« Marie-Antoinette était une femme bienveillante, bonne et simple »

« Devant le regard inflexible de la postérité » que reste-t-il de Marie-Antoinette ? De la plus célèbre des reines de France ? Un portrait flatteur, celui d’une icône ravissante « dont il est difficile de balayer l’éclat qui environne son existence » qui fascine encore et toujours écrivains et cinéastes, « une jeune femme toute de grâce et de grandeur » à « la démarche de déesse » écrit Stefan Zweig, une reine tendre et dévouée à ses enfants, la femme énergique, courageuse, admirable des dernières années, qui monte dignement les marches de l’échafaud. Ou une légende plus noire, celle d’une reine volage, dépensière, futile et frivole, d’une espionne autrichienne que l’on traînera des palais à la prison, du trône à l’échafaud. Qui a raison, qui a tort ? Qui est vraiment Marie-Antoinette ? On croyait tout savoir sur elle. On se trompait. Il n’est qu’à ouvrir le superbe roman de Christine Orban « Charmer, s’égarer et mourir » pour entrevoir une vérité qui n’est pas forcément celle des livres d’histoire. Comme si la romancière, déterminée à rendre justice à Marie-Antoinette, nous autorisait enfin à la comprendre de l’intérieur, à approcher son âme, à entrer dans sa psyché. Comme si Christine Orban possédait une oreille musicale assez fine, une forme d’hypersensibilité, une sorte de troisième oreille comme le requerrait Nietzsche, pour entendre ce que les autres n’entendent pas, pour percevoir avec une acuité inédite ce qui est discordant, dissonant dans tous les couacs, les contradictions, les malentendus qui ont émaillé la route de la reine. « C’est Marie-Antoinette que je voulais écouter. L’écouter comme si j’avais été sa confidente. Sa voix résonne dans sa correspondance, dans ses silences, dans les mots effacés et retrouvés » souligne Christine Orban. Car il s’agit bien là de correspondance, d’une correspondance sonore, musicale, entre deux âmes, l’une qui vécut au XVIIIème et l’autre au XXIème siècle. Une correspondance entre une reine et un écrivain. « Je perçois l’incertitude de son timbre, sa sensualité, je perçois des sons graves et légers comme l’eau d’une rivière, une rivière de larmes. » Ecouter Marie-Antoinette, c’est l’ausculter. Ausculter son corps, son cœur, son sang, son âme. Résultat, de page en page, c’est un choc. Du premier au dernier mot de ce magnifique roman, on est emporté, transporté au XVIIIème siècle, en compagnie de Marie-Antoinette dans un irremplaçable voyage au bout de l’Histoire, qui plonge ses racines dans le plaisir et la mort. Christine Orban n’a pas son pareil pour nous faire toucher du doigt le calvaire que furent ses dernières années, son agonie déchirante. Chaque mot porte. Chaque phrase atteint son but. C’est bouleversant, envoûtant, palpitant. Surpassant même Stefan Zweig qui malgré son immense subtilité, sa psychologie féminine, n’en demeure pas moins un homme. Oui, il fallait peut-être une femme, une intuition féminine, celle d’un écrivain perspicace, tendre et voyant comme l’est Christine Orban, pour venir à bout de tous ces malentendus. Pour enfin écouter la voix de Marie-Antoinette. Et pour lui redonner vie comme jamais…
A lire à tout prix pour qui s’intéresse de près ou de loin à Marie-Antoinette.

Christine Orban, vous donnez l’image d’une jolie femme qui incarne le chic et la vie parisienne. A lire votre Marie-Antoinette, je trouve que vous êtes bien autre chose. Vous êtes pleine de délicatesse, de hauteur d’âme, de sagesse …
L’image que l’on projette sur vous ne vous appartient pas. Vous ne pouvez rien y faire, même si elle est erronée, elle appartient aux autres, à eux d’en faire ce qu’ils veulent. Cela n’a pas beaucoup d’importance. Il faut un peu de bienveillance pour aller au-delà de l’apparence. Certaines sont trompeuses. On peut en être responsable pour des raisons complexes. La société est un miroir déformant, les jugements « prêts-à-penser » sont dangereux. Moi aussi je m’étais laissée prendre à la réputation de Marie-Antoinette. C’est une des raisons pour laquelle j’ai voulu l’approcher de plus près. Marie-Antoinette illustre bien le malentendu entre l’être et le paraître.
Vous aussi ?
Je suis une femme qui écrit, qui aime comprendre nos fragilités. J’aime les gens, j’aime les voir, leur parler, mais je préfère les tête-à-tête, et je passe plus de temps avec mes personnages derrière mon bureau que dans des salons. C’est ma façon de vivre, plus de temps dans l’imaginaire que dans la réalité, cela n’est ni mieux, ni plus mal. C’est ainsi. A mon vingtième roman, je me suis demandée si je n’étais pas passée à côté de la vie. Mais, je n’ai pas eu le choix. Question de tempérament, de blessure personnelle. L’écriture s’est imposée à moi, comme une seconde vie -une porte de sortie, une vie où tout est possible, même vivre au XVIIIème- Je soigne ainsi ma mélancolie… J’espère aussi aider les autres. Un livre réussi est un livre qui aide à se comprendre…
Que se passe-t-il quand vous remettez votre manuscrit à votre éditeur ?
Je me sens dépossédée, fini le rendez-vous de tous les matins avec mes personnages. Ils me manquent comme des proches. C’est toujours un moment difficile. Je sombre dans la mélancolie, jusqu’à ce que je recommence à écrire, à imaginer un autre monde.
Vous écrivez en parlant de Marie-Antoinette « que vous vouliez approcher son âme ». Pourquoi ? Pour vous glisser dans sa peau ? Dans sa psyché ? Pour ressentir ce qu’elle ressentait ? Par identification, osmose, transfert ?
Peut-être avais-je besoin de m’éloigner de moi, de vivre une autre vie que la mienne, certaine de ne pas me rencontrer sur ce chemin… Je me suis trompée, Marie-Antoinette est une femme moderne…. Pourquoi Marie-Antoinette ? La destinée de Marie-Antoinette est des plus cruelles, en effet. Un jugement erroné la poursuivait. Je me suis érigée en avocat, en psychanalyste. J’ai essayé de la comprendre de l’intérieur, de lever le voile sur les malentendus. En plus des malentendus, la chance ne lui souriait pas. La main du diable la poursuit et ne la lâche pas. La fatalité est là, qui l’accompagne. Chaque fois qu’il y a un choix à faire, elle fera le mauvais. Sa vie pose aussi la question de notre liberté par rapport à la destinée…

