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« Le paradis, c’est les autres »

Dans une société narcissique où la passion de soi s’est substituée à la passion de l’autre, où chacun s’emploie en permanence à s’auto-séduire, à s’autocélébrer en multipliant les selfies, où le culte du moi, le désir de soi a balayé le désir de l’autre, existe-t-il une crise de la rencontre ? Dans un prodigieux ballet, poignant, déchirant, qui laisse le spectateur ému comme jamais, le merveilleux chorégraphe Julien Lestel, au sommet de son art, refuse ce constat et se lance dans le plus bel éloge qui soit de l’amour. Dans sa toute dernière création Rencontres, produite par la brillante Alexandra Cardinale, il tord le cou à ce nouveau sentiment postmoderne d’autosuffisance qui ne laisse aucune place au manque, aucune place au don de soi et nous redonne le goût de l’autre. Non seulement la rencontre est possible, mais elle est nécessaire car elle nous rend profondément vivant, elle transfigure et vivifie nos vies. Elle nous sauve de l’asphyxie d’être soi pour mieux respirer à deux. Elle déploie cette énergie vitale, régénérante, cet Eros que rien n’anéantira, pas même Thanatos. Elle est « ce qu’il y a de plus réel dans le réel » comme l’écrivait Jacques Bourbon Busset. La réalité de l’autre me plaçant face à ma propre réalité. Comme un cogito cartésien qui se conjuguerait sur le mode de l’altérité. « Tu existes, donc je suis. »

Sur la scène de la salle Pleyel, devant un parterre de spectateurs envoûtés, Julien Lestel relève un autre défi : nous donner à voir l’éternité dans un instant. On reste soufflé par ce miracle. Assister à ce moment suspendu, cette grâce inexplicable, ce bouleversement qui survient quand deux êtres se rencontrent. Tout commence par un choc. Celui de deux individualités, de deux mondes qui se percutent de plein fouet. Soudain, un danseur se fige devant un autre. Chacun retient son souffle. C’est l’arrêt devant l’être et c’est le commencement du regard, de la beauté. Le désir s’invite. Une force les pousse l’un vers l’autre. Ils se jettent dans les bras l’un de l’autre. Les êtres s’attirent, se déchirent, s’enlacent. Tant de passion, tant de fièvre, tant de ferveur. Mais les couples se font et se défont, les passions passent. C’est la valse aux adieux. L’abandon pour l’un, la liberté pour l’autre. Le coeur étreint, le coeur éteint, la chair triste, le danseur voit s’éloigner son amour. Commence alors le désespoir. « Amour, divine flamme; amour, triste fumée » déplorait Paul-Jean Toulet. Tantôt une jeune beauté s’élance vers une autre, l’ondine ondule délicatement. Les corps se cherchent. Troublé par cette attirance, aimanté, le couple s’enflamme. L’incendie commence. Tantôt c’est un duo d’amoureux, peau contre peau (« la peau c’est ce qu’il y a de plus profond dans l’homme » soulignait Valéry) saisis par la tendresse, envahis par cette quiétude heureuse du partage. Dans Rencontres, Julien Lestel a rêvé toutes les formes d’amour possible, comme l’avait fait avant lui, Tolstoï, dans Anna Karénine (la passion, l’amour adultère, l’amour marital etc.). Il les a conjuguées à tous les sexes, à tous les chiffres, du duo au quatuor, en passant par le trio (à la Jules et Jim) dans une valse à deux temps, à trois temps, à quatre temps.

Dans cette oeuvre éminemment vivante, où la beauté se dispute à la grâce, le grand chorégraphe, doté d’une belle affectivité, nous offre l’harmonie et le bonheur ici et maintenant. Il signe le triomphe du sentiment. Il nous rappelle l’urgence à vivre, à vivre pleinement, à rechercher la présence de l’autre (« l’autre comme source de poésie permanente » disait Edgar Morin), les sentiments vrais, au risque sinon de passer à côté de notre vie. Il murmure à nos coeurs desséchés, trop repliés sur eux-mêmes, le joli mot de Pina Bausch « La chose la pire, c’est de ne rien ressentir. » Sans dissocier le désir de l’amour, Julien Lestel nous parle du chant du corps et du chant de l’âme. Paradisiaque.

Isabelle Gaudé

Le chorégraphe Julien Lestel
La danseuse et productrice Alexandra Cardinale

Rencontres Ballet Julien Lestel

La tournée continue :

10 FEVRIER 2024 : BORDEAUX Casino Barrière

17 MARS 2024 : LE TOUQUET-PARIS-PLAGE Palais des Congrès

28 AVRIL 2024 : TOULOUSE Casino Barrière

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« On n’existe que par la rencontre »

Rencontres Ballet Julien Lestel

« Mes talons se cambraient, mes orteils écoutaient pour te comprendre : le danseur ne porte-t-il pas son oreille dans ses orteils ! » soulignait Nietzsche. Et si cette précieuse « troisième oreille » faisait du danseur l’être le mieux placé pour tendre l’oreille, pour capter le secret de la vie, le mystère de l’amour, l’énigme de la rencontre ? C’est en tout cas l’éblouissante démonstration qu’en fait le chorégraphe Julien Lestel dans sa toute dernière création Rencontres, produite par la talentueuse Alexandra Cardinale. Grâce au superbe travail scénique de Julien Lestel, on découvre une toute nouvelle façon de désirer, d’enlacer (« on ne rencontre que ceux que l’on a déjà rencontrés »), de se séparer (« une rencontre n’est que le commencement d’une séparation »). Son oeuvre nous donne envie d’aimer, de nous jeter à corps perdu dans cette magie, d’aller poétiquement à la rencontre des âmes, d’oser ces rencontres qui nous « font renaître et nous révèlent à nous-mêmes. » Voilà une magnifique raison de se rendre à la représentation exceptionnelle qui aura lieu à la salle Pleyel, à Paris, le 1er février prochain. Pour partager ensemble, danseurs et public, ce moment de grâce où tout demeure en suspend, pareil à une rencontre capable de changer le cours d’une vie. Le rideau se lève. Surgit sur scène « un groupe de danseurs et danseuses liés les uns aux autres comme des racines dans une ronde incessante ». Soudain « les êtres se découvrent, et surgit une dynamique, comme un besoin d’aller vers l’autre ». Comment danser l’amour naissant ? Danser la séduction ? La passion érotique ? Comment danser le désir dans une société narcissique où il n’y a plus que des solitudes en guerre ? Comment danser la rencontre de l’autre qui est une rencontre avec soi-même ? Breton le précisait non sans humour : « L’amour, c’est quand on rencontre quelqu’un qui vous donne de vos nouvelles ». Et si la rencontre, c’était tout autre chose ? Il suffit d’admirer cette sublime troupe de danseurs poignants, fondus, soudés, aimantés, fusionnels, ce vertige des corps, cette immense tendresse des âmes, pour comprendre que la rencontre c’est tout simplement cette métamorphose qui nous fait devenir « autrement le même » (dixit Jacques Lacan). A moins que ce ne soit « L’amour c’est donner ce que l’on a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » (toujours Lacan !). Alors, est-ce le destin qui mène la danse, le hasard, la biologie, l’inconscient ? Sommes-nous libres ou déterminés ? Grâce à Julien Lestel, on réalise que la rencontre nous réinvente, que la rencontre est la plus belle façon de conjurer la mort. Ce que Nerval confirmait : « Etre seul, c’est la mort. Etre deux, c’est la vie. L’amour, c’est l’immortalité. » Et donnera tort, on l’espère, à Michel Houellebecq qui affirmait : « On meurt tous du manque d’amour. »

Le chorégraphe Julien Lestel
La danseuse et productrice Alexandra Cardinale

RENCONTRES

Tournée 2023-2024

11 OCTOBRE 2023 : SALON-DE-PROVENCE Théâtre Armand

22 OCTOBRE 2023 : DEAUVILLE Casino Barrière

15 NOVEMBRE 2023 : MARSEILLE Opéra

30 JANVIER 2024 : CHARTRES Théâtre de Chartres

01 FEVRIER 2024 : PARIS Salle Pleyel

03 FEVRIER 2024 : LILLE Casino Barrière

10 FEVRIER 2024 : BORDEAUX Casino Barrière

17 MARS 2024 : LE TOUQUET-PARIS-PLAGE Palais des Congrès

28 AVRIL 2024 : TOULOUSE Casino Barrière

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Cent ans de Soleil

Deux beaux amoureux

Une poignée de happy few, quelques 400 danseurs étaient conviés hier soir au Château de Versailles à une soirée époustouflante, Le Bal du Siècle. Et ce fut tout simplement un moment mémorable. Des valses de Vienne aux Années Folles, en passant par le tango, le fox-trot, le quadrille, la gigue américaine, le Charleston, la Tempête, les Pol Jones, Versailles bruissait du taffetas des crinolines de Sissi, Versailles voltigeait, tourbillonnait, Versailles résonnait des musiques d’Offenbach, enfin le Château de Versailles, commémorait sa Fête Merveilleuse, célébrant la fin de sa restauration en juin 1923.

Les robes voltigent, aériennes, dans la Galerie des Batailles
La charmante Christine porte sa toute dernière création, une robe à tournure IIIe République
La troupe des comédiens interprète joyeusement quelques saynètes
Dans la salle des Gardes de la Reine, une mystérieuse séance de tarot divinatoire
La belle Karolina dans l’escalier d’honneur
Un ravissant quintette d’hôtesses
L’éblouissante Diane, digne d’une héroïne de Gatsby le Magnifique

Il flottait comme un envoûtant parfum des soirées de Gatsby le Magnifique ce lundi soir dans les grands appartements de la Reine où virevoltaient de superbes silhouettes, en robe Charleston pailletée à franges, boa et éventail en plume. Manière de renouer avec la féerie et l’effervescence des Années Folles, la soirée costumée avait fait la part belle aux années 1920. Gatsby renaissait, on fêtait ces retrouvailles, et avec elles toute la légèreté, l’euphorie et la magie de cette époque bénie.

