envoie tous les
CM2, chaque année, fleurir des tombes des soldats du Kentucky à
Colleville-sur-mer, le grand cimetière qui est sur la colline au-dessus de la
mer, pour maintenir ce lien avec les Etats-Unis. Autre lien : nous sommes
jumelés avec Lexington, nous avons chaque année trois étudiants américains qui
viennent enseigner l’anglais dans notre école maternelle et notre école
primaire. Au mois de juin, les enfants de maternelle et de primaire, donnent
leur spectacle de fin d’année en chantant des chansons en anglais. Nous avons des
accords d’échanges réciproques avec une université dans le Kentucky, nous
envoyons certains de nos lycéens pour des séjours linguistiques avec
l’Université du Kentucky. Oui, nous entretenons des liens très forts avec les
Américains.
Au Festival du Cinéma
Américain, vous avez la chance d’accueillir les plus grandes stars du cinéma
américain. Avez-vous des préférences pour certaines ?
Mon dernier coup de
cœur, du fait à la fois de sa beauté et de son intelligence, était Cate
Blanchett. Bien avant qu’elle ne soit Présidente du jury de Cannes, elle était
chez nous, il y a trois ans pour son film « Blue Jasmine ». On a
dîné deux fois, l’un à côté de l’autre et c’est comme ça que je peux dire
qu’elle est très cultivée et très intelligente. Sa beauté, on peut la voir sur
les écrans.
Et parmi les acteurs, certains sont-ils devenus vos amis ?
L’un de mes souvenirs
les plus marquants, c’est d’avoir accueilli à dîner à la maison, en même temps,
Francis Ford Coppola et George Lucas ! Avec Coppola, nous n’avons pas
beaucoup évoqué le cinéma, nous avons plutôt parlé de vin, parce qu’il a des
vignes en Californie. J’ai dîné aussi avec Harrison Ford, avec Sydney Pollack
qui est un type génial ! Souvent des liens se créent avec le jury.
Vous occupez-vous du
Festival du Cinéma Américain ?
Pas directement, le festival appartient à la ville de Deauville, qui délègue l’organisation à notre palais des congrès, lequel palais des congrès a un contrat avec Le Public Système, qui a un département cinéma dirigé par Bruno Barde, et c’est eux, sur le plan artistique, qui organisent le festival. Je me rends au festival tous les soirs (je ne peux pas y aller dans la journée parce que c’est la rentrée et que je travaille) pour recevoir nos invités. A l’ouverture du festival, nous recevons l’ambassadeur ou l’ambassadrice des Etats-Unis. J’aime l’effervescence du festival parce que cela fait partie de la vie de Deauville et de son image, et je fais ce qu’il faut pour. J’avoue que c’est particulièrement agréable et intéressant de côtoyer des grandes vedettes, de rencontrer des réalisateurs, des acteurs, des cinéphiles.
Deauville n’en oublie pas pour autant les causes humanitaires, elle qui organise toute l’année des événements au profit d’associations caritatives…
Oui, énormément de
dîners caritatifs se déroulent à Deauville, certains internes à la ville comme
la Croix-Rouge locale, le CCAS, (le comité communal d’action sociale qui
finance les aides aux personnes en difficulté), d’autres organisés par des
associations deauvillaises ou non, comme le gala de Just Word International qui
s’occupe d’enfants en Afrique, ou durant plus de dix ans, le dîner de Care
France. Nous avons aussi nos clubs services Rotary et Lion’s qui sont très
actifs…
On ne peut évoquer
Deauville sans parler des magnifiques ventes de Yearlings, réputées dans le
monde. Le yearling est un poulain ?
Le yearling est un
cheval qui a entre 1 et 2 ans. L’âge des chevaux se calcule selon l’année
civile. L’année de leur naissance, ils sont foal (poulain). Au premier
janvier suivant leur naissance, ils deviennent yearling jusqu’au premier
janvier suivant. Il existe des yearlings de pur-sang anglais, une race fondée
en Angleterre. On a aussi les ventes de Yearlings de trotteur qui est une autre
race et qui, elles, se déroulent en septembre.
Depuis des années,
vous galvanisez comme personne le marché hippique. Grâce à vous, les enchères
flambent, et le chiffre d’affaire s’envole…
Ce fut mon premier
métier et mon premier lien avec Deauville. Avant d’être maire, je dirigeais la
société qui organisait les ventes de chevaux à Deauville. A
l’époque, « L’Agence française de vente de Pur-sang » se
trouvait à Paris. Quand j’ai été élu ici, pour mon premier mandat comme
maire-adjoint, j’ai transféré tous mes bureaux à Deauville. Lorsque je suis
devenu maire de Deauville, j’ai vendu la société (aujourd’hui rebaptisée par
mes successeurs « Arqana ») et je me suis retiré. Aujourd’hui, je n’ai plus
d’activités dans le milieu hippique mais je continue à vendre un peu à la
tribune, aux enchères parce qu’on m’a demandé de rester et que cela m’amuse.
C’est une façon de conserver un lien professionnel avec ce monde, et pas
seulement un lien mondain. C’est vrai que la grande notoriété de Deauville dans
le monde est due, avant tout, au cheval. Deauville est la capitale du cheval.
C’est vrai aussi que j’ai fait de cette société qui organise les ventes, la
troisième dans le monde, en termes de chiffres d’affaires. Je l’ai développé à
l’international et aujourd’hui les cinq continents sont représentés dans ces
ventes qui ont lieu chaque année mi-août et ont permis de faire connaître
Deauville dans le monde entier. Imaginez, le week-end du 18-19 août à Deauville,
vous avez les courses hippiques, les ventes de Yearlings, un concours hippique
international top niveau, et le polo. Pas mal non ?
Superbe ! Toute
la planète, le Japon, les USA, l’Irlande, l’Angleterre, les Emirats se pressent
à ces ventes. Depuis le début de celles-ci, quel a été le cheval le plus
cher ?
Le yearling de
Pur-sang le plus cher a été vendu 2 millions 600 000 euros. Sinon le
cheval le plus cher reste un cheval trotteur, l’acheteur a déboursé 3 millions
d’euros pour l’acquérir.
A Deauville, il y a un
Cheikh qui a une villa magnifique, une propriété de toute beauté, refaite à
l’identique, en front de mer. On dit qu’il ne vient qu’une fois par an, pour
les ventes…
Oui, il vient pour les
ventes de Yearlings, mais il ne va pas dans sa propriété. Il préfère descendre
à l’hôtel, au Normandy, avec toute sa suite. Il s’agit de Cheikh Mohammed Al
Maktoum, le premier ministre de Dubaï. Dubaï appartient à la famille Maktoum.
Dans la famille dirigeante de Dubaï, il y a plusieurs frères et Cheikh Mohammed
est le leader de la famille. Ce n’est pas lui d’ailleurs qui avait repris la
villa, c’était son frère aîné qui s’appelait Maktoum Al Maktoum, qui est décédé
depuis. Mais la villa est restée dans la famille.
Les Emirats sont-ils
les acheteurs les plus importants à ces ventes de Yearlings ?
Cela s’est
considérablement diversifié dans la mesure où maintenant les Emirats ont leur
propre élevage, ils élèvent leurs propres chevaux, donc ils ont moins besoin
d’acheter des yearlings, mais vous avez aujourd’hui des acheteurs australiens,
japonais, américains du sud, chinois. Les Chinois commencent à avoir des
chevaux de course aussi. Les Français achètent un peu, restent la part la plus
importante du chiffre d’affaires, mais n’investissent pas au même niveau que les
richissimes moyen-orientaux, japonais ou autres.
Depuis peu, la
philosophie s’invite aussi à Deauville. Deauville est devenue la nouvelle cité
des philosophes ! Cette année, le philosophe normand Michel Onfray a
quitté Caen, pour donner, dans le cadre de son université populaire, un cycle
de conférences à Deauville au CID. Etes-vous à l’origine de cette superbe
initiative ?
Oui ! Cela s’est
passé de la façon suivante : Michel est un ami. Quand il s’est fait
« expulser » de l’université de Caen, il y a deux ans et demi
maintenant, je lui ai dit, un peu comme une provocation : « Viens
faire tes cours à Deauville ! » Il m’a d’abord dit non, d’une part,
parce qu’il était très attaché à Caen, et d’autre part, parce que Deauville lui
semblait un endroit un peu « curieux » pour dispenser ses cours.
L’année suivante, il a donné ses cours à un endroit qui s’appelle « La
Fonderie » à Hérouville Saint-Clair, dans la banlieue de Caen. Puis
l’année suivante au Zénith de Caen. Tout ça coûtait trop cher, Michel a voulu
revenir à l’Université de Caen mais les universitaires ont tout fait pour qu’il
ne revienne pas. Donc, là, il m’a appelé en décembre dernier, en 2017, et m’a
dit « Ta proposition tient toujours ? ». J’ai répondu « Bien
sûr ! », et là j’ai appelé le Palais des Congrès, j’ai dit
« Faites ce qu’il faut pour qu’il puisse s’installer « .
Résultat : ces quatorze cours ont connu un succès considérable. Tout le
monde se réjouissait d’y assister, y compris ceux qui ne pensaient pas comme
Michel Onfray. Ses cours donnaient à réfléchir, suscitaient l’étonnement. Il y
a eu 14 cours au premier semestre (du 21 janvier à juillet 2018) et nous
repartons à la rentrée, en octobre prochain pour un an (cela dit, je pense que
si Michel Onfray a l’opportunité de retourner à Caen, il y retournera, car il y
est très attaché). Enfin, pour l’instant, il est chez nous, et tout le monde
est ravi. A chaque conférence, il y a plus de mille personnes dans le
public !
Soit, presque un tiers
de la ville, puisque Deauville compte à peu près 3800 habitants !
Mais il n’y a pas que
des Deauvillais, les Caennais viennent, les gens viennent de Lisieux, de
partout !
Dans son essai
« Décadence », Michel Onfray prédit la fin de la civilisation
occidentale. Philippe Muray affirme lui, dans « Festivus Festivus »
que « la fin du monde est déjà derrière nous »… Qu’en
pensez-vous ?
Vous pouvez considérer
que la civilisation est en souffrance avec l’ultralibéralisme, le consumérisme,
le nihilisme etc. mais cela fait partie de la civilisation, c’est la civilisation
d’aujourd’hui et c’est la nôtre. A vrai dire, la civilisation n’est pas en
déclin, elle est en pleine évolution… Il y a un phénomène d’accélération de
cette évolution du fait des nouvelles technologies qui font changer notre
monde. La civilisation évolue du fait de la mondialisation, de la
simplification des transports. Aujourd’hui, les jeunes qui font des études et
qui ont un peu d’ouverture d’esprit sont des citoyens du monde. C’est quoi la
civilisation au regard d’un citoyen du monde ? C’est le cosmopolitisme. Le
monde a vécu de migrations, et chaque fois qu’il y a des migrations, la
civilisation évolue parce que les cultures se mélangent, se renouvellent. Je
trouve que l’on traite mal du problème de la migration. Ici, j’ai créé, l’année
dernière, avec Régis Debray, « Le Collège des Mondes possibles ». Pour
l’instant, nous n’avons eu qu’une première cession. La prochaine cession sera
en octobre. « Le Collège des Mondes possibles » veut traiter de
problèmes fondamentaux du monde sur le temps long. De nos jours, quelle
que soit l’importance du problème, on le traite dans l’immédiateté et dans le
temps médiatique. Concernant les migrations, les gens n’ont qu’un sujet en
tête, c’est Calais. Maintenant, c’est plutôt Ouistreham d’ailleurs ! On
traite ce problème à court terme, alors qu’il y a depuis toujours des dizaines
de millions de gens sur les routes terrestres et maritimes dans le monde
entier. Vous avez les migrations climatiques, les migrations politiques, les
migrations économiques. Les migrations sont de toutes natures. Dans quarante
ans, l’Afrique comptera deux milliards d’habitants, donc ces gens vont bouger.
Vous avez déjà 150 millions de gens déplacés du simple fait du climat. C’est à
cette échelle là qu’il faut traiter le problème des migrations. Cela a été
notre premier thème. Le prochain, sera le numérique. Qu’est-ce que le numérique
va changer dans notre monde ? Sur le plan politique au sens noble du
terme, sur le plan du droit.
Les gens aujourd’hui
sont en quête de sens, pensez-vous que la philosophie peut les aider à trouver
la vérité ?
Bien sûr ! Tout
ce qui peut les amener à réfléchir est souhaitable, la philosophie bien sûr,
mais aussi la littérature. Parce que c’est à travers la littérature que l’on se
construit. A Deauville, il y a un festival du livre, mais il y a aussi une vie
littéraire tout au long de l’année. On a un prix littéraire « Livres et
Musiques de Deauville » dont le jury est présidé par Jérôme Garcin. Et un
« Prix de la ville de Deauville » avec un jury qui n’est composé que
d’écrivains ayant une maison dans le coin. Nous avons aussi un « Prix du
Public » et un « Prix des Ados », (organisé grâce au financement des
espaces culturels Leclerc.) Cette année, 3800 ados ont voté pour le « Prix
des Ados » sur la Normandie, avec 65 établissements et lycées, 131 classes
(des élèves qui sont en première et en terminale). Quand nous avons remis le
prix au CID, sur les 3800 votants, 2000 sont venus. Tous les auteurs nominés
étaient là sur la scène, avec leur livre, à expliquer leur démarche. Les ados
étaient ravis de participer à ce « Prix des Ados ». Preuve que les
jeunes lisent encore… Autre chose que l’on fait à Deauville et qui est
complètement atypique, c’est une distribution des prix. Le nombre de bouquins
que l’on fait rentrer dans les familles qui n’en ont pas, vous n’avez pas
idée ! Accompagné de mes adjoints, je remets les livres aux jeunes, et je
leur demande : « Y-a-t-il a des livres chez toi ? ». Beaucoup
répondent « ben non, pas énormément ». Donc, tout ce qui peut les inciter
à lire est souhaitable… Depuis plus de 20 ans, d’ailleurs, dans chacun de mes
dîners, chaque invité reçoit un livre dans son assiette. Quand je le connais,
évidemment le livre a un rapport avec lui. Ce petit présent a un triple intérêt
: le premier, c’est une attention personnelle à laquelle les gens sont
sensibles. Le deuxième, c’est qu’au moment où chacun trouve son bouquin dans
son assiette, j’explique pourquoi j’ai choisi ce livre et cela me permet de
présenter tout le monde à tout le monde, et troisième intérêt, cela lance la
conversation autour de la table, sur des sujets autres que le dernier sondage
ou la météo. Cela fait plus de vingt ans que je procède ainsi !
Etes-vous d’accord
avec Henry Miller qui estime « qu’ on ne reçoit jamais trop d’amour
dans la vie et on en donne jamais assez » ?
Mille fois
d’accord ! J’ai rencontré Henry Miller à Big Sur, en 1977, en Californie.
J’avais été invité par le gouvernement américain, grâce au programme des
« Young leaders ». J’ai passé cinq semaines aux USA en choisissant où
je voulais aller, qui je voulais rencontrer, et on organisait mes rencontres.
C’était génial ! J’ai aussi rencontré Ronald Reagan qui était gouverneur
de Californie.
Dans la mémoire
collective, Deauville est associée à la ville de l’amour, celle de la rencontre
d’un homme et d’une femme, de Jean-Louis Trintignant et d’Anouk Aimé sur les
planches. Cette image de Deauville vous plait-elle ?
Elle me plait
énormément car elle correspond à la réalité ! Et d’ailleurs, on essaye de
valoriser cette image en permanence. Par exemple, en 2010, puisque j’avais fait
le pari de faire un événement par jour pour le cent cinquantenaire de la ville
de Deauville – et on l’a fait ! – le jour de la Saint Valentin, avec
Claude Lelouch, on a reconstitué le baiser de Jean-Louis Trintignant et d’Anouk
Aimé. Mille couples se sont embrassés. J’ai donné le nom d’une petite place de
son vivant à Claude Lelouch, sur les planches, à l’endroit même où dans le
film, la mustang arrive au petit matin et fait des appels de phare. C’est sur
la place Claude Lelouch, que Claude a fait la connaissance de sa dernière
femme, ce jour-là ! Deauville est donc bien la ville des amoureux !
Vous êtes un esprit
curieux et déterminé, un homme d’action et de conviction qui déteste
l’injustice. Mais êtes-vous un homme sentimental ?
Je suis assez
sentimental, et très sensible. J’aime les gens, et j’aime être aimé d’eux.
Deauville, c’est une petite ville. A l’égard des habitants permanents, je gère
cette ville comme une immense famille. Je les connais pratiquement tous, et
nous nous occupons de ceux qui en ont besoin. Mais en politique politicienne,
l’affect, c’est un handicap. Il faut être dur, cynique. Cynique, c’est tout le
contraire de moi…
Enfin, vous
concertez-vous avec Dominique Desseigne, le PDG du Groupe Barrière, pour créer
des événements sur Deauville ?
Oui, nous travaillons de concert avec Dominique Desseigne. Je l’estime, je l’apprécie, et je l’aime bien parce qu’il est très attaché à Deauville, et qu’il nous soutient vraiment. Nous avons des intérêts communs. Par exemple, c’est le Groupe Barrière qui a cofinancé le CID qui est notre Palais des Congrès. Je ne ferais pas la moitié de ce que je fais si je n’avais pas le Palais des Congrès. Pour le festival de Pâques de musique qui est absolument magnifique, Le Groupe Barrière donne 200 000 euros par an. On essaie sur les événements importants publics comme le Polo, de cofinancer Groupe Barrière et ville. Pour le Festival du Cinéma Américain, le groupe Barrière met 2700 nuitées à disposition du festival, et offre le dîner d’ouverture et le dîner de clôture. C’est un soutien incomparable pour la ville de Deauville.
Il est l’artiste
français contemporain le plus vendu au monde. Mais il est surtout un immense
sculpteur. En quelques années à peine, son œuvre s’est imposée par son audace,
son originalité, son inventivité. Quel est le secret de cette victoire ?
Un bestiaire à couper le souffle. Des loups blancs, des ours polaires, des
gorilles noirs, des crocodiles rouges flashy, des panthères chromées, des lions
bleus. Un vestiaire tout aussi éclatant, avec ses perfectos roses, ses jeans
argentés, ses stilettos laqués vermillon… Un arc en ciel de couleur pour une
fête artistique.
Chez Richard Orlinski,
l’ours blanc, le lion doré ou le tigre argenté ne sont pas de simples
représentations multicolores mais une présence vivante, palpable, dont on
perçoit la chaleur animale. Car Richard Orlinski fait mieux qu’imiter la vie,
il la fait naitre sous ses doigts. D’un seul coup, l’animal palpite, vibre, se
cabre, rugit. Paradoxalement, c’est en exhibant la violence animale, les crocs
effrayants du gorille, les mâchoires acérées des crocodiles, que ces œuvres
d’art nous aident à canaliser notre violence humaine, à dominer notre
agressivité galopante, à la métamorphoser en douceur et tempérance. Par leur
proximité esthétique, ces animaux ont un effet apaisant sur nous. Ils nous
obligent à nous réconcilier avec nous-même. Mieux qu’une thérapie, c’est le
triomphe de la beauté, de l’harmonie, de l’amour sur nous. Pour ce faire, Richard
Orlinski n’a pas besoin de civiliser ses animaux, lesquels « sont plus humains
que les humains ». Plus sages aussi. Il les a simplement corrigés à son
image. « Voir le monde comme je suis, non comme il est » disait
Eluard…
Dès lors, rien de plus
beau que cette sculpture monumentale de 6 mètres de haut, campée sur les
hauteurs de Val d’Isère, qui flirte avec les nuées. A la verticale, dressé vers
le ciel, un ours polaire, immaculé, les pattes lancées vers l’azur en une sublime
assomption, en une tendre accolade, nous invite à le rejoindre. Est-ce pour
nous étreindre ? La sculpture s’élève, s’accorde, s’encorde à la structure
cosmique, aux glaciers, aux cimes, à la montagne magique, au ciel azuréen. La
lumière ruisselle sur sa chair transparente. C’est la pesanteur et la grâce.
L’immobilité et le dynamisme. Eblouissement.
L’artiste que nous
avons rencontré est à la hauteur de ses magnifiques sculptures. Simple, direct,
adorable; la marque des grands. D’une belle supériorité morale, généreux,
altruiste. On tombe instantanément sous le charme de son optimisme contagieux,
comme on tombe immédiatement sous le charme de ses sculptures.
Rencontre avec un artiste au grand cœur.
En quelques années,
vous avez réussi l’exploit de devenir l’artiste français contemporain le plus
côté au monde. Vos œuvres sont présentes dans plus de 90 galeries aux quatre
coins de la planète. L’enfant de quatre ans que vous étiez, qui modelait de
petites figurines, serait-il fier de l’adulte que vous êtes devenu ?
Peut-être ! Je ne
sais pas… Il faudrait lui demander ! Malheureusement, il n’est pas
là !
Il est peut-être
encore en vous…
Faut que je lui
téléphone ou que je me connecte à lui… Plus sérieusement ! Je ne sais pas
s’il ressentirait de la fierté mais en tout cas, cela ressemble à une espèce
d’accomplissement.
Vous attendiez-vous à
un tel avenir ?
Pas du tout !
C’est une heureuse
surprise alors ?
Non, ce n’est pas une
surprise. Je m’attendais à quelque chose parce que j’avais des ambitions.
Effectivement après, il faut encore les réaliser…
Il y a quelque chose
de très juvénile qui transparaît dans vos sculptures, juvénile au bon sens du
terme. Comme si vous aviez gardé une âme pure, intacte, une âme d’enfant. Vos
sculptures ressemblent à des cocottes en papier, des pliages monumentaux.
Est-ce pour cette raison que les enfants adorent votre œuvre ?
Effectivement,
certaines oeuvres ressemblent à des origamis. Mais je crois surtout que c’est
le thème animalier qui plait aux enfants, l’émotion immédiate qu’ils éprouvent
en présence de ces animaux.
A l’occasion de son 25ème anniversaire, le
parc Disneyland Paris a fait appel à vous pour revisiter son Mickey. Vous avez
donné vie à un Mickey magicien, bleu, de toute beauté. Ce privilège rare,
est-ce une reconnaissance pour vous ?
Oui, c’est une vraie
reconnaissance. C’est aussi, quelque part, rentrer dans l’histoire ! De
savoir que mes enfants, mes petits-enfants, les générations futures pourront
acquérir une œuvre revisitée par moi, c’est pour moi un honneur. De plus,
Disney m’apporte quelque chose d’assez unique puisqu’il me permet de
démocratiser l’art, de le rendre accessible à tous. Je suis un artiste
populaire au bon sens du terme. L’idée, c’est de parler à tout le monde. A
partir du mois de juillet 2017, ces petites figurines de Mickey magicien seront
en vente à quelques dizaines d’euros (ndlr, 49 euros). Aujourd’hui, vu la
qualité de l’œuvre, j’aurais été incapable de réaliser des sculptures à ce
prix-là, cela coûterait beaucoup plus cher, et là Disney me donne la
possibilité de réaliser mon rêve : partager avec le plus grand nombre.
