0

Christine Orban

« Marie-Antoinette était une femme bienveillante, bonne et simple »

Christine Orban

« Devant le regard inflexible de la postérité » que reste-t-il de Marie-Antoinette ? De la plus célèbre des reines de France ? Un portrait flatteur, celui d’une icône ravissante « dont il est difficile de balayer l’éclat qui environne son existence » qui fascine encore et toujours écrivains et cinéastes, « une jeune femme toute de grâce et de grandeur » à « la démarche de déesse » écrit Stefan Zweig, une reine tendre et dévouée à ses enfants, la femme énergique, courageuse, admirable des dernières  années, qui monte dignement les marches de l’échafaud. Ou une légende plus noire, celle d’une reine volage, dépensière, futile et frivole, d’une espionne autrichienne que l’on traînera des palais à la prison, du trône à l’échafaud. Qui a raison, qui a tort ? Qui est vraiment Marie-Antoinette ? On croyait tout savoir sur elle. On se trompait. Il n’est qu’à ouvrir le superbe roman de Christine Orban « Charmer, s’égarer et mourir » pour entrevoir une vérité qui n’est pas forcément celle des livres d’histoire. Comme si la romancière, déterminée à rendre justice à Marie-Antoinette, nous autorisait enfin à la comprendre de l’intérieur, à approcher son âme, à entrer dans sa psyché. Comme si Christine Orban possédait une oreille musicale assez fine, une forme d’hypersensibilité, une sorte de troisième oreille comme le requerrait Nietzsche, pour entendre ce que les autres n’entendent pas, pour percevoir avec une acuité inédite ce qui est discordant, dissonant dans tous les couacs, les contradictions, les malentendus qui ont émaillé la route de la reine. « C’est Marie-Antoinette que je voulais écouter. L’écouter comme si j’avais été sa confidente. Sa voix résonne dans sa correspondance, dans ses silences, dans les mots effacés et retrouvés » souligne Christine Orban. Car il s’agit bien là de correspondance, d’une correspondance sonore, musicale, entre deux âmes, l’une qui vécut au XVIIIème et l’autre au XXIème siècle. Une correspondance entre une reine et un écrivain. « Je perçois l’incertitude de son timbre, sa sensualité, je perçois des sons graves et légers comme l’eau d’une rivière, une rivière de larmes. » Ecouter Marie-Antoinette, c’est l’ausculter. Ausculter son corps, son cœur, son sang, son âme. Résultat, de page en page, c’est un choc. Du premier au dernier mot de ce magnifique roman, on est emporté, transporté au XVIIIème siècle, en compagnie de Marie-Antoinette dans un irremplaçable voyage au bout de l’Histoire, qui plonge ses racines dans le plaisir et la mort. Christine Orban n’a pas son pareil pour nous faire toucher du doigt le calvaire que furent ses dernières années, son agonie déchirante. Chaque mot porte. Chaque phrase atteint son but. C’est bouleversant, envoûtant, palpitant. Surpassant même Stefan Zweig qui malgré son immense subtilité, sa psychologie féminine, n’en demeure pas moins un homme. Oui, il fallait peut-être une femme, une intuition féminine, celle d’un écrivain perspicace, tendre et voyant comme l’est Christine Orban, pour venir à bout de tous ces malentendus. Pour enfin écouter la voix de Marie-Antoinette. Et pour lui redonner vie comme jamais…

A lire à tout prix pour qui s’intéresse de près ou de loin à Marie-Antoinette.

Christine Orban, vous donnez l’image d’une jolie femme qui incarne le chic et la vie parisienne. A lire votre Marie-Antoinette, je trouve que vous êtes bien autre chose. Vous êtes pleine de délicatesse, de hauteur d’âme, de sagesse …

L’image que l’on projette sur vous ne vous appartient pas. Vous ne pouvez rien y faire, même si elle est erronée, elle appartient aux autres, à eux d’en faire ce qu’ils veulent. Cela n’a pas beaucoup d’importance. Il faut un peu de bienveillance pour aller au-delà de l’apparence. Certaines sont trompeuses. On peut en être responsable pour des raisons complexes. La société est un miroir déformant, les jugements « prêts-à-penser » sont dangereux. Moi aussi je m’étais laissée prendre à la réputation de Marie-Antoinette. C’est une des raisons pour laquelle j’ai voulu l’approcher de plus près. Marie-Antoinette illustre bien le malentendu entre l’être et le paraître.