Dîner dans les salons de Napoléon, c’est chic !

Se délecter d’un méli-mélo de flétan aux fleurs d’hibiscus givrés sous le Couronnement de Napoléon peint par David, c’est chic. Déguster un délicieux Paris-Brest en présence de l’Empereur, ça a de l’allure ! L’illusion est telle, qu’on en viendrait même à croire qu’on dîne dans les appartements de Bonaparte tant le Château de Versailles semble nous appartenir pour un soir.

Le mantra de Fabrice : « in vino veritas »
Tony aux commandes
Inlassablement belle, la Galerie des Glaces.

A presque minuit, sous les ors de la Galerie des Glaces, la foule s’est pressée devant les fenêtres pour contempler les jardins ennuités du Parc. Soudain le ciel s’est embrasé. Des fusées dorées ont éclaté en soleils, en cascades, en bombes, au rythme des valses de Strauss. Lors du bouquet final, l’or éclatant des feux a rougi de plaisir devant le chatoiement inattendu d’une cocarde groseille qui saluait l’arrivée musicale d’Offenbach et de son french Cancan. La nuit noire était rouge. Une guirlande humaine de danseurs a enflammé le parquet sage de la Galerie des Glaces, sous l’oeil impavide des trois cent cinquante-sept miroirs qui reflétaient la joyeuse farandole.

Mais les festivités ne s’arrêtaient pas là. Un After attendait les invités. A minuit, la Galerie des Batailles s’est métamorphosée en une immense piste de danse (120 mètres de long!) irisée de lasers, de jeux de lumière, de LED, à faire pâlir d’envie toutes les boites de nuit. Vibrer, se trémousser sur une chanson d’ABBA, en présence du tableau de la Bataille de Fontenoy ou celui de la bataille d’Austerlitz, a quelque chose de parfaitement surréaliste. C’est côtoyer, par dessus les siècles, ceux qui ont fait l’histoire de France. Un délicieux choc temporel qu’on ne vit qu’une seule fois dans sa vie. Mais laissons le mot de la fin, à un jeune couple, ivre de plaisir, radieux et comblé, qui, au sortir du château, foulant les pavés de la Cour Royale illuminée, et s’éloignant à regret de la magnificence, s’est exclamé : « On a réalisé un rêve ! »

Voilà, tout est dit. Danser au Château de Versailles, c’est vivre un rêve éveillé. Ce soir, ce fut la première édition du Bal du Siècle, et ce fut merveilleux. Nous attendons avec impatience la prochaine édition.

La cour royale illuminée pour le Bal du Siècle

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Coup de coeur pour l’Abbé Pierre

Evénement : à voir absolument cet automne, le merveilleux biopic de Frédéric Tellier, L’Abbé Pierreune vie de combats.

L’acteur Benjamin Lavernhe, magnifique incarnation de l’Abbé Pierre, et le réalisateur du film L’abbé PierreUne vie de combats, Frédéric Tellier. ©Bestimage.
Dans l’Abbé Pierre, Benjamin Lavernhe incarne « l’homme derrière l’icône ». ©Jérôme Prébois
Les acteurs Benjamin Lavernhe et Michel Vuillermoz. ©Jérôme Prébois.
Benjamin Lavernhe et Emmanuelle Bercot, en Lucie Coutaz. ©Jérôme Prébois.
L’Abbé Pierre, l’icône de la fraternité et le fondateur d’Emmaüs. ©Cinéart
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La Métamorphose

Le réalisateur Thomas Cailley

Retenez bien cette date : le 4 octobre. Le 4 octobre ou la sortie du film Le règne animal de Thomas Cailley. Un film indispensable, inoubliable, intelligent, sublime au sens kantien du terme, un film dont l’écho et la portée sont incommensurables. Un film dérangeant, à la limite de la claque visuelle, de la gifle immatérielle. Tout simplement un grand film pour un réalisateur d’une incroyable simplicité. Voilà un réalisateur discret qui ne recherche ni les flashs, ni les honneurs, ni les récompenses et qui pourtant ne cesse d’en recevoir. Son premier opus Les Combattants a raflé tous les César, celui du meilleur premier film, celui de la meilleure actrice pour Adèle Haenel, celui du meilleur espoir masculin pour Kevin Azaïs, et quasi toutes les récompenses du Festival de Cannes 2014. Rien d’étonnant à cela puisque Thomas Cailley a un style inimitable. Il n’a pas son pareil pour troubler, déranger, déconcerter. Il sait créer des climats étranges, à la lisière du réel et du fantastique, du vraisemblable et de l’incroyable. A la limite du possible. Car ce jeune cinéaste aime le risque. Il n’hésite pas à s’aventurer hors des sentiers battus, à explorer les territoires inconnus, à tracer sa route, avec pour boussole, sa passion de l’absolu. Résultat son second long métrage, Le règne animal est un immense film, poétique, poignant, sourdement politique. Un film sur l’altérité, sur la dualité, sur l’inconscient, sur l’écologie et la survie de l’humanité. Un long métrage qui décrit une humanité en proie à des mutations génétiques. Une humanité affectée par une étrange maladie, aussi inexplicable qu’imprévisible, la transformation de certains humains en animaux. Bienvenue dans un monde où l’animal est l’avenir de l’homme.

Le règne animal s’apparente à une merveilleuse fable philosophique rousseauiste. Invraisemblable et pourtant plausible. « Une approche réaliste du fantastique » souligne son réalisateur. Le film pourrait s’intituler Emile ou de l’éducation, puisque c’est l’histoire d’Emile. Emile ou de l’émancipation. Emile, un adolescent en proie à des bouleversements physiologiques alarmants. Emile en quête d’identité, qui ne contrôle plus ses mues et évolue dangereusement vers une autre espèce. Or Emile a un père, campé par Romain Duris, qui ne cesse de lui enseigner, à la manière de Rousseau, que « la nature ne doit pas être contrariée. » Un père qui lui apprend à accepter sa transformation physique. Qui lui apprend à s’accepter en tant qu’animal. Un père qui aime son fils d’un amour inconditionnel et qui va même jusqu’à aimer toutes ses métamorphoses. Telle est l’approche de ce film qui dénonce en parallèle les dysfonctionnements de notre société moderne. Le spectateur est convié à une réflexion sur la thématique nature-culture. Au fil des images, il s’interroge. Pourquoi l’animal remplace-t-il peu à peu l’homme ? Est-ce parce que l’homme n’a pas assumé sa part d’animalité ? Trop de culture l’aurait-il dénaturé ? Tout est fait pour nous faire comprendre que la culture et les progrès technologiques se retournent contre nous. Comme si la culture nous avait domestiqué, desséché, uniformisé. Pire, qu’elle avait dévitalisé l’homme. Comme si ce surplus de culture nous empêchait de nous relier à nos instincts primitifs et sauvages, et donc nous avait arraché à notre essence profonde. Comme si elle nous avait confisqué la possibilité d’être complet, et ce faisant, avait divisé l’homme. Et que de cette division naissait sa désespérance et son errance. Telle est la leçon de ce film : en nous privant de nos racines, on a coupé nos ailes. Où l’on comprend alors que réhumaniser l’homme, c’est paradoxalement, le réconcilier avec l’animal qui est en lui. Seule la nature peut nous rendre ce que la culture nous a confisqué : l’intégralité de l’homme. Pour autant, est-ce à dire que la survie de l’humanité passe par le règne animal ? C’est en tout cas l’idée qui innerve ce superbe film qui ne cesse d’insister sur la regrettable mise à l’écart de la nature, du vivant dans la modernité. Le règne animal sonne la fin du règne de l’homme, la fin de l’emprise humaine sur la nature, que l’injonction cartésienne « nous rendre comme maître et possesseur de la nature » avait encouragé. Sus à la fameuse maîtrise de l’environnement que requerrait Descartes. Sus à son projet anti-écologique. L’histoire l’a prouvé : tout dégénère entre les mains de l’homme. Le règne animal, lui, nous invite à un retour aux sources, aux origines du vivant. Au commencement, étaient les animaux. Il suggère que la nature reprenne ses droits. Qu’il est temps de laisser la place au monde sauvage, afin qu’au sommet de la pyramide, gouverne, non ce qui a le plus de pouvoir, mais ce qui est le plus vivant. C’est la leçon de la vie : la vitalité gagne toujours.

Paul Kircher, le héros du Règne animal

Bien sûr, nous avons beaucoup à apprendre des animaux. C’est l’un des enseignements de ce magnifique film. Où l’on découvre que la bestialité n’est guère là où on l’attend. Si comme l’assure Hobbes, « l’homme est un loup pour l’homme », dans Le règne animal, contre toute attente, le loup est un ami pour l’oiseau. Le mutant est civilisé. Non seulement il accepte la différence chez son semblable, mais encore il ressent une véritable empathie pour l’autre. Les hommes-animaux se soutiennent. Courageux, loyal, dévoué, l’homme-loup éprouve une irrépressible envie d’aider l’homme-oiseau à prendre son envol. A voler à la conquête du ciel, à tutoyer les étoiles, à réaliser son rêve d’Icare. Thomas Cailley filme avec une tendresse toute particulière et dans une nature inlassablement belle, ce besoin de s’envoler, de s’élever, de vivre au dessus de soi-même qui est le signe de l’accomplissement. Cet amour de la liberté, ce refus des limites imposées fait écho à la troublante scène d’ouverture du film, où l’on découvre une créature mi-homme mi-oiseau enfermée par les hommes, comme emprisonnée dans une camisole de force, qui tente de déployer ses ailes pour s’échapper vers le ciel et retombe inéluctablement par terre.