C’est vraiment superbe !
Ce Mickey magicien se
décline-t-il en plusieurs couleurs ?
Il va se décliner
aussi en chromé avec l’étoile bleu. Bleu et argent, c’était les couleurs du 25ème anniversaire du
Parc Disneyland Paris. Mais on va probablement le faire dans d’autres couleurs…
Le monde de l’art
français, les critiques d’art apprécient-ils votre œuvre ? Ou la
boudent-ils au motif que vous êtes médiatique, célèbre, apprécié et jet
set ?
Il y a une frange, une
intelligentsia qui boude effectivement mes œuvres. Un petit milieu de gens
bien-pensants qui croient faire le monde de l’art. Qui s’autorisent même des
critiques très acerbes à l’égard de mes sculptures. D’une part, parce que je
n’ai pas suivi le cursus artistique classique, d’autre part, parce que je
dérange, que je n’ai pas eu besoin d’eux, que j’ai du succès, que je refuse les
étiquettes. D’ailleurs, ce genre de comportement, c’est très français !
Dans les autres pays, je ne rencontre pas ce problème…
En réalité, vous avez
d’abord été reconnu par les Américains avant d’être reconnu par les
Français ?
Tout à fait ! Il
y a un French bashing en France. Il faut savoir que dans l’hexagone, on a du
mal à reconnaître nos artistes. Il y avait dernièrement un article au
Sénat qui évoquait le peu de présence des artistes français à la FIAC.
Imaginez, pas un seul artiste français n’a exposé sur les Champs-
Elysées ! On a fait appel à Botero, à des chinois, des japonais, mais il
n’y a jamais eu de français. En France, il y a un certain snobisme, on préfère
importer des artistes de Russie, d’Inde, de tous les autres continents. En
revanche, quand vous allez aux Etats-Unis, vous découvrez qu’eux sont très
chauvins, très protectionnistes. Les chinois sont très protectionnistes aussi,
ils défendent vraiment leurs artistes. Nous, on ne défend pas nos artistes…
Donc, les productions
artistiques françaises ne sont pas valorisées par la France …
Pas tellement !
Quelques-unes ont ce privilège mais le monde institutionnel de l’art choisit
vraiment ses artistes. Mais bon, depuis deux ans, le Ministère de la Culture
commence à me reconnaitre. Ils ont même envoyé quelques tweets très élogieux à
mon égard au moment où je faisais ma grande exposition à Courchevel, ce qui
était une reconnaissance. Mais cette reconnaissance, j’aurai été content de
l’avoir bien avant ! Enfin, c’est quand même arrivé !
Est-ce de la jalousie
?
Je ne sais pas car c’est un sentiment qui m’est inconnu. Quand je vois quelqu’un qui réussit, cela me motive et m’inspire. De toute façon, je ne fais pas grand cas de tout ça, j’avance, c’est tout. Je fais mon chemin…
A vos débuts, à 38
ans, lorsque vous vous êtes lancé dans cette aventure artistique, muni de votre
seule détermination et de votre talent, vous ne vous êtes jamais
découragé ?
Non, parce que c’était
un hobby. A la base, je ne faisais pas ça pour le montrer ni pour gagner ma
vie. En fait, j’ai d’abord eu la chance d’avoir plusieurs expériences
professionnelles, j’ai eu plusieurs vies, cette maturité m’a donné une idée des
codes et du chemin à suivre. Quand après des mois de travail, j’ai voulu
exposer ma première œuvre, effectivement, certaines personnes ont cherché à me
décourager. Très rapidement quand même, puisque j’avais dans ma tête une espèce
de plan et que je savais où je voulais aller, j’ai rencontré l’adhésion du
public. Cela a marché très vite !
Comment se fait-il que
rien ne vous résiste ?
On voit toujours la
face émergée de l’iceberg ! On ne voit pas tout le travail qu’il y a
derrière, toutes les contrariétés, les déceptions. Derrière tout ça, il y a une
implication très importante. Il y a aussi une équipe solidaire. C’est un
travail d’équipe, ce n’est pas un travail solitaire.
En 2006, la première
pièce que vous présentez au public, est un crocodile en résine rouge
« Born Wild ». Ce « Born Wild » (inspiré du « Livre de
la Jungle » que vous affectionniez enfant) est un bestiaire d’animaux
sauvages, fiers, conquérants. Vos sculptures interrogent-elles nos peurs
concernant nos pulsions sauvages, instinctives ?
Mon message est le
suivant : j’ai exacerbé la violence, l’animalité qui est en eux. Ils ont
toujours la gueule ouverte, les dents acérées, les mâchoires prêtent à mordre.
Ce sont plutôt des animaux féroces que j’ai représenté. Mais cette férocité,
cette violence, les animaux l’utilisent à des fins utiles parce qu’ils tuent
pour se nourrir. Ils tuent par nécessité. Nous, nous faisons des guerres…
L’espèce humaine se pense beaucoup plus intelligente que les animaux parce
qu’elle exerce une sorte de domination sur eux, alors que finalement elle a
beaucoup à apprendre des animaux. Les animaux tuent pour obéir au cycle de la
vie et c’est un cercle vertueux, alors que nous, malheureusement, sommes dans
un cercle vicieux. Cela dit, j’ai aussi réinterprété complètement l’animal. Je
change, je joue avec ses formes. Je corrige la nature à mon image…
Est-ce à dire que les
animaux sont plus sages que nous ?
Ils sont plus humains
que les humains…
Dans lequel de ces
animaux, vous retrouvez-vous le plus ? Le loup épris de liberté qui
échappe au contrôle de l’homme, le gorille invincible, le tigre
prédateur ?
Le gorille ! En réalité, c’est celui qui se rapproche le plus de l’homme, ne serait-ce que dans la manière de se tenir ! A part les poils, évidemment ! Je ne sais si l’homme descend du singe mais de toute évidence, il y a une vraie similitude !
Vos gorilles sont
souvent amoureux ! Dans votre single « Heartbeat », le gorille
géant fond littéralement devant la chanteuse. On entend les battements de son
cœur amoureux…
Comme dans King Kong,
c’est un singe au grand cœur. Il est plus sage que l’homme. Il défend sa belle.
Il a beaucoup de vertu ce King Kong ! Ou alors beaucoup de défauts, le
défaut d’aimer, de vouloir le bien de l’autre…
En 2007, Dominique
Desseigne, le PDG du Groupe Barrière, vous offre d’exposer vos œuvres à l’hôtel
Normandy en plein festival du cinéma américain de Deauville. L’acteur Andy
Garcia flashe aussitôt sur l’un de vos crocodiles et vous l’achète. C’est le
début de la gloire…
C’est une anecdote
assez amusante. A l’époque, je n’étais pas très connu, mais nous avions fait
une belle exposition sur tout le festival. On était en plein vernissage au
Normandy et des gens du staff de Dominique viennent vers moi en
s’exclamant : « Monsieur Orlinski, il faut absolument venir
maintenant ! Andy Garcia veut acheter vos œuvres ! » Pour eux,
cela avait l’air d’être un grand événement ! Moi, je ne me rendais pas compte
de l’importance de la chose. J’ai donc accepté. On a traversé la rue avec une
cohorte de gardes du corps. Andy Garcia était à l’hôtel Royal et le
vernissage avait lieu au Normandy. Il y a quelques centaines de mètres entre
les deux hôtels. On arrive en bas du Royal. Là, on téléphone à sa chambre. Et
on nous répond, Monsieur Garcia s’est endormi ! Il s’est couché très
tard ! Le directeur de l’hôtel avait l’air navré et répétait qu’on ne
pouvait rien faire. Mais, je n’avais pas l’intention de revenir, alors j’ai
dit : « Vous transmettrez que l’artiste s’en va ! De toute
façon, il ne reviendra pas ! Il n’a pas que ça à faire ! » Une
assistante de Dominique a été très dynamique et ne s’est pas laissée démonter.
Deux secondes après, finalement, on a appris que c’était bon ! On est
monté là-haut, Andy Garcia était en robe de chambre. En pyjama, devant tout le
staff de l’hôtel, là à attendre dans le couloir ! Il m’a fait entrer dans
sa suite et on a sympathisé tout de suite. J’avais l’impression qu’on était
amis depuis toujours, qu’on s’était quitté la veille. On est resté deux-trois
heures à discuter et le lendemain ça a fait « La Une » des journaux
locaux ! On a noué une relation très vite. Les américains sont si simples,
conviviaux et faciles !
C’était le début de la
gloire…
Oui, même si je ne
m’en rendais pas compte au début. Même aujourd’hui, j’ai toujours l’impression
qu’on en est au début…
Ce succès à Deauville
vous a donné l’idée d’exposer vos sculptures dans les lieux fréquentés par les
stars et la jet set. Vous installez alors vos gorilles géants sur la Croisette
à Cannes…
C’est vrai en partie…
mais pas seulement ! C’est ce que relatent les reportages à la télévision car
les journalistes aiment bien insister sur le côté spectaculaire des événements,
mais si je n’exposais que dans les lieux fréquentés par les stars, je ne
vivrais pas aujourd’hui ! Moi, je parle au plus grand nombre. Et puis le
terme de jet set me semble un peu démodé. Il correspondait à une époque. Il a
perdu son sens aujourd’hui. Il y a tellement de mixité, de monde qui se
mélange. Ce n’est plus le Saint-Tropez d’il y a 20 ans où on venait
regarder les vedettes. A l’ère d’Internet, le monde a beaucoup évolué.
Vous faites aussi des
expositions à ciel ouvert, comme ce sublime ours blanc que vous campez sur les
hauteurs de Val d’Isère, au sommet de la montagne. Mais aussi des expositions
dans les rues de Paris, comme au Village Royal. Où pourrons-nous croiser vos
prochains bébés ?
J’expose en ce moment à Saulieu, avec François Pompon, qui est l’un des plus grands sculpteurs animaliers du 20ème siècle. Le Musée de Saulieu organise une exposition intitulée « Le Choc des Titans ». Ce sculpteur a fait un ours polaire qui est très emblématique. Donc, on a mis mon ours polaire avec le sien ! C’est une rétrospective tout à fait intéressante. Sinon, effectivement, j’ai exposé l’année dernière au Village Royal à Paris, c’était une très belle exposition. Nous allons sûrement renouveler l’opération en septembre prochain d’ailleurs. Mes sculptures sont aussi exposées en ce moment et pour plusieurs mois dans les rues de Montélimar et dans le musée d’art contemporain de la ville. Aujourd’hui, je veux faire plaisir au public. Mon maître-mot, c’est le partage !
En 2014, vous vendez
une œuvre pour 15 millions d’euros. Il s’agit d’un Pin-up jaillissant de la
bouche d’un crocodile en or. Cette nouvelle Vénus ne sort pas des eaux mais des
mâchoires acérées d’un crocodile. Est-ce à dire que le monde contemporain est
particulièrement cruel pour la femme, que l’homme « est un loup »
pour la femme, que c’en est fini de l’amour courtois ?
En réalité, cette
œuvre est assez étonnante parce qu’on peut l’interpréter de plusieurs façons.
Je ne veux pas insuffler une interprétation unique. J’aime bien l’idée que les gens
l’interprètent comme ils en ont envie. J’aime cette liberté. La Pin-up peut
sortir du crocodile mais elle peut y rentrer aussi ! On ne sait pas dans
quel sens cela se passe. Est-ce que justement, elle en sort pour s’échapper,
pour se désaliéner, pour sortir de l’emprise ?
Oui, mais le crocodile
est un prédateur vorace, cela signifie que la femme est menacée, qu’elle est
une proie…
Malheureusement, de
tout temps, la femme l’a été. Les femmes sont en butte au sexisme, à la
violence conjugale, aux agressions etc. C’est pour cette raison que je soutiens
beaucoup d’associations qui défendent les conditions de la femme dans le monde,
comme l’association Womanity.
J’insiste ! Mais
si la femme rentre dans le crocodile, celui-ci la dévore aussi !
Je n’y ai pas pensé au
moment de réaliser cette sculpture ! J’éprouve une envie de création
immédiate, un élan, mais je ne sais pas forcément pourquoi. Je réalise des
choses et je réfléchis après. Ensuite, les observateurs soulignent ou non le
manque de relation entre une œuvre et une autre. Or, il y en a toujours une.
Pour la bonne raison que ces œuvres sortent toutes de moi ! Mais je n’en
suis pas toujours conscient tout de suite.
Lacan disait :
« l’art c’est l’inconscient qui parle à l’inconscient »…
C’est ça ! C’est
mon inconscient qui me parle. Ce qui explique que c’est parfois bien après que
je comprends pourquoi j’ai fait une œuvre…
Simone de Beauvoir
soulignait à propos de la femme qu’il n’y avait pas d’autre alternative que
« bête de sexe ou bête de somme ». Pensez-vous que la femme
contemporaine doit rentrer dans le moule pour plaire ? Ne reste-il donc à
nos contemporains que la performance et la compétition, comme l’écrit Michel
Houellebecq ?
J’ai beaucoup d’amies qui se livrent à moi et qui me font part des difficultés d’être une femme, aujourd’hui encore. Bien sûr les mentalités évoluent mais pas aussi vite qu’elles le devraient. Les diktats physiques par exemple sont aujourd’hui très forts. L’essor de la chirurgie esthétique est révélateur de nos nouveaux canons de beauté et de notre quête perpétuelle de jeunesse. Mais tout ce qui était réservé aux femmes, cette course effrénée vers la perfection, l’homme y participe de plus en plus.
Mais vous, vous
soumettez-vous à ces diktats ou les envoyez-vous promener ?
Moi, je suis un
esthète, je suis toujours en quête de perfection pour mes œuvres. J’aime qu’une
sculpture soit parfaitement finie, aboutie. Bien sûr, quand on est esthète, on
apprécie ce qui est beau. De là à dire que c’est un diktat, c’est ridicule. Je
pense que l’être humain est composé de pas mal de facettes, il faut savoir
aussi être raisonnable et avoir du recul par rapport aux choses. L’excès n’est
jamais bon dans rien. Tout cela est valable dans notre société occidentale.
Mais en allant dans d’autres sociétés, on découvre vite qu’ils n’ont pas les
mêmes codes. Nos codes occidentaux ne sont pas universels.
Vous ne cessez de
montrer la cruauté du monde contemporain, un monde très hostile avec des
mâchoires de prédateurs, ou sa vacuité, avec une sculpture par exemple
symbolisant un pantalon, un jean vide… Ce jean symbolise-t-il la société de
consommation, le consumérisme effréné ?
Non ! Le jean est
vivant, il est flottant, il est déboutonné. Avec lui, je représente une icône.
Comme l’a fait Andy Warhol, mon modèle, à son époque. Le jean, c’était plutôt
une façon de représenter la sensualité. D’ailleurs, dans certains pays, je ne
peux pas vendre cette sculpture, elle est considérée comme trop sensuelle. A ce
propos, on ne sait pas si c’est le pantalon d’un homme ou d’une femme… C’est
l’action que je souhaitais représenter, le côté vivant. C’est difficile de
représenter un jean vivant ! Et puis le jean a participé à mon histoire,
je suis né avec le jean. Nous sommes les enfants du jean. Il a été le pantalon
le plus vendu au monde !
Dans votre œuvre, à la
violence vous répondez par la douceur; à la destruction, vous opposez la vie; à
la férocité, vous répondez par l’amour… D’accord avec ça ?
Complètement !
Vous sculptures sont
très graphiques, avec des pliages, des arrêtes, des facettes. Ce miroir à
facettes, est-ce pour refléter toutes les facettes de l’être humain ?
Mes sculptures sont
taillées à facettes comme un diamant. D’où une certaine brillance, un éclat
particulier. Mais ces facettes, c’est aussi un mélange de symboles. Ce subtil
cristal nous éclaire sur nous-même…
Ces facettes
sont-elles toujours positives ou y a-t-il des faces cachées ?
Non, je suis quelqu’un
de très positif même quand j’interprète une tête de mort !
Toutes les stars raffolent
de vos sculptures. Sharon Stone fut l’une de vos premières admiratrices. Elle
possède plusieurs sculptures de vous. Justin Bieber a devant sa piscine deux de
vos crocodiles bleu, un petit et un grand. Paul McCartney a une guitare en
aluminium de vous…
J’ai aussi parmi mes
collectionneurs des stars de l’Est, en Inde, partout. Pas seulement des stars
américaines connues des occidentaux ! Mais ce n’est vraiment pas le plus
important pour moi, connu ou pas, aisé financièrement ou pas, spécialiste ou néophyte,
je veux que celui qui acquiert mes œuvres en éprouve un réel plaisir, de la
joie même.
Qu’éprouvez-vous à
essaimer ainsi vos sculptures aux quatre coins du monde ?
Je rentre complètement
dans le concept de partage. Je ne cherche pas la notoriété ou la reconnaissance
pour la reconnaissance. Ce que je veux, c’est pouvoir partager avec le plus
grand nombre. Plus je partage, plus je suis content !
Cela vous rend heureux
de rendre heureux les gens ?
Exactement ! C’est ce que je donne qui m’intéresse ! La dernière fois, on a remis à un collectionneur une panthère pour un événement. Il m’a pris dans ses bras, il était incroyablement ému… Pareil pour les enfants ou les personnes plus âgées. Dès qu’une émotion passe, j’ai tout gagné !
Vous sculptez la
résine mais aussi les notes. Vous avez signé deux singles :
« Heartbeat » puis « Paradise », des tubes qui ont fait
danser la planète entière. Avez-vous d’autres projets musicaux ?
Oui, j’ai un premier
album en préparation, contenant une vingtaine de titres.
Et des spectacles
aussi ?
Je travaille à un spectacle interactif pour 2019, dans lequel je ferai participer le public. Ce qui me dérange dans les spectacles actuels, c’est le côté passif. Je préfère que le spectateur se sente sollicité afin de favoriser une communion entre le spectacle et le spectateur. Dans ce futur spectacle, j’aimerais faire partager une expérience multi-sensorielle aux spectateurs-participants. Nous ferons appel aussi à toutes les émotions : musique, théâtre, humour. Ce sera quelque chose d’assez complet et d’assez nouveau. J’ai besoin de faire des choses qui me plaisent à moi aussi. Quand je fais une sculpture, il faut qu’elle puisse être dans mon salon, que j’ai envie de la contempler tous les jours. Quand je vais à un spectacle ou au théâtre, je n’ai pas envie de m’ennuyer. Donc, je vais créer un spectacle, où on sera en même temps spectateur et acteur !
Vous avez sorti aussi un livre !
En mai 2017 chez Michel Lafon : « Richard Orlinski. Pourquoi j’ai cassé les codes. » C’est un livre assez pédagogique qui explique, en toute humilité, mon parcours, les embûches que j’ai pu rencontrer, etc. A chaque fin de chapitre, je donne les codes qui m’ont aidé, en me disant que cela peut servir à d’autres pour aller plus vite, pour éviter de perdre du temps. Il y a pas mal de messages aussi. C’est ma première bio ! Auparavant, j’ai déjà fait des livres, mais c’était des livres d’art…
Des sculptures, des
CD, un film au cinéma « Les Effarés » dans lequel vous allez tourner
bientôt, une biographie, vous êtes dans une dynamique créatrice
incroyable !
On n’a qu’une
vie ! Comme disait Moustaki « Nous avons toute la vie pour nous
amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer ! »
Vous dévorez la vie…
Faut avouer que je
n’ai plus vingt ans non plus ! C’est aussi une façon de conjurer la mort…
Vous construisez,
édifiez, créez pour détruire la destruction. Pour arrêter la mort ?
C’est très fort chez
moi, cette angoisse de la mort depuis que je suis tout petit. C’est ce qui fait
que j’ai envie de faire en un an ce que d’autres font en dix ou vingt
ans ! Du coup, je cours toujours après le temps. C’est physiquement très
éprouvant, c’est beaucoup de stress, mais bon c’est un moteur fabuleux !
Finalement, vous êtes
un homme extrêmement sensible…
Oui, c’est sûr, mais
je cache beaucoup ma sensibilité. Disons que je donne parfaitement le change.
J’ai créé une armure autour de moi pour me protéger. Je n’ai pas le choix.
Parfois, ce bouclier se révèle ennuyeux parce qu’il m’empêche de ressentir des
émotions. Mais c’est nécessaire parce que des flèches, on en prend dans tous
les sens. Quand on a une certaine notoriété, le succès est parfois difficile à
gérer.
Quand on est au
centre, on est la cible…
Voilà ! Il faut
se protéger !
Richard Orlinski, vous
semblez tout avoir… Qu’est-ce qui vous manque encore ?
Tout !
Qu’est-ce qui vous
fait vibrer ?
La peinture, la
sculpture, la musique. Bref, l’art sous toutes ses formes ! C’est aussi
tout ce que peut apporter la vie, les enfants. Par ailleurs, je suis très
impliqué dans plusieurs causes caritatives. Je fais, par exemple, des ateliers
à Garches pour les enfants malades. J’ai animé récemment un atelier artistique
où l’on réalise avec les enfants des petits modelages, de la peinture, des
dessins. Il y avait là une petite fille extrêmement douée qui produisait à main
levée des choses incroyables. Je lui ai dit : « Tiens dans mon
prochain bouquin d’art, je publierai ton dessin ! » Je l’avais déjà
fait pour les enfants malades de l’hôpital Necker. Donc, le soir je rentre, les
médecins et les personnes de l’association me remercient. Soudain, la
Présidente de l’association vient vers moi et me dit : « Te rends-tu
compte de ce qui s’est passé aujourd’hui ? Je lui rétorque un peu surpris
« Non, que s’est-il passé ? », « La petite fille avec qui tu as
parlé, elle n’avait jamais parlé auparavant… » J’ai trouvé ça
incroyable ! Bien sûr, ce n’est pas grâce à moi, c’est un concours de
circonstances, mais c’est à ce moment précis qu’elle s’est exprimée. Pour moi,
c’était extrêmement émouvant. Si on fait des choses pour les enfants, ils nous
apportent souvent plus que nous ne leur apportons…
Qu’est-ce qui vous
rend heureux ?
Ce genre de
démonstration, vous voyez, me rend heureux ! Cela remplit, c’est un vrai
bonheur…
Richard Orlinski,
quelle est votre devise ?
Take the best fuck the rest ! (prendre le meilleur et laisser le reste.)
Enfin, estimez-vous
que vous êtes notre Jeff Koons français ?
Non ! Mais j’ai
déjà eu cette comparaison. Elle ne me dérange pas d’ailleurs.