Vous aussi ?

Je suis une femme qui écrit, qui aime comprendre nos fragilités. J’aime les gens, j’aime les voir, leur parler, mais je préfère les tête-à-tête, et je passe plus de temps avec mes personnages derrière mon bureau que dans des salons. C’est ma façon de vivre, plus de temps dans l’imaginaire que dans la réalité, cela n’est ni mieux, ni plus mal. C’est ainsi. A mon vingtième roman, je me suis demandée si je n’étais pas passée à côté de la vie. Mais, je n’ai pas eu le choix. Question de tempérament, de blessure personnelle. L’écriture s’est imposée à moi, comme une seconde vie -une porte de sortie, une vie où tout est possible, même vivre au XVIIIème- Je soigne ainsi ma mélancolie… J’espère aussi aider les autres. Un livre réussi est un livre qui aide à se comprendre…

Que se passe-t-il quand vous remettez votre manuscrit à votre éditeur ?

Je me sens dépossédée, fini le rendez-vous de tous les matins avec mes personnages. Ils me manquent comme des proches. C’est toujours un moment difficile. Je sombre dans la mélancolie, jusqu’à ce que je recommence à écrire, à imaginer un autre monde.

Vous écrivez en parlant de Marie-Antoinette « que vous vouliez approcher son âme ». Pourquoi ? Pour vous glisser dans sa peau ? Dans sa psyché ? Pour ressentir ce qu’elle ressentait ? Par identification, osmose, transfert ?

Peut-être avais-je besoin de m’éloigner de moi, de vivre une autre vie que la mienne, certaine de ne pas me rencontrer sur ce chemin… Je me suis trompée, Marie-Antoinette est une femme moderne…. Pourquoi Marie-Antoinette ? La destinée de Marie-Antoinette est des plus cruelles, en effet. Un jugement erroné la poursuivait. Je me suis érigée en avocat, en psychanalyste. J’ai essayé de la comprendre de l’intérieur, de lever le voile sur les malentendus. En plus des malentendus, la chance ne lui souriait pas. La main du diable la poursuit et ne la lâche pas. La fatalité est là, qui l’accompagne. Chaque fois qu’il y a un choix à faire, elle fera le mauvais. Sa vie pose aussi la question de notre liberté par rapport à la destinée…

Marie-Antoinette, par Elisabeth Vigée-Lebrun

J’ai l’impression que Marie-Antoinette c’est l’Eve première, l’incarnation de la féminité, la mère de toutes les femmes… Marie-Antoinette, c’est votre Maman ?

Je n’ai jamais pensé à Marie-Antoinette en tant que mère ! J’ai souffert d’une mère-enfant… Mais ce n’est pas le sujet, on a reproché à Marie-Antoinette d’être une enfant -elle était dauphine à 14 ans !- pas une mère enfant. Bien au contraire. Une femme qui prétend s’être trouvée « dans le silence et dans la solitude des Tuileries » ne peut pas être une femme futile. Elle écrira encore « C’est dans le malheur qu’on sent davantage ce qu’on est ». Oui, Marie-Antoinette c’est la féminité même, mais c’est aussi une femme bienveillante, bonne et simple, qui ne méprisait personne et qui se comportera admirablement à la fin de sa vie…

C’est une mère suffisamment bonne…

Oui, bonne. Mais, il faut rappeler que Marie-Antoinette avant d’être mère -elle attendra 7 ans- était une fille dominée par la sienne, l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse. C’est Nietzsche qui dit que celui qui souffre est une proie facile pour les autres. C’est une enfant en souffrance. Elle sait, quand elle quitte Vienne pour Versailles, qu’elle ne reverra plus ni sa mère ni son pays. Versailles lui offre l’apparence de poupée pomponnée mais on ignore ce qui se passe à l’intérieur d’elle. On la jalouse, elle souffre de la malveillance des courtisans, de l’impuissance de son mari, des moqueries qui s’en suivent. Elle ne se plaint pas. Elle donne le change. Par élégance, pudeur, éducation. Puisque le monde des adultes lui est interdit -son mari ne vient pas lui rendre visite dans sa chambre- elle va donc sortir, jouer comme une enfant à colin-maillard, danser etc. Elle n’est pas d’une nature dépressive, elle est vivante, elle est intrépide donc elle va chercher à se divertir, à s’étourdir au lieu de rester à attendre. Mais il n’y a ni malice ni vice en elle.