Bien entendu, à cette élimination progressive de l’homme au bénéfice de l’espèce animal, l’humain réagit très mal. Il perd le contrôle et ne supporte plus l’irruption de cette menace. Incapable de comprendre l’enjeu nécessaire de cette évolution, l’homme tente d’enfermer, d’isoler, d’interner ces nouvelles créatures, ces mutants monstrueux. Brimant délibérément leur vitalité, leur énergie vitale, leur éros. Le film pourrait se lire comme une métaphore du combat au sein de notre propre psychisme : d’un côté, ce qui est souterrain, profond, obscur, l’animalité, les instincts, les désirs et pulsions refoulées, l’instance du ça guidée par le principe de plaisir. De l’autre, le moi social, l’instance du moi guidée par le principe de réalité. Et enfin, le surmoi, la conscience morale, l’intériorisation des interdits, représentées par les gendarmes dans le film, lesquels symbolisent l’autorité et la loi. Finalement, toute une part inconsciente de soi que l’on brime et refoule et qui ressurgit sans prévenir, avec une puissance décuplée.

L’équipe du film Le règne animal, à Cannes, lors de leur montée des marches le 17 mai 2023

Thomas Cailley aurait pu réaliser un énième film très attendu sur le remplacement de l’homme par les machines (comme dans le célèbre Terminator), mais il a refusé de céder à la facilité. Il a préféré se surprendre lui-même et nous surprendre par une métamorphose bien plus inattendue, le remplacement de l’homme par l’animal. Dans ce film où surabonde la grâce et la tendresse, ce qui nous vaut les plus belles lumières, on entre dans une nature belle à se damner, pour communier avec elle. On plonge dans la forêt des Landes, on se fond dans le paysage et on va d’éblouissement en éblouissement. On est tour à tour le soleil, le vent, les arbres, le ciel rosé, la lune dorée. Cette fusion avec la nature s’opère naturellement, aussi naturellement qu’Emile tombe amoureux. L’amour comme une évidence. Et puisque Thomas Cailley aime à citer René Char dans Le règne animal, Emile pourrait reprendre à son compte ce magnifique mot du poète : « Ne te courbe que pour aimer. Si tu meurs, tu aimes encore. »

Isabelle Gaudé

Le réalisateur Thomas Cailley en plein tournage

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Cannes, plus que jamais

En haut des marches, le jury au complet du 76e festival de Cannes

Quelques photos, quelques palaces , pour le plaisir…

La magnifique actrice Adèle Exarchopoulos
Le costume sous le costume d’Elsa Hosk
La sompteuse Jennifer Lawrence
La belle Carla Bruni, en haut des marches
La merveilleuse Marion Cotillard
L’envoûtante Naomi Campbell. Photo Pascal Le Segretain /Getty Images

La féérie de Cannes, ce sont ses palaces. Le Martinez, Le Majestic, Le Carlton. Le trio triomphant de la Croisette. Du rêve, du glamour, du chic, du faste, et du cinéma. Voyage dans les étoiles, dans les cinq étoiles.

D’abord, il y a le Martinez. Le mythique Martinez. Le célèbre palace, refait à neuf, offre aux convives une myriade de chambres de style Art Déco contemporain aux tons doux, au style épuré. Blancheur des murs, mobilier blanc crémeux, blanc laqué, blanc brillant, blanc immaculé, agrémenté d’une infime touche de pastel bleu ou jaune. On peine à détacher ses yeux de cet univers laiteux, de ce jet de lait, cette neige cotonneuse, qui illumine l’espace d’une lumière irisée. On baigne dans une bulle neigeuse, incroyablement apaisante et la vie semble infiniment douce. L’instant s’éternise et il porte un double nom : quiétude, plénitude. Côté mer, une vue imprenable. Côté espace vert, les fenêtres s’ouvrent, sur un jardin zen aux parfums de citronniers et d’oliviers. Baignée dans une lumière pulpeuse, vaporeuse, radieuse, une ravissante piscine bleu outre-mer barbotte entre les arbres. Pure poésie. On imagine aisément la silhouette de Francis Scott Fitzgerald arpenter avec délicatesse, entre rêve et songe, les couloirs du Martinez, appelé par ce jardin d’éden, ce havre de paix intemporelle, un Fitzgerald ébloui par la beauté des lieux. Plaisir des yeux. Mais aussi plaisir des papilles. Côté cuisine, le chef étoilé Jean Imbert vient de succéder à Christian Sinicropi. Il dirige La plage du Martinez, et sera bientôt aux commandes, au printemps 2024, du restaurant doublement étoilé au Michelin, du Martinez, La Palme d’or. Le jeune chef surdoué n’a pas son pareil pour régaler les palais les plus exigeants. Ses fulgurances culinaires expliquent sa fulgurante ascension. Chez lui, le moindre plat frise le génie. Disons-le tout net, nous avons dégusté au Martinez la meilleure pizza au monde ! Impossible de ne pas évoquer cette merveille culinaire, renversante, succulente, exquise, incroyablement délicieuse, bonne à se damner. Rien de moins ! Et le lendemain matin, le petit déjeuner ne démentait pas cette impression d’excellence, avec un jeu de gaufres irrésistibles, miracle de moelleux, qui fondaient sous le palais, si délicieuses qu’on en perdrait à tout jamais ses bonnes résolutions de régime. Ajouter à cela, un staff de voituriers, tous plus canon, charmants et bienveillants les uns que les autres, des oeuvres d’art sublimes à chaque coin de l’hôtel, un grand escalier graphique et son lustre rétro, un défilé permanent de stars, le Martinez a tout de la féerie, du faste d’une fête magique et grandiose des années folles, digne des soirées de Gatsby le Magnifique.

L’hôtel Martinez à Cannes
L’escalier d’honneur du Martinez
Le nouveau Chef du Martinez, Jean Imbert

Ensuite, il y a le Majestic. Majestueux, impérial, grandiose. Magnifique fleuron des établissements Barrière, ce palace parade en tête des plus beaux palaces de la planète. On succombe dès l’entrée à l’incomparable accueil que vous fait le personnel. Vous êtes, en une fraction de seconde, l’être le plus important au monde. Choyé, chouchouté comme jamais, vous vous sentez délicieusement unique. C’est la philosophie de cette adresse culte : on y cultive la courtoisie. Et cette impression ne vous quitte plus de votre séjour. On fond littéralement devant la pluie d’attentions qui se déverse généreusement sur votre personne : cadeaux, goûter de fruits, fabuleuses pâtisseries offertes, nectar de fruits à l’incroyable saveur. Le personnel, les gouvernantes, les femmes de chambre, tout sourires, sont aux petits soins. Tous anticipent le moindre de vos désirs. Sitôt quitté votre spacieuse chambre, vous découvrez dans l’enfilade des salons raffinés des buffets beaux à couper le souffle, dressés avec un goût irréprochable. C’est l’extase visuelle. Terre et mer enchantent l’assiette. On s’émerveille devant la farandole de fruits de mer, on s’enthousiasme devant la variété des mets exquis, les mariages de saveurs, les alliances de flaveurs, toutes ces nourritures terrestres plus alléchantes les unes que les autres. Et on finit par craquer pour le buffet de desserts, sublime de bout en bout. Pas moins d’une trentaine de pâtisseries alignées placidement vous convient au plaisir. Ce délice, c’est le supplice de tantale. Le chef pâtissier, Michaël Durieux, au sommet de son art, flirte avec les cimes. Festoyer au Majestic, c’est arracher un peu de paradis au ciel, et ça c’est tout simplement magique. En somme, dans cette adresse incontournable de Cannes, dans ce palace inoubliable, on reçoit beaucoup d’amour. On repart du Majestic galvanisé, transfiguré, avec une seule envie, le désir d’y retourner.

L’hôtel Majestic à Cannes
La sublime suite Majestic
Le succulent buffet de pâtisseries du Majestic

Enfin, il y a le Carlton. « L’hôtel du cinéma » par excellence où fut tourné le film La main au Collet d’Alfred Hitchcock. On se souvient tous de la fameuse scène de la chambre 623 qui réunit le duo de stars Grâce Kelly et Cary Grant, devenue aujourd’hui la suite Alfred Hitchcock. Le splendide palace, métamorphosé après des travaux pharaoniques, brille aujourd’hui de mille feux. Il propose le paradis sur terre grâce à son jardin d’éden digne des jardins de l’Alhambra. Dans cette atmosphère sensuelle, végétale, minérale, nos cinq sens sont comblés. Le plaisir de l’ouïe, avec le murmure de l’eau, le doux clapotis de la piscine à débordement sertie de palmiers. Le plaisir de l’odorat avec le parfum envoûtant des essences de fleurs, les fragrances fabuleuses des plantes aromatiques. Le plaisir de la vue qui ne peut se rassasier de ces jeux d’ombre et de lumière, de ce ciel azuréen comme unique toit du joyau bleu de la piscine, de la variété exquise des couleurs de ce jardin méditerranéen. Le plaisir du toucher dû à la découverte des matériaux, et enfin le plaisir du goût, avec la saveur des fruits, les agrumes et le joli bar attenant à la piscine qui offre des boissons détox comme des tisanes au gingembre. Félicité visuelle, acoustique, aromatique, gustative, et tactile. Pur moment de bonheur dans un cadre de pure beauté. Une forme de perfection pour le Carlton, excepté l’accueil un peu froid et snob (snob dont l’étymologie est sine nobilitate) et qui donc manque de noblesse.