C’est une comparaison
flatteuse…
C’est drôle ce que
vous dites, parce qu’il y a 5 ans, il a un critique d’art qui a écrit un
article très virulent, très destructeur au sujet de l’art contemporain et
surtout des artistes contemporains, et j’étais dans le lot ! Il faisait un
parallèle entre le Balloon Dog de Jeff Koons et le Born Wild d’Orlinski,
or cette comparaison m’a fait plaisir parce qu’alors je n’avais pas la
notoriété que j’ai aujourd’hui. Le journaliste me mettait au niveau de Jeff
Koons. Je me suis dit tiens si je suis considéré comme Jeff Koons, du coup
c’était très positif pour moi. Cela ne me dérange pas du tout d’ailleurs, on
n’a pas la même vision, mais je trouve que ce qu’il fait est intéressant. Il
assume ce qu’il fait, et j’aime beaucoup sa démarche. Moi, de la même façon,
j’assume de ne pas faire toutes mes sculptures, la plupart de mes sculptures
sont faites par mes équipes, je n’ai aucun problème avec ça. A l’époque, c’est
déjà ce que l’on faisait. Les gens ne le savent pas mais Rodin faisait couler
ses bronzes par ses collaborateurs. Aujourd’hui, je fais intervenir dix corps
de métiers différents, presque cent cinquante personnes, des fondeurs, des
mouleurs, des soudeurs, des polisseurs, des peintres, des menuisiers, des
marbriers etc., et j’assume. Et Koons aussi assume ça. On le voit à son atelier
en costume d’hommes d’affaires. Mais on s’en fiche de son apparence,
l’important c’est le message qui est derrière. On aime ou on n’aime pas mais ce
qui compte c’est l’œuvre. Peu importe comment l’artiste travaille.
Du 8 février au 9
avril 2017, on pouvait gagner une de vos merveilleuses sculptures en
participant à un concours de photos à Courchevel. Quand recommencez-vous cette
incroyable dotation ?
Très régulièrement, je
fais ce genre d’opération parce que je veux que l’art soit accessible ! Je
fais des concours, du dumping sur des œuvres, je les vends moins chères que
leur prix de revient. Un jour, je suis passé chez Cauet, dans une grande radio,
où j’ai proposé des œuvres. Et à ma grande surprise, j’ai découvert que les
jeunes étaient très intéressés. Je pensais que ce qui les passionnait c’était
la musique, c’est faux. Ils étaient aussi très réceptifs à la sculpture. J’ai
même eu des demandes sur mon site. Certains m’écrivaient pour me dire qu’ils
aimeraient bien avoir des oeuvres de moi ! Donc, derrière ça, j’ai lancé
des petits événements, des concours etc. J’ai même fait des concours de
Pokémon. J’essaye d’être dans l’actualité, de toucher, de parler à tout le
monde, du plus petit au plus grand.
Vous êtes un véritable
bienfaiteur !
Non ! J’essaye simplement de redistribuer !
Propos recueillis par Isabelle Gaudé
Paru le 24 mai 2017, livre de Richard Orlinski : « Pourquoi j’ai cassé les codes » aux éditions Michel Lafon.
« Le seul devoir d’une mère, c’est d’être heureuse »
Psychologue clinicienne,
psychanalyste réputée, auteur d’essais sur le harcèlement moral dans la
famille, la perversion narcissique, les emprises et les addictions, Présidente
de l’Association de défense contre le harcèlement moral, Yvonne Poncet-Bonissol
est connue du grand public pour ses interventions en qualité d’experte
psychologue dans l’émission télévisée « Toute une histoire ». Durant
dix ans, elle a fait connaître au public français les rouages de la
maltraitance psychologique, de la perversion, de la manipulation, la notion de
projection, les mécanismes de défense que les pervers mettent en place pour se
protéger. S’inscrivant dans la lignée de Françoise Dolto, qui avait vulgarisé
la pédopsychiatrie au meilleur sens du terme, Yvonne Poncet-Bonissol a fait en
sorte de rendre la psychologie accessible à tous. Elle a mis ses compétentes
professionnelles, sa capacité d’écoute et sa rigueur intellectuelle au service
de millions de téléspectateurs, secourant des êtres dont l’estime de soi avait
été fragilisée par des personnalités toxiques, les aidant à s’affranchir de
situations douloureuses et destructrices. Cette grande psychanalyste
profondément bienveillante a fait beaucoup de bien autour d’elle. Depuis des
années, elle se bat aussi contre les violences faites aux femmes.
Conversation à
bâtons rompus avec une femme merveilleuse.
L’émission
« Toute une histoire » présentée Sophie Davant a rencontré un immense
succès auprès du public durant dix ans, mais s’est malheureusement arrêtée en
juin dernier…
Oui, et c’est
dommage. Mais si vous voulez bien avant de commencer notre entretien,
j’aimerais rendre hommage à Sophie Davant. Sophie est une femme exceptionnelle.
Tout ce qu’on a pu dire sur elle de négatif est très médiocre. J’aime beaucoup
la sensibilité de Sophie, son intuition. Et j’ai envie de vous dire que c’est
aussi une excellente psy. Elle a un sens de l’autre, un respect de l’autre rare
et belle vivacité d’esprit. De plus, elle est belle, elle illumine le plateau…
Dans
cette émission « Toute une histoire », vous étiez souvent accompagnée
aussi de l’avocat Marc Geiger…
En effet. Avec
Marc, nous allons, peut-être, essayer de refaire quelque chose ensemble. C’est
un grand professionnel, un homme remarquablement compétent et c’est quelqu’un à
qui je veux être fidèle.
Venons-en
maintenant à la perversion narcissique dont vous analysez le mode de
fonctionnement dans votre essai « Le harcèlement moral dans la famille ».
Etes-vous d’accord avec le psychanalyste Jean-Charles Bouchoux qui dit que le
pervers narcissique se situe aux frontières de la folie et en réchappe en
assujettissant l’autre, pour lui faire porter ses propres
symptômes ?
Oui, la
perversion narcissique est une défense contre la psychose. Il m’arrive souvent
de parler de psychose blanche, ce sont des êtres qui sont psychotiques, qui
n’ont pas le sens de l’autre, qui n’ont pas le sens de l’altérité et qui
projettent sur l’autre ce qu’ils sont et qu’ils ne veulent pas être.
C’est-à-dire qu’ils fonctionnent sur la culpabilité, la dévalorisation. Quand ils
dévalorisent l’autre, c’est d’eux dont ils parlent. Ils ont un rapport en
miroir, c’est-à-dire que l’autre est un support de leurs projections. C’est un
peu comme si l’autre devenait leur « poubelle », le porteur de tout
leur dysfonctionnement. Cette projection est un mécanisme de défense et c’est
le propre de la perversion narcissique. Mais cela veut dire aussi que le
pervers narcissique est isolé, c’est un autiste de l’affect, un invalide de
l’amour. Il est incapable d’aimer et c’est un comédien. Il joue aux sentiments
mais il n’en éprouve pas.
Pourquoi
certaines personnes entrent-elles dans le jeu des pervers quand ceux-ci
discréditent ou salissent à tort les autres ? Ces personnes n’ont-elles
pas de sens critique ?
Parce que ces
personnes ont une faille narcissique elles-mêmes. Les gens bien construits ne
rentrent pas dans le jeu des pervers…
Vous
avez commis un superbe essai sur les dépendances affectives et les emprises
toxiques. Selon vous, qu’est-ce qui déclenche la dépendance affective ?
D’où vient cette insécurité intérieure ?
Ce sont des
êtres qui sont toujours en quête d’amour et qui n’ont pas eu de réponse à leur
avidité affective. Ils sont restés suspendus, assoiffés d’amour. Donc ils
deviennent dépendants et ils deviennent souvent dépendants d’une forme de
maltraitance et de non réponse à leur besoin. On ne devient dépendant que
lorsqu’on a eu des besoins que l’on a exprimés et auxquels on n’a pas répondu.
Donc, on est toujours en attente d’une satisfaction de quelque chose qui
n’arrive jamais. Si vous voulez, on reste toujours en attente comme l’oisillon
dans son nid, le bec ouvert. La dépendance c’est une attente jamais comblée.
En ne
lui donnant pas son amour, est-ce le parent qui crée cette attente chez
l’enfant ?
Oui.
La peur
profonde de la solitude est-elle le signe de la dépendance affective ?
Oui ! On
ne se supporte pas parce que la vraie solitude c’est une forme de non-vie, on
ne supporte pas d’être seul parce qu’on ne supporte pas d’être avec soi-même,
d’être avec son image… Donc, l’autre est là pour venir vous gratifier, vous
narcissiser.
Est-ce
pour cette raison qu’on s’enferme dans le virtuel, qu’on a recours à Internet
pour combler cette solitude ? Ne pensez-vous pas, à ce propos, qu’Internet
est une offensive pour envahir le territoire psychique ?
C’est en effet
très intrusif. C’est subtilement intrusif. Il ne faut pas oublier une chose
c’est que le virtuel, la télé est devenue la deuxième nounou des enfants.
Vont-ils
faire leur éducation alors ?
Un peu.
D’ailleurs, ce qui me trouble en ce moment, c’est qu’il y a de plus en plus
d’enfants autistes, des Aspergers. Ce sont des hauts potentiels intellectuels,
ils sont sur stimulés, ils ont une mémoire faramineuse. Je pense que si j’ai un
nouveau dossier à traiter dans les prochaines années, j’aimerai bien traiter
sur l’Asperger.
C’est
une psychose ?
En effet, c’est
une forme d’autisme. Mais cela va souvent avec des hauts potentiels
intellectuels et des hauts potentiels émotionnels.
Parlons
maintenant des femmes et des violences faites aux femmes dans une société qui a
tendance à occulter cette réalité. Faut-il briser la loi du silence ?
Aider les femmes à sortir de la honte et de la culpabilité ?
Il est vrai que
la violence est un de mes combats. Contre quoi faut-il se battre ? Tout ce
qui est malin, c’est-à-dire le mal. Il faut que le bien triomphe du mal. Le mal
au sens diabolique (diabolos signifie diviser). Le pervers divise toujours, il
a une dimension diabolique. Quand on a un parent diabolique et pervers, il faut
beaucoup de temps pour accéder enfin à un peu de paix. Par exemple, j’ai un
patient qui a 55 ans, une très belle situation, qui a réussi brillamment. Il a
compris qu’il a perdu énormément d’argent dès qu’il a rencontré une femme qui
ressemblait à sa mère. Comme si soudain son argent ne lui était plus dû. Qu’il
n’avait pas le droit de le gagner. Je crois que quand on a des parents un peu
maltraitants psychologiquement, on peut être résilient, mais on se bat toute sa
vie pour accéder enfin à un peu de paix, mais vers 60 ans…
En
2015, 146 femmes sont décédées suite aux violences infligées par leur conjoint.
Que peut-on faire contre ce fléau ?
Briser la loi
du silence, informer, mettre un terme à la culpabilité, tout ce qui est fait
actuellement. Etre dans la prévention. Cette violence ordinaire du quotidien
est intolérable et insoutenable.
Estimez-vous
que les femmes qui subissent des violences sont plus tolérantes que les
autres ?
Par loyauté
pour leur famille, parfois elles se taisent…
Certaines
ont des parents ou des grands-parents qui ont déjà vécu des violences. Par
loyauté familiale, vont-elles jusqu’à les revivre ?
Souvent, il y a
une généalogie de victime. Et une généalogie de bourreau. Mais bien sûr qu’on
peut sortir de ce schéma. Pour cela, il faut se tourner vers de bons psys, des
gens qui vous « boostent », qui vous disent que vous avez le droit de
ne pas être victime, le droit d’être heureux. De souligner combien
l’autoflagellation n’aboutit pas à grand-chose. Et surtout, on se doit, quand
on a des enfants, et je dirai presque que c’est le rôle principal d’une mère,
d’être heureuse. C’est son seul devoir…
Estimez-vous
que la perversion est le contraire du respect ?
Bien sûr, c’est
l’irrespect et l’égocentrisme portés à leur apogée.
Un
essai vient de sortir dernièrement intitulé « La fabrique du
pervers », Estimez-vous que la société fabrique actuellement des
pervers ?
Oui
Selon
vous, le monde s’oriente-t-il vers une perversion généralisée ?
J’ose espérer
qu’un jour on mettra un terme à ça. Comme disait Malraux, le XXIème siècle sera
spirituel ou pas. Soit on verse dans une forme d’échange ou de bonté, soit on
verse dans la perversion et dans une forme de matérialisme exacerbé et cela
c’est dangereux.
Yvonne
Poncet-Bonissol, être adulte est-ce s’accepter, accepter ses limites ou
renoncer à sa toute-puissance ?
De toute
évidence, c’est renoncer à la toute-puissance, c’est faire preuve d’humilité.
C’est accepter la vie au quotidien, c’est la remercier. C’est ça être adulte et
puis c’est ne pas avoir peur des épreuves. Parce que bien souvent, on ne se
rend pas compte mais on a les épreuves que l’on peut surmonter…
Vous
croyez ?
C’est une
impression, mais ce n’est pas du tout de la psychologie, c’est de l’expérience,
comme une intuition, en tout cas, cette intuition m’a souvent portée, disons
que cela m’a fait taire les angoisses que chacun peut avoir, dont l’angoisse de
la mort, de la maladie, et je me dis toujours cette phrase « on a souvent
que les épreuves que l’on peut supporter »…
Est-ce
l’inconscient qui nous inflige ces épreuves pour nous apprendre à vivre ?
Oui, pour nous
apprendre à vivre…
Mais
pourrait-il aller jusqu’à nous faire mourir pour nous apprendre à vivre ?
Par exemple, dans les cas de cancers, de maladies inopérables…
Dans tous les
témoignages que j’ai pu avoir à travers cette émission de « Toute une
histoire » depuis 10 ans, ce qui correspond donc à un nombre incalculable
de gens, je trouve que bien souvent après la maladie, le handicap, les cancers,
les personnes sont différentes. Avoir frôlé la mort, cela donne un sens à leur
vie. C’est fréquent. Les personnes disent souvent cette phrase : « le
cancer m’a sauvé », « ma souffrance m’a transformé » « on
m’a donné une deuxième chance », « je vois la vie différemment »
« j’ai tout quitté parce que maintenant, je veux vivre ». C’est ce
que je vous disais tout à l’heure, c’est ce principe d’individuation où il faut
absolument se délester de ce que l’on vous a demandé d’être et d’être ou de
devenir ce que vous êtes.
D’advenir
enfin à soi-même ?
D’accoucher de
soi-même comme disait Socrate.
Mais il
faut une vie pour ça… Au moment où on a acquis tout ça, c’est déjà la mort…
Oui, il faut une vie… Mais on l’acquiert jamais vraiment parce qu’on ne s’autorise pas totalement à l’avoir. C’est vrai que si on l’acquiert totalement, eh bien qu’est-ce qu’il nous reste, un grand vide… donc vaut mieux pas. Il faut toujours être en recherche ! Regardez Victor Hugo, à 83 ans, une semaine avant de mourir, il avait encore des rapports sexuels, jusqu’au bout, il y a cru… Chacun d’entre nous n’a pas la notion de la mort, l’inconscient nous protège de ça. L’inconscient n’a pas la notion du temps. C’est tellement génial que l’on se demande si parfois l’inconscient n’a pas été fabriqué d’une manière quasiment magique et cela ça fait partie d’un secret de la vie… La psychologie et la psychanalyse n’expliquent pas tout. Il y a aussi la vie et ses secrets…
Nos
peurs sont-elles nos plus grandes ennemies ? La peur est-ce le contraire
de la liberté ?
Oui. La phobie est un enfermement. Si on considère que la peur s’inscrit dans la phobie et se matérialise par des phobies, par des anxiétés, c’est vrai que c’est le contraire de la liberté parce que ce qui nous prive de liberté. Nos angoisses, nos peurs, nos verrous intérieurs, nos craintes, tout cela fait que l’on ne va pas de l’avant. Lorsque l’on a des peurs, on n’ose pas. Or, il faut oser la vie.
Ces
peurs viennent-elles de l’enfance ?
Elles viennent
de l’intérieur. C’est plurifactoriel. Très souvent ce sont des peurs projetés
par nos parents.
Ce que
ce que l’on appelle le destin, la fatalité ne serait-il pas plutôt l’œuvre de
l’inconscient ?
C’est
intéressant ce que vous dites ! Je pense que l’inconscient nous guide,
nous mène par le bout du nez ! Et pas seulement notre inconscient
individuel mais l’inconscient collectif qui lui aussi joue un rôle très
important. Et l’inconscient transgénérationnel. C’est-à-dire que quand quelque
chose n’a pas été réglé, eh bien la patate chaude est donnée, transmise à
l’autre génération. Par exemple, une de mes patientes ne veut pas faire le don
d’ovocytes alors qu’elle veut absolument un enfant. Parce qu’elle a fait
beaucoup de recherches sur la mémoire cellulaire, parce qu’elle considère qu’il
y a aussi une fracture transgénérationnelle, ne serait-ce que dans le don
d’ovocytes, C’est symbolique, le don. A travers son analyse, on va à la
rencontre de son histoire. Quant à moi, j’ai vu dans mon histoire, disons
lorsque j’ai fait le bilan de mon parcours, que j’avais rassemblé toutes les
choses qui étaient restées un peu inachevées…
Vous
avez refait le puzzle ?
Oui, j’ai
refait le puzzle. Mes arrières grands-parents étaient des hommes d’armés très
bons, toujours en combat. J’ai fait un combat de mon Association. Ensuite ma
mère guérissait avec les plantes. J’ai travaillé un peu dans des laboratoires
de phyto, presque à mon insu. Si je suis devenue psy, c’était pour mettre un
terme peut-être à ce côté qui me faisait peur, ce côté invisible, cette lecture
clairvoyante qu’ont les Médiums et qu’avait ma mère. Adolescente, cela me
faisait très peur et j’ai voulu contrer ça d’une façon scientifique et je suis
devenu psy. Enfin, un de mes grands-pères était écrivain publique, et je suis
devenu écrivain !
Mais si
l’inconscient nous guide, cela signifie qu’il n’y a plus de libre
arbitre ? Cela veut dire que nous sommes déterminés par notre inconscient,
que nos choix affectifs sont déterminés par lui, que nous ne sommes pas
vraiment libres… Qu’on est mû par quelque chose qu’on ne contrôle pas…
J’ai peut-être
été porté par quelque chose en effet, mais j’avais le choix de le faire ou de
ne pas le faire. On a toujours la liberté d’accueillir les choses…
L’inconscient,
cela peut être un ami, mais cela peut-être un ennemi aussi…
J’ai fait de
mon Inconscient mon ami…
Comment
fait-on pour faire de son inconscient son ami ?
D’abord, je
suis à mon écoute. A l’écoute de ce que les autres me disent. A l’écoute des
choix que j’ai faits. A l’écoute de la répétition.
Pour
éviter la compulsion de répétition (la répétition morbide de situations
douloureuses), que faut-il faire ?
Il faut un jour
s’arrêter et se demander : pourquoi je répète tout le temps ? Et
avoir le courage d’aller à la recherche de soi. Et s’affronter…
Oui,
mais il y a des violences familiales comme le suicide d’ancêtres qui
s’inscrivent à notre insu en nous…
Oui, et il faut
faire très attention à cela. Les suicides dans une famille s’inscrivent en
effet. Vous savez, je crois que les gens devraient prendre conscience que
lorsqu’ils divorcent, cela s’inscrit aussi d’une manière transgénérationnelle…
La
société permissive actuelle fait tout pourtant pour nous faire croire que ce
n’est rien du tout de divorcer…
Je me bats
contre cela. J’ai mis beaucoup de temps pour avoir ma fille, j’ai fait beaucoup
de traitements. Dans mon couple, j’ai parfois été humilié par mon mari puis
j’ai repris le dessus…
Est-ce
pour cette raison que vous avez créé votre Association de défense contre le
harcèlement ?
Oui, c’est pour
cela… Mon mari a demandé le divorce, et j’ai refusé. Personne ne comprend mon
choix. Parce que je ne veux pas que ce soit inscrit dans l’histoire de ma
fille. Je me suis battue pour ne pas divorcer. J’ai repris le dessus sur le
mal. Et maintenant, je n’ai que des choses merveilleuses qui m’arrivent…
Oui,
mais vous êtes extrêmement bien construite ! Avouez qu’il y a quand même
un déterminisme plus prégnant pour certains que pour d’autres. Parce qu’il y a
quand même des familles plus abîmées que d’autres…
Oui, mais
l’important, c’est l’énergie de base que l’on vous a donné, c’est la pulsion de
vie. Parfois quand vous n’avez pas été désiré, l’enfant est dans une pulsion de
mort et d’autodestruction et il a tendance à s’auto-flageller.
N’avez-vous
pas l’impression que la société occidentale est actuellement plus dans la
pulsion de mort que dans la pulsion de vie ?
Oui, et on est
aussi dans la crainte, avec tout ce qui nous arrive. Paradoxalement, on a eu
des guerres qui étaient certainement plus meurtrières que ce que l’on vit
actuellement. Néanmoins ce qui est meurtrier c’est la solitude affective des
gens qui grandit.
Avec
les sites virtuels qui se multiplient…
On ne touche
pas au corps, on ne prend pas le risque. On fuit l’autre.
Nous
sommes aussi dans une société très narcissique…
Il y a ceux qui
sont de plus en plus dans la lumière, qui sont dans une quête spirituelle et
les êtres narcissiques, les prédateurs qui sont dans la quête matérielle. D’un
point de vue économique, ces derniers veulent de l’argent et considèrent que le
pouvoir comme l’argent leur permettent de tout contrôler. Ils se servent de
l’argent comme élément de domination.
Etes-vous
d’accord avec le philosophe Bernard Sichère qui dit que « la haine de
l’autre va avec la méconnaissance de soi » ?
Oui, on hait en
l’autre ce qu’on est soi-même et qu’on ne veut pas voir… La haine de l’autre
c’est souvent la haine de soi… Il faut parfois choisir entre haïr, juger et
aimer.
Se
connaître soi-même, est-ce le travail de toute une vie ?
C’est un
travail au quotidien et c’est le travail de toute une vie. Ce qui peut être
paniquant pour certains, c’est qu’à un moment donné, on se rend compte que l’on
ne sait plus rien. Socrate disait « Je sais que je ne sais pas ». En
vieillissant, et je peux presque le dire, à mon âge, j’ai l’impression de
quitter des théories, de quitter beaucoup de choses, d’avoir une forme
d’humilité et je vais beaucoup plus au cœur de l’autre parce que je ne suis
plus envahie par des principes, des théories, des dogmes.
Aldo
Naouri affirme dans son essai « Qu’est-ce qu’éduquer son enfant ? »
qu’auparavant les parents disaient à leurs enfants « dans la vie, on ne
peut pas tout avoir » tandis que maintenant on leur dit « non
seulement tu peux tout avoir mais tu as droit à tout ». Pensez-vous comme
Aldo Naouri que les interdits, la frustration sont nécessaires à l’évolution de
l’enfant ?
Oui, les
interdits sont nécessaires mais pas n’importe quand et à n’importe quel moment.
Je crois que ce qui est important c’est d’apprendre à l’enfant le manque. Parce
que c’est le manque qui crée le désir et que des enfants trop comblés sont des
enfants sans désir. Donc, cela crée une dimension très narcissique. On les met
dans une posture de toute puissance. Je crois qu’il faut essayer de leur dire
non et c’est très dur, mais aimer l’enfant c’est savoir à certains endroits lui
dire non, là, ce n’est pas possible. Cela renvoie à quelque chose qu’ils
apprennent : il faut avoir soif pour gagner. Si on n’a pas soif, si on n’a
pas faim, on n’a pas envie de réussir. On n’a pas envie de se battre. Or, je crois
qu’il faut du manque pour désirer et pour se battre.
