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SANS L’HUMOUR DE FRANCIS VEBER, LA VIE SERAIT UNE ERREUR

Hier soir, au théâtre de la Madeleine, Francis Veber signait son grand retour avec une nouvelle comédie désopilante Le Tourbillon. Et ce fut un triomphe. Electrisée, la salle secouée de fous rires, applaudissait à tout rompre la troupe des fantastiques comédiens, Caterina Murino, Philippe Lellouche, Stéphane Metzger et Aline Gaillot. « Les rires faisaient même trembler les lustres » ajouterait Balzac. Magie du théâtre. Miracle du rire. Encore une fois, le merveilleux Francis Veber a réussi à nous rendre heureux. Le rideau tomba. Et soudain, l’on passa du rire aux larmes, lorsque Francis Veber, transfiguré par l’émotion, monta sur scène et fit une bouleversante déclaration d’amour à sa femme Françoise, présente dans la salle. Debout, ému aux larmes, le public lui répondit par une longue ovation. Moment de grâce. Chacun quitta à regret le théâtre, ne songeant qu’à une chose, retrouver l’enchantement. Pour goûter à nouveau à l’ivresse comique, courez voir et revoir ce chef-d’oeuvre de drôlerie, dont on attend avec impatience l’adaptation au cinéma. C’est tout simplement la meilleure pièce de l’automne !

Au commencement était Caterina Murino, alias Christine. Telle Aphrodite, elle apparaît la première sur scène dans une robe bleu aux allures de péplos, si exquise qu’on songe aussitôt à ce mot de Balzac : « En la voyant, on a envie de sauter sur scène, de lui offrir sa chaumière, son coeur et sa plume ». Elle sourit et c’est l’éblouissement. Elle, c’est l’incarnation de l’équilibre, de la sagesse. Digne fille de l’harmonie et de la tempérance, on fond devant sa beauté et sa bonté. Le kalos kagathos n’a qu’à bien se tenir devant une telle perfection humaine. Mais la belle Christine est un peu soucieuse. Affectée par la détresse de son mari, elle déploie des trésors de tendresse et de douceur pour le réconforter. En vain. Eric, alias Stéphane Metzger, reste impavide. Il vient de perdre son emploi de journaliste et passe le plus clair de son temps à quadriller l’appartement, superbe et silencieux, imperméable à tout, momifié dans son peignoir, muré dans une totale aphasie. Donc, au commencement était le calme, de ce calme qui précède les tempêtes. Soudain, les éléments se déchaînent, le temps s’accélère et c’est l’irruption quasi volcanique dans le salon feutré du demi-frère de Christine, le dénommé Norbert, alias Philippe Lellouche. Un Philippe Lellouche explosif, irrésistible, d’une drôlerie insurpassable, qui propulse la pièce dans une autre dimension. Lui, c’est un flic. Du genre brutal. Du genre basique. Du genre bas de plafond. Avec la délicatesse d’un rouleau compresseur, il se pique soudain de jouer les docteurs Freud auprès son beau-frère en barbotteuse. Peu importe que ce dernier couve une profonde dépression depuis son éviction de la radio, Norbert connaît son sujet, et prétend qu’il peut accoucher l’esprit d’Eric. Norbert que rien n’arrête, se prend maintenant pour la réincarnation de Freud et de Socrate à la fois. Rien de moins. Hegel en mangerait son chapeau, lui qui serinait à longueur de page que « Le préjugé semble régner que (…) chacun sait tout de suite philosopher ». Mais Norbert n’en a cure. Norbert sait qu’il sait, et il asticote si bien son beau-frère avec ses ratiocinations fumeuses, ses interprétations délirantes, que celui-ci, furax, passe de l’aphasie à la plus furieuse logorrhée. Eric incendie Norbert. Norbert jubile. Il a gagné ! Avec sa « psychanalyse de comptoir » il a réussi à déclencher l’ire de son beau-frère. Il vient de trouver le meilleur remède contre la dépression : la bêtise ! Mais ce que Norbert ignore, c’est que le pharmakon désigne à la fois le remède et le poison !

Au milieu de ce raffut, de cette ambiance survoltée, surgit Sophie, alias Aline Gaillot, la femme de Norbert. Coiffeuse de son état, elle incarne à merveille le rôle de l’adorable idiote, blonde bien sûr. Elle rajoute à la bourrasque ambiante, comme un second souffle de sottises. Et ça tourbillonne derechef. Cette décervelée a un don : mieux qu’un paratonnerre, elle attire les coups avec la régularité d’un métronome. Cocards, gnons, nez cassé, c’est François Pignon en jupon ! Mais on lui pardonne, parce que chacune de ses saillies, mixte de miel et de fiel, nappé d’un sirop de bêtise, fait sourire délicieusement nos zygomatiques. On se régale et c’est peu dire !

Le soir de la première de la pièce Le Tourbillon ©Diane Lotus

Rien de tel qu’une comédie légère, réjouissante, originale, inlassablement drôle et lucide, où les répliques fusent et le public frise l’euphorie, pour voir la vie en rose. Ce don du rire que Francis Veber possède mieux que personne, il s’en sert miraculeusement pour trousser les comédies les plus inoubliables du cinéma et du théâtre français. Là, dans Le Tourbillon, l’auteur du Dîner de Cons se surpasse. Ce génie du comique casse les codes de la pensée unique avec une jubilation palpable. Foin de la bien-pensance ! Sus au politiquement correct ! Tout le monde en prend pour son grade. La police, les délinquants, les grands groupes financiers, les influenceurs, Freud, et même Me Too ! Tout le système est moqué, le nouvel ordre capitaliste raillé. C’est la grande moulinette de la dérision. L’exhibition en règle des ridicules de notre époque. Et le public en redemande, lui qui s’étouffe de rire sous les ors du magnifique théâtre de la Madeleine.

Sans l’humour de Francis Veber, la vie serait une erreur

Depuis soixante ans, Francis Veber amuse ses semblables. Lui, dont l’insolente jeunesse frappe tous ceux qui l’approchent -reflet sans doute de son âme juvénile, vivante et solaire-, consacre son temps à la création. Par amour de l’art. Celui pour qui l’humour est toute sa vie, celui qui a toujours l’humeur à l’humour, pourrait s’enorgueillir de posséder une magnifique carrière et comme beaucoup de ses pairs, se reposer sur ses lauriers. Mais cette légende vivante préfère continuer toujours et encore à se donner pour mission de nous faire oublier la morosité du monde. De nous rappeler que nous sommes tous frères dans le rire. Grâce à ce bienfaiteur de l’humanité, chacun de ses films, chacune de ses pièces de théâtre est une fête de la fraternité et une fête de l’esprit. Irremplaçable Francis Veber qui fait du bien à tous, qui exalte la part de joie que recèle la vie, qui répare les vivants. Inoubliable Francis Veber qui contemple le monde dans le regard des mots et nous surprend à chaque fois par la succulence de son verbe. Unique Francis Veber, c’est le plus grand.

Isabelle Gaudé

Francis Veber

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Marc Petit : « Je crois qu’une oeuvre d’art doit déranger »

Le sculpteur Marc Petit

« Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience » remarquait René Char. Marc Petit en est le plus bel exemple. Voilà un immense artiste dont l’oeuvre n’a pas son pareil pour troubler, déranger, déconcerter, bouleverser. Rencontrer ses sculptures, c’est modifier à jamais notre regard sur le monde. C’est comprendre que l’on est face à une oeuvre d’une importance sans égale parmi nos contemporains. Une oeuvre comparable à un choc visuel, dont la puissance, l’envergure, le fond inépuisable nous cloue sur place. C’est si puissant que cela nous remet en question, si lucide que cela nous rapproche du soleil, si frémissant de vie que cela nous fait fondre littéralement. On reste démuni, sans défense, à cours de certitudes devant tant d’intensité artistique. Car Marc Petit possède un vrai génie sculptural. Devant chacun de ses bronzes, on éprouve immédiatement un vertige. Passé le choc de la découverte, passé le premier étonnement, on est époustouflé, chaviré par cette beauté à couper le souffle. On se sent appelé par la chair vivante de la matière, aspiré par sa lumière, soulevé dans les airs par cette présence plénière si attendrissante. Sous leur masque de douleur, ses statues sont si débordantes de tendresse qu’on a envie de les enlacer. On voudrait se serrer éperdument contre elles pour cueillir dans leurs bras de bronze un peu d’amour et d’humanité. Pour partager leur chaleur ou les consoler de leur douleur. Comment ne pas avoir envie de pleurer devant cette oeuvre magnifiquement déchirante qu’est La Famille ? Qui sont ces trois êtres proches, soudés, fondus dans un même amour, qui paradoxalement lévitent en croix ? Rien de plus émouvant aussi que ces solitudes qui se côtoient dans La Quarantaine. C’est comme si leur désespoir télescopait le nôtre. On reste fasciné par ces trente-quatre visages d’enfants sans masque qui s’abandonnent, ces yeux qui se livrent sans fard, et nous laissent sans voix. Admirer l’oeuvre de Marc Petit c’est aller d’éblouissement en éblouissement. Car sous la noirceur apparente se dissimule le soleil, le soleil brûlant de l’amour. Ici le sombre brûle, il réchauffe nos coeurs endurcis, les fait fondre pour ne laisser en nous que la joie incomparable de la tendresse. Et l’on comprend presque trop tard, saturés que nos sommes d’apparences, que dans la vie, il n’y a que les sentiments qui comptent…

Conversation à bâtons rompus avec un homme merveilleux.

Vous avez le regard d’un voyant : de ceux qui ont vu ce que les autres ne voient pas (ils ont la vue basse) comme si vous aviez traversé le monde des apparences (qui s’apparentent à du vide et à des mensonges). Cherchez-vous la vérité ?

Une certaine vérité sans doute mais une vérité qui ne se donne pas au premier regard, ce qui compte est en dessous. La rigueur et l’audace de la forme m’importent bien sûr mais la vérité qui m’intéresse, je la cherche où elle se trouve :  derrière l’image. Cela génère une énigme qui même pour moi est incompréhensible.

Vous voulez dire que la vérité est voilée, et qu’il faudrait posséder une sorte d’acuité pour voir derrière l’image de la sculpture ?

Je pense que cela demande un peu de temps. Après la première impression, de sa profondeur aussi enfouie soit-elle, une autre vérité doit monter doucement et prendre toute son importance. Ma sculpture, malgré ses formes sûrement sombres pour certains, n’est pas douloureuse, et si elle a une qualité c’est qu’elle véhicule peut-être un peu de vie et une véritable tendresse.

Vos sculptures sont inlassablement sincères et sublimes. Elles ne mentent pas, ne trichent pas, n’enjolivent pas, ne sont ni formatées ni complaisantes. Elles sont une véritable mise à nu. Montrent-elles le réel sans fard ?

Il n’est pas besoin d’enjoliveurs pour faire fonctionner un véhicule, dans mon travail je les supprime pour ne conserver que l’essentiel : le moteur et les roues. C’est le beau qui m’intéresse, le joli n’apporte rien, je fais tout pour l’éliminer.

Parce que le joli c’est peut-être le seul supportable pour l’être humain ? Le joli rassure. Beaucoup préfèrent la sculpture décorative pour ne pas être troublés par une véritable oeuvre d’art qui nous place face à nous-même et nous dérange.

A la différence du beau, le joli est tributaire des modes. C’est-à-dire du choix des autres. Ma sculpture essaie d’avoir sa propre entité, sa vérité et donc quelque part la mienne. Je n’aime ni les modes ni la mode.

Vous détestez la mode parce que vous détestez les diktats ?

Et depuis toujours ! La dernière fois que je suis allé chez le coiffeur – qui en l’occurrence était une coiffeuse – j’avais 17 ans. La coiffeuse m’a raté, elle m’a fait une tête de premier de la classe ce qui n’était pas mon cas ! Lorsque j’ai réglé la note, elle m’a dit, fière d’elle que j’étais très beau, que j’étais tout à fait à la mode. Instantanément,  je me suis dit : « jamais plus je ne donnerai un centime à un coiffeur ! » Depuis, je me coupe les cheveux seul, et cela dure depuis 45 ans ! Il est vrai que je me suis parfois fait des coupes étranges ! Mais je préfère rater ma coiffure par mon incapacité que de la déléguer à quelqu’un qui la ratera pour une des plus mauvaises raisons.