Isabelle Gaudé

Grâce Kelly et Cary Grant dans la chambre 623 du Carlton
Le Carlton
Le jardin d’Eden du Carlton

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Tapis rouge pour Thierry Frémaux

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes.

Ecce homo. Voilà l’homme ou plutôt le Démiurge, qui préside à la merveilleuse organisation du Festival de Cannes. Inlassablement, depuis 22 ans, c’est lui qui ressuscite la Croisette, en la délivrant, chaque année, au printemps, de son sommeil hivernal. Durant douze jours, Cannes redevient le centre du monde, et « le tapis rouge, le centre de l’univers. » C’est lui, l’homme élégant, à l’allure juvénile, qui sur son Olympe, accueille chaque soir les stars, les cinéastes, les équipes des films, ce ballet de beautés, de somptueuses créatures en robes étourdissantes, ce jet continu de magnificence, de grâce, de glamour qui gravit avec allégresse les marches de Cannes. Il y a dans cette ascension comme une élévation. Une manière de parvenir au sommet, d’avoir le monde à ses pieds, tout en accédant au point culminant de la visibilité sociale. Impossible de s’élever plus haut, le prestige du Festival de Cannes est sans égal. Donc, toute la planète cinéma se presse en haut des marches pour saluer le maître des lieux, Thierry Frémaux. Car c’est lui, le délégué général du Festival de Cannes, ce brillant esprit, d’une grande honnêteté intellectuelle, qui concocte la sélection officielle des films. Il faut savoir que sur deux mille fictions visionnées durant l’année, seule une vingtaine seront sélectionnées pour la Compétition Officielle. Ce faisant, Thierry Frémaux invente d’une certaine façon le futur, façonne notre imaginaire, et notre vision du monde. Car, à n’en pas douter, tous les grands films que nous savourerons en salle dans les mois à venir seront issus de cette fameuse « Sélection officielle ». C’est encore l’irremplaçable Thierry Frémaux, qui dans un monde saturé d’images, falsifié par la désinformation, nous fait découvrir un cinéma capable d’opérer un état des lieux du réel. Comme si, cachée sous le tapis rouge, la tragédie de la vie nous sautait au visage. Nécessaire. Salutaire. C’est un fait, le cinéma actuel n’a de cesse de nous informer sur le triste état du monde. Tout est-il perdu ? Devons-nous baisser les bras devant l’inéluctable ou bien combattre ? Reste que Thierry Frémaux, cet homme visionnaire a vu venir, avant tout le monde, l’apocalypse. Il le souligne dans son journal Sélection officielle : « Le cinéma donne du rêve mais il dit aussi ce qu’est notre monde. Et ce monde est en danger. » Souhaitons-nous léguer à nos enfants un monde invivable, inhabitable, décivilisé, déshumanisé, violent, où la misère règne ? Et comment en est-on arrivé là ? La première mission de la création contemporaine ne serait-elle pas de provoquer un électrochoc afin de nous délivrer de notre indifférence et notre apathie actuelles ? Le cinéma comme prise de conscience politique, sociale. Le cinéma comme résistance. Un cinéma libre, qui lutte contre la censure, un cinéma qui proteste, qui dénonce les injustices, qui « défend le peuple contre les puissants ». Un cinéma qui refuse la bien-pensance, le politiquement correct, « incite à penser », et oeuvre ainsi à faire avancer la société, les mentalités et les valeurs. Thierry Frémaux l’assure « Nous devons dire qu’un autre monde est possible ». Autrement dit, puisque les idées ont perdu du terrain, notre civilisation de l’image, a plus que jamais besoin du cinéma pour opérer cette métamorphose. Le cinéaste Wim Wenders l’avait déjà pressenti, lui qui dès les années 90 soulignait : « Si le cinéma parvient à changer les images du monde, alors peut-être parviendra-t-il à changer le monde. » Dans un remarquable et salutaire journal Sélection officielle, publié chez Grasset, Thierry Frémaux, à travers son témoignage de sélectionneur, nous incite à réfléchir sur l’état de ce monde dont nous sommes responsables et que nous allons transmettre à nos enfants. Avec un formidable espoir à la clef : le cinéma peut-il réenchanter le réel par sa puissance poétique, et nous offrir une forme de salut ?

Il y a des films qui vous mettent à terre et d’autres qui vous élèvent, des films sombres et des films phares, des films éblouissants et des films déchirants, des films bouleversants et des films puissants, des films audacieux et des films ambitieux, des films d’auteurs et des films grand public. Mais tous ont en commun d’être le miroir d’une époque. Miroir, comme aurait dit Stendhal, qui tantôt reflète l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. C’est paradoxalement la fiction qui nous renseigne le mieux sur le réel. Et elle nous en informe sans filtre, sans fard. Dans Vie et mort de l’image, le philosophe Régis Debray écrit: « La peinture a été la psychanalyse du XVIe siècle, le cinéma, celle du XXe. On peut résumer visuellement la Renaissance avec un Dürer, un Léonard et un Titien. S’il fallait exposer la trame mentale de l’époque, il faudrait se projeter un Griffith, un Bergman et un Godard. Aujourd’hui, Dürer ou Rabelais n’auraient-ils pas été cinéastes ? » Si le cinéma est la psychanalyse de notre siècle, a-t-il pour fonction d’exhiber les symptômes de notre époque ? La montée de la violence comme symptôme de décivilisation, la généralisation du harcèlement comme symptôme d’une société narcissique, la culture de l’humiliation sur certains réseaux sociaux (ce besoin permanent d’être valorisé et de dévaloriser les autres) comme symptôme d’une société individualiste « débarrassée des valeurs sociales et morales » comme le note Gilles Lipovetsky dans son essai L’ère du vide. Si le cinéma est la psychanalyse de notre siècle, s’applique-t-il à explorer notre psyché humaine ? Manifestement les fictions contemporaines se penchent volontiers sur nos inconscients, mettant à nu les modes de fonctionnements psychiques de nos semblables, auscultant nos désirs et nos pulsions de mort. Bon nombre d’oeuvres cinématographiques modernes s’attachent à sonder les non-dits, à révéler les refoulements, à exposer les derniers tabous, bref à dévoiler ce qui était dissimulé. Affichant ainsi ce que nous ignorions de nous-même ou ce que nous ne voulons pas voir. Prenons le cas du grand film sombre, substantiel, intransigeant et bouleversant Monster du cinéaste japonais Hirokazu Kore-Eda. Présenté en compétition à Cannes cette année, ce film ressemble à s’y méprendre à une radiographie comportementale de l’époque. Résultat : c’est un film coup de poing, qui vous laisse KO. Un fiction inoubliable, dérangeante qui vous hante. Mais peut-être est-ce là, la première mission de l’art : déranger. L’intrigue se passe au Japon, parangon du pays civique par excellence, ce qui renforce le sentiment d’incompréhension. C’est l’histoire d’un garçonnet qui vient de perdre son père. A la violence de la vie (la mort du père) s’ajoute la violence des autres (le harcèlement). L’enfant qui peine à trouver sa place dans la société, est harcelé par son professeur et ses camarades. Son école ressemble à un théâtre où grimacent des êtres humains qui se déchirent à coup d’insultes, d’agressivité et d’hypocrisie. Un lieu où l’humiliation est devenue un divertissement. Or ce harcèlement n’est ni plus ni moins que la conséquence du narcissisme sociétal, cette misanthropie moderne. « Le narcissisme allant de pair avec des relations humaines de plus en plus barbares et conflictuelles » souligne Gilles Lipovetsky. Dans cet univers individualiste, l’autre est balayé d’un revers de manche, l’altérité est niée, l’autre n’existe plus en tant que sujet. Hegel le prédisait déjà dans la Phénoménologie de l’esprit : « une identité sans altérité est une identité morte ». C’est « l’altérité ou la mort. » L’effacement progressif de l’altérité laisse donc présager le pire des monde. Un monde invivable, incivique, fratricide, où chacun vit « dans un bunker d’indifférence », où « chacun exploite cyniquement les sentiments des autres et recherche son propre intérêt, sans aucun souci des générations futures » note Gilles Lipovetsky. Reste que le bien nommé Monster (l’étymologie latine signifiant ce qui se montre, montrer) montre le vrai visage de notre époque. Victor Hugo disait que « le théâtre est le pays du vrai », on pourrait en dire autant pour le cinéma. Et ce qui est vrai, c’est que nous sommes devenus des monstres, sans même nous en rendre compte. Des monstres sans âme, sans coeur, sans empathie. Notre cruauté ne connait plus de limites, à l’image de ce professeur qui traître son élève de « monster » en projetant sur lui ses propres défauts.

En programmant un tel film en compétition officielle, Thierry Frémaux, a fait preuve d’un remarquable discernement. Non seulement, il a décelé la puissance, l’utilité, la portée d’une telle fiction, mais en plus, tel un thérapeute, il nous invite à voir la réalité en face et à l’accepter. A l’évidence, un long métrage comme Monster a un effet cathartique sur le spectateur. Un effet libérateur. Il le purifie, le lave de la laideur, le purge de ses passions tristes, de ses pulsions agressives, de ses sentiments inavouables, de ses angoisses. Du cinéma comme thérapie. Mais le cinéma peut-il nous soigner, nous guérir ? Si un film comme Monster nous guérit d’abord de notre indifférence, il nous sensibilise aussi au problème du harcèlement à l’école, il nous extirpe de notre apathie, réveille en nous le sentiment d’empathie, de fraternité, l’envie de porter secours au personnage vulnérable, de le protéger, de le sauver. L’envie d’aimer ce qui est différent dans l’autre. Sa différence constitutive, son altérité. Le réalisateur Kore-Eda l’exprime très clairement : « Qu’est-ce qu’un monstre ? Ce qu’on ne connaît pas. » Voilà, tout est dit. Il y a des films qui sont comme des rencontres. Ils ont le pouvoir de bouleverser notre existence. Plus rien ne sera pareil après. Et grâce à eux, nous devenons plus humains. Plus vivants. Si le cinéma peut encore nous sauver, c’est en nous redonnant espoir en l’humanité, en l’amour, en oeuvrant à détruire la destruction actuelle, en veillant à ce que ce lent processus de déshumanisation n’ait pas lieu.