Cela
veut-il dire que ces enfants non frustrés ne franchissent pas toutes les stades
de la construction du moi ?
Ils restent
dans la toute-puissance, dans le stade narcissique, régressif et immature.
Et
comme la société, elle aussi, devient de plus en plus narcissique…
En effet, parce
qu’on est dans le stade de l’enfant-roi. Alors, c’est vrai que l’enfant est une
personne à part entière. On respecte l’enfant comme un invité mais un invité ne
fait pas n’importe quoi à la maison. C’est Dolto qui disait qu’il faut
accueillir l’enfant comme un invité. Je trouve que c’est très important. Vous
accueillez l’enfant comme un invité, il a des droits, mais aussi des devoirs,
il ne fait pas n’importe quoi quand il vient chez vous. Sans le couple, il n’y
a pas l’enfant et quand l’enfant prend toute la place, il n’y a plus de couple.
Aldo
Naouri affirme encore que le père n’a qu’une fonction, ce n’est pas forcément
d’emmener l’enfant à l’école, de pousser la poussette ou de le conduire chez le
pédiatre, c’est d’être amoureux de la mère. Etes-vous d’accord avec lui ?
Oui, le père a
comme fonction d’être amoureux de la mère et comme ça chacun reste à sa
place ! Mais il a aussi le rôle de tiers-séparateur. Quand il est amoureux
de la mère, il dit à l’enfant, « attention c’est ma femme », et là,
il n’y a pas de confusion. C’est là qu’il fait office de tiers séparateur entre
la mère et l’enfant.
Acquérir
une image suffisamment bonne de soi dans la petite enfance permet-il de mieux
trouver sa place dans la société ?
C’est une
évidence, plus on est construit, c’est-à-dire qu’on est construit avec des
manques, avec des frustrations, avec de l’amour; plus on est construit, mieux
on trouve sa place. Deux concepts qui sont des concepts de Winnicott me
paraissent importants pour se construire. C’est le holding, cela veut dire que
la mère porte l’enfant, et le helding, cela veut dire accompagner l’enfant
vers quelque chose.
Selon
vous, la maladie est-elle une réponse à des non-dits ?
Le mal a dit…
Certaines maladies, je pense. C’est une voix par laquelle les émotions
s’expriment. Donc, c’est le cœur qui parle, c’est un mal qui ne peut pas être
dit, c’est des émotions bloquées. Et j’ai envie de vous dire, ce qui ne
s’exprime pas s’imprime. Et s’imprime où ? Sur le corps. Par exemple les
ruptures difficiles, les ruptures impossibles, les deuils non faits peuvent
s’exprimer par de l’eczéma ou du psoriasis. Cela crée une dimension anxiogène
qui crée un état ou des maladies auto-immunes. Les maladies de peau sont des
maladies où l’on crie sa quête d’amour. Un amour perdu et qu’on ne retrouve
pas…
En
fait, on meurt tous du manque d’amour, comme l’écrivait Michel Houellebecq…
J’ai envie de
vous dire on meurt tous du manque d’amour de soi… Il faut être sa propre mère
quand on a été fragilisé. Il faut devenir sa meilleure amie. Il faut faire en
sorte d’être très bienveillant vis-à-vis de soi. Il faut être ami de soi-même…
Comment
fait-on pour renouer avec soi ?
Pour renouer
avec soi, il faut renouer avec la vie et considérer que la vie est belle. C’est
la première chose. Il faut renoncer à des plaisirs illusoires, c’est-à-dire de
complétude, de perfection. Les gens qui sont dans une quête de perfection ne
seront jamais satisfaits. Donc, il faut quitter cette forme d’insatisfaction
majeure sur tout. Il faut accueillir la vie chaque jour, il faut vraiment
l’accueillir au sens « ne panique pas, la vie est là, je l’aime la
vie » et puis on gère ce qu’on trouve. Il faut savoir renouer avec ce qu’on
appelle l’interconnectivité. Quand vous êtes dans une situation qui vous parait
insurmontable, vous vous dites : il y a deux solutions. Qu’est-ce que je
fais là ? Je me bats ou j’attends que la vie me donne des réponses. Eh
bien mon expérience me dit qu’il ne faut pas paniquer, mais il faut déjà un peu
lâcher pour accueillir la vie. On ne se bat pas contre des choses impossibles.
On accueille plus la vie. Et on voit comment cela se déroule. Il ne faut jamais
paniquer…
Donc la
vie vous donne ses propres réponses…
Oui, c’est en
tout cas comme cela que je l’expérimente. Peut-être que je suis spirituellement
protégée… C’est la question que je me pose, mais je n’aurai jamais la réponse…
Ecrivez-vous
sur quelque chose en ce moment ?
J’aimerai bien
écrire justement sur « à la recherche de soi ». Peut-être aussi sur
l’autisme…
Mais
l’autisme n’est-ce pas aussi le déni de l’altérité ?
Oui, on n’est
pas avec l’autre…
Vous
allez me trouver pessimiste mais j’ai l’impression que nous sommes de plus en
plus dans le déni de la réalité, le déni de l’altérité, le déni de
l’intériorité… Nous sommes de plus en plus dans les faux-semblants, dans le
mensonge, dans la tricherie…
Vous êtes en
train d’évoquer les trois D de Freud : le déni, le défi, et le délit.
Voilà les trois dénominateurs de la perversion…
Cela
fait froid dans le dos… Enfin, Yvonne Poncet-Bonissol, connaissez-vous cette
phrase de Pascal sur le divertissement « La seule chose qui nous console
de nos misères est le divertissement et cependant c’est la plus grande de nos
misères » ?
Pascal était un philosophe très rigoriste. Je crois qu’il faut faire la différence entre se divertir, s’étourdir, s’enivrer et se réjouir. On peut se réjouir, il faut s’autoriser à la légèreté. Parce que pour aimer, il faut offrir son propre bonheur à l’autre. On ne peut pas aimer si d’abord on n’est pas bien avec soi-même. C’est pour cela que je vous disais tout à l’heure que le devoir d’une mère c’est de travailler à son propre bonheur pour l’offrir à ses enfants. C’est ce que je fais avec ma fille. Elle a 23 ans. Elle a un humour farouche, elle est merveilleuse. Quelle réussite ! Tout le monde me le dit. Elle travaille dans la communication. On fait de la boxe ensemble le soir. Elle a beaucoup d’énergie. Je l’ai toujours éduqué dans ce sens, Laurine exprime toi, exprime toi ! Je lui disais tout ce qui ne s’exprime pas, s’imprime…
« Le mot d’ordre ce n’est pas de lire Hegel, c’est de le relire constamment »
Bernard
Bourgeois est incontestablement l’un des plus importants spécialistes actuels
de la philosophie allemande, en particulier de l’idéalisme allemand (Fichte et
Hegel). Auteur d’une œuvre considérable, éminent traducteur de Hegel, ce
brillant esprit s’est imposé comme l’un des plus grands philosophes français
contemporains. Depuis longtemps déjà, Bernard Bourgeois creuse le sillon d’une
réflexion originale sur Hegel, qu’il considère comme le penseur le plus apte à
éclairer notre époque. « Hegel est actuel, plus que tout autre »,
écrit-il. Il montre ainsi que l’analyse hégélienne de l’histoire peut servir à
rendre intelligible notre situation présente. Hegel, en effet, peut nous aider
à « penser l’histoire du présent », aussi bien la question du
terrorisme dans son rapport à l’Etat-Nation que celle de l’émergence du
sociétal ou de l’écologie. « Je crois, écrit Bernard Bourgeois, que le
monde socio-politique actuel est, pour l’essentiel, et en son état le plus
avancé, en train de réaliser le modèle hégélien qui demeure en ce sens,
normatif pour lui ». Bernard Bourgeois conçoit donc le système hégélien
comme une clé pour méditer sur les conditions actuelles du plein accomplissement
de la liberté des individus.
Professeur émérite à l’Université Paris I-Panthéon Sorbonne, Membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, Président de la Société française de philosophie jusqu’en 2010, Secrétaire général de l’Institut international de philosophie jusqu’en 2017, aujourd’hui Président de la Conférence Nationale des Académies, cet immense philosophe a dirigé plus de 300 thèses de philosophie, nous confiant non sans plaisir que celles-ci l’avaient instruit sur l’évolution des jeunes esprits, sur la façon dont la philosophie se développait à travers eux. Bernard Bourgeois vient de signer deux remarquables ouvrages qui paraîtront très prochainement. Un premier sur Hegel Pour Hegel aux éditions Vrin. Et un second essai, admirable de rigueur et de profondeur, intitulé Sur l’histoire ou la politique, où le philosophe identifie les deux termes, considérant que le contenu essentiel de l’histoire est politique, et que la vie essentielle de la politique est historique. Les essais de Bernard Bourgeois sont à lire à tout prix pour qui s’intéresse de près ou de loin à la philosophie.
« Rien
de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion » disait Hegel.
Quelle est la passion qui vous a poussé vers l’étude de l’hégélianisme ?
C’est une
passion purement intellectuelle. Si l’on se pose la question de savoir quel
ouvrage ou quel auteur est à l’origine d’un apport essentiel et nouveau
dans le temps qui a suivi l’intervention de Hegel dans le monde et dans
l’Histoire, j’estime qu’il n’y en a pas. Rien de grand et de nouveau n’a
vraiment été dit depuis que Hegel a parlé en particulier de l’histoire, ou de
la politique, puisque l’histoire est fondamentalement politique par son contenu
et la politique, par sa forme, essentiellement historique. Toute autre histoire
est conditionnée par l’histoire politique. Parce que c’est au niveau du
politique et plus spécialement de l’Etat que réside la puissance qui fait que
quelque chose se produit ou ne se produit pas, se publie ou ne se publie pas dans
le monde, quel que soit le domaine culturel considéré. Voilà pourquoi je m’en
suis tenu à Hegel, estimant que, d’une part, les problèmes en particulier
socio-politiques, c’est-à-dire relevant de l’histoire, qui étaient fondamentaux
pour Hegel, sont demeurés tels. Par ailleurs, lorsque des problèmes apparemment
nouveaux apparaissent, tous peuvent se traiter à l’aide de Hegel ou à partir de
Hegel. Il avait dit que l’Etat rationnel satisfaisant les hommes et en
particulier leur désir profond de liberté, que l’Etat dans lequel les hommes
pouvaient vivre une vie libre, était d’abord un Etat socialement libéral, et
ensuite soucieux de solidarité. Premier principe : la liberté. Deuxième
principe seulement : la solidarité. Que le monde adéquat était constitué par
un Etat socialement libéral et ensuite solidaire, un Etat, politiquement
parlant, fort, autoritaire, mais respectant la liberté profonde des citoyens et
en particulier leur permettant, dans le domaine extra- ou supra-étatique de
l’art, de la religion et de la philosophie, de faire les choix qu’ils
souhaitaient avec une liberté totale. Cet Etat, c’est l’Etat qui est réalisé
aujourd’hui dans les pays les plus développés et que les autres Etats
s’efforcent plus ou moins d’imiter et de réaliser. Assurément, il se produit
des événements que Hegel n’avait pas pu ou voulu prophétiser, mais ils se
produisent dans un milieu qui est structuré par un régime social et
politique qui est celui qu’il avait présenté comme le régime le plus
rationnel qui soit. Alors, si je reprends le programme de vie qui avait été
présenté dans la devise révolutionnaire française « Liberté,
égalité, fraternité », je considère que, en ce qui concerne la liberté et
ses conditions, Hegel les avait définies pour l’essentiel. Que, pour ce qui est
de l’égalité et de la recherche de l’égalité, c’est-à-dire de l’égalitarisme,
ce dernier a été en quelque sorte une entreprise humaine condamnée par
l’histoire. L’égalité n’existe pas, et les tentatives de la réaliser par la
force, par la violence, ont toutes été démenties historiquement. Quant au
troisième mot d’ordre, la fraternité, il est bien le mot d’ordre de notre
époque, celui qui anime le mouvement sociétaliste – le sociétal ayant
succédé au social affecté par la chute des régimes socialistes – mouvement
cultivant l’intersubjectivité, l’interaction entre les hommes, les relations
qui peuvent s’insérer dans des plages que la réglementation n’a encore pas
atteintes, bref : tout ce qui concerne ce qu’on appelle la vie
participative. La fraternité, c’est bien ce qu’on voudrait voir se réaliser à
travers cette vie participative. Une vie qui compléterait, qui enrichirait la
vie institutionnelle régie par le droit. Cet élan de notre temps vers une
fraternisation accrue des hommes, cette recherche de la fraternité est une
recherche dont on ne peut, certes, que se féliciter, mais c’est un luxe, si je
puis dire, par rapport à la nécessité qui s’impose aux hommes de réaliser
d’abord les conditions d’une vie socio-politiquement libre. Assurément, le sociétal
est important, mais en faire un objectif qui doive être substitué au
développement de l’institutionnel qu’est le monde du droit, dont la valeur
essentielle, fondamentale, est la liberté, constitue une faute. L’Institution
ne doit pas être remplacée par la participation. Celle-ci ne rend pas celle-là
obsolète, elle ne peut que la compléter.
Comme
Jean Hyppolite, vous vous êtes attelé à la difficile tâche de traduire Hegel.
Vous avez traduit, entre autres, les trois plus grands textes de
Hegel : La Science de la logique, La Phénoménologie de
l’esprit, et L’Encyclopédie. Sachant qu’avec Hegel, la compréhension ne
va jamais de soi, que le texte allemand suscite une pluralité
d’interprétations, quel type de difficultés avez-vous dû affronter lors de vos
traductions ?
Il est certain
que la difficulté de Hegel n’a pas été absente de ma motivation. Il me semblait
qu’il avait dit quelque chose d’essentiel, mais dans un langage difficile en
raison de sa densité. La pensée hégélienne est une pensée difficile parce qu’elle
est une pensée qu’on peut appeler dialectique, en ce sens qu’elle conjugue deux
mouvements de pensée qui se présentent comme opposés. Penser d’une part, c’est
identifier ce qui est différent. Chercher une cohérence dans ce qui se présente
à nous, à l’intérieur du monde, du langage, comme différent. Il faut identifier
un tel différent, mais en même temps cette identité doit avoir un contenu pour
avoir un sens, c’est-à-dire que cette identité doit être déterminée ou
différenciée. Donc penser, c’est à la fois identifier la différence et
différencier l’identité. Il y a là deux mouvements de pensée que Hegel a
conjugués de façon exemplaire dans ce qu’il a appelé la dialectique. L’acte de
penser est un acte difficile parce qu’il conjugue ces deux mouvements
opposés : identifier une différence et en même temps retrouver, ou
reproduire dans cette identité une différence, mais nouvelle, qui
n’est pas celle, immédiate, dont on est parti, mais une différence
désormais comprise, cohérente avec elle-même. C’est cela, la dialectique. Hegel
en a fourni un exemple qui n’a pas été renvoyé au passé, mais qui me semble en
particulier pouvoir éclairer et mieux faire comprendre encore aujourd’hui, à
l’homme contemporain, la vie des collectivités humaines telle qu’elle se développe
dans l’histoire. Or une telle compréhension exige un effort intellectuel
considérable, car Hegel est un penseur qui ne bavarde pas, la densité de sa
pensée fait qu’on n’a jamais fini de le comprendre. Le mot d’ordre, ce n’est
donc pas de lire Hegel, mais de le relire constamment. – Les Français ont
fait, eux aussi, parmi d’autres, un tel effort. Hegel a été traduit assez tôt
en France. Dans tout le XIXème siècle, au XXème siècle également, il y a eu des
traducteurs français de Hegel. Il faut citer Jean Hyppolite bien sûr, et Eric
Weil, et puis, parmi les contemporains, Pierre-Jean Labarrière et Gwendoline
Jarczyk . – J’ai retraduit L’Encyclopédie dans ses
trois éditions de 1817, 1827 et 1830, avec ce qu’on a appelé les Additions, les Zusätze, c’est-à-dire les
notes de cours prises par des élèves ou des collègues de Hegel, qui, lorsqu’ils
ont proposé une édition générale de ses œuvres après sa mort, les ont publiées
en allemand. J’ai pris soin de traduire toutes ces Additions parce
qu’elles sont des commentaires par Hegel lui-même de ses textes canoniques, qui
étaient des textes très concis dont la publication était la destination. Hegel
n’écrivait pas comme il parlait. Dans les Additions, le langage de Hegel est un langage
moins serré, plus concret, plus détendu. Ce sont de précieux commentaires par
Hegel lui-même de ses textes essentiels. Des traductions existaient, j’ai
estimé qu’il ne m’était pas interdit d’en proposer aussi, étant donné la
difficulté de l’oeuvre. D’ailleurs, les traductions sont des affaires
de mode. On ne traduit pas de la même façon dans des époques différentes.
Il y a aussi que la traduction est un exercice problématique. Ainsi, traduire
Hegel, est-ce que c’est faire parler Hegel en français, est-ce que cela veut dire adapter
Hegel au français, ou, à l’inverse, plier, adapter le français à Hegel ? Que faut-il
privilégier ? Est-ce qu’il faut faire parler en français un Allemand :
Hegel, ou faire parler un Allemand : Hegel, en français ? Est-ce qu’on
s’installe d’abord dans le texte allemand de Hegel ou dans le texte
français ? Le traducteur doit s’efforcer de marier les deux, mais, comme
c’est une tâche qui comprend deux mouvements opposés, c’est toujours une
entreprise risquée. C’est pourquoi il est bon, lorsqu’il s’agit de textes importants,
qu’il n’y ait pas qu’un seul traducteur, mais plusieurs. C’est pourquoi je
trouve très bien que certains traduisent les textes que j’ai traduits et je
trouve que ce n’est pas si mal non plus pour moi de traduire ce que d’autres
ont traduits. Pour ma part, je privilégie l’auteur. Je veux dire que mes
traductions sont telles qu’on sent en me lisant, que l’auteur de la pensée
n’était pas un Français mais un Allemand. Je privilégie le texte original par
rapport au texte traduit. Le traducteur ne doit pas trahir l’auteur ou inventer
un nouveau texte ; il doit toujours rester modeste.
Vous
avez un parcours exemplaire dans la philosophie. Vous êtes une figure dominante
de la philosophie du XXème siècle. On vous doit un livre très important Le Droit naturel de Hegel paru en 1986 chez
Vrin. Quel est l’apport de Hegel sur le droit ?
Le texte sur Le Droit naturel de
Hegel est un petit texte qui fait 80 pages, un texte d’une densité absolue. Mon
ouvrage sur Le Droitnaturel de Hegel fait
666 pages, ce qui est trop ! Hegel donne au mot « droit »
une signification très vaste. Le droit, pour lui, désigne la réalisation ou
l’effectuation, en toutes ses conditions, de la liberté. Le droit, c’est
l’extériorisation de la liberté. Extériorisation de la liberté, le droit
ne parle donc pas de sa racine subjective, abstraite, enfouie profondément
en l’homme, qui s’exprime en particulier par le libre arbitre. Car l’homme
est un être qui n’est pas enchaîné par la causalité ou la nécessité telle qu’elle
se rencontre dans la nature. Il y a une liberté originaire de l’homme,
mais cette liberté qui s’exprime dans le libre arbitre est une liberté
principielle, donc abstraite, générale, et l’homme doit s’efforcer de la
réaliser dans un milieu qui est toujours déterminé, le monde dans lequel
il vit, un milieu naturel et historique qui est riche, rempli de diversité, où
il y a de la nouveauté, de l’imprévisible, des hasards. C’est là le monde de la
première nature, et le monde de la deuxième nature, celui de la culture qui se
déploie dans l’histoire, donc, à la fois, l’environnement physique,
l’environnement social, l’environnement politique, l’environnement culturel,
artistique, religieux et philosophique de l’homme. Il faut que le monde tout
entier devienne, pour sa liberté, un monde dans lequel elle est chez soi. Etre
libre, c’est bien être chez soi.
Hegel,
dans la préface des Principes de la philosophie du droit, déclare que «Tout ce
qui est rationnel est réel, tout ce qui est réel est rationnel ». Les termes
de réel et de rationnel se disant en plusieurs sens, pouvez-vous préciser la
signification exacte de la formule ?
Le mot allemand
qui est utilisé par Hegel c’est wirklich :
réel, et : wirklichkeit :
réalité. Mais wirklich vient
du verbe wirken, qui
veut dire : œuvrer. Werk,
en allemand, c’est l’œuvre. Par conséquent, le wirklich, le réel ou l’effectif, c’est
l’effectué. Ce n’est pas le réel sensible tel qu’il est donné au premier regard
jeté sur le monde. Nous sommes plongés dans un monde de choses qui sont
sensibles, colorées, qui sont éparpillées dans l’espace, et qui se succèdent
dans le temps. L’espace, c’est l’extériorité simultanée, et le temps, c’est
l’extériorité continuée. C’est ce dans quoi nous sommes immédiatement immergés.
Mais l’effectif, le wirklich,
c’est ce monde sensible en tant qu’il est cultivé, travaillé, œuvré, fait ou
refait par l’homme, donc repris, en sa nécessité toujours partielle, par la
liberté totalisante qui le soumet rationnellement à ses fins. La raison a
puissance sur le simple réel du sensible et se réalise elle-même en lui alors
élevé au sens d’un effectif. Pour le rationalisme hégélien, c’est donc parce
que la raison se réalise que le réel se rationalise. Voilà pourquoi tout ce qui
est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel. Hegel prononce la
phrase dans un certain ordre, qui ne doit pas être inversé : le rationnel
est réel et le réel est rationnel. C’est bien toujours l’identité, principe de
la raison, qui est première, la différence, principe de la simple réalité (Realität), n’étant jamais
que seconde. C’est parce que l’identité se différencie que la différence peut
s’identifier. Tout le problème est de savoir quel est le point de départ ?
Beaucoup de penseurs ont estimé que ce qui est premier, c’est la différence, et
qu’il faut l’identifier, comme s’efforcent de le faire l’épicurisme et le
matérialisme par exemple. Pour eux, ce qui est premier c’est la différence.
Mais si la différence est première, comment peut-elle s’identifier, puisqu’une
telle réflexivité implique déjà son identité à soi ? Au contraire, le
schéma hégélien, c’est le schéma : l’identité se différencie. L’identité
n’est elle-même que si elle se différencie (de la différence), mais l’identité
différenciée, c’est la totalité. Un tel schéma est le schéma chrétien du Dieu
qui se différencie comme créateur d’un monde, qui se met en rapport avec
quelque chose qu’il tire de lui mais qu’il extériorise. C’est ce schéma
chrétien du Dieu qui s’incarne que Hegel a rationalisé dans le concept de l’identité
qui se différencie.
Pour
vous, Hegel n’est pas le précurseur de Marx mais le penseur chrétien de la
philosophie allemande, un luthérien convaincu. Vous considérez l’hégélianisme
comme la philosophie de la liberté et le marxisme comme une parenthèse de
l’histoire. Etes-vous un anti-marxiste, ou considérez-vous qu’il existe
« un échec historique du marxisme » ?
