
Tout Paris murmure son prénom : Carmen. Tout Paris brûle d’impatience de découvrir le nouveau ballet rouge passion, rouge sang, rouge incandescent du jeune chorégraphe surdoué, Julien Lestel. Attendez-vous à un spectacle puissant et parfaitement envoûtant. Laissez-vous surprendre par une orgie de grâce, d’élégance, un festin d’émotion et d’énergie, une véritable fête des corps. Car c’est bien de cela dont il s’agit dans cette nouvelle version décoiffante de Carmen où souffle un vent de modernité et de sensualité inimitables. Ce magnifique Carmen est une bouffée d’oxygène dans un répertoire trop classique, formaté, connu, convenu. Un bol d’air féministe dans une tradition machiste, asphyxiée par les stéréotypes. Et ça fait du bien. Car ce Carmen est tout sauf conventionnel. Tout sauf académique. Il est tout simplement libre. Libre comme Carmen. Et croyez-moi, ça décoiffe ! Les danseurs brûlent les planches, on frôle l’incendie, les flammes, les étincelles à chaque mouvement. Ca s’embrase, ça bouillonne, ça claque, ça éclate à chaque tableau. C’est vivant, organique, électrique, en perpétuelle surchauffe. Bien évidemment, cette énergie inouïe insuffle au spectateur une force incroyable, galvanisante, paroxystique. C’est palpitations et frissons garantis ! Pendant ce temps, la flamboyante Carmen, dévore l’espace avec ses allures de lance-flammes, et s’empresse de fouler les conventions, de piétiner la morale, de bousculer les bourgeois. Elle semble clamer à chaque pas : « I will survive ». Sa danse est un combat, une revendication, un appel à l’égalité, une quête d’émancipation. Elle est si contemporaine cette Carmen qu’on s’attend à la voir défiler à « la marche pour les femmes ». Si ce ballet est aussi vivant, c’est aussi parce qu’il célèbre à sa manière l’immortalité de Carmen. Sur les traits de la belle gitane se superposent les visages de Marie Trintignant, de Chahinez, Laurie, Gaëlle, toutes nos soeurs de douleur mortes sous les coups de leurs amants. Toutes ces femmes dont on a brisé le destin juste par jalousie ou par folie. En merveilleux philogyne qu’il est, Julien Lestel entame, grâce à Carmen, un hymne à la force et au courage des femmes. Sa création est un manifeste en faveur des femmes. Il prend leur défense, se tient à leur côté, prêt à les protéger contre la violence des hommes. Tout au long du spectacle, on sent monter cette menace, on sent croître la jalousie meurtrière de Don José. On voudrait sauver Carmen. On voudrait sauter sur scène et arrêter le geste fatal, le poignard qui s’enfonce brutalement dans le coeur de Carmen, on voudrait empêcher sa rencontre avec le néant. On voudrait hurler à la manière de Peter Brook : « Quand on aime, on ne tue pas ! » Et si on tue, c’est toujours par amour-propre, jamais par amour. Il n’y pas d’amour dans ce genre de passions meurtrières, il n’y a qu’une blessure narcissique, un besoin de domination et de destruction. Rien d’autre.




Julien Lestel ne disposait que d’une heure dix pour éclipser les multiples versions de Carmen. C’est chose faite. Au lieu de créer un énième clone de Carmen, un cliché ou une caricature de la belle, il a su la réinventer. Grâce à une grande ambition artistique, Julien Lestel, aidé de sa talentueuse productrice Alexandra Cardinale, a réussi à extraire du minerai précieux de l’âme de la bohémienne, la pépite, le noyau, le coeur de Carmen. Il a su aller au plus près de sa vérité. Il a su lire en Carmen ce que beaucoup, avant lui, n’avaient pas su décrypter. Autrement dit, la modernité de Carmen. Son militantisme avant la lettre. Son féminisme absolu. Sa façon de sortir de son statut de passivité imposée. Sa volonté de passer du statut d’objet à celui de sujet. Sa volonté de libérer les femmes du désir des hommes. Sa façon de défier tous les pouvoirs, y compris le pouvoir social et patriarcal. Il y a chez Carmen, le refus de toute forme d’oppression. Mais aussi une solidarité envers les autres femmes. Un désir d’égalité avec les hommes. Une quête d’amours égalitaires. Un droit à disposer de son corps. Un désir de s’émanciper de son rôle restreint de procréatrice. Une façon de croire comme le dit le poète que : « La femme est l’avenir de l’homme. » Il y a encore dans ce Carmen, la réalité de la guerre entre les femmes et les hommes, que seul le désir rapproche. Cette lutte des sexes qui s’illustre par un rapport de domination et de servitude. Il y a enfin la peur de Don José devant le « pouvoir castrateur de Carmen » qui le castre de ses prérogatives masculines (elle lui vole son rôle d’homme, puisque c’est elle qui choisit et abandonne les hommes.) Peut-être est-ce même pour retrouver sa virilité que Don José tue Carmen ?) Autant de thématiques qui innervent cette oeuvre magistrale, la rendent consistante, profonde, philosophiquement ambitieuse.
Ce faisant, Julien Lestel a vu ce que le visionnaire Georges Bizet avait intuitionné sans oser l’avouer, mais qui apparaît en filigrane dans son oeuvre. Peut-être parce que cela ne se disait pas à l’époque, ou plutôt parce que Bizet et Mérimée étaient trop en avance sur leur époque. Peut-être parce que le mot féminisme n’existait pas. Il n’empêche. Julien Lestel a su insuffler une profonde dimension féministe à sa Carmen. C’est pour toutes ces raisons que son sublime ballet fera date.
I.G


CARMEN
Ballet Julien Lestel
Du 9 au 20 avril 2025, au Théâtre Libre.
Théâtre Libre. 4 bd de Strasbourg. 75010 Paris
Réservations et renseignements au 01 42 38 97 14