A gauche du réalisateur Hirokazu Kore-Eda, l’équipe du film Monster, sur les marches de Cannes, le 17 mai 2023. Photo Rocco Spaziani / Mondadori Portfol

Dans un monde désenchanté, Cannes est, incontestablement, l’un des derniers lieux de l’enchantement. Avec un Festival qui réenchante le monde par sa poésie et son esthétisme. Une Critique, un Jury qui fait et défait les films. Une Palme d’or. Une fête du film. Une célébration des cultures. L’ivresse du tapis rouge, la prestigieuse montée des marches, le défilé de stars, les flashs, les fans, le public, le soleil, la croisette éblouie, le rêve à portée de main, Cannes est inoubliable. Et si elle l’est chaque année, et depuis tant d’années, c’est grâce à l’homme qui fait des miracles, grâce à son délégué général, Thierry Frémaux. Alors, tapis rouge pour Monsieur Frémaux.

Isabelle Gaudé

Léonardo Di Caprio, Martin Scorsese, Robert de Niro, Cara Jade Myers, au 76e Festival de Cannes.
©David M. Benett / Getty Images

Thierry Frémaux

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Rodin ressuscité

Hier soir, salle Pleyel, les bronzes et les marbres d’Auguste Rodin ont ressuscité – rien de moins – devant un public époustouflé par ce prodige. Le miracle a eu lieu sur scène : d’un seul coup, en un surgissement quasi surnaturel, la matière s’est animée, la matière s’est incarnée. Le Penseur de Rodin, son Balzac, ses Bourgeois de Calais, sa Chute, son Baiser se sont soudain matérialisés sous les traits de magnifiques danseurs dont le talent fut de restituer par leur gestuelle tout l’éventail de l’expressivité de Rodin. Mais ce qui tenait du miracle, ce soir-là, ce fut surtout la façon dont le chorégraphe a su se glisser dans l’âme du sculpteur, pour le comprendre de l’intérieur, et révéler au public ce qui restait encore caché au fond de la psyché de Rodin, sa part d’inconscient. Résultat, en une merveilleuse immanence, le spirituel est venu habiter la matière. Qui sont donc les démiurges qui ont oeuvré à cette divine renaissance ? Ils sont deux et non des moindres, le très inspiré chorégraphe Julien Lestel et la très inspirante danseuse et productrice Alexandra Cardinale. Tous deux ont offert à Rodin une ultime métamorphose. Tout simplement sublime.

La danseuse et productrice, Alexandra Cardinale
Le chorégraphe Julien Lestel

L’art, le faisait remarquer Lacan, « C’est l’inconscient qui parle à l’inconscient ». Cette plongée dans l’inconscient de Rodin s’apparentait à un véritable défi pour Julien Lestel. Tenter d’entendre ce qui n’est pas dit, tenter de voir ce qui n’est pas visible, montrer l’invisible et dévoiler ce qui est inconnu, ce qui a échappé à Rodin lui-même, tel semblait l’enjeu de cette magnifique chorégraphie. On croyait avoir déchiffré toutes les énigmes des sculptures de Rodin, et soudain, une rupture dans le rythme, dans la fluidité du geste des interprètes du ballet, laissait deviner l’ambivalence des sentiments de Rodin. Comme par exemple, dans la sculpture La Chute d’Icare, où l’on retrouve le même motif que dans La Porte de l’Enfer, celui de la chute. Avec l’idée que l’abîme flirte toujours avec les hauteurs. Or, à cette époque, Rodin est en pleine rupture avec Camille Claudel. Inconsciemment, cette chute symbolise le drame qu’il est en train de vivre. Celui de l’ange déchu, qui quitte le paradis solaire de l’amour pour retrouver un abîme de solitude, la mort de l’amour. Là, où Julien Lestel excelle, c’est qu’il parvient à faire naître dans sa représentation de la Chute tout un faisceau d’émotions inédites et complexes, riches d’une certaine dualité (comme la prétention d’Icare ou de Rodin, et peut-être un peu de sa lâcheté amoureuse) qui frappe l’imagination du spectateur et éclaire d’une lumière nouvelle l’oeuvre de Rodin. Mais Rodin, c’est aussi l’amour et la sensualité et son célèbre Baiser. Corps enlacés, épousés en un geste d’une tendresse inouïe. Une onde de lumière coule sur les chairs ambrées, la musique se fait dense, et la danse se fait musique, valse d’amour, étreinte d’une fragilité bouleversante. Tout l’abandon du Baiser transparaît dans ces corps soudés, comme si c’était de l’intérieur que se faisait le travail. Leur fusion est si déchirante qu’elle fait monter les larmes aux yeux.

« Dès que mes yeux se posent sur une sculpture d’Auguste Rodin, une émotion m’envahit. Les corps, pourtant immobiles, semblent se déplacer, respirer, parler, voire crier, hurler ou supplier. On les sent forts et puissants, mais on les sent aussi fragiles et dans l’abandon. Nombreuses de ses sculptures sont amputées et enracinées dans un bloc de pierre ou de marbre » remarque Julien Lestel. Dés lors, comment atteindre l’essence du mouvement, comment restituer le mouvement, comment les émotions nous traversent-elles, comment représenter visuellement une émotion, telle est la problématique à l’oeuvre dans cet envoûtant spectacle de danse. Vibrant hommage au génie de la sculpture, ce magnifique ballet de Julien Lestel est la preuve vivante que danse et sculpture sont intimement liées. Ce que confirme Erol Ozan par ses mots : « Danser, c’est créer une sculpture qui n’est visible qu’un instant. »

Isabelle Gaudé

Les onze interprètes du ballet Julien Lestel et leur chorégraphe salués par une salve d’applaudissements
Le chorégraphe Julien Lestel et la productrice et danseuse Alexandra Cardinale

Tournée en France

RODIN

BALLET JULIEN LESTEL

09 février-20H : Paris Salle Pleyel

11 février 2023- 20H30 : Lille Casino Barrière

12 février 2023 – 16 H : Enghien-Les-Bains Casino Barrière

26 mai 2023 – 21 H : Saint Maximin, La Croisée des Arts

24 et 25 novembre 2023 : Vedene, Théâtre de l’Autre Scène

14 janvier 2024 : Cannes, Palais des Festivals

22 mars 2024 : Decines-Charpieu, Le Toboggan

06 avril 2024 : Romans, Théâtre Les Cordeliers

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Michel Henry, pour une phénoménologie de la vie

Le philosophe Michel Henry

Il y a 101 ans naissait Michel Henry, sans doute le plus grand philosophe français de la seconde moitié du XXe siècle. Ses travaux originaux et d’une importance extrême s’attachent à montrer qu’il existe un dualisme phénoménologique de l’apparaître, tantôt l’apparaître dans le « hors de soi du monde », ou bien l’apparaître dans l’immédiation impressionnelle et pathétique de la vie. Ainsi comment la vie se révèle-t-elle à elle même ? Par une auto-révélation où je perçois ma réalité de l’intérieur par exemple dans la faim ou la souffrance, le désir ou la colère; ou comment la vie en se souffrant elle-même jouit d’elle-même. La quasi-totalité des écrits de Michel Henry oeuvre ainsi à définir la subjectivité comme une subjectivité concrète et individuelle, charnelle et affective et à approfondir une méditation sur la Vie. Durant plus d’un demi-siècle, Michel Henry a poursuivi ses recherches sur le phénomène du corps et de la chair, à la croisée des chemins du christianisme, et a renouvelé ainsi les perspectives de la réflexion phénoménologique en explorant les voies inédites d’un invisible de principe.

Nous avons eu la chance d’interviewer Michel Henry en 2001, un an avant son décès. En hommage à cet immense phénoménologue, nous avons eu envie de retranscrire l’entretien qu’il nous avait accordé, entretien paru initialement dans Le Journal des Grandes Ecoles en juillet 2001

Michel Henry, quel est l’objet d’étude d’un phénoménologue ?

Le phénoménologue ne cherche pas étudier des phénomènes spécifiques comme les phénomènes biologiques, historiques, juridiques, mais dans chaque phénomène il cherche en quoi il est un phénomène, ce qui fait qu’un phénomène est un phénomène. C’est donc une question générale qui se pose à tous les phénomènes et que l’on peut en quelque sorte isoler en disant que la phénoménologie n’étudie pas des phénomènes particuliers mais qu’elle recherche l’essence du phénomène, c’est-à-dire ce qui lui permet d’apparaître, ou pour trouver des termes équivalents, son apparaître pur, sa manifestation en tant que telle, sa révélation.

Peut-on vous définir comme un anti-marxiste ?