Marx a été un
penseur d’emblée anti-hégélien. Il avait fait sa thèse sur l’atomisme et il est
resté atomiste toute sa vie : pour lui, ce qui est premier c’est la
différence, c’est la matière. Mais, s’il a toujours été anti-hégélien, il est
resté jusqu’au bout un hégélianisant. Pensant toujours avec Hegel, mais contre
Hegel. Le schéma hégélien, plus précisément, c’est : A pose la relation
antagonique de A et de non-A ou B. Schéma que Hegel concrétise ainsi :
l’Un pose la différence de l’Un et du multiple. L’Un est le principe de sa
relation négative au multiple, l’Un s’aliène en quelque sorte, devient autre
que lui-même, en posant le rapport de l’Un au multiple. Marx a repris le
schéma, mais, pour lui, le terme porteur, c’est le multiple, qui porte sa
relation antagonique à l’Un. Bref, Marx est essentiellement un hégélianisant anti-hégélien.
Est-ce que l’Histoire a condamné le marxisme, je pense que oui. Marx avait,
certes, raison de considérer que la liberté essentielle à l’homme ne peut
rester un simple principe abstrait. Et pour lui, la concrétisation de la
liberté consistait à en égaliser la réalisation parmi les hommes. On n’est pas
libre tout seul, on est libre aussi dans des rapports avec les autres, mais ces
rapports sont en fait aussi régis par l’inégalité, en toutes ses formes. Marx a
alors pensé que la concrétisation de la liberté exigeait une égalisation de ce
que Tocqueville appelait « les conditions ». Les régimes marxistes ou
communistes ont eu recours à la violence pour imposer cette égalisation, en
supprimant par là la liberté principielle, abstraite ou formelle, alors
dénoncée comme bourgeoise, pour la concrétiser. Mais, en niant la liberté en
son origine, celle de penser et d’exprimer sa pensée, on a nié du même coup sa
réalisation dès lors seulement prétendue, et c’est cette négation totale de la
liberté qui a été elle-même niée dans l’inévitable écroulement des Etats
socialistes.
Tout le
monde parle de « La dialectique du maître et de l’esclave ».
Pouvez-vous situer votre interprétation de cette analyse célèbre de Hegel par
rapport à celle de Kojève, aujourd’hui bien contestée ?
Je dirai
simplement que la lutte du maître et de l’esclave constitue l’un des passages
les plus connus de La
Phénoménologie de l’esprit de Hegel, mais que c’est un passage
parmi d’autres. Sa dialectique se termine en ceci que l’esclave travaillant se
libère en devenant le maître du maître. Mais on ne peut pas en rester là, car
ce redoublement de la maîtrise est une double abstraction. La conciliation
concrète de la liberté et du travail réside bien plutôt dans le travail
intellectuel, le travail de la pensée. Parce que la pensée, c’est la liberté
même, en sa source. Par conséquent, l’échec de la lutte du maître et de
l’esclave, du combat de la liberté et du travail qui est d’abord le travail
servile, le dépassement de ce conflit qui est constitutif de l’humanité en tant
que l’homme est en rapport avec l’autre homme – on ne devient homme que
parmi les hommes, à travers les autres hommes, par les autres hommes – ce
conflit est résolu, suivant Hegel, dans cette figure nouvelle de l’esprit
humain, à destination universelle, qu’est le travail intellectuel. Le travail
intellectuel est un effort, il est pénible, et en même temps le travailleur y
jouit d’être son propre maître. Il travaille le matériau au nom d’un projet qui
l’habite et par lequel il se libère de son lien immédiat, passif, à la matière.
Et la suite de La
Phénoménologie de l’esprit montre quelles sont les conditions
d’existence qui permettent à chaque homme d’être un travailleur intellectuel.
Il y a des conditions sociales, il y a des conditions politiques, et toute la
dialectique en est lancée. C’est bien là un moment important, mais Kojève a
tort, à mes yeux, de privilégier comme il le fait ce moment, parce qu’il n’est
qu’un épisode dialectique de la constitution de l’homme comme homme, et qu’il y
en a beaucoup d’autres qui l’accomplissent. L’un des plus importants a été,
pour Hegel, le moment de la religion, que Kojève, se comportant en pur
idéologue, a rabaissé en prétendant mieux savoir que Hegel lui-même qui était
véritablement Hegel, à savoir, selon lui, un philosophe athée. Or Hegel a
affirmé sans ambages qu’il était un penseur luthérien, confirmé dans sa
philosophie par sa religion et dans sa religion par sa philosophie. Il faut
faire à un grand penseur l’honneur de juger qu’il a été celui qu’il a dit qu’il
était, au lieu de lui imputer de médiocres considérations, par exemple, de
prudence.
Comment
Kojève a-t-il pu douter de cela ?
Kojève était un
grand esprit, l’un des plus grands esprits du siècle, mais, j’ose le mot, un
peu manipulateur. Il a servi la diplomatie française. J’ai rencontré des gens
qui ont travaillé avec lui, Raymond Barre par exemple. Il me disait que c’était
un négociateur extrêmement redoutable dans les questions, notamment, de
politique économique. Kojève considérait, au fond, qu’il n’y avait pas de
différence entre le capitalisme et le socialisme, car ils se développaient sur
la même base matérielle, économique. Il pensait que les capitalistes étaient
des socialistes qui s’ignoraient comme socialistes. L’Histoire a plutôt
montré que les socialistes étaient des capitalistes qui n’étaient pas
encore conscients d’être tels. En cela, il s’est trompé, mais il était persuadé
qu’il y avait une unité principielle homogène dans le monde moderne. C’est
d’ailleurs ce qui pouvait le faire excuser d’être un espion. Car quel sens
y-a-t-il à espionner le même au profit du même ? Vénielle politiquement
parlant était donc sa manière de réarranger l’histoire, aussi de la pensée et
de la philosophie, en voyant par exemple déjà Marx dans Hegel. Il est tout
aussi vrai que, philosophiquement parlant, c’est une autre affaire. Bref :
Kojève, sans doute un faussaire, mais, sûrement, de génie !
« La
fin de l’histoire » est un concept qui apparaît dans La Phénoménologie de
l’Esprit de Hegel. Celui-ci prête à interprétation. Signifie-t-il l’achèvement,
le terme final de l’histoire, la finalité de l’histoire ou l’histoire est-elle
d’ores et déjà finie ?
Reprenons la
devise républicaine, par laquelle les révolutionnaires français ont exprimé
leur objectif: « Liberté, égalité, fraternité ». La fraternisation
semble être le mot d’ordre de la dernière époque, dans laquelle on vit. Je vous
ai dit tout à l’heure que je pensais que l’absolutiser était se moquer de
l’Institution à l’intérieur de laquelle seul l’homme peut, au surplus, et sait
si bien, fraterniser. Après avoir durant deux siècles (1789-1989) tenté de se
définir par la réalisation de l’égalité, ce qui n’a guère abouti. Mais la
valeur que l’histoire a voulu réaliser, et qui l’a mue, conduite, portée depuis
les origines, cela a été la valeur centrale, la valeur à laquelle aucune autre
ne peut être comparée, à savoir la liberté. L’homme veut être libre parce qu’il
se sent d’emblée libre, même si la liberté native, très abstraite en son
caractère purement subjectif, exige d’être concrétisée par un travail de
libération, qui n’a pas de fin. L’histoire a d’abord été menée, même si elle ne
le disait pas expressément, à travers les auteurs qui traitaient d’elle ou
qui organisaient sa pratique, par le désir de libération, et les conditions de
cette libération ont été progressivement comprises et réalisées dans tout le
cours de l’histoire. Celle-ci a été conduite par l’effort constant qui a été
celui des hommes pour connaître les conditions d’une existence libre et
réaliser ces conditions. Le progrès de cette connaissance et le progrès de
cette réalisation ne font qu’un. C’est en réalisant ce qu’elle pensait être ces
conditions, que la liberté a de mieux en mieux compris ce en quoi elle
consistait. Et comme les conditions de la liberté – conditions multiples,
d’ordre naturel et d’ordre culturel, et qui forment système — ne peuvent être
réalisées que par la puissance effective et organisatrice, totalisatrice, mais
non totalitaire, qui est celle de l’Etat rationnel, c’est à l’intérieur de cet
Etat qu’une vie libre a pu s’accomplir historiquement. Dans cette histoire,
assurément il y a eu des pauses, il y a eu des régressions, mais dans
l’ensemble elle a bien été la découverte progressive des conditions de la
liberté et la réalisation progressive de ces conditions. Elle a un sens
précisément parce que ces conditions forment un système, un tout. L’Esprit est
toujours là dans tout ce qu’il fait. Cela ne veut pas dire que la politique
détermine certaines religions. Mais certaines religions sont incompatibles avec
certaines formes politiques. Il faut qu’il y ait un seul et même Esprit qui
s’exprime dans des dimensions qui doivent être cultivées de façon indépendante,
chacune selon ses exigences propres.
Hegel
rappelait que « Nous avons souvent le mot paix à la bouche. Nous sommes
pour la vertu. Nous édifions des idées pacifistes mais sans construire un monde
de paix. Nous nous complaisons dans notre bonne conscience. » Que serait,
pour vous, un monde de paix ?
La connaissance
et mise en œuvre des conditions de la liberté ne crée pas nécessairement un
monde pacifique. Pourquoi ? Ce qui assurerait la paix, semble-t-il, la
condition de celle-ci, serait qu’il puisse y avoir un Etat universel. Or, et
c’est ce que pense en particulier Hegel, l’Etat-nation est la forme de vie
objective accomplie, et sa vérité consiste dans un Etat politiquement fort et
socio-culturellement libéral d’abord, et solidaire ensuite. Mais cet
Etat-nation est à jamais multiple. Hegel, pas plus que Kant, ne croit à la
possibilité de la réalisation d’un Etat unique et universel, capable, comme
tel, d’assurer la paix totale. Pour lui, l’Etat-nation est à jamais
particulier. C’est là la limite de l’esprit objectif ou objectivé. C’est
pourquoi un hégélien doit considérer que la collaboration entre les
Etats-nations doit être la plus intense possible, la plus pacifiante possible,
sans qu’il soit possible d’envisager la réalisation d’un Etat mondial effectif.
Mais il ne peut pas affirmer que l’unité du genre humain sera une unité
politique. Le monde politique, en tant que monde objectif, se fait par essence
objection à lui-même. Seul l’esprit absolu : l’art, la religion, la
philosophie, a vocation ontologique à s’unifier. Hegel, pas plus que Kant,
n’affirme la réalité à venir d’un Etat universel. Par conséquent, s’ils ont
raison – ce que je crois – il faut s’en tenir à la collaboration des nations,
dont la différence, puisque toute différence a pour destination de devenir
opposition, rend toujours possible une guerre entre elles. Même si tous les Etats
du monde réalisaient le modèle hégélien, ce modèle ne pourrait pas assurer
l’existence d’une paix éternelle. Parce qu’il y aura toujours des raisons pour
les Etats de se faire concurrence et par conséquent de pouvoir être amené à des
conflits. Ce qui ne veut pas dire que Hegel soit belliciste. Il considère,
certes, que la guerre empêche les nations de s’assoupir en elles-mêmes, de
laisser s’abîmer le lien civique etc., quand tout va apparemment trop bien.
Mais la positivité de l’existence du négatif ne signifie pas que, en son
essence, celui-ci devient un positif. – Un hégélien doit donc souhaiter la
collaboration pacifiante renforcée des nations européennes, mais, surtout,
contribuer à ce que le rêve d’une nation européenne (toujours à venir) ne fragilise
pas l’attachement de leurs citoyens aux nations existantes et la vigueur de
celles-ci. Il est vrai que des Etats européens peuvent vouloir l’Europe pour
faire faire par d’autres ce qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas faire
eux-mêmes.
Hegel
est au programme du concours de l’agrégation de philosophie 2019…
En effet. Mais
Hegel a été très longtemps absent du paysage culturel français. Avant la guerre
de 1870, Hegel était populaire. Il a été introduit, diffusé en France par des
intellectuels qui ont eu une très grande influence. Victor Cousin, tout
puissant sous la Restauration, était hégélien. Hyppolite Taine, qui a régné
pendant tout le second Empire, déclarait qu’il avait lu Hegel pendant des
années tous les jours. Jusqu’en 1870, Hegel était chez lui en France. Au début
de l’année 1870, Taine et Renan ont même pris l’initiative de lancer dans Le Journal des débats une
souscription pour qu’on élève une statue à Hegel sur l’une des places les plus
monumentales de Paris. Puis il y a eu la guerre, la défaite française. Alors il
fut rejeté. Plus tard, son image a été restaurée en France par un homme
politique qui avait la fibre sociale, Jean Jaurès. Jaurès a réhabilité
Hegel pour sa philosophie proprement sociale, et non pas politique. Pour
sa philosophie sociale, parce que Hegel distinguait la société civile de l’Etat
et considérait que l’Etat même le plus autoritaire politiquement
devait libérer en lui de lui une vie socio-économico-culturelle, où
l’initiative des individus pourrait se déployer et faire des citoyens des
hommes d’abord très actifs socialement parlant. C’est ce Hegel-là qui a été
réhabilité par Lévy-Bruhl, par Jean Jaurès, des gens qui s’inscrivaient à
gauche. La guerre de 14-18 n’a pas été, non plus, très favorable à Hegel. C’est
entre les deux guerres, notamment par l’intervention de Kojève et de Hyppolite,
que Hegel est redevenu chez lui en France, si je puis dire.
Pourquoi
doit-on encore lire Hegel aujourd’hui ?
Parce que, me semble-t-il, le monde dans lequel nous vivons, dans ses éléments les plus dynamiques, est un monde qui est encore hégélien. Les Etats les plus avancés de la planète réalisent le modèle que Hegel a proposé comme rationnel. J’évoquais tout à l’heure devant vous ce que m’avait écrit Maurice Schuman : « Mais c’est extraordinaire comme l’Etat gaullien est un Etat hégélien ». En effet, ce sont des Etats régis par le droit, des Etats de droit, socio-économiquement et culturellement libéraux, soucieux de la solidarité, mais adoptant comme principe de base le principe de la libre initiative. L’histoire leur a montré qu’on pouvait aller de la liberté à la solidarité, mais non pas, en fait, de la solidarité à la liberté. Ces Etat sont politiquement forts par l’autorité du Chef de l’Etat, mais aussi, et c’est un thème hégélien, en raison de la participation des citoyens. Hegel situait cette participation au niveau des communes et des corporations (on parle aujourd’hui de syndicats). Donc, un Chef de l’Etat, une Tête de l’Etat, puis, bien sûr,des pouvoirs législatifs, exécutifs, judiciaires. Et des Etats tels que la liberté est réalisée en eux parce qu’eux-mêmes se sentent suffisamment forts, en leurs institutions qui impliquent l’adhésion des citoyens, pour pouvoir se montrer libéraux. Plus un Etat se sent sûr de lui-même et se sent fort, plus il peut se montrer libéral. Donc conciliation de l’exigence de liberté et de l’exigence de l’autorité qui doit pacifier la vie à l’intérieur d’une collectivité. Voilà pourquoi le monde, me semble-t-il, dans ses éléments les plus développés, est un monde régi sur le modèle hégélien. Alors, évidemment, aujourd’hui, il y a des problèmes qui ne se posaient pas du temps de Hegel, le problème de la démographie, le problème des migrations, le problème de l’écologie (concernant ce dernier, Hegel a toujours considéré que la culture était certes une maîtrise de la nature, mais maîtrise cela ne veut pas dire l’écrasement ou la destruction de la nature). Les relations entre la nature et l’esprit sont des relations dialectiques et non pas des relations abstraites qui feraient penser que l’esprit peut faire ce qu’il veut de la nature. Même pour les problèmes à l’instant évoqués qui ne se posaient pas du temps de Hegel, le hégélianisme fournit des principes qui permettent, me semble-t-il, de les éclairer, parce que le cadre institutionnel fixé par Hegel est un cadre qui est encore d’actualité. On peut au moins faciliter leur solution en adoptant devant tous ces problèmes une attitude hégélianisante. C’est pourquoi je suis hégélien et je considère que Hegel reste toujours à l’ordre du jour. Si vous voulez que je sois encore plus radical, je dirai, pour conclure, que rien d’essentiel et de nouveau, dans ce champ, n’a été apporté par un quelconque penseur depuis Hegel. Il faut donc bien lire et relire Hegel.
Bruno Coulais : « La musique est un autre personnage du film »
Cioran estimait que
« Dieu ne se rendait pas compte de tout ce qu’il devait à Bach ». Le
cinéma français sait parfaitement ce qu’il doit à Bruno Coulais. A tel point
qu’il lui a ouvert grand les portes du cercle très fermé des stars de la composition
de musique de film. C’est simple, en France, ils sont une poignée. Dans le
métier, cet artiste génial a même une place à part. Considéré comme un modèle,
réclamé, sollicité systématiquement par les plus grands, indispensable à
beaucoup, Bruno Coulais est le compositeur attitré des meilleurs réalisateurs.
On le retrouve au générique des films de Claude Berri, Alain Corneau, Bertrand
Tavernier, Benoît Jacquot, James Huth, Etienne Chatillez, Jacques Perrin, Josée
Dayan, Alain Chabat, Olivier Marchal, Laurent Heynemann, Jean-Paul Salomé,
Jean-François Richet, Frédéric Schoendoerffer, Volker Schlöndorff, Tomm Moore,
Henry Selick etc. Pour cet immense compositeur, la musique dans un film n’est
pas là pour souligner l’image mais pour révéler une part secrète, une part mystérieuse,
inconnue du film. Elle est là pour exprimer le non-dit.
Sa carrière débute, il y a quarante ans, sur un moment de grâce. Tout commence par une rencontre. Le grand documentariste François Reichenbach lui fait confiance et lui commande la musique de son film « Mexico-Magico ». Bruno Coulais a à peine vingt ans. Sa partition remarquable et remarquée contribue au succès du film.Tout s’enchaîne alors très vite. Bruno Coulais multiplie les collaborations avec des réalisateurs d’horizons divers, du film intimiste au grand blockbuster à la française comme « Vidocq », « Les Rivières Pourpres », « Belphégor », travaille pour la talentueuse Josée Dayan pour qui il compose la musique de son « Balzac », celle du « Comte de Monte-Cristo ». Succès. Bruno Coulais signe ensuite la musique de superbes films d’animation comme « Coraline »,« Mune, le Gardien de la Lune », « Brendan et le secret de Kells », des documentaires comme « Océans »,« Les Saisons », « Genesis », « Le Peuple migrateur ». Succès encore. Sa filmographie est impressionnante. Plus d’une centaine de longs-métrages, presque autant de téléfilms, Bruno Coulais enchaîne les succès. Pas étonnant puisque cet immense artiste a un style inimitable. Bruno Coulais n’a pas son pareil pour créer des climats fantastiques, oniriques, lyriques, poétiques, mystérieux ou inquiétants. Des œuvres d’une beauté unique. Bruno Coulais qui fuit la facilité, se réinvente à chaque film. Le musicien, toujours en éveil, s’attache en permanence à construire des formules orchestrales inédites. Pour se surprendre, se dépasser, se jouer de la musique. Pour atteindre quelque chose qui ressemble à l’absolu. Question de sincérité, question d’exigence. Comme s’il avait le goût de la perfection ou celui du chef d’œuvre, comme si c’était pour lui une façon de vivre au-dessus de lui-même. Résultat : sa musique joue sur la corde de notre sensibilité. Elle nous va droit au fond de l’âme. Quelques notes de Bruno Coulais et on comprend mieux ce mot de Kant « la musique est la langue des émotions ». Impossible d’oublier ses oeuvres envoûtantes. La musique de « Microcosmos », c’est lui. Celle d’ »Himalaya », c’est lui. « Les Choristes », c’est lui. Trois films, trois Césars de la meilleure musique de film. Les récompenses pleuvent, françaises et internationales, en 2007 Le Grand prix Sacem de la musique pour l’audiovisuel, en 2010 un Annie Awards pour « Coraline ». Si le Maestro est l’enfant chéri du cinéma, l’homme passionné, jamais grisé par ses succès, reste d’une simplicité, d’une humilité, d’une bonté désarmante.
Rencontre avec un
merveilleux compositeur.
Bruno Coulais reçoit en 2005 le César de
la meilleure musique de film pour « Les Choristes »
Vous avez un parcours
incroyable, artiste réputé, personnalité marquante du cinéma français,
compositeur de musique de films césarisé, encensé, sollicité. Que cherchez-vous
à atteindre par la musique ?
La musique est un rêve
d’enfant. D’ailleurs, si j’avais su enfant, qu’un jour je vivrais de la
musique, je crois que j’aurai été beaucoup plus heureux encore ! Depuis
toujours, la musique est un soutien formidable. Plus qu’un soutien, c’est une
façon d’être. La musique fait partie de ma vie, je ne pourrais pas concevoir la
vie sans musique. Pour moi, le travail musical s’apparente à une quête infinie.
On n’en sait jamais assez. Un jour, on progresse, on découvre des choses, le
lendemain on rechute, mais on replonge à nouveau avec passion dans l’aventure
musicale afin de rechercher en permanence des voies nouvelles. C’est un presque
un jeu avec soi-même.
La musique, était-ce
une vocation ?
Oui ! Durant mes
études de musique, à 17-18 ans, j’ai effectué un stage dans l’auditorium
parisien « Antegor ». Là, j’ai eu la chance de rencontrer François
Reichenbach, un grand documentariste. Tout de suite, il m’a proposé de faire
une musique de film. A l’époque, je ne savais rien de la musique de film.
Pourtant il m’a fait confiance. Il savait que je composais. Peut-être a-t-il
pressenti en moi une sorte de don.Toujours est-il qu’il m’a confié la
composition de la musique originale du documentaire
« Mexico-Magico ». Celle-ci, d’un seul coup, m’a ouvert au cinéma.
J’ai découvert alors toute la richesse du monde cinématographique. En
travaillant sur des films, j’ai commencé à me passionner, pas tellement pour la
musique de film, mais pour la relation qu’entretiennent la musique et le
cinéma. Comment faire vibrer des images, comment faire que la musique devienne
un personnage du film.
Qui sont vos maîtres
en matière de musique ?
Je viens de la musique
classique, alors évidemment de Gesualdo à la musique contemporaine. En fait, je
m’intéresse à toutes les musiques, classique, variété, jazz (TheloniousMonk)
polyphonies corses, rap, musique traditionnelle, musiques du monde. Mais
disons, bien sûr, qu’à la base, c’est Bach, Mozart, Debussy, Ravel, Stravinsky…
Pour vous, la musique
est-elle une façon d’exprimer les non-dits ? Les notes seraient-elles des
mots sonores qui expriment ce qui est tu, ce qui est indicible ?
C’est exactement
l’idée que je me fais de la musique de film.
Lacan affirme que
l’œuvre d’art c’est « L’inconscient qui parle à l’inconscient » Etes-vous
d’accord avec lui ?