La Grande Captive

J’ai lu que vous aviez commencé à sculpter véritablement à la mort de votre grand-mère. Vous l’avez vu mourir et cette proximité du néant vous a fait devenir un autre homme en une demi-heure. A regarder votre oeuvre, j’ai l’impression que ce sont vos morts qui vous sculptent. Vous avez trouvé un merveilleux dispositif pour expulser vos fantômes : vous les rendez vivants en les sculptant…

Le vide et l’absurdité de notre condition humaine me sont apparus à ce moment là. Ma mère et ma grand-mère sont des êtres qui m’ont porté. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, c’est moi qui les porte. Elles sont là présentes en permanence et doivent apparaître sans doute quelque part dans mes sculptures.

Vous ne faites pas d’auto-analyse ?

Je ne souhaite qu’équilibrer une forme dans l’espace. C’est déjà suffisamment compliqué sans y ajouter consciemment mes problèmes personnels qui n’apporteraient rien. Quand je vais à l’atelier, j’y suis entier, avec ma douleur et ma joie.  Mais cela n’influence pas mon travail. Je me borne simplement à essayer d’être sculpteur.

Y-a-t-il des autoportraits dans votre oeuvre ?

J’en ai fait deux ou trois quand j’étais très jeune mais depuis, des autoportraits au sens réel du terme, non. Par contre il faudrait qu’à ma dernière sculpture, la somme de ce que j’ai produit soit un autoportrait.

C’est beau ce que vous dites !

J’espère que l’ensemble me ressemblera tout en dépassant mon image.

Prenez-vous conscience de ce que vous êtes en sculptant ?

Cela me modifie, cela ne m’éloigne pas de ce que je suis mais cela m’éloigne de ce que je crois de moi. Le fait de sculpter génère des questions inédites qui m’écartent de ce que je sais. 

La Source

Votre oeuvre dérange ceux qui ne veulent pas voir la vérité de l’existence : comme la souffrance d’exister, le décharnement de la vieillesse, la blessure du temps, l’oeuvre de la maladie. Admirez vos oeuvres est-ce accepter le réel ?

C’est en se regardant dans la glace avant de prendre sa douche le matin, avant de s’être maquillé, qu’il faut s’aimer; avant d’être apprêté qu’il faut se trouver beau. Certains refusent, et c’est ainsi, de se voir comme ils sont et n’aiment pas ce que leur renvoient les miroirs.

Selon vous, pourquoi les êtres ne supportent pas le réel ?

Parce que le réel n’est pas drôle ! Nous avons tous une épée de Damoclès au-dessus de la tête, nous allons mourir et certains refusent de l’admettre. Pour d’autres, vieillir est inacceptable. Aussi surprenant que je le ressente, nombre de nos contemporains se font refaire des parties du corps pour paraître plus jeunes. Il est, parait-il, fréquent que certains fassent disparaître leurs rides.

Ont-ils recours à la chirurgie esthétique parce qu’ils ont une mauvaise image intérieure d’eux ?

Sans doute et c’est cette intériorité que j’essaye de montrer dans mon travail. C’est peut-être pour cela que certains le trouvent dérangeant. L’image extérieure existe bien sûr mais elle est la conséquence de ce que nous sommes en dedans. Les gens qui n’ont jamais souri n’ont pas les rides du sourire …  Il n’y a rien de plus beau qu’une ride…

Votre travail dit-il crûment la vérité de notre condition humaine : que l’homme est un être-pour-la-mort ?

Je laisserai volontiers cette réflexion aux philosophes mais il me semble que savoir qu’elle va finir est la condition sine qua non pour que la vie ait du sens !

En même temps, cherchez-vous à offrir l’éternité à vos morts ? Comme Proust lorsqu’il édifie La Recherche du temps perdu, inconsolable qu’il est de la mort de sa mère ?

J’ai l’espoir que mes statues durent puisque je les fais en bronze. L’art éphémère me terrorise. Je ne pourrais pas créer une oeuvre qui va disparaître dans un, deux ou trois ans et qui est vouée à une destruction rapide. Mais pour répondre à votre question, je vous dirai plutôt que ma sculpture est un hommage à la vie, c’est-à-dire un hommage à celles qui la donnent.

Donc un hommage à la nature !

Je m’émerveille de voir une fleur pousser parce que je ne comprends pas comment c’est possible. En définitive, me fascine et m’intéresse tout ce que je ne comprends pas, et entre tout, l’absurdité de la vie mais surtout son mystère.

Le Sablier

L’immortalité serait-elle l’apothéose de la vie ?

Tout sauf ça, nous ne serions pas en train de faire l’interview si nous étions persuadés vous et moi d’être là dans cent mille ans. Si nous parlons ensemble aujourd’hui c’est parce que nous savons que le temps nous est compté. L’immortalité nous rendrait impuissant, on s’installerait dans un fauteuil et on attendrait !

L’art est-ce une façon de conjurer la mort ?

C’est en tout cas une façon de lui faire un pied de nez.

L’atelier de Marc Petit


Pourquoi sculptez-vous en fait ?

Je ne sais pas ! Plus sérieusement, cela fait 47 ans que je travaille et que cela me préoccupe en permanence. Dernièrement, j’ai eu quelques petits soucis de santé et j’ai peu travaillé. Je me suis rendu compte que cela me manquait vraiment et bien plus que je ne l’aurais cru.

Les vernissages ont-ils de l’importance pour vous ?

Oui, cela me permet de passer de bons moments avec des amis, c’est une forme de fête. Sans compter que c’est important pour moi de pouvoir confronter mon travail au regard des autres. Je suis respectueux et attentif, et si quelqu’un me dit « que c’est beau ! » ou « quelle horreur ! » en découvrant une de mes sculptures, cela me fait réfléchir et me pose question…

Oui, mais si cette personne émet ce jugement, c’est parce que votre sculpture l’a dérangé, et c’est plutôt bon signe ! Cela veut dire que votre travail a atteint son but !

Oui sans doute, et si quelqu’un me dit je préfère cette sculpture plutôt que celle-là, cela m’aide et m’enrichit de sa perception. Le regard d’autrui sert à baliser lui aussi mon travail, mais il ne l’influence pas, je reste seul juge. Je crois qu’une oeuvre d’art doit déranger, mais pour apporter un nouvel ordre, une nouvelle façon de voir, une nouvelle façon d’aimer, une nouvelle façon d’embrasser. Quand je regarde un tableau de Vermeer, peintre que j’aime profondément, j’apprends à voir autrement. Même si ses tableaux sont de petits formats, je n’ose pas les regarder en entier tellement ils sont immenses… Je peux passer des heures à me concentrer sur une de ses draperies, la touche du pinceau, la manière dont il pose la peinture est grandiose. Et c’est cette ‘grandeur’ qui permet d’approcher la beauté… 

Et vous vous en approchez de plus en plus ?

Je n’en sais rien car chaque fois que j’ai l’impression de m’en approcher, elle s’éloigne.

Ce n’est pas étonnant ! C’est parce que vous êtes exigeant !

J’aimerais que le fond et la forme disent la même chose et arrivent à s’unifier.  Giacometti disait une chose extraordinaire : «  si vous cassez un objet en deux, vous n’avez plus d’objet. Si vous cassez une sculpture chaldéenne en quatre, vous avez quatre sculptures chaldéennes ». Michel Ange exprimait à peu près la même chose quand il déclarait : « Prenez une sculpture, montez-la en haut d’une colline et jetez-la, gardez le plus gros morceau, le reste était inutile ». Chaque partie de la sculpture doit porter et dire la sculpture en entier.

Vous dérangez l’ordre du monde. Vous nous donnez une nouvelle vision du monde grâce à vos sculptures…

Tant mieux si c’est le cas, même si ‘déranger’ n’est pas mon but. 

J’ai le sentiment que votre oeuvre cherche à atteindre l’essence du vivant. Cherchez-vous à exposer la façon dont la douleur et la joie nous affectent ? La façon dont nous sommes traversés par les émotions ?

Ma sculpture me semble achevée lorsqu’elle me fascine et m’émeut.

La Famille


Mais parfois quand on regarde votre travail, c’est un visage douloureux que l’on voit…

Et qui nous dit « Savoure quand tu pleures ». C’est plus profond de faire sourire une sculpture sous un masque qui peut être inquiétant, cela donne davantage d’intensité. Le spectateur qui se rend compte au bout d’un certain temps, presque comme une révélation, que ma sculpture est tendre le ressent souvent avec joie et étonnement.

A travers vos sculptures, je n’ai ressenti que de la tendresse ! Je pense que vous êtes un grand affectif, un grand sentimental !

Oui ! J’aime aimer et j’aime qu’on m’aime, et ma sculpture ne peut être que tendre puisque je suis tendre !

En même temps, pour un regard néophyte ou un regard disons normal, on ne ressent pas forcément cette tendresse au premier abord !

En effet ! Certains pensent que je plaisante quand je leur parle de tendresse …

Donc il faut apprendre à regarder votre sculpture !

Comme tout ! Comme toute oeuvre d’art ! Si je passe six mois à réfléchir et à travailler sur une sculpture, il faut accepter de ne pas tout voir en trente secondes !

Mais peut-être que plus on regarde une oeuvre, plus on la trouve belle !

C’est toute la différence entre une oeuvre et un chef-d’oeuvre. Une oeuvre, au bout d’un moment, peut lasser. Un chef-d’oeuvre est inépuisable, il posera toujours de nouvelles questions et seul le temps pourra dire dans quelle catégorie on classera telle peinture, telle sculpture ou tel roman …

La Pieta

Dans le livre d’Herman Hesse, Narcisse et Goldmund, le héros, un sculpteur, cherche éperdument à travers toutes ses sculptures le visage de sa mère. En fin de vie seulement, il parvient à donner une forme à l’absente et réalise l’oeuvre parfaite. Il peut alors mourir en paix. Poursuivez-vous, comme lui, une seule vision ?

Non ! Ce que je poursuis, c’est la sculpture, parce que depuis longtemps je la sais inaccessible. C’est pour ça que je dis que sculpteur est un métier terrifiant qui ne se termine que par un échec et de la frustration !

Oui, mais une frustration qui donnera naissance à de merveilleuses oeuvres, lesquelles feront parti du réel, et nous apprendrons à mieux regarder le monde ! Lorsque les amateurs d’art vous disent qu’ils ont été bouleversés par une de vos statues, qu’ils vont l’admirer à l’infini, c’est gratifiant, non ?

J’ai eu parfois des réactions extraordinaires grâce à mon travail, qui ont profondément touché l’homme, mais pas le sculpteur qui va à l’atelier et c’est heureux, il faut essayer d’éviter d’attraper la grosse tête. Rodin à l’approche de ses 60 ans, après avoir réalisé son Balzac, souligne « C’est maintenant que je voudrais avoir vingt ans parce que je crois que je commence à comprendre ». Michel Ange affirme qu’il aurait mieux fait de travailler dans une fabrique de souffre, cela aurait mieux servi la société ! Giacometti désespère et déplore :  » Le jour où je saurai faire la tête de Diego (son frère et son premier modèle), j’arrêterai la sculpture « .

Un jour, peut-être, atteindrez vous ce que vous avez envie d’atteindre…

Je ne l’espère pas, parce que si cela arrivait, je n’aurais plus aucune raison de travailler.

J’ai la sensation que vos sculptures veillent sur vous comme une armée d’anges gardiens qui protègent l’enfant que vous êtes peut-être, encore…

J’espère bien que je suis un enfant protégé pour toujours… Mais par contre, je ne sais par qui…

Est-ce difficile de vous séparer de vos sculptures ?

Non, cela ne me dérange pas, ce n’est pas parce que je les vends qu’elles ne sont plus à moi.

Comme disaient les Grecs, les oeuvres d’art ont leur propre destin !