Après la guerre, au moment de l’effondrement des régimes fascistes et du triomphe du communisme, il y a eu en France une vague de marxisme extrêmement considérable et qui a très largement déterminé la pensée française durant plusieurs décennies. Ce marxisme là m’a toujours hérissé parce qu’il se présentait comme un catéchisme mais aussi parce qu’il affirmait le contraire de ce que je pensais. Il énonçait en effet qu’il y a une prééminence des structures objectives sur les individus, sur la vie qui revêt toujours une forme individuelle, et que Marx appelle très clairement les individus vivants. Lorsque j’ai, par hasard, travaillé sur Marx pour répondre à la demande des étudiants , je me suis aperçu que Marx était un penseur d’une toute autre sorte. J’ai été amené alors à faire une distinction catégorique, qui d’ailleurs n’a pas plu à tout le monde, entre Marx et le marxisme. Marx soutenant au contraire, ce me semble, le principe de la vie qui définit la vie par l’action, ce qu’il appelle la praxis (cette action est toujours pour lui une action individuelle, subjective et vivante.) Or l’un des modes fondamentaux de cette action, c’est le travail. Par conséquent Marx avance une théorie de l’économie dans la mesure où le travail des individus est malgré tout au fond de l’économie. Et ceci est absolument révolutionnaire, non au sens des marxistes, mais en ce sens que pour lui, l’économie consiste à créer des objets universels – l’argent, les valeurs qu’on appelait d’usage ou d’échange au siècle dernier – qui sont des objets scientifiques, objectifs, mais ces objets sont totalement inadéquats par rapport à la réalité qu’ils prétendent traduire, réalité qui est cette vie individuelle, secrète, inquantifiable, inqualifiable. C’est donc cela qui est extraordinaire chez Marx. Il y a toute une problématique de l’économie qui se révèle d’une originalité totale mais qui est encore aujourd’hui mal comprise. Celle-ci consiste à expliquer comment à partir de cette réalité que nous sommes – réalité irremplaçable, unique, propre à chacun – on peut et il faut créer des systèmes d’équivalence qui permettent l’échange des produits. C’est donc dans le principe même de l’économie qu’il y a une substitution qui constitue aux yeux de Marx une véritable dénaturation, voire une aliénation.

Vous êtes l’auteur d’un essai courageux et pourrait-on dire visionnaire qui a fait beaucoup parler de lui, tant par les critiques que par les éloges qu’il a reçus. Cet essai c’est La Barbarie

Oui, la barbarie est l’élimination de la vie ou, comme il est impossible d’éliminer totalement celle-ci sans aboutir au suicide collectif de l’humanité, c’est sa mise au second rang. La vie avait toujours été le principe organisateur de la société. C’est en fonction de ses besoins que la production était orientée. C’est à partir des pouvoirs subjectifs de son corps que le dispositif des outils qui définissent la technique était construit. C’est ainsi qu’un marteau, une massue dépendaient dans leur forme et dans leur poids de la force des individus qui auraient à les manier. L’instrument, disait encore Marx au milieu du XIXe siècle, est le prolongement du corps. Aujourd’hui ce qui dirige le monde c’est une technique entièrement nouvelle qui repose sur la connaissance objective de la nature, connaissance géométrico-mathématique inventée par Galilée et Descartes ai début du XVIIe siècle. C’est donc un savoir qui ne s’occupe que de l’univers matériel et qui ignore l’individu subjectif et vivant, c’est la technique issue directement de ce savoir, qui sont devenus le principe directeur de la modernité. Mon propos n’est pas de critiquer la science mais de dire que l’on ne peut construire le monde des humains en faisant abstraction de leur réalité profonde. De plus, si l’on occulte la vie, on sape les fondements de la culture qui n’est que l’expression et la réalisation de ses potentialités fondamentales : l’art étant l’accomplissement de sa sensibilité, l’éthique de son agir, la religion de ses préoccupations spirituelles. La mise à l’écart de la vie dans la modernité nous place ainsi devant ce paradoxe que dénonce La Barbarie : un développement hyperbolique du savoir et de la technique matériels allant de pair avec le reflux ou l’effondrement de la culture sous toutes ses formes.

Votre pensée est-elle une pensée de l’intériorité ?

Tout à fait. Parce que pour revenir à la question phénoménologique de principe, il ne s’agit pas seulement de dire que cette question est celle de l’apparaître des phénomènes, il faut dire en quoi consiste cet apparaître. Or, depuis la Grèce et dans toute la tradition occidentale, à part quelques penseurs d’exception, il y a une conception dominante de l’apparaître qui est d’ailleurs celle du sens commun : c’est l’apparaître du monde.

C’est-à-dire l’extériorité ?

Oui. Car le monde, c’est très exactement l’extériorité. Dans les grands textes de Heidegger, le monde c’est le hors de soi. Chez Husserl, la définition de la phénoménalité pure de l’apparaître se fait par l’intentionnalité qui est un mouvement par lequel la conscience se jette au-dehors et c’est précisément en tant qu’elle se jette au-dehors qu’elle fait voir ce qu’elle peut voir. La conscience est toujours conscience de quelque chose, au sens de quelque chose de visible. Ce qu’a fait Husserl, et c’est un immense travail, c’est d’étendre ce domaine du visible qui n’est plus réduit aux objets de la sensibilité, de l’expérience perceptive, et de montrer qu’il y a des objets ou des objectivités purement idéales comme les objectivités mathématiques , géométriques ou logiques. Mais Husserl, bien qu’il ait été obsédé par le problème de la vie qu’il appelle à juste titre  » transcendantale » (c’est-à-dire non biologique) a été incapable de reconnaître son mode de révélation propre. Il a abandonné à l’ « anonymat ».

Donc c’est l’invisible de la vie qui vous intéresse…

Elle constitue l’essence de ma recherche. Car à partir du moment où j’ai reconnu la validité absolue du travail des phénoménologues, pour tout ce qui concerne la conscience intentionnelle, la connaissance de la science – ce qui n’est pas rien puisque ce sont d’immenses domaines qui font à chaque fois l’objet d’une élucidation tout à fait remarquable – il reste un autre domaine qui est en quelque sorte beaucoup plus proche de nous puisque c’est nous-mêmes. C’est ce domaine qui se situe toujours en deçà du visible que j’ai tenté d’explorer. Or ce domaine pose de très lourds problèmes de méthodes, puisque d’ordinaire on travaille toujours avec la pensée qui voit. Si la vie invisible se dérobe aux prises de la pensée, comment pourrions-nous entrer en rapport avec elle, en parler de quelque manière que ce soit ? En effet comment peut-on avoir accès à cette réalité qui se dérobe à tout voir ? Ma réponse consiste à dire que ce n’est pas par la pensée que nous avons accès à notre vie. C’est notre vie elle-même qui parvient originairement en soi et elle le fait en s’éprouvant soi-même dans une affectivité primordiale, que j’appelle aussi un pathos, et qui constitue en effet comme la substance et la trame phénoménologique de notre vie. C’est la raison pour laquelle toutes les modalités de notre vie, depuis les impressions les plus simples de plaisir et de douleur jusqu’aux sentiments profonds d’angoisse, d’ennui, de satisfaction, de bonheur ou de désespoir sont des modalités affectives. Bien qu’invisibles, celles-ci n’en sont pas moins éprouvées par nous dans une certitude immédiate qui est leur propre pathos. Habituellement, on a tendance à dire que ce qui ne se voit pas n’existe pas, ceci est absurde au sens logique du terme puisque c’est ce que nous sommes. Par exemple, comment celui qui souffre pourrait-il bien nier sa souffrance qui précisément ne se donne jamais à lui dans l’extériorité, comme quelque chose qui est hors de lui, car à ce moment là il pourrait s’agir de la souffrance d’un autre, d’une souffrance représentée et dans ce cas-là nous ne souffririons pas nous-mêmes. Par conséquent, pour tout ce qui importe, pour tout ce qui est originairement nous-mêmes, il faut en effet reconnaître un autre mode de révélation, lequel relève de la donation immédiate. En effet, ce qui est premier c’est l’épreuve intérieure de mes impressions, de ma souffrance, de mon désir, de ma colère, cette impression affective pure qui fait le tissu de ma chair.

Avez-vous rencontré dans votre cheminement philosophique un penseur qui vous ait été d’une quelconque aide ?

Oui, Maine de Biran. La seule aide véritable que j’ai reçue c’est celle de Maine de Biran dans la mesure où dans mon effort pour montrer que la subjectivité était une subjectivité concrète , individuelle, et au fond charnelle et affective; une lecture, celle de Maine de Biran, m’a fait pressentir et découvrir ce que j’ai appelé ensuite le dualisme phénoménologique, c’es-à-dire le fait que l’apparaître est double. C’est tantôt l’apparaitre dans le hors soi du monde, ou bien c’est l’apparaître dans l’immédiation impressionnelle et pathétique de la vie. Ce sont deux apparaître hétérogènes. Or, en étudiant le phénomène du corps chez Maine de Biran, je découvrais, ce qui a été vraiment la révélation philosophique de mon trajet, que Maine de Biran en approfondissant le cogito de Descartes avait affirmé que ce cogito était un « je peux » et que ce « je peux » c’était mon corps subjectif. Ce corps-sujet qui est à l’origine de toute expérience. Ainsi, le corps est un phénomène crucial puisque c’est à partir de lui que l’on peut faire le constat et la preuve qu’une réalité est susceptible de m’être donnée de deux façons totalement différentes. A savoir que mon propre corps m’est donné de l’extérieur, que nous pouvons nous voir dans la glace et voir même directement des parties de notre corps, mais aussi donné de l’intérieur, par exemple dans l’effort que je fais de tous les domaines de mon activité, et cet effort est quelque chose d’absolument subjectif et affectif, c’est une peine, ou bien cela peut-être un bonheur, il y a des efforts heureux, et cela c’est une expérience irréfutable. Et c’est à ce corps subjectif individuel, radicalement donné dans son pathos que j’ai attribué plus tard le nom de chair.

Peut-on considérer que vous êtes un penseur chrétien ?