Totalement ! Je
vous avoue que lorsqu’un réalisateur me confie que grâce à la musique, il a
découvert tout un pan du film auquel il n’aurait pas pensé, j’estime avoir
réussi mon coup ! Il me semble que la musique n’est pas là pour souligner
l’image ou ce que l’on voit déjà, ce que disent les acteurs ou ce que
l’histoire raconte, mais justement pour révéler toute une part secrète, une
part mystérieuse, inconnue du film.
Vous seriez, en
quelque sorte, leur analyste…
Je le leur dis
souvent !
Et vous, que
souhaitez-vous dire avec ces climats oniriques d’une inquiétante douceur qui
habitent parfois vos musiques…
Ce qui est bizarre
avec la musique, c’est qu’elle nous échappe. Ce faisant, elle révèle des choses
profondes. Parfois, je me dis que pour ma prochaine composition, j’aimerais
vraiment changer de musique. Mais on a des manies, des tics qui nous
appartiennent et qui reviennent immanquablement. Je les vois ces tics,
j’aimerais bien m’en débarrasser, mais j’ai du mal. C’est sûrement une chose
qui nous possède malgré nous, alors qu’on croit la posséder…
C’est souvent la
lumière. La lumière est très importante pour l’orchestration, pour les
tonalités. Par exemple, il y a des lumières très réalistes de films sur
lesquelles je suis incapable d’écrire. J’ai besoin de voir les premières
images, de découvrir le climat du film, ce que dégage le film, l’ambiance, la
lumière, le jeu des acteurs pour écrire sur un film. Il y a, pour moi, une
correspondance très forte entre lumière et tonalité, orchestration, couleur musicale.
Il y a des lumières extraordinaires qui palpitent, d’autres qui sont ternes,
comme les films d’ailleurs. C’est au compositeur de capter cela, bien plus que
l’histoire ou le scénario.
Vous semblez avoir un
monde intérieur très riche, poétique, fantastique, lyrique, secret, mystérieux,
onirique. Un peu un univers à la Tim Burton. Etes-vous un homme hypersensible,
affectif ?
Oui, un peu trop
même ! Parfois, j’aimerais être plus détaché… Hier, par exemple, j’étais
en enregistrement, et malgré mon savoir-faire (même si j’ai l’impression qu’il
faut se méfier du savoir-faire) j’avais peur. Je suis toujours inquiet de ce
que j’écris.
Parce que vous
doutez ?
Oui, parce que je
pense que rien n’est jamais acquis. C’est pour cela que j’essaye de ne pas trop
regarder en arrière. D’avancer, cela m’aide. Il faudrait toujours travailler
sur un film comme si c’était le premier.
En tant que
compositeur de musique de films, vous réussissez l’exploit d’éviter la redite.
Vous cherchez toujours l’inédit. Comment faites-vous pour vous renouveler, vous
réinventer à chaque nouvelle composition ? Souhaitez-vous renaître mille
fois dans une même vie ?
Peut-être. En tout
cas, c’est ce que j’attends du cinéma…Chaque film est particulier, à chaque
fois, vous découvrez un nouveau monde, un nouvel univers. C’est la même chose
pour les concerts. Cela m’ennuierait de répéter ce que j’ai déjà fait. Ce
serait comme une petite mort. Alors que découvrir un monde, « se mettre en
danger », tenter des choses nouvelles, c’est tellement plus stimulant que
de répéter.
Non. Je suis incapable
d’aller voir quelqu’un et de lui dire, même si je l’admire beaucoup, j’ai envie
de travailler avec vous. Par coquetterie aussi, j’aime bien qu’on me choisisse…
Je trouve votre
musique éminemment symbolique. Elle réunit au lieu de diviser. Vous dynamitez
les murs, les frontières, les mondes. Vous êtes celui qui rassemble, qui fédère
toutes les cultures, tous les peuples, tous les genres. Votre musique puise
dans nos racines les plus profondes, les plus ancestrales de l’humanité. Comme
si vous retrouviez notre origine commune à tous. De ce fait, votre musique est
universelle, elle parle à tout le monde…
Cela me plait beaucoup
même si ce n’est pas une chose consciente chez moi ! Comme je ne peux pas faire
les choses à moitié, peut-être que l’énergie, la curiosité que je mets dans
chaque nouveau projet, qui est toujours pour moi un terrain d’expérimentation,
où je tente brassage de musiques, métissage culturel, recherche de sonorités
originales, concourent à créer cette impression. Instinctivement, j’aspire à
créer des fusions, des alliances inédites. C’était le cas, par exemple, pour le
film « Himalaya », entre chœurs tibétains, percussions égyptiennes et
polyphonies corses. Au lieu de revisiter les mêmes musiques, je préfère
explorer de nouvelles pistes, m’aventurer vers des chemins inconnus. C’est ce
qui fait la beauté de ce travail. Prospecter, découvrir, innover, créer, oser,
se surprendre. Non au dogme, oui au risque. D’ailleurs, je préfère me tromper
que de ne pas m’engager.
Dans
« Microcosmos », vous êtes tour à tour un arbre, une feuille, une
abeille, le vent, l’air, l’eau, la terre, le soleil. Au lieu de nous couper du
monde, votre musique est le monde. Est-ce ainsi que vous nous offrez toute la
poésie du monde ?
Je ne sais pas !
En tout cas, il y a un malentendu, parce que je suis vraiment un homme des
villes ! J’ai fait beaucoup de films sur la nature alors que j’aime le
béton, la ville, je suis résolument parisien. Mais des films animaliers
comme « Microcosmos » vont au-delà de la nature, ce sont des
films fantastiques, le fruit de grands cinéastes. J’ai vu
« Microcosmos » comme un enfant découvre une forêt. Il n’a pas une
explication rationnelle de ce qu’il voit mais il éprouve des sensations. Avec
la musique, il ne s’agissait pas de prendre le spectateur par la main en lui
disant il faut que tu vois ça, il faut comprendre ça, mais de créer un climat
un peu fantastique. Cela commence par une comptine qui laisse penser au
spectateur qu’il découvre un monde, qu’il a accès à un monde nouveau.
Une comptine
enfantine ?
Oui. L’enfance n’est
pas une période si gentille que ça, c’est le temps des premières terreurs. Très
souvent d’ailleurs, quand je veux créer de l’angoisse, je pars d’éléments
musicaux qui viennent de l’enfance, des comptines, des boites à musique. Des
choses très ténues peuvent être très angoissantes, par contraste, au cinéma.
Discutez-vous de la
musique avec le cinéaste avant le tournage du film ? Ou le réalisateur
vous fait-il entièrement confiance, convaincu que votre musique est faite pour
son film ?
Les meilleurs sont
ceux qui vous laissent croire que vous êtes l’homme idéal, l’homme de la
situation ! Et même s’ils nourrissent parfois des angoisses parce qu’au
fond, une musique est toujours abstraite avant qu’on ne l’entende, quand ils
vous font confiance, vous avez des ailes ! Cela vous porte. Si je sens
qu’il y a des doutes, qu’un réalisateur me dit une chose un jour et son
contraire le lendemain, cela me paralyse un peu. Mais maintenant, avec
l’expérience, je devine tout de suite quand cela ne va pas marcher.
Est-ce que le cinéaste
sait déjà lui-même ce qu’il veut ?
Non, très souvent, il
ne le sait pas. Donc il attend quelque chose de moi. Je préfère ça plutôt que
quelqu’un qui me dise : « Voilà, il faudrait faire un truc à la
manière de… » Parfois, il faut « trahir » le cinéaste parce que
c’est le film le maître plus que le réalisateur. Il faut le trahir avec
bienveillance, bien sûr.
Le trahir, cela
signifie quoi ?
Peut-être aller contre
ce qu’il attend de la musique de son film. Parce que le film exige une autre
musique.
Vous mettez vos pas
dans les pas du cinéaste. N’avez-vous pas peur de marcher sur ses rêves ?
Non ! La musique
est une autre lecture, c’est un autre personnage du film. Le réalisateur n’a
pas la main sur son film. Un film, c’est un travail collectif. Comme c’est un
art du groupe, il y a des choses qui vous échappent. Tel acteur, tout à coup,
avec telle actrice avec beaucoup de grâce, va transformer ce que le réalisateur
attendait d’eux et c’est au cinéaste d’accepter cette métamorphose…
Et la musique vient se
greffer dessus …
Oui, j’en rajoute une
couche !
Pensez-vous qu’il n’y
a pas de bon film sans bonne musique ?
Non, je pense qu’il y
a de très bons films qui n’ont pas besoin de musique, et cela, il faut avoir
l’honnêteté de le dire. Et il peut y avoir de mauvais films avec une bonne
musique. Enfin, une bonne musique ne peut pas sauver un mauvais film.
Avez-vous un titre de
film qui vous vienne à l’esprit, où l’on peut parler d’accord parfait entre la
musique et le film ?
Peut-être pas tout le
film, mais une séquence de la « Nuit du Chasseur» de Charles Laughton. Quand la
petite fille chante dans la barque, là, c’est la perfection absolue parce que
la musique prend le pas sur la narration. La musique devient le maître du film.
On sait que tout le temps de la chanson, les enfants seront protégés comme
s’ils étaient protégés par la musique. L’action s’arrête. Le temps est suspendu
et c’est la musique qui prend le relais de la narration. Cette perfection,
c’est très rare au cinéma.
La musique est-elle
censée habiller l’image, la révéler, la prolonger, l’épouser, l’augmenter ?
Révéler non pas
l’image mais révéler une part secrète du film. Le non-dit. Quelque chose qui
donne une autre lecture du film sans que le spectateur s’en aperçoive. Il ne
faut pas, non plus, que la musique sollicite trop le spectateur, car on peut
manipuler et une séquence et le spectateur avec une musique.
En 2005, vous avez
créé un Stabat mater. Avez-vous d’autres projets de ce genre ?
Oui, j’ai fait
beaucoup de musique pour choeurs. Dans les années 2000, je collaborais à tant
de films que j’ai éprouvé soudain une terrible lassitude du cinéma, comme une
sorte de rejet. Il faut dire que je multipliais les Serial killers, des polars
très durs comme « Les Rivières Pourpres », avec des scènes de crimes. Des
films que j’aimais beaucoup mais qui se passaient dans des morgues. Comme le
dit un philosophe chinois « On devient la nourriture qu’on absorbe »…
Alors j’ai réduit mes contributions au cinéma et je suis revenu à la musique.
J’ai compris qu’il fallait que je me consacre à d’autres projets, que j’écrive
pour le concert et que j’alterne concert et cinéma.Du coup, j’ai retrouvé avec
plaisir le collectif du cinéma.
Vous avez reçu trois
César de la Meilleure musique de film, le premier en 1997 pour
« Microcosmos », le second en 1999, pour « Himalaya », le
troisième en 2005 pour « Les Choristes ». Quel est votre meilleur
souvenir ?
« Microcosmos »
est un très beau souvenir. D’une part, parce que ce film a fait décoller ma
carrière. D’autre part, parce mon fils chantait la comptine dedans…
C’est agréable la
reconnaissance de ses pairs ?
Bien sûr. Mais il faut
s’en méfier aussi parce qu’on peut penser qu’on sait faire les choses. Je crois
qu’il faut faire attention avec la réussite, on peut s’embourgeoiser…
Aviez-vous préparé un
petit texte pour les César ?
Non, jamais ! Je
préfère les choses spontanées. Pareil pour les Master class, je n’ai jamais de
notes. Du coup, on est plus réactif.
En parlant de Master
class, vous êtes actuellement professeur de composition et musique à l’image au
Conservatoire de Paris, au CNSMD. Vous expliquez à vos élèves en quoi consiste
la musique de film, quel rôle elle joue. Qu’attendent-ils de vous ?
Peut-être de les
guider sur la relation réelle de la musique avec le film. Il ne s’agit pas de
faire une très bonne musique, il faut voir comment une musique peut d’un coup,
servir un film, pas l’augmenter, mais lui donner une vie, un supplément d’âme.
Il faut voir aussi quelle est la densité de l’orchestration par rapport à la
densité de l’image. C’est technique et c’est très sensible aussi. Au début, les
élèves ont un peu peur du vide, donc ils ont tendance à vouloir tout expliquer,
alors qu’il faut laisser respirer l’image. Je les pousse à oser, à ne pas faire
ce que l’on entend partout, à être le plus personnel possible, c’est comme cela
qu’ils seront repérés. Ce sont d’excellents musiciens, très doués. Bruno
Mantovani, le directeur du CNSMD, qui est un merveilleux compositeur, met à
leur disposition des moyens extraordinaires. Ils peuvent faire des
enregistrements, des ciné-concerts avec un orchestre, ils vont dans des
festivals etc.
Vos élèves sont-ils
fascinés par le cinéma ?
Je cherche à les en
prémunir ! Heureusement, ils ont des cours formidables sur l’histoire de
la musique de film. Je les pousse aussi à aller voir de vieux films. Je pense
qu’on ne peut pas faire de la musique de films en ignorant les Raoul Walsh,
Fritz Lang, Fellini, Bergman, tous ces monuments du cinéma. Curieusement,
aujourd’hui, où avec Internet, on a accès à tout, ce trop-plein fait que
finalement la curiosité s’émousse et on ne prend même plus le temps de
s’intéresser aux chefs -d’oeuvre du passé. On ne voit que les films de l’année
et c’est dommage.
Vos élèves
associent-ils le cinéma à la réussite ?
Je m’efforce de leur
dire que ce n’est pas un statut d’être compositeur de musique de film, c’est
une passion. Les compositeurs qui réussissent sont vraiment des passionnés de
cinéma et de musique. Mais on ne fait pas de la musique de film pour réussir,
pour la gloriole ou pour l’argent. C’est tellement dur d’être musicien, cela
demande tant de travail, qu’on en devient très vite assez humble.
Vous avez composé la
musique de plus d’une centaine de films, signé une quantité incroyable de
bandes originales de téléfilms, avec autant de succès à chaque fois. Etes-vous
un musicien comblé ?
Comblé, non… Je ne
me satisfais pas de ce que j’ai. Certes, je suis content d’avoir réalisé tout
ça, d’avoir eu la chance de faire toutes ses rencontres, mais je ne peux pas
dire que je suis comblé. Je ne rejette aucun des films sur lesquels j’ai
travaillé. Mais, parfois, il m’arrive de revoir des films dont j’ai fait la
musique et je me dis mince, je n’aurais peut-être pas dû faire ça. Notre
« moi » change. Ce sont des vies qui se succèdent et on a un autre
regard.
Vous semblez très lié
avec certains réalisateurs comme James Huth, Jacques Perrin, Josée Dayan,
Etienne Chatillez, Laurent Heynemann, Benoît Jacquot etc. Poursuivez-vous un
dialogue de film en film avec eux ?
Bien sûr !
Ce sont vos
amis ?
Oui ! Josée Dayan
m’a fait confiance avant « Microcosmos », et Laurent Heynemann aussi.
Je continue à les voir avec beaucoup de plaisir. Après, il y a eu Jacques
Perrin avec qui j’ai eu des projets incroyables. Benoît Jacquot, qui est très
prolixe, et donc l’idée de faire un film avec lui chaque année me réjouit. J’ai
une grande affection aussi pour James Huth. Tous ses films sont très originaux
et marquants. Je trouve qu’il n’est pas reconnu en France comme il devrait
l’être. Dans l’hexagone, on cultive une certaine méfiance vis-à-vis de la
comédie, comme si c’était un art mineur. Mais James Huth a une approche
subtile,singulière de la comédie. Peut-être que celle-ci peut choquer,
surprendre mais au moins ces films ne ressemblent pas à des comédies
franchouillardes.
Appréciez-vous Jean
Dujardin ?
Oui ! Je l’aime
beaucoup, c’est un acteur incroyable !
Parmi les acteurs et
les actrices, quelle est votre plus jolie rencontre ?
Il y a des actrices
qui prennent bien la lumière. Et qui prennent très bien aussi la musique. Je
pense à Léa Seydoux dans « Les Adieux à la Reine ». Il suffit de
mettre de la musique sur elle et la magie opère.
Parce qu’elle est très
jolie ?
C’est beaucoup plus
que ça. C’est sa façon de jouer. Ce n’est pas une actrice qui surjoue. Son jeu
est intériorisé. En France, on a beaucoup de chance, il y a une grande
diversité chez les acteurs. Par exemple, j’apprécie Alain Chabat. J’ai
travaillé avec lui, il est très sensible et timide. C’est un grand acteur.
Avez-vous d’autres
passions que la musique ?
Oui, je suis un
passionné de littérature, et tout particulièrement de littérature japonaise,
Kawabata, Inoue, Tanizaki…
Vous avez composé la
musique du film « Croc Blanc » qui sortira en février 2018, celle
d’« Eva » de Benoît Jacquot avec Isabelle Huppert qui paraîtra en
2018. Cela fait quoi d’être le meilleur compositeur français de musique de
films ? Et aussi le plus demandé ?
Je ne pose pas la
question, même si je suis fier d’être sollicité ! Pour en revenir à « Croc
Blanc », j’ai réalisé avec étonnement, alors que nous enregistrions avec un
groupe traditionnel irlandais (et plus tard avec la Philarmonique du
Luxembourg) que « Croc Blanc » était le seul livre de Jack London qui
n’était pas lu en Angleterre alors qu’il est tant apprécié en France. Quant au
film « Eva » de Benoît Jacquot, c’est un film très intéressant, très
fort, très sombre. Avec une musique mentale qui reflète l’intériorité des
personnages.
Composez-vous pour le
cinéma d’animation ?
Oui, et j’aime
particulièrement les films d’animation. Par exemple « Coraline » est
l’un de mes films préférés. Je me suis attaché dans ce film à raconter les
peurs de l’enfance, à explorer les mondes parallèles. La musique est très
importante dans le cinéma d’animation. J’ai travaillé avec Tomm Moore, le grand
cinéaste irlandais. On m’envoie d’abord des animatics avec des dessins. Et là
je commence à travailler, en visualisant les mouvements. Parfois je vais même
dans les studios d’animation et j’adore !
Pour finir, que
conseilleriez-vous aux jeunes qui sont attirés par la musique en général ?
D’aller au bout de leur passion. De ne pas renoncer à leurs envies. Ni à leurs rêves. Hugo disait que « la musique appartient au rêve ». On peut poser des notes sur des rêves… Et rendre la vie encore plus belle et digne d’être vécue grâce à la musique. Même si la société actuelle semble très sage, qu’on a tendance à faire accroire aux jeunes que le monde du travail est triste et bouché, il faut absolument tenter sa chance. Etre opiniâtre, déterminé, multiplier les rencontres. En un mot, être optimiste…
Tout le monde connait San-Antonio ! Les aventures du fringuant commissaire, amateur de galipettes, de péripéties cocasses, d’enquêtes loufoques et sa fine équipe de joyeux acolytes, j’ai nommé les inénarrables sieurs Béru, Berthe, Pinaud dit Pinuche. Son auteur, Frédéric Dard, fut un dieu vivant pour toute une génération. Adulé, vénéré par plus de 200 millions de lecteurs, auteur de 174 «San-Antonio», ce génie à la gouaille phénoménale qui chaque jour s’attablait à son bureau avec une discipline d’ascète (trois pages par jour et tous les jours) en portant une cravate par respect pour ses lecteurs, ne ressemblait à personne. Dans ses romans, il a sauvé la langue, en réinventant l’argot à sa manière. Il a osé le grand écart : le libertinage et le spirituel. La fesse et la Vérité. Le burlesque et le macabre. La légèreté et le massacre. Il n’a été dupe de rien, épinglant la violence de la société dans ses « Romans de la nuit », des romans noirs qui éclairaient la part sombre de Frédéric Dard. Il a bousculé les codes de la langue comme s’il avait pressenti intuitivement que la mort progressant dans l’homme du XXème siècle interdisait l’écriture académique. Lui ne s’est rien interdit, ni aucune écriture ni aucune censure. Il s’est tout autorisé même jusqu’aux pires invectives joyeuses à ses lecteurs. Résultat : San-Antonio, c’est de l’euphorie à chaque page, un grand éclat de rire homérique à chaque paragraphe, San-Antonio c’est de l’amour ! C’est tendre, généreux, jubilatoire, original, c’est «un hymne à la vie, un hymne à l’amitié». D’un mot, San-Antonio est un substitut vitaminé, un créateur d’euphorie, une fête de l’esprit !
Depuis la mort de son père en juin 2000, Patrice Dard perpétue les captivantes aventures du commissaire San-Antonio, avec un même appétit, une même puissance comique (et sexuelle !), surpassant parfois son père dans le registre de la bienveillance et de la lumière. Après quinze ans de bons et loyaux services et trente bébés portés sur les fonts baptismaux des « Nouvelles aventures de San-Antonio », l’immense écrivain qu’est Patrice Dard a décidé d’arrêter la couvée des San-Antonio pour se consacrer au théâtre. C’est donc « Sur le sentier de Naguère » (paru fin 2016) que se termine la course folle de notre équipée nationale, San-Antonio en tête, le vent en poupe, Béru à sa suite, ventre à terre, l’épopée don quichottesque du duo le plus sympathique de la littérature française. La boucle est bouclée. Dans ce dernier San-Antonio, on en revient aux origines du commissaire. On touche d’un doigt raphaëlique la genèse, que dis-je la généalogie de l’irremplaçable San-Antonio et les turpitudes de ces tumultueux ancêtres. Tout s’éclaire sous le ciel cramoisi de l’Amérique indienne, à la tombée du jour, nimbée d’une lumière onctueuse, dans le désert qui vit et vibre à l’heure du rut, où l’histoire des origines de San-Antonio court comme un feu de brousse.
Ite missa est… Ne
reste plus aux inconditionnels de San-Antonio qu’à psalmodier le miserere
nobis… Parce que c’en est fini, et bien fini de San-Antonio… Le plus célèbre
poulaga de France vient de tirer sa révérence… Et croyez-moi, c’est un choc, un
déchirement, une perte irréparable… Sommes inconsolables… Lui, le sigisbée des
Lettres, le digne épigone de son père, Patrice Dard ose nous priver de la seule
bouffée d’air, la seule bouffée d’oxygène de cette asphyxiante, étouffante,
actuelle production littéraire bien-pensante, conformiste et formatée. Car
« San-Antonio », c’était un sourire dans la grimace ambiante, un
remède à l’esprit de sérieux, un rempart contre la bêtise, un réveil dans une
société sous hypnose. Une façon de résister au déclin, d’épingler le nihilisme,
de déjouer les passions tristes. Une manière aussi de renouer avec la
truculence et l’effervescence de l’esprit gaulois. De voir les choses en grand
dans un monde devenu si petit. En effet, les Dard, père et fils, n’avaient pas
leur pareil pour moquer système et société, pour lancer une gifle immatérielle
au mufle de l’establishment. Subversifs. Dissidents. Rebelles. Résistants.