Le titre de votre roman fait écho à la phrase de Lamartine parlant de Marie-Antoinette « Elle ne sut que charmer, égarer et mourir ». Pourquoi ce titre ?

J’ai d’abord eu envie d’appeler ce livre « Psychose Marie-Antoinette » car il me semble que nous avons tous un avis sur elle. Marie-Antoinette a fait délirer la France. C’est la première star ! Elle excitera le désir, l’envie, la jalousie, la médisance. Mon titre est un peu sévère mais il lui convient : « Charmer, s’égarer, mourir ». Elle sut charmer, on l’a égarée, et elle a su mourir avec un courage et une dignité extraordinaires. C’est toujours difficile de résumer un être en trois mots, mais ces trois mots lui vont. Ses contemporains étaient éblouis en la voyant – et non des moindres – (Madame de Staël, Lamartine, Burke…) alors qu’elle n’était pas d’une beauté classique ni parfaite, mais c’était une femme très charismatique, égarée dans ce siècle…

Vous dites que Marie-Antoinette n’a pas su vivre mais elle a su mourir avec une dignité impressionnante….

Marie Antoinette s’est trompée sur son époque. Elle n’a pas compris le peuple, le drame sous-jacent qui se préparait. Elle était une orchidée sous serre. Elle arrive à Versailles et elle n’en sort pas. Elle passe de Versailles au petit Trianon à Saint-Cloud. Elle ne connait ni la France ni les français. Elle n’est véritablement confrontée au peuple que lorsque la Révolution est en marche et qu’une foule de femmes réclament du pain devant les grilles de Versailles. Alors c’est vrai que Marie-Antoinette aurait pu manifester le désir de visiter la France, de rencontrer les français mais elle ne pouvait pas être plus royaliste que le roi ! Si le roi ne cherche pas à faire le tour des chaumières, la reine n’a pas le droit à la parole et elle n’a aucun pouvoir politique. Elle n’a pas été élevée pour diriger un pays mais pour donner un héritier à la France. Marie-Antoinette est sous cloche, elle est en dehors du monde et de la réalité. Loin de moi l’idée d’en faire une sainte. Il lui manque la curiosité. Elle s’est laissée embarquée dans le rôle d’une femme de roi de cette époque : se laisser se vêtir, être en représentation, même si cela lui pesait. Marie-Antoinette n’a été elle-même qu’à la fin de sa vie. Dans le silence et dans la solitude. A Versailles, c’était impossible, elle est tout le temps entourée, épiée, espionnée. Comment voulez-vous vous trouver, vous comprendre, être vous-même au milieu des autres ? On pense pour elle, on lui dicte ce qu’elle doit écrire, deux espions envoyés par sa mère la suivent pas à pas. Marie-Antoinette a subi les usages de la cour tout en cherchant à s’en défaire. Elle a renvoyé la sévère « Madame Etiquette », elle a essayé de ne plus porter de corset, d’aller vivre ailleurs qu’à Versailles, plus simplement. Mais c’est le petit Trianon qui lui est offert…

Au début, Marie-Antoinette est une reine à la mode et une reine de la mode. Elle est acclamée par la foule des parisiens aux Tuileries. Ce qui fait dire au Duc de Brissac : « Madame, vous avez 200 000 amoureux ». Elle captive les foules. Elle a un succès fou. Est-ce à cause de son magnétisme, de sa grâce, de son éclat ?