Oui et mes sculptures sont comme mes enfants, je ne les ai pas faits pour les garder avec moi. Ils et elles ont leur vie propre.

La sculpture est-elle une thérapie pour vous ?

Non ! Je ne suis pas malade !

Sculpter vous apaise ?

Quand ça marche bien, oui !

Testament 07

Etes-vous d’accord avec Lacan qui affirme que l’art c’est l’inconscient qui parle à l’inconscient. Et que les symptômes parlent dans l’oeuvre. Comme par exemple la peur de la solitude, de la mort, l’angoisse de l’abandon ?

Je ne sais que répondre à cela.

J’ai l’impression que l’angoisse de l’abandon transparaît dans les gestes de vos sculptures, avec ces mains tendues, ces postures d’attente, ces tensions. L’oeuvre d’art est le miroir de l’inconscient…

Les positions, les gestes s’intègrent dans une architecture et sont avant tout guidés par des logiques plastiques. Sinon plus que l’inconscient me semble-t-il, c’est souvent le hasard qui s’impose dans mon travail. Mais quand on est honnête quelque chose de soi ressort forcément involontairement.

Dans certaines de vos sculptures, on a l’impression d’entendre le Cri de Munch !

Le Cri de Munch, c’est un tableau !

Bien sûr, mais on croit entendre ce cri lorsqu’on regarde la toile. Certaines de vos sculptures ont la bouche ouverte, un cri en sort…

Cela a été une période autour des années 2000 où toutes mes sculptures avaient la bouche ouverte. Depuis, et cela n’empêche pas le cri mais un cri qui est silencieux, ce qui me semble plus fort, la plupart du temps aujourd’hui mes bouches sont fermées. 

Sculpture de Marc Petit au Clos des Cimaises

Vous êtes un immense sculpteur. Sans doute le plus grand de notre époque. Et vous êtes aussi le plus modeste. Vos oeuvres sont d’une poésie et d’une grâce incroyables, d’une liberté absolue, d’une puissance et d’une force uniques et pourtant vous remarquez humblement que vous menez une vie d’employé de bureau !

Je m’astreins à des horaires de travail, parce que je suis un peu paresseux !  Je me rends à l’atelier tous les jours de la semaine comme un employé de bureau ! Après, personne ne m’interdit d’y aller le samedi et le dimanche si j’en ai envie, et personne, non plus, ne m’interdit d’y aller la nuit. Mais je suis tenu, en semaine,d’y être de 9 h à 12h30 et de 13h à 17h30.

Quelle discipline !

Je ne crois pas à l’inspiration ! L’inspiration c’est 0,0001 % et tout le reste du travail ! Je pense qu’une sculpture a gagné sa vie quand elle permet d’en faire une autre; quand elle a, après avoir répondu aux siennes, engendré des nouvelles questions.

Vous êtes l’un des seuls artistes contemporains à pouvoir s’enorgueillir d’avoir de son vivant un musée à son nom. Inauguré à Ajaccio en 2008, ce musée est-il la reconnaissance que vous attendiez ?

C’est un cadeau qui m’est tombé dessus et c’était bien évidement inespéré ! Il aurait fallu que je sois d’une prétention incroyable…

Cela vous a plu cette reconnaissance ?

Bien sûr, c’est merveilleux et cela me rend fier. 

La Quarantaine

J’adore votre sculpture La Quarantaine, des enfants groupés dans un berceau. C’est une incroyable claque existentielle. Que dit-elle ?

Elle fait pourtant référence à une période heureuse, la naissance de mon fils aîné. Pour le protéger, comme de nombreux parents, je l’ai mis dans un parc d’un mètre carré avec des barreaux de cinquante centimètres de haut et je l’ai mal vécu, j’ai trouvé que cela évoquait un univers carcéral. Ce matin là, j’ai décidé que je ferai une sculpture avec un jeune enfant prisonnier dans un parc. Quand j’ai créé la sculpture, cela ne fonctionnait pas, pour répondre à mon ressenti, j’ai décidé de le remplir. Et de fait, il y a  34 enfants dans ce parc, mais aucun ne regarde dans la même direction. Ce sont 34 solitudes.

La série, le groupe signifie quoi ?

C’est une manière d’amplifier l’espace et de multiplier les problèmes. Mes groupes sont composés de personnages agglutinés, mais seuls. Ils sont une addition de solitudes à qui il faut apporter de la convergence.

Pensez-vous que le réel nous condamne à la solitude ?

Les moments dramatiques, la souffrance, la maladie, la mort se vivent toujours seul. Par contre le bonheur se partage, un bon vin est meilleur lorsqu’on ne le boit pas seul. La joie de vivre se partage mais par contre le côté sombre et noir de la vie, se vit seul malgré tous les efforts que font, pour nous soutenir, les gens qui nous aiment.

Sur le fil

Quelle sculpture préférez-vous au monde ?

J’adore Le Christ Courajod qui est au Louvre, c’est une sculpture du XIIème qui est un chef-d’oeuvre. J’aime la sculpture khmer, la sculpture africaine. J’aime Phidias, ses oeuvres sont admirables. Mais il y en a tellement d’autres … et dans toutes les cultures …

Quel rôle joue l’affectivité dans votre création ?

Elle est partout parce que j’aime aimer.

Marc Petit, êtes-vous heureux ?

Je dis toujours que je voudrais vivre 150 ans et je pense que je vais y arriver !!

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Site de Marc Petit Sculpteur : http://www.marc-petit.com/

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SI VERSAILLES M’ETAIT CONTE…

Versailles n’a de cesse de nous faire rêver. Versailles nous émerveille, Versailles nous enchante, Versailles nous galvanise. Des Fêtes Galantes au Grand Bal masqué du 18 juin 2022, Versailles a sorti le grand jeu pour que le passé renaisse sous les traits du présent. Que ces deux instances du temps se télescopent pour notre plus grand ravissement. Nous sommes le 23 mai 2022, et la cour de Versailles a rendez-vous à la Galerie des Glaces pour esquisser un pas de menuet. La fête a un goût de sublime. Des quatre coins de la planète, les invités se pressent pour assister à la magnificence de la soirée, fascinés par ce baroque qui coudoie le contemporain. Le temps s’efface et le faste resurgit. Versailles est magique. Hors du temps. Nous sommes le 18 juin 2022 et Versailles danse à l’Orangerie du Château. Plus de 2500 personnes costumées et masquées vibrent sur le show incroyable de Hakim Ghorab. Danseurs, performeurs, tableaux artistiques offrent un spectacle ultramoderne face à une assemblée aux tenues baroques et raffinées. Un choc temporel furieusement stylé ! La fête dure jusqu’au bout de la nuit pour finir en beauté, au lever du soleil, par un after inoubliable au Bosquet de la salle de bal. Incontournable Versailles. Intemporelle Versailles. Envoûtante Versailles.

Isabelle Gaudé

Les Fêtes Galantes. Photo Pascal Le Mée

Photo Capucine de Chocqueuse
Arrivée des invités dans la Cour Royale, le 23 mai 2022, pour les Fêtes Galantes. Photo Pascal Le Mée
Aperçu du somptueux buffet des Fêtes Galantes
Le feu d’artifice des Fêtes Galantes. Photo Capucine de Chocqueuse
Le Grand Bal Masqué à l’Orangerie du Château. Photo Pascal Le Mée
Le show de Hakim Ghorab
Photo Anthony Ghnassia
Photo Anthony Ghnassia
Photo Anthony Ghnassia
Le Roi soleil au lever du soleil. Photo Anthony Ghnassia
L’after au lever du soleil au Bosquet de la salle de Bal
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Yelena Popovic : « La foi est la victoire sur la mort »

Yelena Popovic, la réalisatrice serbo-américaine du film L’homme de Dieu

Son nom est depuis toujours synonyme de foi, de bonté, de charité. Il demeure l’un des saints les plus vénérés en Grèce. Saint Nektarios d’Egine fut le prêtre du peuple, aimé et respecté des petits, calomnié et persécuté par les grands. L’Homme de Dieu, le biopic bouleversant qui s’inspire de sa vie, sort en salles le 9 mars. Et c’est un événement. Tout d’abord parce que le film écrit et réalisé par Yelena Popovic est une révélation. Il parvient à rendre visible l’invisible, révélant la présence palpable d’une force supérieure. C’est dire si la cinéaste fut touchée par la grâce, pour offrir une telle dimension spirituelle à son récit. Au fil des images, on comprend, peu à peu, que ce qui est invisible est essentiel : Dieu, l’amour, le temps. Et l’on s’interroge : quel est le pouvoir de la foi ? Qu’est-ce que la foi ? L’amour et la confiance que l’on porte à Dieu ? Ou l’amour que Dieu nous porte ? A moins que ce ne soit une merveilleuse réciprocité amoureuse ? On reçoit aussi en plein coeur la souffrance mais aussi l’amour sans limite de saint Nektarios. On finit par tant s’identifier au héros, qu’on en vient à partager son calvaire et sa rédemption. Si cette merveilleuse empathie est possible c’est parce qu’il n’y a dans ce film, tourné à hauteur d’humain, aucune recherche d’effet ni d’esbroufe. Il n’y a que l’abandon dans la foi et la simplicité. Ce ne sont pas des hauteurs divines, que le pouvoir céleste, telle une foudre, s’abat sur les pécheurs des Dix commandements, à grand renfort d’images colorisées. Ici, c’est à travers l’humain que l’on perçoit Dieu. Entre ombre et lumière. Plus saint Nektarios s’humilie sur terre, plus le spectateur se rapproche du ciel. Comment expliquer cette ascension ? Au simple fait que le spectateur athée ou croyant adhère au discours du film. Il y croit. Et d’y croire à croire, il n’y a qu’un pas : celui de la foi. Ce magnifique film, parvient à travers l’exemple d’un homme, à raviver la foi des autres. Et ce prodige tient du miracle. A croire que l’oeil de la camera, c’est l’oeil de Dieu… Yelena Popovic, grâce à son extraordinaire humilité, vient de signer un immense film. Un film qui fera date dans l’histoire du cinéma.

Waouh, quel film ! D’entrée de jeu, on se demande comment une ravissante jeune femme comme vous, vivant dans une époque aussi matérialiste, consumériste et violente, peut réaliser un film aussi inspiré et spirituel… 

Vous avez raison, comme beaucoup d’entre nous, je vis dans un monde très matérialiste, consumériste et violent. Mon insatisfaction personnelle et mon désintérêt pour un tel monde m’ont incité à me rapprocher de Dieu pour ne pas me perdre dans les ténèbres et la tristesse. Peut-être que mon désir profond d’obtenir la vraie liberté intérieure, celle que seul Dieu peut véritablement donner, a permis la naissance d’un tel film.

L’homme de Dieu est un film lumineux, poignant, bouleversant. Un film touché par la grâce, avec des images à couper le souffle. On en sort foudroyé, comme si l’on se rendait compte qu’il n’y a qu’un seul chemin sur terre : croire en Dieu…

J’ai eu la chance de travailler avec beaucoup de personnes talentueuses qui ont cru en moi et en ce projet. Mon objectif était de me concentrer sur la vérité historique et l’aspect très humain de Saint Nektarios. Du fait de mon intimité forte avec l’histoire de ce saint, j’ai choisi exprès des scènes dans lesquelles je pouvais me retrouver facilement et qui faisait écho à ma propre expérience personnelle. C’était le seul moyen de faire entrer saint Nektarios dans le cœur des gens et de les toucher en profondeur. Si la spiritualité et la grâce transcendent ce film, c’est parce que Dieu a récompensé notre travail.

Pensez-vous que nous nous sommes oubliés, au point d’oublier la foi, de ne plus croire en aucune transcendance, aveuglés par la course au confort, à la consommation, aux vains pouvoirs et prestiges, à tous ces artifices dérisoires ? 