J’ai l’impression que Marie-Antoinette c’est l’Eve première, l’incarnation de la féminité, la mère de toutes les femmes… Marie-Antoinette, c’est votre Maman ?
Je n’ai jamais pensé à Marie-Antoinette en tant que mère ! J’ai souffert d’une mère-enfant… Mais ce n’est pas le sujet, on a reproché à Marie-Antoinette d’être une enfant -elle était dauphine à 14 ans !- pas une mère enfant. Bien au contraire. Une femme qui prétend s’être trouvée « dans le silence et dans la solitude des Tuileries » ne peut pas être une femme futile. Elle écrira encore « C’est dans le malheur qu’on sent davantage ce qu’on est ». Oui, Marie-Antoinette c’est la féminité même, mais c’est aussi une femme bienveillante, bonne et simple, qui ne méprisait personne et qui se comportera admirablement à la fin de sa vie…
C’est une mère suffisamment bonne…
Oui, bonne. Mais, il faut rappeler que Marie-Antoinette avant d’être mère -elle attendra 7 ans- était une fille dominée par la sienne, l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse. C’est Nietzsche qui dit que celui qui souffre est une proie facile pour les autres. C’est une enfant en souffrance. Elle sait, quand elle quitte Vienne pour Versailles, qu’elle ne reverra plus ni sa mère ni son pays. Versailles lui offre l’apparence de poupée pomponnée mais on ignore ce qui se passe à l’intérieur d’elle. On la jalouse, elle souffre de la malveillance des courtisans, de l’impuissance de son mari, des moqueries qui s’en suivent. Elle ne se plaint pas. Elle donne le change. Par élégance, pudeur, éducation. Puisque le monde des adultes lui est interdit -son mari ne vient pas lui rendre visite dans sa chambre- elle va donc sortir, jouer comme une enfant à colin-maillard, danser etc. Elle n’est pas d’une nature dépressive, elle est vivante, elle est intrépide donc elle va chercher à se divertir, à s’étourdir au lieu de rester à attendre. Mais il n’y a ni malice ni vice en elle.
Le titre de votre roman fait écho à la phrase de Lamartine parlant de Marie-Antoinette « Elle ne sut que charmer, égarer et mourir ». Pourquoi ce titre ?
J’ai d’abord eu envie d’appeler ce livre « Psychose Marie-Antoinette » car il me semble que nous avons tous un avis sur elle. Marie-Antoinette a fait délirer la France. C’est la première star ! Elle excitera le désir, l’envie, la jalousie, la médisance. Mon titre est un peu sévère mais il lui convient : « Charmer, s’égarer, mourir ». Elle sut charmer, on l’a égarée, et elle a su mourir avec un courage et une dignité extraordinaires. C’est toujours difficile de résumer un être en trois mots, mais ces trois mots lui vont. Ses contemporains étaient éblouis en la voyant – et non des moindres – (Madame de Staël, Lamartine, Burke…) alors qu’elle n’était pas d’une beauté classique ni parfaite, mais c’était une femme très charismatique, égarée dans ce siècle…
Vous dites que Marie-Antoinette n’a pas su vivre mais elle a su mourir avec une dignité impressionnante….
Marie Antoinette s’est trompée sur son époque. Elle n’a pas compris le peuple, le drame sous-jacent qui se préparait. Elle était une orchidée sous serre. Elle arrive à Versailles et elle n’en sort pas. Elle passe de Versailles au petit Trianon à Saint-Cloud. Elle ne connait ni la France ni les français. Elle n’est véritablement confrontée au peuple que lorsque la Révolution est en marche et qu’une foule de femmes réclament du pain devant les grilles de Versailles. Alors c’est vrai que Marie-Antoinette aurait pu manifester le désir de visiter la France, de rencontrer les français mais elle ne pouvait pas être plus royaliste que le roi ! Si le roi ne cherche pas à faire le tour des chaumières, la reine n’a pas le droit à la parole et elle n’a aucun pouvoir politique. Elle n’a pas été élevée pour diriger un pays mais pour donner un héritier à la France. Marie-Antoinette est sous cloche, elle est en dehors du monde et de la réalité. Loin de moi l’idée d’en faire une sainte. Il lui manque la curiosité. Elle s’est laissée embarquée dans le rôle d’une femme de roi de cette époque : se laisser se vêtir, être en représentation, même si cela lui pesait. Marie-Antoinette n’a été elle-même qu’à la fin de sa vie. Dans le silence et dans la solitude. A Versailles, c’était impossible, elle est tout le temps entourée, épiée, espionnée. Comment voulez-vous vous trouver, vous comprendre, être vous-même au milieu des autres ? On pense pour elle, on lui dicte ce qu’elle doit écrire, deux espions