A cause de son statut de reine, elle n’y peut rien, à cause de ces sept années sans enfant, contrairement aux autres reines qui étaient ainsi occupées… à cause d’un roi sans concubine : elle est en première ligne. Dès son arrivée sur le sol strasbourgeois, elle est accueillie avec chaleur et émotion par le peuple français. Elle s’en étonne. Elle arrive en carrosse de Vienne, elle n’a encore rien fait, et les Français l’acclament et l’adulent sans la connaitre. Donc, tout est faux au départ. On l’a aimé sans la connaitre pour de mauvaises raisons, parce qu’elle fait son entrée dans un carrosse doré avec une couronne sur la tête, cela fait rêver, ces mêmes personnes qui l’acclament, la détesteront plus tard, la traiteront d’hydre cruelle, d’ogresse sexuelle, d’agent double, d’espionne autrichienne, de maîtresse de Madame de Lamballe etc. Mais tous ces crimes n’existent que dans l’imagination populaire. On a imaginé tant de choses fausses sur Marie-Antoinette. C’est le drame de la célébrité, des fantasmes. Marie-Antoinette fascine. Trop de regards plein d’envie se portent sur elle. Son physique, sa grâce, sa séduction jouent contre elle. Marie-Antoinette n’a pas la tête de l’emploi. La Cour n’est pas habituée. D’ordinaire les reines sont austères, elles enfantent, sont trompées…

Vous écrivez que Marie-Antoinette sortait, multipliait les escapades nocturnes à partir de 11 heures du soir au moment où Louis XVI se couchait. Vous avez un joli mot pour évoquer ça « Le roi dort, la reine sort »…

Marie-Antoinette aime la vie, elle est jeune, elle n’est pas aussi névrosée que Louis XVI. Celui-ci n’était pas un méchant homme, mais il a un côté bonnet de nuit… Sans compter qu’il présente peut-être une sorte de blocage psychologique : sa mère n’aimait pas les autrichiens. En réalité, c’était la favorite de son grand-père, Madame de Pompadour, qui voulait un mariage avec une autrichienne pour des raisons politiques. On oblige Louis XVI à épouser une ennemie pour le bien de la France et la paix en France. Il est donc sur ses gardes. Il s’agit des deux côtés d’un mariage forcé. Marie-Antoinette dans son carrosse admire le petit portrait très enjolivé du futur mari. Mais une fois en France, c’est un colosse de presque 2 mètres enrhumé et malhabile qui l’accueille. Marie-Antoinette est une enfant spontanée, naturelle. Elle va se promener sur la petite terrasse, parler avec ses amies, boire un bol de lait, manger des fraises, s’asseoir sur le gazon, monter sur un âne, faire du traîneau quand il neige, très vite, son attitude alimente les conversations malveillantes de la cour…

Marie-Antoinette, une femme trop libre, insoumise, insouciante, rebelle, spontanée, désinvolte, inconséquente, espiègle. Qui vit selon son bon plaisir. Et qui paiera cette liberté de sa vie…

Ce n’est sûrement pas elle qui a déclenché la Révolution française ! Le mal était là, sous-jacent. Les excès de louis XIV et Louis XV avaient déjà abîmé la France. Louis XVI et Marie-Antoinette, victimes expiatoires, boucs émissaires, sont tout désignés pour endosser les erreurs de Louis XIV qui a ruiné le pays et de Louis XV qui, entre guerres et plaisirs, a terni l’éclat de la royauté. Marie-Antoinette est tombée au mauvais moment et son manque de jugement n’a fait qu’accroître la colère du peuple, mais elle n’est pas responsable de la Révolution. Marie-Antoinette, native d’un pays ennemi, est une proie facile, sans défense, sans protection, pas même celle de son mari. Aucune épouse de roi n’a jamais été aussi calomniée que Marie-Antoinette. Les ragots les plus invraisemblables courent sur elle et provoquent l’esprit de ses détracteurs.

