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May be or not may be !

Coup de coeur pour cette comédie jubilatoire Le Larbin, apparemment légère, qui se révèle être, mine de rien, la parfaite illustration contemporaine de la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel. Excusez du peu ! Où comment dans une société néo-narcissique, prônant le libéralisme absolu, l’argent est le maître, l’homme est son esclave. Où comment le seul sens se limite aujourd’hui à gagner de l’argent et à être riche. Dans cette lutte des consciences qui est une lutte pour la reconnaissance, l’esclave contemporain se libère de son asservissement par son labeur (ou par son travail sur lui-même), en devenant le maître du maître, en devenant le maître de l’argent. Ce faisant, il s’humanise, retrouve un sens à sa vie. Cette humanité réconciliée avec elle-même est la magnifique morale de ce film très attendrissant, beau comme un conte, fraternel et sentimental. Une vraie leçon de civilisation.

Tout commence par ce bon Louis. Louis le jouisseur. Richissime rejeton d’un père propriétaire de palaces. L’adulescent, autocentré, hyper looké, vit sa vie en mode pulsionnel régressif. Principe de plaisir à gogo ! Avec pour tout credo : jouir sans limites, s’éclater, s’amuser. Le moutard couche-tard s’étourdit dans une frénésie de fêtes, dorlotant sa fuite en avant par une irrépressible course à la sensation. Avide de tout tester, il se jette dans une consommation compulsive d’excitants : alcool, drogue, sexe, et entraîne ses potes (de vagues faire-valoir), ses copines bimbos, hyper sophistiquées, déesses modernes en Vuitton ou sylphides aux allures de cintres Chanel, dans les suites de luxe du paternel. Indifférent à tout ce qui n’est pas son bon plaisir, qui bousillant les chambres d’hôtels, qui se trimballant avec des panthères qui finissent au fond de la piscine, Louis a le fric triomphant, le fric érotique, le fric ostentatoire. Il consomme, se consomme, se consume, sans s’assumer. Mais dans ce monde où le plaisir de consommer l’emporte sur la satiété, il n’y a plus de limites. Et son père, qui est d’une autre génération, finit par ne plus l’entendre de cette oreille. Il en a ras le chapeau de son morveux arrogant, de son gamin en perpétuel surrégime. Il en a marre de son hédonisme de pacotille, de son désolant narcissisme. Il va lui apprendre à vivre ! Pour ce faire, il va solliciter les services d’un réalisateur de pubs, qui n’est autre que Clovis Cornillac, lequel, au sommet de son art, est irrésistible, furieusement drôle, truculent à souhait, en un mot génialissime. Il interprète un Chris Palmer inénarrable, au look baba cool, soixante-huitard sur le retour. Chris éructe trois mots d’anglais et c’est tout son staff qui crie au génie ! Concert de louanges, bravo, brava, bravissimo ! Et tous de se pâmer devant lui comme on se pâmerait devant Stanley Kubrick. Donc Cornillac (alias Chris) en grand mystificateur qu’il est, doit catapulter Louis dans les couloirs du temps, et l’envoyer au siècle du « Roi Soleil », en 1702, sur les terres d’un vicomte valétudinaire. L’entreprise est délicate : le père de Louis, le talentueux Kad Merad, a loué pour l’occasion un château et son parc, ainsi que les services de figurants. Chris, en pur maniaque du contrôle, se voit donc chargé de manoeuvrer le naïf Louis (mais comme c’est la vie qui commande, et que la vie est ce qu’il y a de plus incontrôlable, imprévisible et inconnue, ses plans seront évidemment déjoués.) Telle est la mascarade dans laquelle les deux complices vont précipiter le pauvre Louis. Mais le plus étonnant dans cette histoire, c’est que c’est par le truchement de la fiction que Louis va être replongé dans la réalité. Louis qui vivait dans un réel falsifié par l’argent, innervé de faux-semblants, va découvrir la vraie vie. Mieux, c’est la fiction qui va lui enseigner les valeurs essentielles de la vie : le respect, la tempérance et l’altérité. Résultat : notre richissime rejeton se réveille dans un bouge, en 1702. En une poignée de minutes, il dégringole de l’échelle sociale, atterrit dans la boue, touche le fond et tombe plus bas que terre. Mais pas le temps de lambiner pour le larbin, il doit travailler. Il est tiré direct de sa couche par un Christian Hecq, au meilleur de sa forme, lequel se surpasse dans ce rôle de petit chef oppresseur. Louis est devenu le « valet de pisse » du vicomte et il va goûter à l’humiliation quotidienne que vivent les humbles.

S’opère alors un pur renversement. Alexandre Charlot et Franck Magnier, les réalisateurs du Larbin, vont effectuer un véritable coup de maître et de génie cinématographique. Sans chercher à montrer ni à démontrer, mais tout en suggérant subtilement, ils offrent à Louis les clefs de sa métamorphose. Pour Louis, le sentiment va se substituer à la sensation, l’altérité à l’indifférence, le goût de l’autre au goût de soi, la sympathie à l’apathie, la fraternité à la solitude, la simplicité à la sophistication, le dépouillement à l’ostentation, la crasse à la classe, la nature à la civilisation, la mesure à la démesure, la poésie à l’argent. L’amour au désert émotionnel…

Comme dans un merveilleux conte, Louis va découvrir peu à peu l’amitié, il va pouvoir compter sur un véritable ami, campé par Marc Riso, qui nous offre au passage quelques délicieux moments de cinéma dans une danse de l’ours hilarante. Louis va découvrir l’amour, aimanté par deux yeux bleus qui sourient sous de longs cheveux châtains. Non content de devenir un autre homme, il va déceler en lui des vertus inconnues, comme le courage, la force et la détermination. A la fin du film, Louis se mue en un preux chevalier, il sauve sa Dame. C’est l’amour courtois au temps du « Roi Soleil » ! Sa vie reprend sens. Il retrouve le goût du désir, de l’amour. Son coeur se remet à battre. Il est vivant. Il est amoureux…

Alexandre Charlot et Franck Magnier signent une très jolie comédie, tendre, romantique, fraternelle, vivifiante. Du métacinéma (le film était dans le film) sourdement politique et passionnant sur l’esclave moderne, ce « larbin » asservi au totalitarisme économique, qui passe à côté de sa vie, faute d’avoir compris que l’argent n’apportait aucune reconnaissance si ce n’est celle des vanités et que seuls dans la vie les sentiments comptent.

I.G

Le réalisateur Franck Magnier