Nous vivons dans un monde où l’ego est à son paroxysme et où l’on fait l’éloge de l’« amour de soi » en permanence. Ce mantra a effacé l’humilité et la capacité d’aimer et de se sacrifier pour les autres. On parle beaucoup de l’importance de la confiance en soi. Il n’y a rien de pire pour la confiance en soi que le manque d’humilité. Le meilleur moyen de se perdre et de se rendre malheureux est de dénigrer l’humilité. L’arrogance et le mépris nous ont jetés dans un cercle vicieux où l’aveugle mène l’aveugle en essayant de trouver des réponses, de fuir ou de se guérir avec des faux remèdes.

Saint Nektarios, le héros du film, un être totalement désintéressé, affirme que la quête du pouvoir ronge les humains. Faut-il renoncer aux grandeurs humaines pour connaître la paix intérieure ?

Ce que nous considérons comme la grandeur humaine est en fait avilissante. Nous sommes bien plus puissants lorsque nous reconnaissons qu’il existe une force supérieure qui nous a donné la vie et lorsque nous faisons confiance à cette force. En fait, nous renonçons à nous-mêmes lorsque nous nous séparons de celui qui nous a donné la vie et, par conséquent, nous devenons impuissants.  Pour se rapprocher de la lumière et acquérir la paix intérieure, il faut s’abaisser.

Votre film vient de rencontrer un grand succès en Grèce, en Russie. Il a remporté le Prix du Public au Festival International du film de Moscou. Comment expliquez-vous ce succès ? Contrairement aux apparences, notre civilisation aurait-elle faim de spiritualité ? 

Dans le prolongement de ce que j’ai déjà dit, je crois que la société est très avide de spiritualité et je pense que c’est probablement l’une des principales raisons du succès du film auprès de différents publics.

Les acteurs Alexander Petrov et Vera Muratova en compagnie de la réalisatrice Yelena Popovic et du producteur du film Alexandros Potter au 43ème Festival International du film de Moscou

Le film narre la vie de saint Nektarios qui, jusque son dernier souffle, porte de nombreuses croix : celle de l’exil, des innombrables persécutions, des dénonciations, des accusations de corruption, des calomnies. Pourtant lorsque Nektarios est persécuté, il tend l’autre joue. Quel sens a son supplice ? 

Quel est le sens de la torture de la grande majorité des gens dans ce monde? Si nous voulons être honnêtes, ce monde et notre vie ici sont une vallée de larmes. Je ne peux pas en donner le sens, mais je crois que ce film a un effet curatif et peut aider ceux qui souffrent à traverser la vie d’une manière plus significative.

Saint Nektarios d’Egine

Devant tant de bonté, de dévouement, d’humilité, de compassion pour les exclus et les humbles, d’amour des autres et de Dieu, et par impuissance à atteindre un tel degré de don, le clergé en Egypte, mordu par la jalousie et l’envie, commence à calomnier le prêtre Nektarios. L’accusant de faire semblant d’être un saint, de ne pas avoir de cœur… Est-ce à dire que la bonté est inhumaine ? 

Je crois que la bonté est une qualité très naturelle. Il n’est pas naturel de haïr et d’être jaloux car lorsque nous avons des pensées positives et de la bonté dans notre cœur, nous sommes des individus sains à tous points de vue, spirituellement, mentalement et physiquement. Lorsque nous décidons d’inviter des pensées négatives dans notre cœur, comme la haine et la jalousie, qui sont étrangères à l’âme, nous devenons malheureux et malades. Je pense donc que pour une personne qui est devenue aveugle et malade parce qu’elle a permis à des éléments non naturels d’occuper son âme, la bonté semble inhumaine.

Dans le film, Nektarios prononce une magnifique phrase :  « Avec Dieu, tout est possible. » Tout ? Les miracles ? L’amour ? Le bien ? Selon vous, que signifie cette phrase ? 

Dieu est Amour. Si nous acquérons le véritable Amour, nous n’avons pas de craintes ni de doutes. Le ciel est la limite.

Dans L’Evangile selon Saint Jean, Jésus dit : « Tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Avez-vous déjà demandé quelque chose à Dieu ? 

J’ai reçu des réponses rapides de Dieu. Surtout quand j’étais plus jeune. Je suppose que j’étais plus proche de lui alors.

Pour vous, la foi surmonte-t-elle l’impossible ? 

Oui. La foi est la victoire sur la mort et tout ce qui semble impossible.

L’acteur grec, Aris Servetalis, joue saint Nektarios

Comment interprétez-vous cette phrase de Dostoïevski : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » ? 

Si vous n’avez pas de conscience, tout est permis.

Pensez-vous que les Saints sont là pour démontrer l’existence de Dieu ? 

Les saints sont une preuve de la résurrection. Les miracles leur sont souvent associés. Ils témoignent du fait qu’il y a plus dans notre existence que ce que nous pouvons percevoir à l’œil nu ou comprendre.

Avez-vous réalisé ce film pour offrir un espoir aux êtres désespérés ? 

Sans aucun doute. Je pense que c’est ce qui m’a le plus inspiré pour faire ce film.

L’acteur Aris Servetalis et l’actrice Vera Muratova

Dans le film, Nektarios s’adresse tout le temps à Dieu en priant. Il prie même pour ses ennemis. Une des paroles du Saint figure dans ses écrits :  « L’œuvre la plus importante de l’homme est la prière. » Quel est votre rapport à la prière ? 

C’est lorsque je suis en prière que je me sens la plus heureuse et la plus satisfaite. La prière est une communion avec la source de la vie et je crois que c’est pour cela que je me sens vivante quand je prie.

Faut-il prier plutôt que de surfer sur le Net ?

Il n’y a rien de plus bénéfique pour notre santé mentale et notre paix intérieure que de prier et il n’y a rien de plus néfaste pour notre santé mentale et notre paix intérieure que de surfer sur Internet.

Existe-t-il des lieux plus propices à la prière ? 

Naturellement, les lieux plus calmes sont plus propices à la prière, mais le plus important est d’avoir une prière honnête, une prière du cœur. Je voudrais citer un père spirituel bien connu, peut-être même un saint, qui fut approché par quelques personnes qui lui demandèrent d’un air moqueur : « Hé, vieil homme, comment fais-tu pour prier ? » Il leur répondit : « Si ton cœur bat au rythme de l’amour, tu peux le faire couché. »

Sur le tournage du film L’homme de Dieu

Vous soulignez dans une interview que, sans pouvoir l’expliquer, vous vous sentez en réelle communion avec la nature à chaque fois que vous revenez sur l’île d’Egine. Que vous en ressentez une joie immense. Est-ce une île bénie ? Le sacré est-il plus présent en Grèce ?

Je suis convaincue que l’île d’Égine est bénie et je me sens plus calme et paisible en Grèce que dans n’importe quel autre endroit où j’ai vécu. Il y a comme une grâce et une qualité de guérison spéciale en Grèce. Je peux dire honnêtement que j’en ai fait l’expérience.

Racontez-nous comment s’est passé le tournage du film en Grèce ? 

J’ai vécu une expérience fantastique en tournant en Grèce. Faire un film peut être très stressant, mais je crois que grâce à toutes les personnes étonnantes et talentueuses avec lesquelles j’ai travaillé, j’ai aussi connu beaucoup de joie. Je recommande vivement à quiconque de tourner en Grèce.

L’acteur Mickey Rourke

L’acteur Mickey Rourke, véritable star hollywoodienne, joue la dernière scène avec une intensité et une sincérité incroyable. Cette scène, qui se solde par un miracle, c’est un peu la résurrection de Lazare « Lève-toi et marche » ? 

Le miracle qui se produit à la fin du film symbolise métaphoriquement la Résurrection.

Saint Nektarios affirme que le bonheur est en nous et « béni celui qui comprend cela ». Et vous, Yelena, qu’est-ce qui vous rend parfaitement heureuse ? 

Je me suis sentie la plus heureuse lorsque j’ai expérimenté la présence de la grâce. Je ne peux pas l’expliquer par des mots. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai expérimenté la présence de la grâce le plus intensément lorsque je souffrais le plus.

Pour vous, la vraie vie c’est vivre par Dieu ? 

La vraie vie est la vie éternelle et elle n’est possible qu’avec Celui qui est Eternel.

Emir Kusturica a écrit de très jolies choses sur votre film. Il affirme que « Le film de Yelena nous aide à plonger dans la profondeur de l’être et nous suggère que nous n’avons pas d’autre issue que de chercher notre équilibre sous le ciel de la foi. » Que pensez-vous de ce magnifique compliment ? 

Dans les temps que nous vivons actuellement, il semble bien que nous n’ayons pas d’autre choix.

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Yelena Popovic, la réalisatrice de L’homme de Dieu, un film qui fera date dans l’histoire du cinéma

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L’HOMME DE DIEU

Mercredi 9 mars sort en salle L’homme de Dieu. Attention chef-d’oeuvre. Ce film éblouissant, pétri de foi, sonne le réveil des consciences. Il combat nos coeurs endurcis, dessille nos yeux aveugles, agit comme un philtre d’amour, en nous réconciliant avec l’au-delà. Après avoir visionné ce biopic dépeignant la vie de saint Nektarios, impossible de douter de l’existence de Dieu, impossible de ne plus croire aux miracles. C’est la cinéaste serbo-américaine Yelena Popovic qui signe cette divine surprise. Primé onze fois, grand succès au box-office international, ce film salutaire est une véritable bénédiction pour l’homme contemporain souvent en proie à un sentiment de déréliction. Comme le souligne sa réalisatrice : « La vie de saint Nektarios est un exemple sur la façon dont nous devrions vivre et mourir. » En si peu de mots, tout est dit. Qui fut donc saint Nektarios ? Un homme saint qui préféra l’abnégation à l’égoïsme, l’humilité à la gloire, la fraternité à l’hostilité, la joie à la révolte, le don à la jalousie, la prière aux vanités. Un être qui, toute sa vie, souffrit de l’injustice, de la calomnie, de la persécution mais n’en fut pas vaincu. Un bienheureux qui, malgré les épreuves, garda toujours la foi, en faisant de sa vie un exemple. Ce théologien admiré et aimé du peuple, passa le plus clair de son temps à se corriger intérieurement comme pour mieux se rapprocher de Dieu. Convaincu que Dieu le rendait plus vivant. Et qu’il fallait aimer son destin, cet amor fati nietzschéen, cette acceptation qui conduit à la paix intérieure. Si ce film est magnifique et poignant c’est parce qu’il puise inlassablement dans l’empathie de sa réalisatrice. Par son regard bienveillant, sa foi vibrante, Yelena Popovic partage les souffrances de Nektarios et l’aide à porter sa croix. Sur l’île d’Egine, baignant dans la lumière éclatante de la Grèce, l’oeil de la caméra capte tout : la profondeur des âmes et celle des paysages. Résultat : les images sont d’une beauté à couper le souffle. Et les acteurs émouvants au-delà des mots. Avec L’homme de Dieu, Yelena Popovic fait preuve d’une immense audace en réalisant un film courageux, non convenu, inspiré et inspirant, non mercantile et qui ose dans une époque matérialiste et consumériste parler enfin de spiritualité.

Isabelle Gaudé

L’acteur Aris Servetalis qui joue le rôle de Nektarios et la réalisatrice Yelena Popovic

L’acteur Mickey Rourke et la cinéaste Yelena Popovic
L’avant-première, le 17 février, à Paris, au cinéma Les 7 Parnassiens, du film L’Homme de Dieu

Pour connaître toutes les séances de ce film indépendant cliquez sur ce lien, puis sur « voir toutes les séances » : https://www.sajedistribution.com/film/lhomme-de-dieu.html

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Enfin un Guitry féministe !

