Son nom est depuis toujours synonyme de foi, de bonté, de charité. Il demeure l’un des saints les plus vénérés en Grèce. Saint Nektarios d’Egine fut le prêtre du peuple, aimé et respecté des petits, calomnié et persécuté par les grands. L’Homme de Dieu, le biopic bouleversant qui s’inspire de sa vie, sort en salles le 9 mars. Et c’est un événement. Tout d’abord parce que le film écrit et réalisé par Yelena Popovic est une révélation. Il parvient à rendre visible l’invisible, révélant la présence palpable d’une force supérieure. C’est dire si la cinéaste fut touchée par la grâce, pour offrir une telle dimension spirituelle à son récit. Au fil des images, on comprend, peu à peu, que ce qui est invisible est essentiel : Dieu, l’amour, le temps. Et l’on s’interroge : quel est le pouvoir de la foi ? Qu’est-ce que la foi ? L’amour et la confiance que l’on porte à Dieu ? Ou l’amour que Dieu nous porte ? A moins que ce ne soit une merveilleuse réciprocité amoureuse ? On reçoit aussi en plein coeur la souffrance mais aussi l’amour sans limite de saint Nektarios. On finit par tant s’identifier au héros, qu’on en vient à partager son calvaire et sa rédemption. Si cette merveilleuse empathie est possible c’est parce qu’il n’y a dans ce film, tourné à hauteur d’humain, aucune recherche d’effet ni d’esbroufe. Il n’y a que l’abandon dans la foi et la simplicité. Ce ne sont pas des hauteurs divines, que le pouvoir céleste, telle une foudre, s’abat sur les pécheurs des Dix commandements, à grand renfort d’images colorisées. Ici, c’est à travers l’humain que l’on perçoit Dieu. Entre ombre et lumière. Plus saint Nektarios s’humilie sur terre, plus le spectateur se rapproche du ciel. Comment expliquer cette ascension ? Au simple fait que le spectateur athée ou croyant adhère au discours du film. Il y croit. Et d’y croire à croire, il n’y a qu’un pas : celui de la foi. Ce magnifique film, parvient à travers l’exemple d’un homme, à raviver la foi des autres. Et ce prodige tient du miracle. A croire que l’oeil de la camera, c’est l’oeil de Dieu… Yelena Popovic, grâce à son extraordinaire humilité, vient de signer un immense film. Un film qui fera date dans l’histoire du cinéma.
Waouh, quel film ! D’entrée de jeu, on se demande comment une ravissante jeune femme comme vous, vivant dans une époque aussi matérialiste, consumériste et violente, peut réaliser un film aussi inspiré et spirituel…
Vous avez raison, comme beaucoup d’entre nous, je vis dans un monde très matérialiste, consumériste et violent. Mon insatisfaction personnelle et mon désintérêt pour un tel monde m’ont incité à me rapprocher de Dieu pour ne pas me perdre dans les ténèbres et la tristesse. Peut-être que mon désir profond d’obtenir la vraie liberté intérieure, celle que seul Dieu peut véritablement donner, a permis la naissance d’un tel film.
L’homme de Dieu est un film lumineux, poignant, bouleversant. Un film touché par la grâce, avec des images à couper le souffle. On en sort foudroyé, comme si l’on se rendait compte qu’il n’y a qu’un seul chemin sur terre : croire en Dieu…
J’ai eu la chance de travailler avec beaucoup de personnes talentueuses qui ont cru en moi et en ce projet. Mon objectif était de me concentrer sur la vérité historique et l’aspect très humain de Saint Nektarios. Du fait de mon intimité forte avec l’histoire de ce saint, j’ai choisi exprès des scènes dans lesquelles je pouvais me retrouver facilement et qui faisait écho à ma propre expérience personnelle. C’était le seul moyen de faire entrer saint Nektarios dans le cœur des gens et de les toucher en profondeur. Si la spiritualité et la grâce transcendent ce film, c’est parce que Dieu a récompensé notre travail.
Pensez-vous que nous nous sommes oubliés, au point d’oublier la foi, de ne plus croire en aucune transcendance, aveuglés par la course au confort, à la consommation, aux vains pouvoirs et prestiges, à tous ces artifices dérisoires ?