Finalement, des hommes libres…
« Je suis un
désespéré heureux » écrivait Frédéric Dard. Effrontément, Frédéric Dard a
su faire rendre gorge à la mort en s’engouffrant dans le tourbillon organique
de la vie, en déployant en toute liberté ce qu’elle a de plus excessif, de plus
spectaculaire, de plus pulsionnel. Il n’est qu’à voir les bacchanales de Béru,
les tribulations et éructations monstrueuses de Berthe pour comprendre comment
Eros se tapit sous Thanatos. Mais ici la chair n’est jamais triste. « Le
sexe est joyeux comme un matin ensoleillé » dixit Dard. Elle exulte,
exalte, exhale. C’est la fête des sens. La vie comme remède à la mort.
Père et fils ont
secoué de fond en comble la langue française, de ce shaker dardien est né une
langue qui vit, s’invente à chaque ligne, se renouvelle à chaque page. Une
langue vivante, une poésie originale, celle d’une grande œuvre qui ne se courbe
jamais pour entrer dans les habits étroits du classicisme mais en fait exploser
les coutures les plus académiques. Pas étonnant que François Busnel
affirme : « Frédéric Dard ? L’un des plus grands stylistes
français du XXème siècle ».
En exclusivité,
Patrice Dard nous a fait part de son désir d’arrêter la série des San-Antonio.
Rencontre avec un homme merveilleux.
Patrice Dard, vous
vous inscrivez dans une double filiation, héréditaire et littéraire. Est-ce par
loyauté filiale, fidélité absolue à votre père ou pour rivaliser avec lui et
finalement le dépasser que vous avez prolongé l’œuvre de votre père, Frédéric
Dard ?
Question piège !
Rivalité ? Non ! Bien sûr, il existe toujours une rivalité père-fils
mais ça c’était il y a longtemps ! J’ai repris la série des
San-Antonio parce que mon père n’était plus là, et que c’était une façon pour
moi, pour parler familièrement de « reprendre la boutique ».
Maintenant, c’est fini ! J’ai écrit trente San-Antonio, j’ai consacré
quinze années de ma vie à San Antonio, maintenant j’arrête ! Au départ, je
voulais en écrire un ou deux. Quand j’ai repris le flambeau, ce n’était pas du
tout par rivalité, j’avais même la trouille de me confronter à une gloire, à
quelqu’un de tellement installé, tellement adulé. C’était forcément un peu
casse-gueule, mais j’avais déjà un certain âge, 57 ans, je n’étais plus un
gamin et donc j’ai pris ce risque. Ce que je n’aurai jamais fait vingt-cinq ans
plus tôt !
Il y avait aussi une
forme de fidélité dans ce choix…
Evidemment ! Il
fallait essayer d’être fidèle à ce qu’il avait fait, à ses personnages, ses
héros, ses blagues, son œuvre…
Donc votre oeuvre,
c’est le prolongement de la sienne…
Oui et ça c’est
formidable ! Mais reprendre ses personnages, c’était un challenge !
J’ai relevé le gant pour sa veuve. Elle ne souhaitait pas que la série des
San-Antonio s’arrête, elle espérait même que je poursuivre l’œuvre de mon père.
Ma belle-mère m’a poussé dans cette voie parce qu’à l’époque j’avais ma vie, je
faisais du cinéma, de la télévision. Elle m’a avoué que s’il n’y avait pas
d’événements autour de San-Antonio, Frédéric Dard finirait par être oublié…
Et elle a ajouté : et puis ton père a toujours dit que tu étais capable de le
faire ! Alors, j’ai dit banco, pourquoi pas, j’en écris un ! Mon
premier San-Antonio a rencontré beaucoup de succès. Toute la famille m’a poussé
à continuer. Mais j’ai continué surtout parce que je ne voulais pas qu’on
oublie Frédéric Dard…
Finalement, vous
l’avez ressuscité !
Je ne l’ai pas
ressuscité, je l’ai prolongé !
Disons que vous lui
avez offert un cercueil de papier…
Jolie formule !
Je l’ai prolongé un peu, maintenant le temps est venu pour moi de me consacrer
à autre chose…
Vous n’ignorez pas que
vous allez nous priver d’un immense plaisir…
Il y a 174 San-Antonio
de Frédéric Dard ! Il y a 30 « Nouvelles aventures de
San-Antonio » de Patrice Dard. Il y a de quoi lire ! Et puis ce ne
sera peut-être pas un arrêt définitif, disons que c’est une pause…
Croyez-vous que vous y
reviendrez-vous un jour ?
Peut-être, dans des
circonstances exceptionnelles. Mais le dernier San-Antonio est sorti il y a six
mois, c’est tout récent et j’ai besoin de respirer ! Disons pour faire
vite que San-Antonio commençait à m’apporter plus de tracas, de pression que
d’intérêt. Mais je n’en arrête pas pour autant mes activités
intellectuelles !
En effet, vous allez
vous consacrer au théâtre. Votre père aussi, dans le temps, écrivait des pièces
de théâtre…
Mon père a été connu
au théâtre avant même d’être célèbre avec San-Antonio. Moi, j’ai fait la
démarche inverse, le théâtre vient après ! Dans ce domaine, je suis
relativement débutant. J’ai déjà écrit une pièce jouée il y a quatre ans, puis
une seconde comédie sur le point d’être montée. Disons que comme je n’attends
rien, cela me rend heureux. C’est très libérateur…
Quel genre de pièce
écrivez-vous ?
Le genre truffé de
truculence, d’humour ! C’est un peu grinçant, c’est du boulevard. Ma première
pièce était interprétée par Camille Cottin, Agnès Soral et une brochette de
comédiens assez connus. J’ai eu beaucoup de chance. C’est une pièce assez
amusante qui a marché moyennement et qui a été jouée trois mois à La Comédie
Caumartin. Je n’écris pas seul, j’écris avec un coauteur, extrêmement confirmé
et talentueux, Jean Franco. C’est lui qui a écrit « Panique au
Ministère », ainsi que « Elle nous enterrera tous », pièce
écrite pour Marthe Villalonga qui a fait un carton et que j’ai été voir sur les
conseils d’une amie qui jouait dedans. Après le spectacle, cette amie m’a
présenté l’auteur. Jean Franco m’a dit : « j’aime particulièrement ce
que vous écrivez ». Une vraie déclaration d’amour ! Alors on a
sympathisé. On a pris un verre avant qu’il ne rentre se coucher. Quelques jours
plus tard, il m’a écrit en me disant qu’il avait été ravi de me rencontrer, et
il finissait sa lettre en me demandant : « Avez-vous déjà pensé à
écrire du théâtre » ? Je lui ai répondu : « Non !
Mais si je dois le faire, ce sera avec vous ! » Il m’a rétorqué
« chiche » ! Et voilà, depuis nous écrivons ensemble ! Nous en
sommes à notre troisième pièce. La deuxième « Anguille sous roche »
n’est pas encore montée. Et la troisième pièce s’appellera « Copie
conforme ». C’est une histoire de faussaire…
Quel titre portait
votre première pièce ?
La première s’appelait
« La Chieuse » ! Avec ce titre, on a tout de suite une idée du
ton de la pièce, on voit vite qu’on n’est pas dans Shakespeare !
Détrompez-vous !
Shakespeare a bien écrit «La Mégère apprivoisée» !
C’est vrai, j’y ai
pensé ! Mais ma « Chieuse » était encore plus difficile à
apprivoiser ! La pièce se joue encore un peu en province, dans de petites
tournées.
Revenons à votre
papa. Un père aussi célèbre que l’était Frédéric Dard était-il un handicap pour
le jeune homme que vous étiez ? Autrement dit, était-ce facile d’être le
fils de Frédéric Dard ?
Il y a eu différentes
époques dans ma vie. Au tout début, mon père était inconnu. Quand j’étais
gamin, à l’école, que l’on me demandait le métier de mon père, je répondais
« il est écrivain ». Ah bon, c’est qui ? C’est Frédéric Dard.
Personne ne le connaissait ! Je suis né en 1944. Jusqu’à 1956-1957,
personne ne connaissait Frédéric Dard ! Il était connu dans le métier mais
non du grand public. D’ailleurs, à l’époque, j’aurais préféré dire que mon père
était boulanger ou médecin ! Quelques années plus tard, vers la fin de mes
études, quand on me demandait vous êtes de la famille de Frédéric Dard, je
répondais oui, je suis son fils ! Alors là, c’était
valorisant ! Je me disais, la vie va être facile ! Mais à partir du
moment où l’on rentre dans la vie active, on a beau être le fils de Frédéric
Dard, on s’aperçoit vite que cela ne sert pas à grand-chose. Mon père ne m’a
pas transmis un outil de travail, donc je me suis rendu compte qu’il fallait
que je me débrouille par moi-même. Ouvrir des portes c’est bien joli, mais il
faut savoir quoi faire derrière ! Alors j’ai commencé par écrire des
romans d’espionnage, sous le pseudonyme d’Alix Karol…
Pourquoi ce
pseudonyme ?
Oh, cela fait bien
longtemps que je n’ai plus repensé à ça ! Jeune, je me plongeais dans les
bouquins, les dictionnaires. Un jour, je suis tombé sur l’écrivain Alexis
Carrel (auteur de « L’homme, cet inconnu »). J’ai constaté qu’il
était mort le jour de ma naissance, à Sainte-Foy-lès Lyon, là où je suis
né ! Et physiquement, il y avait une certaine parenté entre lui et moi. Je
me suis dit que c’était une coïncidence rigolote, et comme je cherchais un
pseudonyme, cela m’a inspiré et j’ai inventé Alix Karol ! Mes romans
d’espionnage marchaient plutôt pas mal, je me débrouillais bien. Je n’avais pas
d’appétence particulière pour l’espionnage, je voulais juste ne pas écrire des
romans policiers comme mon père. Donc, j’ai créé un héros du genre « James
Bond » à la San-Antonio. Un play-boy à l’allure sportive qui se
lance dans des situations périlleuses, réalise des exploits exceptionnels, se
plaît à évoquer ses prouesses sexuelles, le tout avec beaucoup d’humour, de dérision
et de rigolade. Je voulais me distinguer de mon père. J’étais content parce que
mes romans d’espionnage me permettaient de ne pas avoir la même couverture
colorée que mon père. Moi, elle était grise ! J’appréciais d’écrire, je
trouvais que c’était un boulot formidable, je m’en sentais même les capacités.
Reste que j’avais du mal à exister, j’avais l’impression de demeurer dans
l’ombre de mon père. Nous avions la même maison d’édition, Le Fleuve noir; lui
écrivais des romans policiers, moi des romans d’espionnages. Or, je voulais me
démarquer. Alors je me suis lancé dans l’écriture de livres de cuisine. Et ce
choix a été déterminant. J’ai échappé à mon nom. Je me suis fait un prénom.
Patrice Dard est devenu un nom assez connu dans le monde de la cuisine.
Vous aviez même un
restaurant !
Oui, « La
Barrière Poquelin ». C’était rue Molière. Mais il n’est plus à moi. Je
n’avais ni la formation ni le goût pour gérer une entreprise. Gérer du
personnel, c’est un vrai métier !
Vous avez publié des
dizaines de livres de cuisine comme « Salades et entrées »,
« Savoir déguster les fromages », « les Fondues »,
« Le grand livre des cocktails », « Tout savoir sur le
vin », « Savoir préparer la cuisine créole »…
Je connais à peu près
toutes les cuisines du monde. Et je sais les cuisiner : japonais, chinois,
coréen, vietnamien etc.
Quel est votre plat
préféré ?
Je vais vous répondre
comme tous les Français : le couscous ! Ce plat me fait toujours
plaisir. J’adore le préparer, je le sophistique beaucoup avec six légumes, des
viandes différentes. Je m’amuse !
Votre épouse doit se
réjouir d’avoir un cordon bleu pour mari !
Elle cuisine très bien
aussi !
Et dans les vins, vous
êtes plutôt Puligny-Montrachet ou Condrieu (vous évoquez « la subtile
poivrade d’un Condrieu » dans « Arrête ton char, Béru !
») ?
Condrieu ! Pour
moi, c’est le meilleur blanc ! Le Puligny-Montrachet est considéré comme
le plus grand vin blanc au monde, mais je lui préfère le Condrieu. Plus proche
de Lyon, il a un goût merveilleux et il est un peu moins cher !
Donc, à cette époque,
vous devenez un auteur culinaire en vogue…
Oui, très vite, les
livres de cuisine se sont mis à marcher très bien, ça débouchait sur de la
publicité, j’ai fait d’énormes campagnes publicitaires gastronomiques. J’avais
un superbe job. Un jour, mon père est venu me trouver en me disant, voilà je
suis dans le pétrin, je me suis engagé vis-à-vis de Roger Hanin, (un ami de
longue date de mon père, il a joué dans sa première pièce), il veut que je lui
crée un nouveau personnage après Navarro, il s’appellera Maître Da Costa, et je
dois lui réaliser un petit projet. Mais je n’ai pas le temps, il faut que tu le
fasses à ma place. Alors, j’ai tout lâché et j’ai écrit sept téléfilms
pour Roger Hanin. Mon père s’est contenté de les relire, de me donner
deux-trois conseils. J’ai changé d’orientation, je me suis lancé dans le cinéma
à cause de mon père. Mon père est mort et toute la famille m’a poussé à
continuer les San-Antonio. J’ai encore changé de métier. Finalement, j’ai
changé trois fois de métier !
Vous écrivez dans un
entretien au Monde : « Je fais ma place prudemment, je me démarque de
son style. Ne pas avoir d’ambition me procure une vie agréable. (…) Je n’ai pas
son souffle. » L’inévitable comparaison entre vos deux styles n’était-elle
pas pénible à force ? N’a-t-elle pas fini par faire oublier votre
talent ? Pour ma part, j’estime que vous écrivez bien mieux que certaines
stars du box-office de la littérature…
Je ne sais pas si
j’écris bien mais j’écris… Certains d’entre eux n’écrivent pas… Ils
rédigent ! Je suis dur mais ce que je veux dire par là c’est qu’ils
écrivent sûrement des choses passionnantes, des histoires qui passionnent les
gens, mais c’est très classique. Sans trouvailles. C’est beaucoup plus
compliqué d’écrire à la façon de San-Antonio. Malheureusement, plus le temps
passe moins les gens sont susceptibles de bien comprendre tout cela. Il y a une
simplification générale (et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai envie
d’arrêter, j’ai peur de ne pas être compris). Bien sûr, il y a encore une
clientèle de San-Antonio, les inconditionnels, et les enfants des
inconditionnels, élevés et nourris au San-Antonio, qui les apprécient. Mais un
jeune dont la famille n’a jamais lu de San-Antonio, qui tombe là-dessus, je
suis persuadé qu’il n’a pas l’éducation nécessaire pour apprécier ce genre de
livre, il n’accrochera pas. A l’époque de mon père, il y avait Léo Ferré,
Audiard, les films des années 70 avec Gabin, Blier. Aujourd’hui qui lit du
Simonin ? C’est une autre époque ! Quant à moi, c’est pareil, je me
fais « suer » avec certains bouquins actuels, je trouve qu’ils
manquent cruellement de consistance ou d’originalité ! Pour reprendre la
métaphore culinaire, nous, les Dard, c’est du cuisiné maison, du fait main
comme un bon artisan. D’autres auteurs, disons plus commerciaux, c’est du bon
resto mais avec des produits déjà élaborés et qui ont fait leur preuve. Ils
font juste leur petite sauce !
Votre premier
San-Antonio s’intitulait « Céréales killer » ?
C’est exact ! Mon
père, dans les trois-quatre derniers mois de sa vie, connaissait des problèmes
cardiaques qui s’aggravaient au fil du temps. Il devait remettre un livre pour
le 15 octobre, il voulait le démarrer mais n’a pas réussi à le faire. Tout ce
que j’ai trouvé sur son bureau, c’était un petit bout de papier où il avait
écrit : « Je suis sans nouvelles de moi. » Une phrase terrible… Dans
mon premier San Antonio « Céréales killer », j’ai mis cette phrase en
exergue. Sur une autre feuille, mon père avait démarré quelque peu l’intrigue.
Le thème : un paysan arrive au petit matin, il décharge son camion, et
dans la fosse à purin, il y a un cadavre dedans. C’est tout. C’était maigre.
« Céréales killer » est devenu polar paysan, un roman agricole.
J’ai démarré comme ça, avec ces trois lignes. Et j’en ai fait la fin du livre,
dans une espèce de flash-back. J’ai écrit ce San-Antonio en deux mois et je
l’ai remis à la date prévue à l’éditeur. Sauf que celui-ci, perplexe, m’a dit
que c’était impossible que Frédéric ait pu écrire ça, qu’il l’avait eu au
téléphone le mois dernier et qu’il n’avait pas encore commencé son roman… J’ai
rétorqué que je l’avais aidé. Du coup, l’éditeur a fermé les yeux et il a offert
la paternité de ce San-Antonio à mon père… Mon « Céréales Killer »
s’est vendu à plus de 300 000 exemplaires…
C’est beau…
Oui, mais il ne faut
pas oublier que nous sommes dans une société de consommation. Mon père a eu le
bon goût de mourir à ce moment-là et de faire la promotion… Il ne faut pas
chercher plus loin ! Le suivant, c’était la curiosité de voir ce que
valait le fils. Mon troisième San-Antonio, les gens étaient moins curieux et
après, il y a eu beaucoup moins d’intérêt…
Selon vous, votre père
a-t-il eu l’impression de s’être accompli dans sa vie ?
Oui ! Quelle
insatisfaction aurait-il pu avoir ? Peut-être aurait-il préféré au départ
ne pas réussir avec San-Antonio mais dans une veine plus classique. Pourtant,
c’est ce qui faisait sa force. Il y a de grands auteurs de polars bien ficelés,
bien écrits, américains et anglais qui ont autant de valeur littéraire que de
grands auteurs américains ou anglais plus académiques. A ce propos, les
San-Antonio commencent à bien se vendre en Angleterre !
Dans les San-Antonio,
il y a une prose inimitable, des trouvailles, des néologismes, des calembours,
des raccourcis, des jeux de mots, des fulgurances, une verdeur, une verve
incroyable !
C’est vrai, il y a une
certaine originalité linguistique ! Céline, l’écrivain du « Voyage au
bout de la nuit » ou de « Mort à Crédit », est un des auteurs
qui a influencé mon père. Pour la gouaille, l’argot, l’originalité, l’émotion
rendue par la dérision. Mais il y a eu aussi Rabelais, Simenon, Peter Cheyney…
Votre père était un
véritable démiurge. Du néant, il faisait jaillir un monde…
Oui ! Mon père
m’a toujours dit de ne jamais construire une histoire. Il souhaitait la
découvrir au fur et à mesure. Pour lui, l’imagination suffisait. Bien sûr, de
temps en temps, l’auteur est bien obligé de revenir en arrière pour bricoler un
peu les choses. Mais, par exemple, quand je travaillais pour le cinéma ou pour
la télé notamment, il fallait en passer nécessairement par le synopsis, le
séquencier. Moi, le synopsis ça me faisait suer, le séquencier encore
plus ! Il m’est arrivé pour vendre un projet, d’écrire le film et d’en
tirer ensuite un séquencier et un synopsis !
En fait, vous être un
écrivain libre ! Et votre papa aussi !
Voilà ! Je veux
que ce soit une aventure d’écrire ces aventures. Je veux m’étonner
moi-même ! Evidemment qu’à la fin, je sais ce qui va arriver, c’est
pourquoi la fin est plus pénible à écrire que le reste parce que justement, on
sait où on va…
Est-il vrai que
« Sur le Sentier de Naguère » est votre dernier San-Antonio ?
« Sur le Sentier de Naguère » ça sent un peu sa « Recherche du
temps perdu » ! C’est une exégèse sur la mémoire ?!
Avant même de décider
d’arrêter les San-Antonio, j’avais envie d’écrire un bouquin où l’on découvre
enfin les origines de San-Antonio. Tout le monde se demande d’où vient
San-Antonio… Comme il ne parle jamais de son passé, on sait très peu de choses
sur lui. San-Antonio parle vaguement d’un père volage, emporté par le tabac,
Francisque, mort quand il était très jeune. Par contre, on connait bien sa
mère Félicie, douce et tendre qui habite dans un pavillon à Saint-Cloud. Mais
les origines de San-Antonio restent inconnues. J’avais envie de procéder à une
ultime enquête, fouiller du côté de ses ascendants mâles qui portent le nom de
San-Antonio. Pour comprendre d’où lui venait ce nom de San-Antonio, voir si
cela avait un rapport avec la ville de San Antonio, une grande ville
américaine, proche du Mexique, dans le sud de l’Etat du Texas (mon père,
Frédéric Dard, avait choisi un nom au hasard en pointant son doigt sur un atlas
et était tombé sur la ville de San Antonio. Il a rajouté un tiret et ça a donné
le nom de son héros San-Antonio !) Bref, je voulais donner à San-Antonio
des origines américaines. Pour situer l’intrigue, j’ai cherché un endroit que
je connaissais, le Wyoming. Dans cette Amérique profonde, j’ai campé le
décor d’un authentique western avec ses poncifs, les bons, les méchants, les
indiens, le shérif corrompu, les flics véreux, les bagarres de saloon, les
règlements de compte à coups de colt, toute la panoplie des chasseurs de prime.
Un western où San-Antonio joue le shérif adjoint et Béru, alias Queue de Bison,
le grand Sachem des Cheyennes ! Je me suis dit, je vais tout mettre
là-dedans, et en même temps, trouver le moyen de remonter jusqu’aux origines de
San Antonio. Alors, je suis parti du fait qu’un jour un homme d’affaires
américain vient trouver San-Antonio chez lui pour lui apprendre cette
nouvelle : « Il faut que vous veniez dans le Wyoming parce que vous
venez d’hériter de 4000 hectares de prairies ! » San-Antonio est
abasourdi. Qu’est-ce que je vais faire de 4000 hectares de prairies ? C’est
un type qui, par principe, n’est pas vénal. Mais il est quand même curieux
parce que précisément cet émissaire rouquin américain se fait assassiner trente
secondes plus tard sous ses yeux ! A partir de là, San-Antonio se rend
compte que cet héritage est l’enjeu d’une terrible bataille. Donc, il part aux
States. Tout ça pour découvrir son passé. Comme il hérite de son cousin
Peter-Callaghan San-Antonio, il va pouvoir remonter la filière de ses ancêtres.
Bon, je ne vais pas rentrer dans le détail mais à la fin, San-Antonio
s’aperçoit que ses terres ont été spoliées à des Cheyennes et il leur revend
pour un dollar symbolique. Sauf que dans ces terres, y avait de gros méchants
qui ont découvert du gaz de schiste ! C’est la raison pour laquelle elles
valaient si cher, mais San-Antonio évidemment ne veut pas entendre parler du
gaz de schiste parce qu’il est profondément écolo !
Et donc la boucle est
bouclée ! Vous en êtes revenu aux origines de San-Antonio pour votre
dernier livre !
Absolument ! J’ai
expliqué d’où il venait… Maintenant je ne sais plus où il va !
Mais si c’est le clap
de fin, si vous n’écrivez plus de San-Antonio, tous les inconditionnels vont
fondre en larmes…
Je vais faire imprimer
des mouchoirs !