C’est la pièce de l’hiver ! Elle a déjà fait un malheur à l’automne 2021 au théâtre Darius Milhaud, où elle se jouait à guichets fermés. Elle revient en 2022, électriser une plus grande salle de la Comédie Saint-Michel. Courez la voir dès le 14 janvier 2022 ! C’est l’évènement immanquable de ce début d’année. Du grand, du très grand Guitry renaît de ses cendres, vivifié comme jamais, qui éclabousse de sa verve et de son brio la Comédie Saint-Michel. Sur scène, c’est une fête de l’esprit, un festival de fulgurances, de faux-semblants sur fond d’adultère, de cruauté et d’amour. Le Mari, la Femme, l’Amant c’est tout simplement un instant de grâce. Et un pari réussi pour sa metteur en scène, une toute jeune femme de 23 ans, Diane Lotus, sans doute l’une des premières à mettre en scène cette pièce du répertoire de Guitry. Le parti pris était osé : jouer « contre » Guitry. Renverser les rôles, choisir le parti des femmes, et non celui des hommes. Défendre joyeusement les droits des femmes : le droit de désirer pour une femme, d’être désirable sans se se sentir coupable, le droit de s’épanouir en dehors du désir masculin, le droit de se soustraire aux diktats maritaux, etc. Un véritable plaidoyer féministe. Et prendre ainsi le fameux misogyne à son propre piège. Les admirateurs de Guitry apprécieront : cette jeune troupe vibrante de passion interprète d’une façon incroyable et novatrice le texte ravageur du maître de l’ironie. On assiste à la naissance d’une compagnie surdouée, d’un naturel insensé, laquelle nous entraîne durant deux heures dans un époustouflant, éblouissant jeu de dupes, drôle, subtil, succulent d’intelligence. On sourit, on rit, on pleure de rire.

A voir absolument

Isabelle Gaudé

La troupe des Coureurs de Jardin © Julien Theuil

Les trois comédiens du Mari, la Femme, l’Amant (de gauche à droite : Judy Passy, Léo Marchand, Diane Lotus) © Julien Theuil

Les comédiens Paul Wilmart et Tiphaine Froid

En alternance, les comédiens Julian Baudoin, Léonardo Parcoret, Judy Passy, Lorette Magnier et Léo Marchand

Les comédiens Léo Marchand et Judy Passy ©Axel Buitrago

©Axel Buitrago
Les Coureurs de Jardin sous les vivats
Ils sont beaux, jeunes, talentueux, venez les applaudir à la Comédie Saint-Michel

La pièce se joue tous les vendredis et samedis à 21h30, du vendredi 14 janvier 2022 au samedi 7 mai 2022, à La Comédie Saint-Michel, 95 bd Saint-Michel, 75005 Paris.

Site officiel des Coureurs de Jardin : https://lescoureursdejardin.fr/

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Patrick Roger, le voyageur éternel

L’artiste sculpteur chocolatier Patrick Roger

C’est incontestablement le plus grand chocolatier au monde. Son talent n’a d’égal que son originalité. Il est le seul à avoir su transformer le chocolat en un voyage. Un voyage à Madagascar, où des bouffées sensuelles d’une terre sauvage et indomptée vous assaillent, où le parfum puissant de la fève du cacao vous enivre, jusqu’à vous faire tourner la tête. Vous humez à plein poumons les fragrances grisantes de ces horizons lointains comme autant de bulles d’oxygènes d’un ailleurs envoûtant, vous mordez dans la chair vivante de ce cacao qui vous emmène au bout du monde, tel un voyageur immobile qui ferait l’expérience du plaisir en savourant les flaveurs épicées, aux arômes fruités, des chocolats de Madagascar.

Patrick Roger c’est un chocolatier. Mais c’est aussi un sculpteur. Cet amoureux des grands animaux sauvages, dont l’animal fétiche est le gorille, n’a pas son pareil pour faire surgir du chocolat les plus glorieux primates. Sous ses doigts de génie éclosent des orangs-outans, des gorilles, ou de petits chimpanzés. Toute la forêt se retrouve dans ses boutiques vertes, pareilles à des berceaux de verdures, que couve jalousement une nursery de bouchées en chocolat. C’est comme si le Patrick Roger avait su replanter une forêt en plein Paris. Ses huit magasins tels une coulée de chlorophylle semblent abriter des milliers de troncs d’arbres débités en petits chocolat. C’est ça la magie Patrick Roger. En entrant dans ses boutiques, vous n’entrez pas dans une simple chocolaterie, vous pénétrez en pleine nature, où bruissent les cris des grands primates, qui du haut de leur stèle, vous contemplent d’un oeil impavide. Festin visuel. Féerie. D’abord, vous voyagez par les yeux. Puis vous voyagez par le goût. Et là, c’est tout simplement la fête des sens. La ruée vers les étoiles. On atteint des sommets inimaginables. Tantôt c’est le choc de la fusion du chocolat, de la citronnelle et de la menthe poivrée, tantôt c’est la douceur amère de la ganache au poivre de Sichuan sertie de pâte d’amandes infusée au gingembre. Tantôt, c’est le chocolat signature de Patrick Roger, baptisé Sauvage, une demi-sphère alliant yuzu, citronnelle et verveine au sein d’une coque à l’allure d’un millefeuille de chocolat noir-blanc-noir, tantôt l’envoûtement d’un praliné feuilleté-crêpe dentelle, amandes et noisettes torréfiées caramélisées. C’est encore le fondu d’une ganache infusée au thé au jasmin aux parfums uniques qui vous laisse à bout de souffle. C’est à peine croyable, c’est comme si votre palais ne reconnaissait pas cette symphonie de saveurs qui l’emporte soudain dans un tourbillon de volupté. Les mots manquent à décrire la sensation. Car vous êtes tout simplement au coeur du plaisir. Et ce voyage est inlassablement bon. On voudrait que l’instant dure toujours, mais le périple se termine que déjà le souvenir s’invite. Le goût se fait inoubliable. Désormais, la promenade se poursuivra dans la mémoire. Le plus grand des chocolatiers vient de vous ravir avec ses créations. Et le plus grand chocolatier, c’est Patrick Roger.

Isabelle Gaudé

A l’ombre des grands arbres, dans la boutique Patrick Roger, à la Madeleine

L’homme au chocolat
Patrick Roger, l’homme chocolat
Le Penseur en chocolat, inspiré du Penseur de Rodin
Harold, une pure merveille. Avec cette sculpture de 62 kilos de chocolat, Patrick Roger remporte le titre de Meilleur Ouvrier de France, catégorie chocolat, en 2000.
Patrick Roger en bonne compagnie

A gauche, Charles Znaty, Président MEDEF Paris, remet à l’artiste Patrick Roger, au centre (en tee-shirt blanc avec voiture jaune), le Prix de la Catégorie « Alimentaire » (rebaptisée « Gourmand » l’an prochain)
Sapins cubiques en chocolat noir garni d’allégories : bâtonnets d’amandes caramélisées, cubes d’oranges confites et raisins secs enrobés de chocolat noir, pour fêter Noël 2021
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Il est mort le poète…

Le poète Bernard Noël

Le poète Bernard Noël s’est éteint le 13 avril 2021 à l’âge de 90 ans. Celui qui fut incontestablement l’un des plus grands poètes contemporains, laisse derrière lui une oeuvre puissante, une oeuvre majeure composée d’une centaine de recueils et d’opus, d’écrits inoubliables comme Le Château de Cène, La Chute des temps, Le Poème des morts. Bernard Noël était un poète mais aussi un philosophe. Son essai La Castration mentale s’affirme comme une oeuvre visionnaire, d’une importance extrême. Dans les années 1998, j’avais écrit un article sur ce remarquable ouvrage (article initialement publié dans Le Journal des Grandes Ecoles) et Bernard Noël avait eu la gentillesse de me répondre en me confiant qu’il avait apprécié mon article. Le choix de ses mots, la teneur de ses compliments, cette soudaine reconnaissance de la part d’un immense essayiste que je plaçais si haut, ont été un choc pour moi. J’étais stupéfaite. En quelques lignes griffonnées au centre d’une plage blanche, il m’adoubait en tant que journaliste. C’est ce jour-là que je suis devenue journaliste. Ni avant, ni après. A cet hommage du passé, je réponds par un hommage au présent. Bernard Noël, vous avez été pour moi un poète, un phare, un père, un guide. Bien plus encore.

Alors permettez-moi de retranscrire ici l’article rédigé en 1998, et dont le titre était : Résister.

Bernard Noël : « La sensure désigne la privation de sens »

LITTERATURE

Qui s’indigne du nouvel « ordre économique absolu et impitoyable » présenté comme le but de la société contraignant chacun à accepter le chômage comme une fatalité ? « Sous le totalitarisme économique, le sens se limite à la volonté de gagner et d’être riche » écrit Bernard Noël. Qui s’étonne désormais « des stratégies de l’asservissement visuel » lequel transforme la marchandise mentale humaine en passif consommateur ? Dans un admirable, salutaire et tonique ouvrage publié chez P.O.L, composé de 22 textes irrigués par une idée forte, décrire les modalités et les occurrences de la « Castration mentale », Bernard Noël appelle à retrouver du sens. Que dit-il ? L’oppression a changé d’apparence. Nous sommes passés des régimes totalitaires dont la censure s’attaquait à la liberté d’expression, au nouveau système totalitaire économique qui vise, lui, la « sensure » en pourfendant la liberté de penser. De fait, à la culture s’est substituée l’économie. A la création, la représentation. A l’action, l’image. Très habilement, les forces médiatiques, asservies à la loi du marché, ont assiégé notre intimité. Menaçant l’intelligence humaine d’émasculation cérébrale. Dés lors : « châtré de notre sexualité mentale » cette source de puissance intellectuelle, intuitive, sensible, de création, de plaisir, de désir, le XXème siècle sera-t-il frappé d’impuissance mentale ?

Bernard Noël écrit pour éreinter les censures. Toutes les formes de censures, sans oublier les siennes. Celles qui font leur lit dans les literies célestes où couchent nos pudeurs et nos tabous. Histoire de musarder dans l’oeuvre d’un dissident, revenons quelques années en arrière, au moment de la parution du Château de Cène. Ce roman censuré, poursuivi pour outrage aux moeurs, nous poursuit encore de ses mots offensifs. Il y a des romans qui brûlent, incandescents et dont les cendres salivent en bouche. Leur achèvement verbal est leur victoire. Se dressent les mots. Jaillissent les images. Toutes ces images qui fouillent, s’enfouissent, s’insinuent, s’encavent au plus profond de la vie du souvenir. Les traitresses vous incisent la mémoire, effilées et blessantes comme des lames. Impossible de s’en débarrasser. Elles vous accompagnent jusqu’à la domination. On en appelle à l’oubli. Rien n’y fait : elles ressurgissent sans prévenir, palpitantes et emportées, fortifiées par une absence prolongée. Rejet inutile : la bête mugit encore plus fort. Elle revient obsédante, sept ans plus tard. Ne cherchez ni à l’apprivoiser, ni à la purger de sa densité; elle reste, s’installe, vous hante. Comme les deux molosses au large fouet rose du Château de Cène ou le Noir gigantesque qui flotte dans un espace laiteux. Mona à la beauté sans âge. « Emma qu’encage seulement son propre désir », cette lune à dépuceler. Avec « au fond de l’abjection, un ange (qui) se lève »

Voilà tout est dit. Hier la censure attaquait la liberté de parole. Aujourd’hui, la « sensure » s’attaque à la liberté de pensée.