Nous vivons dans un monde où l’ego est à son paroxysme et où l’on fait l’éloge de l’« amour de soi » en permanence. Ce mantra a effacé l’humilité et la capacité d’aimer et de se sacrifier pour les autres. On parle beaucoup de l’importance de la confiance en soi. Il n’y a rien de pire pour la confiance en soi que le manque d’humilité. Le meilleur moyen de se perdre et de se rendre malheureux est de dénigrer l’humilité. L’arrogance et le mépris nous ont jetés dans un cercle vicieux où l’aveugle mène l’aveugle en essayant de trouver des réponses, de fuir ou de se guérir avec des faux remèdes.
Saint Nektarios, le héros du film, un être totalement désintéressé, affirme que la quête du pouvoir ronge les humains. Faut-il renoncer aux grandeurs humaines pour connaître la paix intérieure ?
Ce que nous considérons comme la grandeur humaine est en fait avilissante. Nous sommes bien plus puissants lorsque nous reconnaissons qu’il existe une force supérieure qui nous a donné la vie et lorsque nous faisons confiance à cette force. En fait, nous renonçons à nous-mêmes lorsque nous nous séparons de celui qui nous a donné la vie et, par conséquent, nous devenons impuissants. Pour se rapprocher de la lumière et acquérir la paix intérieure, il faut s’abaisser.
Votre film vient de rencontrer un grand succès en Grèce, en Russie. Il a remporté le Prix du Public au Festival International du film de Moscou. Comment expliquez-vous ce succès ? Contrairement aux apparences, notre civilisation aurait-elle faim de spiritualité ?
Dans le prolongement de ce que j’ai déjà dit, je crois que la société est très avide de spiritualité et je pense que c’est probablement l’une des principales raisons du succès du film auprès de différents publics.
Le film narre la vie de saint Nektarios qui, jusque son dernier souffle, porte de nombreuses croix : celle de l’exil, des innombrables persécutions, des dénonciations, des accusations de corruption, des calomnies. Pourtant lorsque Nektarios est persécuté, il tend l’autre joue. Quel sens a son supplice ?
Quel est le sens de la torture de la grande majorité des gens dans ce monde? Si nous voulons être honnêtes, ce monde et notre vie ici sont une vallée de larmes. Je ne peux pas en donner le sens, mais je crois que ce film a un effet curatif et peut aider ceux qui souffrent à traverser la vie d’une manière plus significative.
Devant tant de bonté, de dévouement, d’humilité, de compassion pour les exclus et les humbles, d’amour des autres et de Dieu, et par impuissance à atteindre un tel degré de don, le clergé en Egypte, mordu par la jalousie et l’envie, commence à calomnier le prêtre Nektarios. L’accusant de faire semblant d’être un saint, de ne pas avoir de cœur… Est-ce à dire que la bonté est inhumaine ?
Je crois que la bonté est une qualité très naturelle. Il n’est pas naturel de haïr et d’être jaloux car lorsque nous avons des pensées positives et de la bonté dans notre cœur, nous sommes des individus sains à tous points de vue, spirituellement, mentalement et physiquement. Lorsque nous décidons d’inviter des pensées négatives dans notre cœur, comme la haine et la jalousie, qui sont étrangères à l’âme, nous devenons malheureux et malades. Je pense donc que pour une personne qui est devenue aveugle et malade parce qu’elle a permis à des éléments non naturels d’occuper son âme, la bonté semble inhumaine.
Dans le film, Nektarios prononce une magnifique phrase : « Avec Dieu, tout est possible. » Tout ? Les miracles ? L’amour ? Le bien ? Selon vous, que signifie cette phrase ?
Dieu est Amour. Si nous acquérons le véritable Amour, nous n’avons pas de craintes ni de doutes. Le ciel est la limite.
Dans L’Evangile selon Saint Jean, Jésus dit : « Tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Avez-vous déjà demandé quelque chose à Dieu ?
J’ai reçu des réponses rapides de Dieu. Surtout quand j’étais plus jeune. Je suppose que j’étais plus proche de lui alors.
Pour vous, la foi surmonte-t-elle l’impossible ?
Oui. La foi est la victoire sur la mort et tout ce qui semble impossible.