Hans Axel von Fersen

Et l’irrésistible Axel de Fersen, le comte suédois « beau comme un ange »…

La première fois qu’elle va tomber amoureuse, c’est de Fersen. Est-ce un mal ? La reine était loyale envers le roi. Marie-Antoinette était une femme de devoir. Je suis sûre qu’elle a été fidèle à Louis XVI jusqu’à la naissance de son quatrième enfant. Jusqu’à ces mystérieuses vingt-quatre heures dans la même chambre aux Tuileries… Elle et Fersen n’ont pas pu se rencontrer souvent seul à seul à Versailles. Mais Trianon facilitait l’intimité. Là, Marie-Antoinette pouvait s’isoler. On sait qu’à la cour, Fersen était surnommé « l’amant de la Reine ». D’ailleurs, Marie-Antoinette écrit à son frère Joseph après son quatrième enfant, qu’elle est décidée à ne plus avoir de relation charnelle avec Louis XVI. Comme si elle avait accompli son devoir d’épouse. Envisageait-elle de se garder exclusivement pour Fersen ? Est-ce lui qui a exigé la séparation de corps des époux ? Lui aussi pouvait souffrir de voir la femme qu’il aime toujours enceinte de son mari. A sa sœur Piper, Axel de Fersen confie dans une lettre : «Je ne puis pas être à la seule personne à qui je voudrais être, la seule qui m’aime véritablement, je ne veux être à personne. » Toutes ces questions restent sans réponse car nous ne disposons d’aucune certitude. Sauf que Fersen n’a jamais démenti sa liaison avec Marie-Antoinette devant Bonaparte qui l’accusa assez brutalement « d’avoir couché avec la reine de France. » Devant cette accusation, Fersen se tait. Marie-Antoinette avait conscience de son rôle de reine et elle n’aurait pas eu un enfant adultérin. C’est une âme droite, incapable de mentir et de dissimuler. Mais après le quatrième enfant, elle ne veut plus avoir de relations charnelles avec le roi. Est-ce qu’elle a appartenu à partir de ce moment-là physiquement à Fersen ? On l’ignore. La seule chose que l’on sait, ce sont ses lettres qui prouveraient qu’il y a eu une vraie relation entre eux. Par exemple : « Adieu le plus aimant et le plus aimé des hommes… » La dernière lettre que l’on vient de découvrir « Je vous aime mon amour » laisse à penser que c’était plus qu’une amitié amoureuse. Et puis il y a quand même cette clef de la porte secrète des appartements privés des Tuileries de Marie-Antoinette qu’Axel de Fersen possédait. Il prend tous les risques pour la rejoindre, il arrive aux Tuileries, il ouvre la porte. Là, ils passent vingt-quatre heures ensemble. De cela, on est sûr. Peut-être ont-ils seulement parlé, mais étant donné le caractère et le tempérament de Marie-Antoinette, j’en doute. C’est une femme humaine, vivante, qui aime la vie, je vous l’ai dit, je ne pense pas qu’elle ait pu résister à la plus séduisante des attirances. Elle est folle amoureuse de cet homme et ils savent qu’ils ne se reverront plus jamais sur cette terre après les Tuileries. Et Fersen est un homme extrêmement séduisant. Le testament de Louis XVI, semble donner une réponse à ces interrogations : « Je prie ma femme de pardonner tous les maux qu’elle souffre pour moi, et les chagrins que je pourrais lui avoir donné dans le cours de notre union; comme elle peut être sûre que je ne garde rien contre elle, si elle croyait avoir quelque chose à se reprocher.»

La mort de Fersen est dramatique aussi. Il meurt lapidé et piétiné par la foule le 20 juin 1810. Durant toutes ces années, il demeurera inconsolable, le cœur brisé…

Dix-neuf ans plus tôt, le 20 juin 1791, le jour où Axel de Fersen quitte le carrosse lors de la fuite à Varennes sur l’ordre de Louis XVI, il écrit dans son journal : « J’aurai voulu mourir ce jour-là ». Il mourra exactement le même jour, un 20 juin, mais en 1810… Auparavant, à la mort de Marie-Antoinette, en 1793, Fersen écrit à sa sœur Piper : « J’ai maintenant perdu tout ce que j’avais au monde (…). Elle que j’aimais tant, pour qui j’aurais donné mille fois ma vie, n’existe plus. »

Marie-Antoinette, une femme fatale…

Elle était fatale dans le sens où elle était entourée de fatalité. Le drame et la mort la poursuivent. Cela fait penser au mot de Shakespeare dans Hamlet : « Un ciel si sombre ne pouvait s’éclairer que par un orage. » Le ciel si sombre, c’est la Révolution française…

Vous écrivez que les pamphlets et les libelles finiront par construire un personnage haïssable et crédible de Marie- Antoinette et c’est ce personnage que la foule conduira à l’échafaud. Pensez-vous que Marie-Antoinette meurt de la médisance qu’elle voulait ignorer ?