Visible et invisible

Quelle est donc cette nouvelle « sensure » qui nous intime des ordres muets et totalitaires ? Dans la Castration mentale, Bernard Noël s’en explique : « la privation de sens – ou sensure – est l’arme absolue de la démocratie : elle permet de tromper la conscience et de vider les têtes sans troubler la passivité des victimes. » Redoutable, diffuse et confuse, elle vend l’apparence pour la réalité et nous perfuse de ses images cathodiques. « La censure bâillonne. Elle réduit au silence. Mais elle ne violente pas la langue. Seul l’abus de langage la violente en la dénaturant. » Quelle est la nature de cet abus de langage ? Serait-ce ce que nous baptisons crânement du nom de communication ? Après tout, que mettons-nous en commun ? La vérité ? Un dialogue ? Des monologues ? Rien de tout cela. La parole est passée de la bouche dans les yeux. Résultat : il ne s’agit ni plus ni moins aujourd’hui que du marché de l’image. La communication fait commerce du visible puisque l’image est son principal produit. De toute évidence, cette libre circulation des images ne connaît aucune entrave puisqu’elle se glisse dans la sphère du privé, au coeur de l’intime : la maison, le foyer. Non sans génie, la télévision a trouvé son fief. Elle occupe une position qu’aucun autre moyen d’expression n’avait occupé avant elle. Grâce à ce système de diffusion unique, on s’empare du champ culturel sous prétexte de divertissements, du champ intellectuel sous prétextes d’informations : « le spectacle tient lieu d’activité mentale ». D’un mot : le trop-plein télévisuel a fait le vide intérieur. Et la pesante liberté (« nous sommes condamnés à être libres » disait Sartre) a fait place à l’inconsciente passivité. A moindre effort, la « culture » vient à nous. L’écran nous apporte à chaud le réel sur un plateau-télé. Vêtue d’un habit de lumière, plus scintillant qu’éclairant, la télévision s’empare en douceur de l’espace mental des consommateurs. Qui se plaindra qu’elle use de nous comme d’une valeur marchande ? Qu’elle dispose de nous et nous impose mode et diktats ? Qu’elle programme l’agonie de l’esprit critique ? Mais qu’importe notre intégrité mentale à celle qui vise l’adhésion consensuelle ? Reste qu’on « nous vole notre oeil. » N’en déplaise à ses partisans : « l’image est ce bourreau délicat qui crève les yeux mentaux sans crever les yeux physiques ». Trop de luminosité opacifie le regard. On le crève à force de le forcer à voir. Il s’agit avant tout d’aveugler l’adversaire afin de le rendre inoffensif. Comment est-ce possible ? Grâce à la boulimie oculaire et son corollaire le diabète optique. Nous sommes les nouveaux malades du voir. On nous a rendu voyeur. Et plus que jamais non-voyant. L’art rien que l’art, il ne nous reste que l’art pour retrouver la vue de l’intelligence…

Navrante perspective : l’oeil du dehors va tuer l’oeil du dedans. Pour quelle raison ? Simplement parce que tout ce qui exigeait effort, attention, activité, médiation, devient immédiat, passif, subi, inactif. Platon disait que lorsque les yeux du corps se fermaient, les yeux de l’âme s’ouvraient. Aujourd’hui, l’inverse nous guette . Et benêts, nous assistons sans réagir, sans rugir à ce coup porté. Des morts en vie, à demi-morts, dans une vie à éclipses… Au moment où il est nécessaire de remettre en question notre comportement téléphagique : « on ne réfléchit plus, on croit le faire en zappant, et cela n’aboutit qu’à sectionner le temps et la vie en une suite de fragments. » Assentiment immédiat, crédulité totale. Le danger est invisible car trop vu. A l’affût du spectaculaire, du sensationnel, du prêchi-prêcha médiatique, nous oublions de nous interroger. Quant aux créations télévisuelles, elles demeurent inexistantes pour Bernard Noël. « Les grands créateurs sont Bouvard et Collaro, Drucker et Sabatier. Leur génie possède ce trait commun : il vulgarise la vulgarité. » Avec le risque que plus la télévision devient commerciale, plus elle pratique l’art du mépris. Peu à peu, sans effusion de sang, mais dans la confusion du sens, on « tue la tête. » Le marché de la communication exigeant une victime de choix : la marchandise mentale. Dans l’acquiescement le plus mol, sans secousses rageuses ni prise de conscience, les zélateurs télévisuels se laissent emporter par le flot des images pareil au flux du temps. Comme dans un « courant irréversible. » A croire qu’il s’agit d’une fatalité. Réveillons-nous avant que l’écran ne devienne le nouveau fatum de la tragédie du XXème siècle. Pis, désormais, l’homme n’est plus un être-pour-la-mort c’est un être-pour-l’image qui lui dispensera sa mort mentale. Ancré dans l’écran, il vit orbitalement.

Du visuel au virtuel

Après l’ère du voir, l’ère du visuel. Télévisuel, audiovisuel… Quelle différence entre voir et visuel ? Voir est un acte voulu et décidé, dont la source vivante est la pensée. Le visuel recouvre un comportement passif, clos dans le champ du visible, non irrigué par l’esprit, qui marche au « principe de plaisir. » D’où idolâtries et fétichismes incessants. D’où tyrannie des spirales d’images dénuées d’Etre, dépourvues ontologiquement, mais surchargées de Vedettes audimatisées, d’Idoles incarnées et de Présent sur-représenté. A la place de l’Absolu s’est installé un nouveau Dieu : l’argent et une nouvelle Trinité : hiérarchie, compétition, pouvoir. A quoi sert le visuel : à ignorer les odeurs, la transpiration, le frisson, à mépriser les saveurs, à occulter les vraies couleurs, à gommer l’imprévu et l’imprévisible. Le visuel nous dispense de vivre le vivant, le sensitif, le sensible qui est en nous. Il entrave nos rencontres, il est cet empêchement à l’Autre, l’humain, l’homme. Le visuel est ce détour qui évite le monde, quand le voir est ce retour au monde.

Tapi dans le visuel, le virtuel. Sournois et avide d’hégémonie, prêt à contrôler non seulement les consciences mais la réalité. Le virtuel est fermeture. Le virtuel est enfermement. Le virtuel est la mort de l’imaginaire. Mais encore ? Le virtuel, atemporel et despatialisé, déréalise la réalité en se targuant soi-disant de l’imiter. Aspirons-nous à cela ? Un avenir anticipé créé en images virtuelles sur nos écrans. Un virtuel qui prévoit tout dans les moindres détails et oblitère à jamais surprise, inconnu ou étonnement. Stupeur de réaliser ceci : l’imprévu de l’avenir est prévu au point d’empêcher sa réalisation. Pourquoi cette fuite dans le virtuel ? Uniquement par peur. D’où un besoin irrépressible de contrôler. Ainsi par peur de ce que l’avenir réserve, on préfère le castrer de son possible et fabriquer un avenir virtuel, gigantesque invitation mécanique à consommer. Après tout, rassurant est le virtuel, car maîtrisable. Comme tout dérivé informatique, on a mainmise sur lui…

L’art

Notre culture est menacée. Notre culture ou « pensée du corps social » est en péril. Qu’est-ce à dire ? Que ce qui fait l’étoffe de l’homme libre – intelligence, culture, art – est la cible privilégiée de cette « sensure. » « L’art n’est pas uniquement l’art, sinon sa disparition n’aurait qu’une importance relative : l’art est le terme sous lequel nous désignons une activité dont l’exercice permet à l’espèce humaine d’affronter sa mortalité, afin de tirer de cet affrontement même un surcroît de vie et de durée. Pour une espèce qui prétend tout devoir à la raison, ce geste a quelque chose d’insensé, y compris dans son résultat qui est de détruire la destruction. » Seulement voilà, aujourd’hui, alors que l’art représente une échappatoire possible à ce système – de par sa création et sa conservation d’un sens entièrement humain – il n’échappe plus à la tyrannie du système. Désormais, la signature d’un artiste a plus de valeur que sa toile. Et comme le nom n’exprime que la valeur marchande, il y a fort à parier que l’art se transmue docilement en marchandise. D’où des artistes qui produisent en série, en viennent à se plagier eux-mêmes, s’interdisant l’exigence pour s’autoriser la négligence. Laissant la promotion compenser la médiocrité. Autrefois une oeuvre avait des spectateurs, aujourd’hui le produit artistique -cet ersatz de l’oeuvre- a des consommateurs. A l’appétit d’invention s’est substitué le goût de la convention. « Ce qu’il y a de plus odieux dans l’argent, c’est qu’il confère même des talents » écrit Dostoïevski. Le talent de savoir se vendre. Rien de plus. Tout est marchandise, marchandise et marchandise ! L’argent n’a pas d’idée, disait Sartre et « l’art ne peut se relever d’être devenu marchandise, cette perversion du sens est irrémédiable » ajoute Bernard Noël. Désormais l’art est soumis au marché. D’où la tentation pour lui de revêtir ses valeurs, à commencer par la nouveauté. Nouveauté qui n’a de cesse de faire « glisser l’oeuvre d’art vers l’insignifiance de la marchandise. » On devient le peintre ou l’artiste du système et non plus le créateur d’un système. De la médiocrité érigée en norme culturelle. Après la nouveauté, il y a les modes. Celle du conceptuel. L’art officiel, l’art contemporain, sont passés au crible par Bernard Noël, ce qui nous vaut de superbes pages inspirées. « Est-il plus pesant exemple d’un art contemporain qui n’impressionne que par une mise en scène où l’argent est tout et la qualité artistique rien ? Cet art, il est vrai, se moque de sa qualité, et s’il se donne à voir, ce n’est pas pour qu’on le regarde. » S’ensuivent des explications clairvoyantes sur l’inflation dogmatique qui frappe cet art conceptuel. Puis, l’auteur évoque la nécessité d’en revenir au tout-travail-est-de-l’art lequel ne fait appel qu’au plaisir de chacun. Si le coeur du poète bat plus fort dans ces dernières pages, c’est parce que l’art est émancipation. L’art est indépendance. L’art est résistance. Lire Bernard Noël c’est se soustraire à la Castration mentale et retrouver du sens. Lire Bernard Noël c’est rencontrer un visionnaire. Mieux : c’est recouvrer la liberté dans des mots où surabonde la grâce…

Article initialement publié dans Le Journal des Grandes Ecoles, janvier 1998, signé par Isabelle Gaudé

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Le Studio Harcourt

L’actrice Caterina Murino

Aujourd’hui, nous avions rendez-vous avec la directrice générale du Studio Harcourt, Catherine Renard, pour un entretien à bâtons rompus sur l’art du Portrait. Confinement oblige, l’interview a été reportée. Pour patienter, cap sur ces appels de fiction dont parlait Roland Barthes, splendeurs inaltérables, immatérielles, intemporelles, désincarnées que sont les actrices, acteurs et leurs portraits Harcourt. Car il s’agit bien de cela au Studio Harcourt. Dans cette fabrique à rêves, on métamorphose le réel en irréalité. On transmue le vivant en imaginaire. On fait surgir d’un acteur ou d’une actrice « un dieu ou une déesse, éternellement jeune, fixé à jamais au sommet de sa beauté. » Un être éthéré, évanescent, dont l’apparence immarcescible, à l’opposé du Portrait de Dorian Gray, échappe au temps, au vieillissement et à la mort. Non content de fixer l’éternité dans un instant, le portrait Harcourt offre au comédien une carte d’identité, une intronisation dans le métier d’acteur, et une place dans le Panthéon des Stars. Il lui accorde aussi la chance de s’inscrire dans cette mémoire mythique de la photographie, celle qui appartient au plus ancien et au plus célèbre studio de photographie. Reconnaissance suprême, véritable estampille, le portrait Harcourt fait penser à cette empreinte que les acteurs américains laissent sur Hollywood Boulevard. Histoire d’immortaliser leur passage au cinéma et sur terre. Loin de l’inflation narcissique actuelle où chacun s’expose, s’exhibe, se donne à voir, s’auto-séduit en se contemplant, le Studio Harcourt apparaît comme un lieu de résistance. Ici, la vanité n’est pas de mise. On ne vient pas chercher dans son Portrait Harcourt le quart d’heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol, on vient chercher quelque chose qui vous échappe, une part secrète, inconnue, mystérieuse, inconsciente de soi, mise en lumière par l’objectif du Studio. Où l’on comprend mieux que la surface est le miroir de la profondeur. Dans ce clair-obscur, la psyché se révèle…

Isabelle Gaudé

©Diane Lotus. Les coulisses du Studio Harcourt
L’actrice Romy Schneider
L’actrice Cate Blanchett
© Diane Lotus. Le plateau photo du Studio Harcourt

L’acteur Nicolas Duvauchelle
L’astronaute Thomas Pesquet
L’homme d’affaires Antoine Arnault
L’actrice Hélène de Fougerolles
©Diane Lotus. Le mythique Studio Harcourt

L’acteur Jean Dujardin

L’actrice Béatrice Rosen

L’actrice Marion Cotillard

L’acteur Matthias Schoenaerts

© Diane Lotus. L’acteur John Malkovich au Studio Harcourt

L’écrivain Leïla Slimani
L’actrice Aïssa Maïga
La directrice générale du Studio Harcourt, Catherine Renard
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La Tour vaut le détour