Comment interprétez-vous cette phrase de Dostoïevski : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » ?
Si vous n’avez pas de conscience, tout est permis.
Pensez-vous que les Saints sont là pour démontrer l’existence de Dieu ?
Les saints sont une preuve de la résurrection. Les miracles leur sont souvent associés. Ils témoignent du fait qu’il y a plus dans notre existence que ce que nous pouvons percevoir à l’œil nu ou comprendre.
Avez-vous réalisé ce film pour offrir un espoir aux êtres désespérés ?
Sans aucun doute. Je pense que c’est ce qui m’a le plus inspiré pour faire ce film.
Dans le film, Nektarios s’adresse tout le temps à Dieu en priant. Il prie même pour ses ennemis. Une des paroles du Saint figure dans ses écrits : « L’œuvre la plus importante de l’homme est la prière. » Quel est votre rapport à la prière ?
C’est lorsque je suis en prière que je me sens la plus heureuse et la plus satisfaite. La prière est une communion avec la source de la vie et je crois que c’est pour cela que je me sens vivante quand je prie.
Faut-il prier plutôt que de surfer sur le Net ?
Il n’y a rien de plus bénéfique pour notre santé mentale et notre paix intérieure que de prier et il n’y a rien de plus néfaste pour notre santé mentale et notre paix intérieure que de surfer sur Internet.
Existe-t-il des lieux plus propices à la prière ?
Naturellement, les lieux plus calmes sont plus propices à la prière, mais le plus important est d’avoir une prière honnête, une prière du cœur. Je voudrais citer un père spirituel bien connu, peut-être même un saint, qui fut approché par quelques personnes qui lui demandèrent d’un air moqueur : « Hé, vieil homme, comment fais-tu pour prier ? » Il leur répondit : « Si ton cœur bat au rythme de l’amour, tu peux le faire couché. »
Vous soulignez dans une interview que, sans pouvoir l’expliquer, vous vous sentez en réelle communion avec la nature à chaque fois que vous revenez sur l’île d’Egine. Que vous en ressentez une joie immense. Est-ce une île bénie ? Le sacré est-il plus présent en Grèce ?
Je suis convaincue que l’île d’Égine est bénie et je me sens plus calme et paisible en Grèce que dans n’importe quel autre endroit où j’ai vécu. Il y a comme une grâce et une qualité de guérison spéciale en Grèce. Je peux dire honnêtement que j’en ai fait l’expérience.
Racontez-nous comment s’est passé le tournage du film en Grèce ?
J’ai vécu une expérience fantastique en tournant en Grèce. Faire un film peut être très stressant, mais je crois que grâce à toutes les personnes étonnantes et talentueuses avec lesquelles j’ai travaillé, j’ai aussi connu beaucoup de joie. Je recommande vivement à quiconque de tourner en Grèce.
L’acteur Mickey Rourke, véritable star hollywoodienne, joue la dernière scène avec une intensité et une sincérité incroyable. Cette scène, qui se solde par un miracle, c’est un peu la résurrection de Lazare « Lève-toi et marche » ?
Le miracle qui se produit à la fin du film symbolise métaphoriquement la Résurrection.
Saint Nektarios affirme que le bonheur est en nous et « béni celui qui comprend cela ». Et vous, Yelena, qu’est-ce qui vous rend parfaitement heureuse ?
Je me suis sentie la plus heureuse lorsque j’ai expérimenté la présence de la grâce. Je ne peux pas l’expliquer par des mots. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai expérimenté la présence de la grâce le plus intensément lorsque je souffrais le plus.
Pour vous, la vraie vie c’est vivre par Dieu ?
La vraie vie est la vie éternelle et elle n’est possible qu’avec Celui qui est Eternel.
Emir Kusturica a écrit de très jolies choses sur votre film. Il affirme que « Le film de Yelena nous aide à plonger dans la profondeur de l’être et nous suggère que nous n’avons pas d’autre issue que de chercher notre équilibre sous le ciel de la foi. » Que pensez-vous de ce magnifique compliment ?
Dans les temps que nous vivons actuellement, il semble bien que nous n’ayons pas d’autre choix.
Propos recueillis par Isabelle Gaudé