Marie-Antoinette est morte non de la médisance, mais accompagnée de la médisance. Dans une charrette avec les mains liées dans le dos durant deux heures, le dos brisé, souffrant d’une violente hémorragie, elle est morte sous les insultes de la foule. Entourée de quatre-vingt mille hommes sur le pied de guerre, de canons placés à l’entrée de tous les ponts et de toutes les places, de patrouilles qui sillonnent la ville, et de la foule assoiffée de sang. Elle est seule au monde, elle ne peut plus correspondre avec Fersen. Louis XVI, son mari qu’elle adorait, parce qu’ils étaient devenus frère et sœur, est mort. Sa mère est morte, son frère est mort. Il ne lui reste plus personne. Elle est seule, livrée aux barbares, loin de ses enfants qu’elle n’a pas pu malgré ses supplications serrer une dernière fois dans ses bras. Mais elle va leur montrer comment meurt une reine…

Louis XVI est présenté comme un roi faible alors que c’était un roi qui a reçu une éducation très poussée et qui chose rare dans la royauté, va se cultiver toute sa vie…

Très cultivé, et c’était un honnête homme, au sens noble du terme. Peut-être n’a-t-il voulu concevoir un enfant avec son épouse que lorsqu’il a ressenti de l’amour pour elle. Il ne veut pas d’une personne imposée par l’Etat et par son grand-père Louis XV, un libertin…

Finalement Marie-Antoinette est la seule reine de France dont l’époux est un mari fidèle, un roi amoureux de sa femme. Louis XVI n’a pas de favorites. Seulement ce privilège va vite tourner au désavantage. Car les maîtresses des rois ont toujours servi de paratonnerre, elles attiraient les foudres de la cour, elles déchaînaient contre elles l’ire du peuple. Là, Marie-Antoinette est en première ligne. Elle devient la cible idéale…

Tous les rois auparavant avaient toujours eu des concubines, Louis XVI, c’est le seul qui n’en a pas. C’est le problème : Marie-Antoinette va être traitée en concubine, elle est en première ligne face à la méchanceté. Elle écope de la haine et de la jalousie qui leurs étaient jadis réservées. Elle est excentrique, distrayante, dissipée, séduisante, ce que les reines ne se permettaient pas. Epouse d’un mari fidèle, elle est moquée – pas d’enfants pendant 7 ans- et enviée. Elle n’a même pas à se plaindre. Comble de l’indécence, c’est Marie-Antoinette qui aurait un favori. Elle renverse les rôles, déstabilise tout le monde…

Vous avez visité ses appartements à Versailles, vous dites pourtant que son appartement reflète celui d’une femme seule, que Marie-Antoinette n’avait personne à aimer à part elle-même. Etait-elle une femme affective ?

Oui, elle avait besoin d’affection. Elle avait besoin d’aimer et on va le lui reprocher. Elle avait besoin d’amitiés sincères. Elle préférait les femmes de cœur aux femmes d’esprit. Elle disait « Jamais pédante ne serait mon amie ». Elle a aimé ses amies, La Polignac, Lamballe. Elle aimait parler avec elles sur un pied d’égalité « en particulier ». Elle pouvait se laisser aller à des confidences en leur présence. Elle avait besoin de cette relation-là. Elle aimait aussi Madame Campan, elle a pleuré dans ses bras au moment où sa belle-sœur a eu un bébé alors que le roi ne lui en donnait pas. Quand enfin le roi se « décidera », elle adorera ses enfants.

Marie-Antoinette a touché votre cœur ?