C’est une question importante. Précisons toutefois que j’ai commencé à travailler au milieu du siècle dernier non à partir du christianisme, mais de la phénoménologie. A ce moment la philosophie classique qu’on m’enseignait – c’était une sorte de néokantisme – qui ne me satisfaisait pas a cédé la place à la phénoménologie qui faisait une entrée en force en France avec des penseurs comme Sartre, Merleau-Ponty, penseurs derrière lesquels il y en avait d’autres, plus fondamentaux à nos yeux déjà et qui s’appelaient Husserl, Heidegger, Scheler, donc les grands phénoménologues allemands. Ce sont eux qui m’ont permis de préciser cette problématique qui s’interroge non pas sur les phénomènes mais sur le comment de leur donation, sur la façon dont ils se montrent à nous. Il se trouve seulement qu’à cette phénoménologie qui s’en tenait unilatéralement à l’apparaître du monde, j’ai ajouté la découverte d’un mode de révélation plus originaire, propre à la vie. Plus tard, j’ai fait travailler cette phénoménologie de la vie sur le christianisme. Je voulais écrire un livre sur l’intersubjectivité. Ce problème est d’une difficulté terrible. Et je me disais pourquoi avec ces présupposés, non plus ceux du  » hors de soi » mais ceux du pathos invisible, ne pourrait-on pas faire des avancées dans ce domaine qui, il faut bien le reconnaître, fut un échec pour toutes les pensées philosophiques sérieuses ( et bien que l’intersubjectivité serve de base à la sociologie, à toutes les théories de l’interactivité et de la rationalité interactive.) Car le phénomène qui est présupposé partout, c’est l’intersubjectivité mais celui-ci n’est jamais résolu. Je voulais écrire ce livre et puis je me suis souvenu des textes de Paul sur le corps mystique. J’ai ensuite relu tous les textes du Nouveau Testament et j’ai eu cette idée qu’au fond, sans vouloir en aucune façon réduire le christianisme à une philosophie, celui-ci contenait des présupposés philosophiques, et même des thèses philosophiques qui sont ceux d’une phénoménologie de la vie. J’ai donc risqué une lecture philosophique du christianisme à partir de la phénoménologie, mais une lecture qui au lieu de le prendre de haut, y reconnaissait en quelque sorte la vérité. Puisque dans le christianisme, de façon explicite dans les premiers versets de l’Evangile de jean, il est dit que Dieu est Vie. J’ai intitulé mon essai C’est moi la vérité. Cette parole du Christ est révolutionnaire. En effet, la vérité pour les scientifiques est impersonnelle. Et voici que quelqu’un s’autorise à dire que la vérité c’est lui, cela semble déconcertant. Ce fut donc mon premier livre sur le christianisme. Ensuite travaillant sur la chair, j’ai repris le prologue de l’Evangile de Jean où l’incarnation joue un rôle essentiel avec des phrases telles que « Et le Verbe s’est fait chair ». J’ai alors interprété à la lumière de mes thèses le phénomène de l’incarnation.

Votre dernier ouvrage Incarnation a pour sous-titre une philosophie de la chair. Qu’entendez-vous au juste pour cette notion de chair ?

Justement, dans cette notion de chair, j’ai repris mon premier livre personnel écrit avec l’aide de Maine de Biran c’est-à-dire la conception d’une subjectivité concrète qui était corporelle. Mais qui ne pouvait être dite corporelle que si l’on disposait d’une théorie entièrement nouvelle du corps qui était celle d’un corps subjectif radicalement immanent (et non la conception traditionnelle du corps qui le réduit à un objet, y compris le corps humain.) D’où des problèmes insolubles que l’on retrouve chez Descartes et dans toute la pensée moderne : par exemple comment l’âme peut elle agir sur le corps ? Or Maine de Biran comprenait pour la première fois que le « je peux » n’agit pas sur le corps extérieur mais qu’il déploie un « corps organique » lui-même vécu intérieurement comme qui cède à l’effort de ce « je peux » et n’est rien d’autre que ce qui lui résiste. Survient le moment où cette résistance, toujours vécue intérieurement dans cet effort, ne lui cède plus. Le « Je peux » fait alors l’épreuve dans l’invisible de sa nuit, du corps réel de l’univers, lui-même invisible. Il se trouve seulement que, en raison du dualisme de l’apparaître, l’ensemble de ce processus n’est pas seulement vécu dans l’invisible de notre chair en laquelle s’accomplit l’effort, mais se donne aussi de l’extérieur dans le monde. Et cela n’est pas vrai seulement du corps réel de l’univers qui se montre à nous sous l’aspect d’un corps sensible qu’on peut voir et toucher. Le « Je peux » charnel subjectif s’apparaît aussi à lui-même de l’extérieur comme un corps extérieur parmi les autres, comme un « individu empirique » identifié à ce corps qui se distingue par sa capacité elle-même objective de toucher les autres et de se toucher lui-même, de se mouvoir etc. C’est ainsi que le mouvement subjectif et pathétique du « Je peux » originaire est escamoté au profit de phénomènes purement objectifs où notre vie s’est perdue. C’est ainsi que s’étend partout le règne du visible qui a tout repris en lui.

L’une de vos distinctions fondamentales est précisément celle du visible et de l’invisible. Quel sens nouveau donnez-vous à cette opposition classique ?

Invisible, selon la signification nouvelle que je lui donne et qu’il revêt je crois dans le christianisme et chez tous les penseurs proches du christianisme comme par exemple Maître Eckhart, concerne la vie qui n’est jamais visible. C’est la vie dont des manifestations extérieures ne cessent de se présenter dans le monde selon la loi de la duplicité de l’apparaître mais qui en elle-même est toujours invisible. Cet invisible n’est pas une présupposition métaphysique puisque c’est un pathos qui s’atteste lui-même donc plus fortement que n’importe quoi d’autre. En effet rien n’est moins contestable que la tristesse. Dans les Passions de l’âme, Descartes dit explicitement que si l’on suppose que le monde n’existe plus, ce qui est le sens de l’hypothèse du doute et du rêve, et si dans ce rêve, j’éprouve une tristesse, alors qu’il n’y a plus rien, cette tristesse existe telle qu’elle s’éprouve. Et la référence ultime de cela, ce n’est pas mon discours qui énonce que j’éprouve une tristesse, c’est ma vie. C’est ma vie qui atteste de la vérité du discours sur elle. La vie s’est donnée à elle-même originairement et à partir de cette donation première, elle peut se la représenter.

Il n’y a pas d’antériorité à tout cela ?

L’antériorité c’est l’auto-donation de la vie. Il y a un primat, il y a un préalable et c’est cette auto-donation qui est une auto-attestation radicale qui fonde la vérité seconde de tout ce que je pourrais dire sur moi, et aussi qui fonde la véracité de mon discours sur le monde dans la mesure ou l’intentionnalité elle-même est auto-donnée à elle-même dans l’invisible avant de faire voir dans le hors de soi.

Ce qu’éprouve le sujet incarné et que la philosophie traditionnellement appelle conscience, vous l’appelez vie. Quel est pour vous le sens de ce terme très surdéterminé ?

Effectivement, le mot vie ne doit pas être entendu au sens traditionnel. Lorsque par exemple les grecs parlent de biologie, du bios, ils parlent dans Le Monde d’une certaine catégorie d’étants (être là), pour reprendre le terme de Heidegger. Parmi les étants, certains sont inertes, d’autres sont vivants comme les abeilles, et il y a ce vivant que je suis et qui est le Dasein (être au monde.) Dans le sens traditionnel du mot, la vie est considérée comme une sorte d’étant dans le monde. La biologie étudie le vivant. L’inerte n’a pas de monde, l’animal est pauvre en monde, et moi, l’être humain, je suis au monde, c’est-à-dire que je suis éclairé par la lumière de l’extériorité. Pour ma part, je donne un sens absolument nouveau à vie, puisqu’elle n’est plus un étant dans le monde, mais se réfère à l’apparaître lui-même. Dès lors nous ne sommes plus sur le plan des phénomènes mais sur le plan de la phénoménalité pure. Dans ce domaine de l’apparaître pur qui est le thème propre de la phénoménologie, elle désigne un autre apparaître que l’apparaître du monde, l’auto-apparaître de cet apparaître, une auto-révélation, dont la matière est le pathos et qui s’éprouve dans chacune de ses modalités. Par exemple, que me donne la souffrance : la souffrance. Et comment me la donne-t-elle : par son affectivité.

Votre dernier essai marque un net rattachement à la vérité chrétienne et participe de ce que l’on a nommé le « tournant théologique » de la phénoménologie. Est-ce un témoignage du « retour du religieux » dont parlait Malraux ?

Probablement, bien que je n’aie évidemment pas à prendre position d’aussi haut sur la situation de mon oeuvre dans le courant de la pensée actuelle. Cela dit, ce que je crois c’est qu’il est absolument impossible d’exclure la vie et si la religion se rapporte à la vie, alors en effet on peut penser qu’un monde sans religion est un monde impossible. Comment, pourquoi la religion se rattache-t-elle à la vie ? Il faut ici, me semble-t-il, faire intervenir une distinction essentielle entre une vie finie et une vie infinie ou absolue. Ce qui caractérise la première, c’est qu’elle n’a pas le pouvoir de s’apporter elle-même dans sa propre vie, de se donner à elle-même la vie. De même, si je considère le moi qui appartient à cette vie, c’est lui-même un moi fini. Ainsi moi, je suis moi-même, je suis ce moi que je suis, à la différence de tout autre; mais ce n’est pas moi qui me suis apporté dans ce moi qui est le mien. Je n’ai jamais choisi d’être ce moi-là, et cela parce que je n’ai jamais eu ce pouvoir de me donner à moi-même, de me donner à moi-même la vie. Je ne suis donné à moi-même que dans l’auto-donation d’une vie absolue, qui dispose, elle, de ce pouvoir extraordinaire de s’engendrer soi-même éternellement.