Pour ma part,
les Dard, c’est les Flaubert du XXème siècle ! Ils se penchent sur
la bêtise humaine, la dénoncent avec ironie et lucidité, ils bousculent les
conventions avec jovialité et gravité à la fois. « Ils dépeignent la
vérité sans fard », et portent un regard très satirique sur l’humanité. Entre
désir et mort, rire et noirceur… Estimez-vous que vous donnez une vision
réjouissante et en même temps féroce de la société ?
Réjouissante, oui,
parce qu’un guignol cela fait toujours rire ! Féroce, non. Parce qu’elle
est réaliste ! La férocité vient de la réalité.
Oui ! Je suis
San-Antonio et un peu Béru aussi ! Un peu Félicie aussi, parce que je ne
suis pas une mère mais un grand-père. Et un grand-père cela ressemble beaucoup
à une mère ! Quand j’évoquais mon père, je disais souvent qu’il
était la synthèse entre San-Antonio et Bérurier ! Je ne parle pas
physiquement, mais moralement. En fait, San Antonio c’est ce que l’on voudrait
être (il est beau, séduisant, irrésistible, n’a aucune défaillance avec les
femmes), Bérurier, c’est ce que l’on voudrait ne pas être (il est répugnant,
sale et salace). L’idéal serait l’intermédiaire !
Les étudiants en
littérature multiplient-ils les thèses sur vous ? Pour vous, c’est ça
la vraie gloire ?
Il y a des thèses en
pagaille sur mon père ! La dernière en date, je crois, c’est une étude qui
a été faite d’une de ces pièces de théâtre « Les salauds vont en
enfer » par l’Université de Dijon. A ce propos, je voudrais vous rappeler
le bon mot de mon père à l’université de Bordeaux : c’était il y a très
longtemps, dans les années 60, le professeur Robert Escarpit avait organisé un
colloque sur mon père, destiné à décortiquer ses textes, et mon père était
présent dans la salle. A la fin, lorsque le Professeur Escarpit a cédé la
parole à mon père, mon père a prononcé cette phrase devant un amphithéâtre
plein : « Ecoutez, j’avais une montre, vous me l’avez démontée et
vous me demandez l’heure ? » Eloquent, non ?!
Que pensez-vous du
dictionnaire amoureux de San-Antonio d’Eric Bouhier ?
J’aime beaucoup !
Eric Bouhier n’est pas quelqu’un de très connu du grand public, c’est pourtant
un grand écrivain, un très grand médecin humaniste qui a monté une ONG. Il a
été médecin à Médecins sans Frontières et au Samu Social, il a participé à des
missions humanitaires, c’est un homme qui a énormément de talent. (C’est moi
qui ai conseillé à l’éditeur de solliciter Eric Bouhier pour écrire « Le
dictionnaire amoureux de San-Antonio », j’avais lu des textes superbes de
lui comme « Pour solde de tout compte » qui sélectionnait dans les
175 San-Antonio ce qui avait trait à l’enfance de Frédéric Dard.) Eric Bouhier
sait très bien aller au fond des choses, c’est un grand spécialiste de
San-Antonio. De plus, il aime jouer, jongler, s’amuser avec les mots. Son
« Dictionnaire amoureux de San-Antonio » est superbement écrit. Je
suis absolument enchanté du résultat.
Patrice Dard, votre
prose est inventive, libre, vivace, vivante, vivifiante, c’est de la verve à
jet continu ! Il y a une succulence du verbe mêlée à une grivoiserie, une
gauloiserie, une affabulation pittoresque et paillarde. C’est une fête de
l’esprit, une orgie mentale ! Où puisez-vous votre inspiration ?
D’abord, je vais faire
comme les hommes politiques, je vais vous dire : Merci !! Plus
sérieusement, il est difficile de répondre à cette question ! Franchement,
je crois que cela vient de l’intérieur. Il faut se concentrer, bien sûr cela ne
vient pas tout seul, il faut se mettre dans le bain. L’imagination c’est un
bouillonnement… C’est un peu comme si on savait capter les rêves… Les rêves
on ne sait pas d’où ils viennent (certains prétendent les analyser, je ne sais
si c’est judicieux ou pas) mais c’est un peu le même principe. Les romans sont
des rêves éveillés ! On se nourrit de sa vie, des personnages que l’on a
rencontrés, d’événements qui peuvent resurgir de très loin, de situations qu’on
a vécues la veille. Il n’y a pas de règles à ça…
En ouvrant un
San-Antonio, on sait que l’on ne sera jamais déçu. C’est plaisir garanti, rire
assuré. Vous régalez vos lecteurs (plus de 250 millions !) depuis plus de
50 ans. Vous avez un style, un ton reconnaissable entre tous et parfaitement
inoubliable. Estimez-vous que les San-Antonio sont un œuvre majeure de la
littérature contemporaine ?
Honnêtement, c’est difficile à dire dans la mesure où j’ai repris le flambeau… Mais mon père, lui, est un auteur majeur…
« Nous sommes le seul réseau social qui incite les gens à éteindre leur ordinateur et à aller lire des livres ! »
Jadis, la vie
littéraire passait par les salons. Jusqu’au XIXème siècle, on rencontrait dans
ces lieux de vie littéraire des romanciers comme Proust et Maupassant. A
l’époque, chaque salonnière, de Madame Geoffrin à Madame Récamier, régnait sur
les réputations, avait ses protégés, ses artistes, ses philosophes qu’elle
défendait et portait sur le devant de la scène. Aujourd’hui, la littérature ne
se fait plus dans les salons mais sur Babelio. Le Web a remplacé le faubourg
Saint-Germain. Et le milieu littéraire cohabite désormais avec l’internaute. La
critique professionnelle et institutionnelle n’a plus l’apanage de la critique
littéraire, elle doit à présent compter avec ses suppléants lettrés, des
amateurs éclairés, des passionnés de mots, de pensée libre, des êtres qui
jusqu’au vertige vénèrent la littérature, encensent ses génies et s’adonnent
avec acuité et jubilation à la critique de leurs livres préférés. C’est le
nouvel ordre littéraire qui sonne la fin des hiérarchies et des privilèges. Le
seul point commun entre tous ces amoureux des belles lettres, la seule grandeur
qui perdure, c’est celle du style. « Le style, dame, tout le monde
s’arrête devant, personne n’y vient à ce truc-là. Parce que c’est un boulot
très dur. Il consiste à prendre les phrases, je vous disais, en les sortant de
leurs gonds… » écrivait Céline. Sortir les phrases de leur signification
habituelle, par un subtil déplacement de sens, un léger écart quasi
imperceptible, mais qui fait tout la différence, c’est tout le travail du
styliste… Des styles éblouissants, féeriques, fervents, fruités, charnus,
brûlants, puissants, somptueux, succulents, aboutis, délectables, délirants,
exigeants ou extravagants, on en trouve sur Babelio. Comme une poésie émotive,
un chant du monde, une mélodie de mots, une prose aérienne qui voltigerait avec
la grâce d’une nuée de plumes. Tous ces écrivains du Net mettent leur art au
service de Babelio, ce site dédié aux livres. Juste pour convoquer l’instant et
l’éternité, à moins que ce ne soit pour transfigurer le monde, n’ayons pas peur
des mots. Voilà ce que sont toutes ces critiques littéraires qui irriguent
quotidiennement les pages de Babelio. Car chaque jour, plus de 800 critiques de
livres naissent de cette communauté de lecteurs, de cette fraternité
littéraire, de ces rédacteurs désintéressés, toutes ces âmes passionnées et exigeantes,
animées par une foi littéraire capable de creuser le ciel. Si Babelio a vu le
jour en 2007, c’est grâce à trois brillants étudiants, aujourd’hui
trentenaires, tous trois amoureux des lettres, Guillaume Teisseire, Pierre
Fremaux et Vassil Stefanov. Ils ont été les premiers en France à créer un
incroyable réseau social littéraire francophone. Aujourd’hui, ce réseau social
compte 640 000 membres (en France et dans le monde) et est visité
mensuellement par plus de 3 millions et demi d’internautes. Car Babelio, c’est
la littérature à portée de main. C’est aussi une réussite absolue. C’est encore
un morceau de littérature vivante, car ses dirigeants géniaux ont eu la bonne
idée d’organiser des rencontres entre les auteurs contemporains et leurs lecteurs.
On l’aura compris, la vie littéraire passe aujourd’hui par Babelio…
Rencontre avec le très
sympathique fondateur de Babelio, Guillaume Teisseire.
Le précédent logo
Babelio évoquait une tour de Babel au milieu de livres colorés. Dernièrement,
vous avez simplifié ce logo. Que représente-t-il aujourd’hui ?
Le logo a toujours la
forme d’une tour de Babel, mais symbolise désormais les pages d’un livre. Trois
pages qui forment une tour. Historiquement, le nom de Babelio vient d’une
nouvelle de Jorge Luis Borges « La bibliothèque de Babel ». Le
romancier argentin imagine une bibliothèque totale, infinie, composée de tous
les livres possibles. C’est cette universalité qui nous séduisait dans l’idée
de Babelio, c’est de se dire que quel que soit le livre, il y a quelque part,
quelqu’un qui l’a lu dans sa bibliothèque, qui peut en parler et en faire une
critique.
Désormais, le site
Babelio s’assure une fidélité à toute épreuve de 640 000 membres inscrits,
et est visité mensuellement par plus de 3,5 millions d’internautes. Vous êtes
les précurseurs en France de ce réseau social littéraire francophone. Vous
attendiez-vous à un tel succès ?
Très honnêtement, non.
Au début, c’était vraiment un projet entre amis pour s’amuser, nous n’avons
jamais eu un destin de start-up, nous n’avons pas levé de fonds, nous n’avions
pas d’ambitions démesurées, finalement nous avons eu un développement proche
d’une maison d’édition. Nous avons lancé ce site à l’été 2007. A l’époque,
comme chacun de nous avait une vie professionnelle, on travaillait dessus le
soir et les week-ends. Au bout de deux ans nous avons constaté qu’une petite
communauté démarrait. Nous nous sommes dit que si nous voulions en faire
vraiment quelque chose, il fallait passer à plein temps dessus. En 2010, nous avons
sorti une deuxième version du site, plus jolie, mieux faite, et là nous avons
enregistré une véritable inflexion de la communauté. Pour en vivre vraiment, il
a fallu encore quelques années. Aujourd’hui, l’équipe se compose de dix
personnes. Un de mes associés, Vassil Stefanov, s’occupe du développement,
d’autres de l’animation de la communauté, de l’éditorial, de la partie
commerciale, c’est-à-dire les relations avec les maisons d’édition lors des
opérations de promotions de livres. Enfin et surtout, nous avons une grande
équipe de 640 000 lecteurs qui, eux, sont les vrais acteurs de Babelio !
Vous êtes co-fondateur
de Babelio avec Pierre Fremaux et Vassil Stefanov. Tous trois trentenaires donc
très jeunes ! Est-ce la passion de la littérature qui vous a réunis ?
Complètement ! On
était tous les trois fous de littérature, c’est d’ailleurs ce qui nous a
rapprochés. Après des écoles de commerce, Pierre et moi, on a fait le même
master à la Sorbonne. Vassil, lui, était le frère d’une amie qui étudiait dans
le même master que nous. Comme on recherchait quelqu’un pour la partie
informatique de notre site, elle nous a présenté son frère et ça a débuté comme
ça.
Vous êtes si passionné
de littérature, qu’il y a quelques années, vous rêviez de faire l’acquisition
du décor d’Apostrophes !
C’est vrai !
Toute l’équipe trouvait que ce serait sympa d’acquérir le décor d’Apostrophes.
Cela nous aurait amusés de recevoir nos auteurs dans les fauteuils
d’Apostrophes, là où s’étaient assis les plus illustres écrivains du monde. Un
beau passage de relais. Malheureusement, c’était trop cher ! Le jour de la
vente aux enchères, « cette Chapelle Sixtine de la littérature » comme
le disait le commissaire-priseur de l’époque a été adjugé à un acheteur plus
fortuné que nous !
Qui sont vos écrivains
de prédilection ?
Jorge Luis Borges, Italo Calvino, Thomas Pynchon, Joseph Conrad…
Et côté romans ?
Sur Babelio, on a une
fonction « Le livre qu’on emporterait sur une île déserte ». J’ai
noté : « Fictions » de Borges, « Lord Jim » de Conrad,
« Les Villes invisibles » d’Italo Calvino, « Vente à la criée du
lot 49 » de Thomas Pynchon et « Au-dessous du volcan » de Malcom
Lowry.
De plus en plus, l’art
et la littérature sont soumis au marché. Les romans deviennent de purs objets
de consommation ciblant un certain public. Le poète Bernard Noël affirme que
« L’art ne peut se relever d’être devenu marchandise, cette perversion du
sens est irrémédiable ». Babelio a su résister de toutes ses forces à ce
phénomène. Grâce à ce site en ligne, la littérature retrouve ses lettres de
noblesse. Vous valorisez l’écrit, vous faites l’éloge des mots et vous leur
redonnez du sens. C’est la qualité littéraire qui est mise en avant sur votre
site. Babelio signe-t-il le retour de la culture ?
Vous avez raison, Babelio valorise le texte même si cela paraît austère aujourd’hui. Comme ce sont les lecteurs nos auteurs, nous avons un spectre extrêmement large, avec des gens qui chroniquent aussi bien des essais pointus que des recueils de poésie confidentiels, des ouvrages parfois absents du paysage de la critique. Chez Babelio, on essaie de tout balayer, de toucher tous les genres, d’être universel, tant sur la littérature populaire que sur les textes plus abscons. Et c’est vrai que la virtuosité verbale de certaines critiques qui mettent tout leur art à défendre des livres méconnus ou peu reconnus fait plaisir à voir. Les Français sont sensibles à la littérature. Dans l’hexagone, nous aimons les joutes oratoires, les beaux textes, les grands auteurs. En France, tout le monde écrit, chaque français a un roman dans son tiroir. D’ailleurs, nous sommes le seul pays au monde où le prix Goncourt est un événement national.
Aujourd’hui, l’image –
le commerce du visible – vide les têtes. C’est le règne de la non-pensée.
L’image vend l’apparence pour la réalité, nous impose ses modes et ses diktats,
programme l’agonie de l’esprit critique. Là encore, à contre-courant de cette
tendance, Babelio ressuscite l’imaginaire, le jugement et la raison. Babelio
nous redonne la vue de l’intelligence et nous invite à ne pas nous débarrasser
de tout ce qu’il y a de plus humain dans l’homme. C’est tout simplement
remarquable…
C’est surtout très
flatteur ! L’idée de départ c’était de parler de notre passion, d’échanger
avec d’autres passionnés de littérature qui se trouvaient à l’autre bout de la
France, en Belgique, en Suisse ou au Canada. C’était ça le projet de départ.
Maintenant, c’est vrai que je partage votre diagnostic ! Nous sommes le
seul réseau social qui incite les gens à éteindre leur ordinateur et à aller
lire des livres !
Babelio réalise
l’impossible. Le site réconcilie miraculeusement la grande littérature, les
classiques du passé et les réseaux sociaux de l’avenir. C’est le grand écart
temporel… Vous réenchantez le monde avec de la bonne littérature. On devrait
vous tresser des couronnes, vous décorer pour de tels bienfaits ! Mais je
cesse mes éloges car j’ai l’impression que mes compliments vous accablent…
Un peu, oui ! Je
ne m’attendais pas à ça… Il n’empêche, le retour des lecteurs est souvent
gratifiant, nous recevons beaucoup de marques de gratitude et j’avoue que c’est
très agréable. Alors que ce sont les lecteurs qui font tout le travail !
Babelio c’est un projet collectif, un travail communautaire, le site n’a
d’intérêt que parce que nous engrangeons toutes ces critiques postées
quotidiennement. Nous ne sommes que le média, l’intermédiaire. Au début, avec
Babelio, on tissait dans le virtuel, mais aujourd’hui, on revient de plus en
plus dans le réel. Nous organisons des pique-niques avec nos lecteurs. A
l’occasion de la sortie ou de la promotion d’un livre, nous recevons son auteur
au rez-de-chaussée de nos locaux afin qu’il échange avec ses lecteurs. La
rencontre, animée par quelqu’un de chez nous, dure à peu près une heure.Tout le
monde parle littérature et chacun en ressort ravi !
Chez Babelio, il n’y a
pas de censure, pas de police de la pensée. Les lecteurs sont entièrement
libres de rédiger les critiques qui leur conviennent…
Oui, nous encourageons
même les lecteurs à être sincères. Que leurs critiques soient bonnes ou
mauvaises, ils sont libres de rédiger ce que bon leur semble. Il n’y a pas de
modération. D’ailleurs, nous n’avons pas la logistique nécessaire pour
intervenir, nous n’avons même pas la possibilité de relire toutes les
critiques, sachant que 800 nouvelles critiques paraissent par jour. Parfois, on
rencontre certains auteurs qui font la critique de leurs propres livres en
disant : « Ce livre est formidable,
achetez-le ! » mais ceux-ci ne sont pas difficiles à
repérer ! Cela dit, il faut préciser que nous avons quand même un cadre,
les lecteurs ne peuvent pas écrire n’importe quoi. Les critiques racistes,
sexistes etc. sont très vites repérées car les lecteurs s’empressent de nous
signaler un contenu négatif ou abusif. Nous avons très peu de signalements mais
malheureusement il arrive que les gens dérapent.
L’auteur Joann Sfar rencontre ses
lecteurs
Chaque année, lors de
la rentrée littéraire, on voit fleurir sur les rayons des librairies des
milliers de nouveaux titres. Le lecteur ne sait comment s’y retrouver et faire
un choix. L’intérêt de Babelio c’est aussi d’aider les lecteurs à découvrir des
pépites et pas forcément parmi les écrivains célèbres. Babelio et ses lecteurs
ont-ils déjà fait émerger des auteurs sans exposition médiatique ou encouragé
des textes marginaux ?
Evidemment que j’aimerais pouvoir raconter cette belle histoire, celle d’un livre qui émerge grâce à nous, mais en réalité un titre qui émerge, c’est souvent le fruit d’un ensemble de paramètres. Les libraires, la presse s’en emparent, le livre profite d’un excellent bouche à oreille. Ce sont de multiples petits ruisseaux dont nous faisons partie, mais je n’ai pas encore l’arrogance de dire : ce livre, sans nous, ne serait jamais sorti de l’anonymat. En France, les lecteurs aiment découvrir des choses nouvelles, ils sont curieux, ils n’aiment pas forcément rester en terrain connu. Ces bonnes surprises littéraires, nous en voyons régulièrement émerger sur Babelio. Car il y a beaucoup de discussions sur Babelio, avec des forums très actifs où les gens échangent. Sur le site quand vous cliquez sur« Découvrir », il y a un onglet qui s’affiche : « Groupe ». Et là, les membres de la communauté peuvent dialoguer avec des groupes de fans de polars, fans de romances, fans de science-fiction etc.
Le lecteur type de la
communauté Babelio est plutôt une femme ?
Oui ! Très largement. Nous démarrons vers 16-18 ans, mais nous n’avons pas beaucoup d’adolescents. Après le cœur de la communauté, ce sont des femmes entre vingt-cinq et quarante-cinq ans. Les hommes lisent des essais, de la politique. Mais le plus gros volume de contributions sur Babelio concerne la fiction. Reste que nous avons aussi des lecteurs experts qui liront par exemple tous les livres concernant la guerre du Vietnam, ou des exégètes de la pensée antique, des spécialistes du droit, des amateurs de poésie tchèque, des universitaires, des professeurs etc.
Babelio c’est aussi le
réseau social où il y a le moins de fautes d’orthographe. De cela aussi, vous
pouvez vous enorgueillir !
Oui, les grands
lecteurs écrivent plutôt bien. Par rapport à la norme d’internet, on est
vraiment au-dessus !
Babelio, c’est aussi
une incroyable base de données. Une bibliothèque virtuelle qui s’enrichit de
plusieurs millions de livres ajoutés par les lecteurs…
Si nous mettons bout à
bout toutes les bibliothèques des lecteurs, je crois que nous arrivons à 20 millions
de livres ajoutés. Bien sûr, sur ces 20 millions, nous recenserons, par
exemple, 60 000 exemplaires d’Harry Potter, puisque c’est la bibliothèque
des lecteurs !
Un site comme Babelio
est-il rentable ? Menez-vous grand train grâce à la littérature ?
Nous ne menons pas
grand train mais nous vivons correctement ! Nous sommes rentables. Nous
avons des contrats publicitaires avec les maisons d’édition qui font de
l’affichage, des mailings pour présenter tel ou tel titre. Nous avons aussi des
bibliothèques à qui nous louons notre base de données. Nous possédons un outil
qui leur permet de récupérer les contenus de Babelio pour enrichir leurs
catalogues, leurs fonds.
Comment Babelio
évolue-t-il au fil des ans ? Pourriez-vous envisager de rajouter d’autres
fonctionnalités au site ? Comme la possibilité pour les lecteurs de
pouvoir parler directement aux auteurs, de les questionner en ligne ou de leur
réclamer une dédicace ? Ou encore d’organiser des concours de nouvelles,
de romans, de poésie ? Un prix des lecteurs Babelio ? Un prix de la
plus belle plume ?
C’est évident, il faut
absolument que nous mettions en place un « Prix des lecteurs
Babelio » ! Déjà, nous organisons de petits concours d’écriture mensuels,
mais nous n’avons pas vocation à devenir éditeur, car nous ne pouvons pas
éditer derrière le « Prix des lecteurs Babelio ». Mais pour motiver
les gens, je pense que nous allons créer un prix, il faut juste trouver la
bonne mécanique. Concernant les évolutions, nous allons enfin avoir une application
sur le téléphone mobile qui va sortir avant la fin de l’année 2018.
Babelio rencontre un
succès fou à l’étranger, dans les pays francophones comme le Québec, le
Maghreb. Va-t-il aussi s’implanter en Espagne ?
Aujourd’hui, 30 % de
la communauté Babelio est hors de France. Elle est présente en Belgique, en
Suisse, au Québec, en Afrique, avec trois lecteurs sur dix, ce qui n’est pas
rien. Au Québec, nous avons beaucoup de lecteurs, il y a une vraie dimension
militante, les lecteurs défendent la littérature et la littérature québécoise.
Il y a un an, nous avons lancé la version espagnole de Babelio. C’est le même
site avec le menu traduit en espagnol. Ce sont des lecteurs hispanophones qui
s’inscrivent et rédigent des critiques en espagnol. Pierre Fremaux, qui est
bilingue, pilote cette communauté hispanophone.
Que souhaitez-vous
pour l’avenir de Babelio ? Avez-vous des projets ?
D’abord de continuer ! Aujourd’hui, tout va plutôt bien ! Mais c’est beaucoup de travail ! Reste que j’adore ça mais je constate que je lis beaucoup moins qu’avant ! Ce qui est agréable avec Babelio, c’est le perpétuel changement, la nouveauté. Par exemple, depuis le début de l’année 2018, nous avons organisé plus de trente rencontres avec les auteurs, chose que nous faisions à peine il y a deux ans. Désormais, les choses évoluent vite. Peut-être que dans le futur, nous aurons une librairie, qui sait… Pour l’instant, nous creusons notre sillon…