André Terrail, Yannick Franques, Stéphane Trapier et Julien Touitou

La Tour d’Argent : sans doute le plus beau et le plus célèbre restaurant au monde. Une adresse culte, une référence gastronomique. Mieux, une Institution. The Restaurant. Connu, fêté dans le monde entier, inspirant les réalisateurs du film Ratatouille, on s’y presse des quatre coins de la planète pour célébrer les grandes occasions de la vie, le temps d’un dîner inoubliable. Festoyer à cette table mythique c’est, bien sûr, se délecter du fameux canard au sang, des crêpes Mademoiselle, déguster les meilleurs crus au monde, ou encore profiter de la vue renversante mais c’est surtout, excusez du peu, entrer dans l’histoire. « En être », faire partie de ces happy few, côtoyer symboliquement, par-dessus les siècles, ceux qui firent la renommée de cette grande maison. Une pléiade de stars, célébrités, d’altesses, d’esthètes, de plumes littéraires, de puissants (Henri IV, Louis XIV, le président Kennedy, l’empereur Hirohito, Balzac, Proust, Sacha Guitry, Dali, Ava Gardner, Marilyn Monroe, Brigitte Bardot etc.) qui contribuèrent à faire de ce lieu plus qu’un restaurant, une légende. Car il existe quelque chose d’indéfinissable, de mystérieux, de magique qui émane de la Tour d’Argent, et que l’on s’approprie en y dînant. Une part de rêve… Voilà ce qu’est la Tour d’argent depuis des siècles – depuis 1582 – un temple de l’élégance et du raffinement, un phare scintillant sur la Seine illuminant de son prestige Paris et la France. Voilà pourquoi, malgré les siècles, celle qui a mis le monde à ses pieds, reste indémodable, intemporelle. Propriété, depuis 1911 de la famille Terrail, la Tour d’Argent est aujourd’hui dirigée par André Terrail. Un bel homme élégant, moderne, qui épouse parfaitement son époque. Un brillant entrepreneur qui voit grand, vise l’excellence et vient d’offrir à la Tour sa plus belle métamorphose. Comme une incomparable renaissance pour celle qui souffrait d’une image un peu poussiéreuse. Mais comment faire peau neuve sans perdre son âme ? André Terrail, en amoureux de la Tour, a trouvé la recette. Car ce jeune patron a du génie. Il vient d’apporter à la Tour un supplément d’âme. S’appliquant à la faire entrer tout en douceur dans la modernité, qui multipliant les services comme une épicerie fine en ligne, qui proposant une prestation unique La Tour chez Vous (La Tour met sa cuisine au service de vos convives). Il y a trois semaines, André Terrail inaugurait une sublime boutique (ouverte 7 jrs/7) La Petite épicerie jouxtant la Tour et regorgeant de merveilles (foie gras succulent, canard de chez Burgaud, beurre salé à la robe jaune safran, camembert Laurent Dubois – le must -, noix de cajou aux truffes, baba au rhum à se damner, époustouflantes confitures framboise ou fraise mara des bois au champagne, vins exceptionnels etc.) Pour parfaire cette métamorphose, on n’attend plus que le retour des grands esprits et écrivains de ce monde, manière de renouer avec le faste et la féerie intellectuelle des années Claude Terrail, véritable trait d’union entre les nourritures terrestres et les nourritures spirituelles. Dans ce souci de renouveau, et accessoirement pour réaccrocher fièrement deux ou trois étoiles Michelin au firmament de la Tour, il fallait rien moins qu’un nouveau Chef. C’est chose faite. Yannick Franques, un cuisinier surdoué, sans doute l’un des meilleurs de sa génération, au sommet de son art, fait vibrer l’assiette comme personne. On raffole de son Mystère de l’Oeuf, une recette qui tient du miracle culinaire, on se pâme devant sa Langoustine aux graines de Futaba, on pleure de plaisir en savourant les ravioles de foie gras de sa Soupe de lièvre. C’est une cuisine d’une précision époustouflante, inspirée, maitrisée, poétique. Yannick Franques enchante l’assiette et le résultat est irrésistible : le Caneton Mazarine (avec sa tatin de navets) est tout simplement parfait, les Quenelles de brochet sauvage mousseuses, aériennes, exquises. C’est l’extase à chaque bouchée, on est touché par la grâce. Avec son Merlan en croûte de pain inspiré du Bristol, on passe de la surprise à la stupéfaction. Incontestablement, Yannick Franques est un grand cuisinier. Sans parler de son délicieux dessert L’Or noir. De l’Or pour la Tour d’Argent, un fantasme ? Plutôt un défi pour 2021, histoire de remonter sur le podium, de décrocher la médaille d’or, les étoiles Michelin, et la première place dans le coeur des Français…

L’actuel et très charismatique propriétaire de la Tour d’Argent, André Terrail

Le restaurant de la Tour d’Argent et sa vue époustouflante sur Notre Dame

Conversation avec le nouveau Chef de la Tour d’Argent

Le nouveau Chef de la Tour d’Argent, Yannick Franques, MOF 2004

Vous êtes le tout nouveau Chef cuisinier de la Tour d’Argent. Régner sur les cuisines d’une « légende intouchable » comme La Tour, avec pour mission de la réinventer, d’être l’instrument de sa renaissance, comment relève-t-on un tel défi ?

Le véritable défi n’était pas simplement de venir à la Tour d’Argent, c’était surtout de la respecter. Je ne pouvais pas arriver et déclarer : je vais tout révolutionner ici, je vais faire ma cuisine, je vais enlever le Canard Delair, gommer la Quenelle André Terrail, tout effacer. Ce n’était pas du tout ma vision des choses. La Tour d’Argent est un restaurant chargé d’histoire, il a un héritage, des valeurs, des traditions. Je devais m’inspirer de tout ce qui avait été fait auparavant et réavancer comme ça. C’était la seule attitude possible pour parvenir à une véritable osmose entre passé et présent. Pour ma part, j’aime jouer avec ce côté classique, j’aime restaurer les classiques, les moderniser. Il n’empêche, il ne faut pas perdre de vue que nous avons une clientèle qui vient pour le Foie gras d’oie des trois Empereurs ou le Canard au sang. Cette clientèle a des attentes bien précises et mon rôle est de tenter les satisfaire. Pour moderniser le Foie gras des trois Empereurs, je m’attache aujourd’hui à faire une présentation avec de la gelée, à ajouter une brioche truffée, peut-être une râpée de plus sur le foie gras. C’est ça mon challenge. Réinventer ne signifie pas faire tabula rasa. C’est plutôt donner une envergure nouvelle, renouveler un plat certes, mais tout en respectant son essence. Je ne suis pas venu à la Tour d’Argent, en me frottant les mains et en m’autofélicitant  » Génial, on va entendre parler de moi ! » Non, je ne suis pas ce genre d’homme, je n’ai ni ego surdimensionné ni vanité. Ma seule et unique mission c’est de refaire rayonner la Tour, de lui redonner son éclat, cet aura qu’elle a toujours eu. C’est tout.

Alors vous êtes l’homme providentiel ! On murmure que c’est Eric Frechon qui vous a recommandé…

Je ne sais pas si je suis l’homme providentiel ! Mais c’est vrai que c’est Eric Frechon qui a donné mon nom ! Monsieur André Terrail compte parmi ses amis plusieurs cuisiniers. Il ne voulait pas se tromper et souhaitait avoir un avis éclairé sur la question. Il a sollicité plusieurs Chefs pour se faire une opinion. Quand il a demandé à Eric Frechon  » Quel Chef verriez-vous à la Tour d’Argent ? » Celui-ci a répondu : « Moi, je verrais bien Yannick Franques. Il correspond vraiment à l’établissement. »

Eric Frechon, le Chef du Bristol, est-ce pour vous un bienfaiteur ? Lorsque je l’ai interviewé pour Le Sens Critique, il ne tarissait pas d’éloges sur vous. Pour lui, vous êtes un grand cuisinier...

J’ai connu Eric Frechon, lorsqu’il était sous-chef au Crillon. A l’époque, j’étais chef de partie. Quand il a repris le Bristol, il m’a appelé pour que je devienne son sous-chef. Je suis resté 8 ans avec lui. Et j’ai gardé un magnifique souvenir de ces années. C’est Eric Frechon qui m’a formé et c’est lui qui m’a incité à passer le MOF (Le concours du Meilleur Ouvrier de France). C’est vrai qu’il a toujours été là pour moi. Il m’a donné sa confiance en donnant mon nom ici…

La Tour d’Argent

Pour vous, y-a-t-il d’autres raisons affectives qui vous ont poussé à venir à la Tour?

Lorsque Eric Frechon a donné mon nom à Monsieur Terrail, ce dernier a fait tout le trajet pour venir goûter ma cuisine au restaurant la Réserve de Beaulieu, sur la Côte d’Azur. Je n’étais même pas au courant. La Tour d’Argent, c’était un beau projet et je n’ai pas hésité. Participer au renouveau de la Tour d’Argent, c’était, pour moi, un challenge et une superbe perspective. Qui ne connait pas la Tour d’Argent ? Dans ses films, Belmondo va toujours dîner à la Tour d’Argent ! C’est un établissement mythique. Lorsque j’ai reçu mon contrat dans le Sud, mon facteur m’a dit, en me le remettant :  » Ouah, la Tour d’Argent ! » Il avait des étoiles plein les yeux. Cela le faisait rêver. Il s’est promis, lors d’un voyage à Paris, de réaliser ce rêve !

Surtout quil y a aujourd’hui un menu au déjeuner de 105 euros qui reste relativement abordable !

C’est vrai. Mais le vin n’est pas compris dans le menu ! Cela dit, pour que le moment soit festif, car les gens ont envie de se faire plaisir à la Tour, beaucoup commandent le menu de midi, accompagné d’une coupe de champagne.

Romantique, euphorique, c’est l’effet Tour d’Argent !

Cherchez-vous, par ce prix attractif, à attirer une nouvelle clientèle ?

Bien sûr ! A ce propos, je trouve que notre clientèle rajeunit.

Votre mission est de redonner tout son lustre à cette table prestigieuse. Un restaurant qui a gardé ses trois étoiles Michelin jusqu’en 1996 (et perdu sa deuxième étoile en 2006). Dans un premier temps, pour vous, c’est cap sur la deuxième étoile ?

La deuxième étoile, c’est mon ambition bien sûr, mais je ne me focalise pas là-dessus. L’idée c’est d’abord de récupérer toute la clientèle de la Tour d’Argent et que tous repartent contents. Que chacun se dise, j’ai connu La Quenelle André Terrail, aujourd’hui elle a été modernisé et j’ai adoré. C’est cela que je souhaite vraiment.

Le restaurant de la Tour d’Argent

Les cuisines de la Tour d’Argent

Vous êtes aux commandes de la cuisine de la Tour depuis décembre 2019. Confinement oblige, vous n’avez exercé que très peu de mois. Avez-vous eu le temps de prendre vos marques ?

En effet, je suis tout jeune dans l’entreprise, je n’ai que 5 mois ! Mais j’ai vite trouvé mes marques. On a très bien commencé, on a fait de beaux chiffres, tout allait à merveille puis malheureusement on a du s’arrêter à cause du confinement. Après, on a dû se réinventer. On s’est concerté, en comité de direction, pour essayer de trouver des solutions. On s’est demandé : que pourrait-on faire durant le confinement que les autres restaurants ne font pas ? C’est comme ça que nous est venue l’idée de La Tour chez vous. On se déplace chez les gens afin de leur faire vivre l’expérience d’un repas gastronomique à la Tour d’Argent comme si ils y étaient. On vient avec tout notre matériel, la nappe, les couverts, l’argenterie, la verrerie de la Tour, notre presse à canard. Il y a un maître d’hôtel, et la brigade mobile sert les hôtes et leurs convives avec le faste de la Tour. On cuisine chez les gens, on dresse les assiettes et si l’on fait le Canard au sang, le serveur fait la découpe du canard à bout de fourchette sans toucher le plat, devant les convives ravis. C’est fabuleux ! On a fait des 8, des 17, des 19 couverts, un peu partout à Paris et même à Rueil-Malmaison. Ce service est proposé à Paris et en Ile-de-France. Parfois pour célébrer l’anniversaire de rencontre d’un couple, ou des dîners romantiques en tête à tête, ou des soupers festifs sur la terrasse d’un client le soir du quatorze juillet avec de grandes tablées. Du coup, lorsque l’on a réouvert le restaurant après le premier confinement, La Tour chez vous marchait si bien que l’on a décidé de continuer de proposer cette prestation.