Cette vie absolue, c’est celle de Dieu ?

Oui, car seule une vie qui a le pouvoir de se donner la vie à elle-même, peut donner la vie à tous les vivants. Un chemin conduit de la vie à la religion parce que tout vivant est un vivant dans la vie mais dans une vie qu’il ne s’est pas donnée à lui-même. La finitude n’est pas une détermination objective, c’est l’épreuve intérieure et pathétique d’une passivité de tout vivant à l’égard de cette vie qui le traverse et fuse en lui indépendamment de son pouvoir et de son vouloir quelle que soit l’interprétation qu’on en propose, cette passivité de ma propre vie à l’égard d’elle-même demeure incontestable.

Vous êtes non seulement philosophe mais aussi romancier avec des titres comme Le Jeune Officier, L’Amour les yeux fermés, qui a obtenu le prix Renaudot, Le Fils du Roi. S’agit-il là d’une écriture en marge de votre travail de philosophe ou au contraire d’une démarche qui s’intègre à l’exposé de votre pensée ?

Ce n’est pas en marge, c’est une démarche dont j’ai ressenti la nécessité au moment où j’ai souffert d’une difficulté qui affecte toute discipline de recherche, qui est sa technicité. Dans tous les domaines et au fur et à mesure qu’une recherche se développe, elle développe du même coup des méthodologies, des terminologies qui lui sont propres et s’isole du grand public. Aujourd’hui, le savoir est, comme on le dit, un savoir en miettes. J’ai donc tenté d’exprimer autrement les convictions relatives à la vie qui étaient les miennes. Dans mes romans, j’ai pensé que cette réalité profonde que je voulais dire et dont il me semblait que la philosophie classique passait assez largement à côté, pouvait être formulée non plus sur le plan du concept mais sur celui de l’imaginaire. Bien sûr la difficulté était double et j’en étais conscient dès le début : si l’on est un écrivain il faut ne faire que cela, parce que l’on apprend à écrire de l’imaginaire comme on apprend à être philosophe et qu’une seule vie ne permet pas de mener à bien les deux tâches. J’ai donc eu conscience de cette impossibilité de tout embrasser pour des raisons pratiques aussi : quand je suis entré au CNRS très jeune, avant même d’enseigner, j’avais déjà écrit un récit Le Jeune Officier, mais il fallait bien choisir et puisque j’étais payé en tant que philosophe et que je ne pouvais pas mener de front la littérature et la philosophie, j’ai opté pour la philosophie. Plus tard je suis revenu au roman comme à un amour refoulé, et lorsque j’ai disposé d’un peu de loisir, j’ai écrit L’Amour, les yeux fermés. A l’arrière-plan de ce roman il y a un regard jeté sur les civilisations du passé dont le développement se heurte à une aporie. Comment expliquer qu’après une période de croissance en laquelle la vie se porte à des degrés de puissance toujours plus hauts, et cela dans tous les domaines de la production des biens matériels et de la création spirituelle – esthétique, éthique, ou religieuse – cette vie connaisse le déclin et la mort. En l’absence de facteurs externes, cette destruction ne peut venir que d’elle-même. Ce sont ces phénomènes d’auto-destruction qui m’avaient fasciné, d’autant que si le roman les projette dans le passé, nous les avons en réalité sous les yeux.

Propos recueillis par Isabelle Gaudé (pour le Journal des Grandes Ecoles, juillet 2001)

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POUR FINIR L’ANNEE EN BEAUTE

L’actrice Caterina Murino

Tout le monde connait Caterina Murino, la renversante actrice qui fit chavirer le coeur de Daniel Craig dans Casino Royale, mais peu de gens savent qu’elle est aussi gemmologue. Or, depuis toujours, Caterina Murino crée de magnifiques lignes de bijoux en puisant son inspiration dans l’histoire de sa terre natale, la Sardaigne. Cette amoureuse des pierres précieuses se bat pour préserver l’artisanat sarde et l’art de la filigrane. On peut trouver et commander ses sublimes créations à la joaillerie Goralska, au 20 rue de la paix, 75002 Paris ou sur son site en ligne : https://www.caterinamurinojewellery.com/shop

L’actrice qui n’a de cesse de promouvoir dans le monde entier ce savoir-faire sarde, aspire en créant ses lignes de bijoux à donner du travail à ses compatriotes. Laissons-lui la parole : « Il y a vingt ans, les artistes sardes spécialisés dans la technique du filigrane, étaient quatre cents. Aujourd’hui, ils sont neuf… J’ai envie de me battre pour que les enfants des enfants de ces orfèvres sardes puissent continuer à travailler ces techniques anciennes et puissent transmettre de génération en génération l’art de la filigrane. C’est un incroyable savoir-faire depuis les phéniciens qui est en train de se perdre… Et cela fait mal au cœur… »

La belle ambassadrice de la Sardaigne reconnait que ces bijoux en filigrane, qu’elle crée, c’est le fil d’Ariane qui la relie à sa famille, à ses ancêtres. « Je dessine le bijou, puis je le donne à un artisan spécialisé dans le travail du corail, qui le réalise. Nous avons en Sardaigne, une façon de pêcher assez particulière et très respectueuse de la nature. Seule une dizaine de personnes peuvent plonger et sont autorisées à plonger durant trois mois. Laps de temps où elles récoltent environ un kilo de corail par jour. Tout ceci est très réglementé. C’est pour cette raison que l’on peut encore se vanter que les fonds sous-marins du Nord-Ouest de la côte Sarde regorgent de corail. Les artisans sardes, surtout ceux de la ville d’Alghero qui est la ville du corail, transforment « l’or rouge » en collier, boucle d’oreille, et pendentif. La Sardaigne est aussi réputée pour son art de la filigrane. Celle-ci consiste à travailler les métaux (or et argent) en double fils très fins, entortillés en spirale. Résultat : on obtient une sorte de dentelle très fine. De l’or torsadé. Cette technique ancienne perdure toujours en Sardaigne. Elle permet aussi de reproduire fidèlement des bijoux anciens. Je travaille donc avec un artisan qui habite dans un micro village de Sardaigne. Il réalise des pièces entièrement à la main. Ensuite le sertissage se fait à Paris. »

Bague en filigrane

Parmi les splendides collections de Caterina Murino, on découvre aussi des chokers, ces colliers ras du cou, ornés d’un motif en filigrane. Ces modèles se déclinent en plusieurs couleurs et plusieurs tailles.

Marylin Monroe le chantait déjà, les diamants sont les meilleurs amis de la femme. Ce que l’actrice Caterina Murino confirme : « Les diamants sont éternels ! Un sac, une paire de chaussures c’est magnifique mais il arrive un temps où ils deviennent démodés alors que les bijoux ont un côté vintage, on les porte toujours. Chaque bijou nous raconte une histoire. Je suis une grande collectionneuse de pierres. A chacun de mes voyages, je rapporte une pièce, laquelle raconte un moment particulier de ma vie. Pourquoi ai-je étudié la gemmologie ? Parce que nous les femmes sommes fascinées par les pierres. Pourquoi éprouvons-nous une attirance aussi forte pour celles-ci ? Quand j’ai commencé à étudier la gemmologie à l’Institut national de gemmologie à Paris, j’ai découvert la force intérieure d’une pierre. Dans l’histoire des Tsars, des Maharadjahs, des rois, certains sont allés jusqu’à entreprendre des guerres pour s’approprier un trésor, une pierre précieuse, un diamant. Les célèbres Koh-I-Noor, Hope, Régent, L’Orloff firent parfois l’objet de conquêtes sanglantes. Pourquoi ? Parce qu’à l’intérieur de cette pierre qui vient des entrailles de la terre (la formation de la plupart des diamants date de plus d’un milliard d’années), il y a une force, une énergie chimique incroyable. Au-delà de la formation naturelle de la pierre, combien de mains humaines vont intervenir avant qu’une femme puisse arborer un joyau autour de son cou ? Une infinité ! Il y a l’extraction du diamant puis la fabrication de la bague ou du collier qui passe par le dessin, le poinçonnage, le polissage, le sertissage etc. Donc, tout cela confère tellement d’énergie et de force au bijou. Ce n’est pas seulement un objet que l’on pose sur la peau parce qu’il est beau, c’est une pierre précieuse qui raconte une histoire. C’est une force de la nature et une force humaine. »

La belle ambassadrice de la Sardaigne a donné le jour à une ligne de bijoux, La Mirte, qui est le symbole de la Sardaigne. « Ce sont des boucles d’oreille, des bagues saphir, de la tsavorite, c’est une pierre vert tendre ou vert bouteille qui vient du parc de Tsavo, en Afrique, (pierre assez rare, quasiment dépourvue d’inclusions). Je vous ai parlé de ma passion pour le saphir étoilé qu’on trouve au Sri Lanka. Le saphir étoilé est plus clair qu’un saphir normal, d’un bleu pastel légèrement grisé, il est très inclusionné. Les inclusions forment une étoile. Sarde, dans notre ancienne langue, cela veut dire « les danseurs des étoiles ». Et j’ai fait mon étoile dansante comme les danseurs des étoiles. Et donc la petite étoile danse lorsqu’on braque une lumière dessus. J’ai mis des diamants à la fin des branches pour que la lumière des étoiles puisse resplendir encore plus… Cette composition céleste, c’est pour moi, le symbole de la Sardaigne. Une étoile qui danse. »

On l’aura compris, pour briller de mille feux en cette fin d’année, inutile de viser le ciel pour atterrir sur les étoiles, il suffit de porter les merveilleuses créations de Caterina Murino.

Isabelle Gaudé

Le site de joaillerie de Caterina Murino :

https://www.caterinamurinojewellery.com/jewellery/