La Tour d’Argent s’invite chez vous. Et c’est grandiose !

Depuis que vous avez inventé le concept La Tour chez vous, d’autres grands restaurants vous imitent, j’ai vu un reportage là-dessus au Journal de 20h…

Ah oui ?

Ce n’est pas la première fois d’ailleurs que la Tour innove et inspire les autres restaurants ! C’est grâce à elle que le roi Henri III inaugure pour la première fois à dîner un ustensile nommé fourchette. La fourchette fait alors son apparition en France ! Pareil pour les tasses à café. Les premières viennent de la Tour d’argent. C’est encore la Tour d’Argent, qui, tout à son culte de la courtoisie et de l’élégance, va lancer la mode de la Carte sans prix pour les femmes !

En effet, André Terrail, le premier du nom, fourmillait d’idées. Il a inventé cette coutume qui consiste à confier une Carte sans prix aux femmes et aux autres invités. C’est aussi lui, à l’époque, qui a initié le « Menu déjeuner » chose qui n’existait pas alors dans les grands restaurants.

La Petite Epicerie de la Tour d’Argent

Aujourd’hui, comment vivez-vous le confinement jusqu’au 20 janvier 2021 ?

On s’occupe activement ! On a ouvert une boutique en un mois et demi La Petite Epicerie située à côté de la Tour. Monsieur Terrail avait envie de créer une petite épicerie. Nous avions un grand local à côté de la Tour. Auparavant, c’était un entrepôt où l’on stockait notre matériel. Nous avons tout vidé et Monsieur André Terrail s’est occupé de la décoration. Aujourd’hui, vous pouvez acheter du café, du beurre, du lait, de la crème, des oeufs, du foie gras, des terrines de campagne, des vins, des canards, des bonbons, des épices, des biscuits, des nougats, des caramels etc. On fait même des mélanges pour l’apéritif, des noix de cajou au thym et romarin, aux truffes. On a du beurre que l’on va chercher à la Chalotterie, à quarante kilomètres d’ici, de la crème, des pots de yaourt et de fromage blanc. Ce n’est pas comme dans les autres magasins, ce sont des produits de la ferme. On essaye vraiment de réduire les circuits. On fait aussi des Jus Tour d’argent (des jus de canard, des jus de viande) en petit bocaux que l’on réchauffe au bain-marie avant de les verser sur la viande. On fait aussi le Canard Tour d’Argent de chez Burgaud pour les fêtes dans un beau packaging. Toujours dans l’optique de développer la marque de la Tour d’Argent, j’ai créé un Canard maturé (après la maturation, il est si tendre que c’est du beurre quand on le cuisine !) On vend ce canard maturé pour les fêtes avec un jus et un sel (et une explication pour la préparation). C’était une façon pour moi de moderniser le Canard Delair. Les gens poussent la porte de cette boutique et sont ravis. Ils font leurs courses chez nous. C’est ouvert 7 jrs/7. On ne voulait pas créer une épicerie trop chère donc on s’est efforcé de proposer des prix raisonnables, des prix accessibles à tous.

Et que proposez-vous d’autre pour les fêtes de Noël et de fin d’année ?

On va faire des plats à emporter spécialement pour les fêtes. Sur la Rôtisserie de la Tour. Mais on ne veut pas livrer chez les gens parce que l’on ne sait pas comment cela arrive. Car si le client ne met pas les plats à réchauffer correctement, ils seront moins goûteux. Donc, on voulait éviter cet écueil.

Le Comptoir de la Tour d’Argent

Le maître des lieux André Terrail, un jeune et brillant entrepreneur de 40 ans, s’attache à rajeunir la Tour. Il vient de crée une E-boutique, le Comptoir de la Tour d’Argent…

Oui, c’est une boutique au sein de la Tour qui propose un service en ligne d’épicerie fine, des coffrets cadeau, des champagnes, des vins, diverses confitures, du thé, des babas au rhum etc.

André Terrail, président de la Tour d’Argent

Pour rivaliser avec les grandes tables de ce monde et séduire une nouvelle clientèle, André Terrail a aussi engagé un nouveau Chef sommelier, Julien Touitou. A seulement 31 ans, celui-ci veille sur la plus belle des collections de vins au monde. 320 000 bouteilles dont des trésors inestimables comme un cognac 1788, un Pétrus 1947, un Château Yquem de 1871 etc. La bouteille la plus chère est à plus de 60 000 euros…. Vendez-vous certaines bouteilles en salle des ventes ?

Oui, et on vend pas mal de vins sur Internet. A La Petite Epicerie, on a une très belle clientèle qui achète de très bons vins. Et même au restaurant, il y a de très belles additions grâce aux belles bouteilles. J’estime qu’on ne parle pas assez de la cave. Tout le monde connait la Tour d’Argent mais pas forcément pour sa cave. C’est une cave exceptionnelle avec des vins plus que prestigieux, c’est l’une des plus grandes de Paris. Il y a 14 000 références sur le livre du sommelier et il est épais comme la Bible. Les serveurs sont obligés de mettre un chevet à côté de la table de restaurant afin que que le client puisse regarder à son aise la Carte des vins. Parfois, cela peut prendre une demi heure avant qu’il ne choisisse le vin ! C’est une cave fabuleuse. Passé par le Meurice, Julien Touitou est un très bon sommelier.

La Carte des vins de la Tour d’Argent et ses 14 000 références.
La cave de la Tour d’Argent

Pour sa Carte, la Tour d’Argent vous laisse-t-elle vous exprimer pleinement ?

Oui, on a une Carte avec d’un côté  » L’Héritage » de la Tour d’Argent (avec le Foie gras d’oie des Trois Empereurs, La Sole cardinale). En 1970, Claude Terrail a publié un livre de recettes  » La Tour d’Argent », je l’ai feuilleté et j’ai repris les plats. Par exemple le Canard Mazarine est à l’orange, le Canard Marco Polo au poivre vert, le Canard Mac Arthur que j’ai remis au goût du jour, a une sauce poivrade au vin rouge. J’ai fais ces trois Jus à la boutique : orange, poivre vert Marco Polo et Mac Arthur vin rouge. On peut les acheter. C’est trois jus et c’est trois sels (le sel Mazarine est donc orange, le sel Mac Arthur, et le sel Marco Polo) pour accompagner. Je m’amuse un peu sur les plats Héritage que je fais, les nouveaux, comme La Sole cardinale. Je les prépare au goût du jour. On ne les cuit plus comme avant, maintenant on les cuit à juste cuisson, on fait le jus d’écrevisse un peu différemment. A l’époque, quand il y avait les écrevisses, elles étaient entières avec les pinces et tout, c’était à l’ancienne. Je m’amuse à faire goûter les nouveaux classiques à Monsieur Terrail et j’aime bien avoir son retour car lui, a connu les anciens plats. On en discute ensemble. Pareil pour la Quenelle de brochet André Terrail, on l’a revisité. Je fais une quenelle et je la fais poêler sur du pain. Ca donne un côté croustillant. On essaye de moderniser cet héritage. Les clients sont ravis car ils ont retrouvé le Canard, l’animal emblématique de la Tour. Sur la carte, on propose donc le Canard Delair, et toujours un autre canard (soit le Mazarine, soit le Marco Polo, soit le Mac Arthur). Comme cela fait 60 ans que l’on travaille avec la maison Burgaud, j’aimerais aussi avoir notre Canard estampillé Tour d’Argent.

Le Caneton Mazarine et sa tatin de navets
Les quenelles de brochet sauvage

Yannick Franques, qu’est-ce qu’un grand cuisinier ?

Un cuisinier qui trouve des accords. Pour ma part, je suis plus pour deux trois saveurs au maximum, pour que l’on sache ce que l’on mange, mais après on peut avoir une autre vision des choses.

Le Mystère de l’Oeuf

Vous êtes le créateur d’un plat incroyable. Sublime. Mieux que ça : inoubliable. Le Mystère de l’Oeuf. S’est-il mué en Mystère de l’Oeuf de Cane ?

Eh bien oui, j’ai fait un mystère de l’Oeuf de cane ! On a essayé au début, cela a marché, c’était très bien. Cela dit, l’oeuf de cane est un peu plus riche, un peu plus écoeurant, un peu plus compliqué.

Le Mystère de l’Oeuf est un plat magique. Plaît-il aux habitués de la Tour ?

Beaucoup ! C’est mon plat signature. Avec la Langoustine aux graines de Futaba.

Langoustine aux graines de Futaba

Les pommes soufflées de Yannick Franques

Vous avez inventé une trouvaille qui ravit vos clients : les pommes soufflées en forme de goutte, faciles à attraper avec les mains. Les clients ne jurent plus que par elles !

Normalement, les pommes soufflées sont ovales. Avec cette forme de goutte, on la saisit par la pointe, et on la mange à la main sans se salir les doigts. C’est amusant !

Soupe de lièvre

On peut aussi déguster une Soupe de lièvre à la Tour. Avec un visuel éblouissant : dans l’assiette s’ébattent des copeaux de châtaigne, des flocons de ravioles de foie gras flottent paresseusement sur un coulis onctueux. C’est savoureux à l’oeil et au palais…

C’est un plat assez marqué, assez faisandé, et c’est puissant au goût. Le foie gras adoucit le côté fort du lièvre. Je fais aussi un Canard à la Royale dans le Menu des classiques : c’est une sauce au sang à base de foie gras et de truffes.

Le Chef doublement étoilé Yannick Franques

On ne peut qu’aimer votre cuisine parce qu’en plus d’être d’une stupéfiante précision, d’une grande technique, elle est aussi poétique. Vous ne cherchez pas à imiter qui que ce soit, vous inventez vos propres règles...

J’essaye de faire la cuisine qui me correspond, avec le plus de sincérité et d’honnêteté possibles. Je pense que pour parvenir à cela, il faut avoir l’établissement qui vous corresponde aussi. Ici, à la Tour, je vais pouvoir m’accomplir totalement. La Tour d’Argent me correspond parce qu’ici, on est dans les vraies valeurs essentielles, il n’y a pas d’esbrouffe.

Le dessert L’Or Noir fait le délice de vos clients. Ainsi que les Crêpes Mademoiselle. Qui est le Chef pâtissier ?

Le Chef pâtissier était déjà là quand je suis arrivé, mais il est parti durant le confinement, donc le sous-chef a pris sa place. Je suis en train de rechercher un Chef pâtissier.

Le dessert L’Or noir
Les crêpes Mademoiselle

Quel est votre rêve pour la Tour d’Argent ?

Je m’efforce avant tout d’être réaliste ! Et avant tout, ce que je souhaite, c’est offrir à nos clients de l’amour dans les assiettes et de la joie grâce à notre cuisine. Si ce projet, cette aventure me plaisent tant c’est parce qu’il y a une bonne dynamique, une belle ambiance à la Tour. Mais, il faut y aller étape par étape et ne pas brûler les étapes. Bien sûr, décrocher un deuxième macaron pour la Tour, serait pour moi l’aboutissement de toute une carrière. Il faut aussi que je me stabilise, et j’espère vraiment rester ici. Puisque vous me le demandez, je vais vous confier mon plus grand rêve : si je pouvais marquer mon nom dans l’histoire de la Tour d’Argent, ce serait pour moi, la plus belle récompense et le plus bel accomplissement !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

La Tour d’Argent du temps de Claude Terrail et Ava Gardner

Marias Callas à la Tour d’Argent

André Terrail entouré de Brad Pitt et d’Angélina Jolie
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