Il faudrait avoir un cœur de pierre pour ne pas être touchée par elle…

L’actrice Kirsten Dunst dans le film  » Marie-Antoinette » de Sofia Coppola

Dans le très esthétisant film «Marie-Antoinette » de Sofia Coppola, la réalisatrice insiste sur la non-consommation du mariage. A l’époque, toute l’Europe fait des gorges chaudes des déboires conjugaux de Marie-Antoinette et de Louis XVI…

Je consacre un chapitre de mon livre au « Lit affaire d’Etat ». J’analyse l’embrasement de toute l’Europe parce que le roi ne couche pas avec sa femme. Pourquoi cette fièvre ? Parce que tout le monde s’inquiète. Marie-Thérèse, la mère de Marie-Antoinette, alarmée par la nouvelle de la non-consommation du mariage, est affolée. Elle appréhende le pire, persuadée que sa fille va être répudiée si les choses ne s’arrangent pas. Elle a peur que son contrat de paix avec la France ne prenne fin. Il faut absolument sauver cette alliance. L’impératrice conseille donc à sa fille pour éveiller le corps du roi « Caresses et cajolis ». Elle envoie ses médecins. Louis XV envoie ses médecins aussi. Louis XV ausculte lui-même son petit-fils pour voir pourquoi cela ne fonctionne pas. Le pauvre Louis XVI passe son temps à se justifier, à expliquer, à reconstituer la scène lorsqu’il se trouve dans le lit conjugal. Marie-Antoine est épousée pour donner un héritier à la France. Et Marie-Antoinette ne porte toujours pas d’enfant. L’humiliante situation va durer sept ans. Celui qui, semble-t-il, va résoudre le problème en 1777, c’est Joseph II, le frère de Marie-Antoinette qui adore sa sœur. Il vient en France, et va expliquer « à ces deux nigauds » comme il l’écrit à l’impératrice Marie-Thérèse, comment il faut s’y prendre. Quand Joseph II repart après avoir conseillé les deux tourtereaux, très vite Marie-Antoinette écrit à sa mère qu’elle est la plus heureuse du monde, parce qu’elle attend un enfant. Et Louis XVI, et c’est assez bêta, va voir ses tantes en s’exclamant « j’ai beaucoup aimé le plaisir » ! L’affaire a réussi, il en redemande et ils auront ensemble quatre enfants.

Dont le cadet, le Dauphin, le futur Louis XVII, le « chou d’amour » comme l’appelait Marie-Antoinette, dont une légende raconte qu’on l’a aidé à s’enfuir du Temple…

Malheureusement, cette légende est fausse. Le Dauphin va bien mourir au Temple dans des conditions abominables, privé de soin, de nourriture, enfermé dans un cachot, on le laissera mourir. Beaucoup d’histoires ont été raconté sur le Dauphin. On voudrait toujours que les innocents survivent à la barbarie. Ce ne sont que des légendes … Les autrichiens n’ont rien fait pour le sauver. Si l’impératrice Marie-Thérèse avait été vivante, les choses se seraient peut-être passées autrement. La seule qui échappera à la mort, c’est la fille de Marie-Antoinette.

Venons-en au soulier de la reine. L’histoire – enfin les gazettes de l’époque – raconte qu’au moment de monter les marches de l’échafaud, Marie-Antoinette perd son soulier. Elle perd un peu l’équilibre, bouscule le pied du bourreau, s’excuse auprès de lui en lui disant qu’elle « ne l’a pas fait exprès ». C’est un magnifique acte manqué. Pour Bruno Bettelheim, le soulier symbolise la féminité (le soulier comme réceptacle). Marie-Antoinette cherche-t-elle inconsciemment à séduire son bourreau, « en lui faisant du pied » ?

A midi et quart, Marie-Antoinette monte les marches qui mènent à l’échafaud « avec légèreté et promptitude » selon les échotiers de l’époque. Marie-Antoinette est empressée de vivre comme elle est empressée de mourir. Elle a tellement souffert qu’elle veut en finir. En abandonnant une chaussure, exhibe-t-elle inconsciemment un pied nu en signe de liberté ? Est-ce un pied de nez à ses bourreaux ? Ou un message de détresse d’une femme qui n’a pas « trouvé chaussure à son pied » ? Franchement je ne le crois pas. J’ai voulu consacrer tout un chapitre au soulier parce qu’il symbolise la féminité mais aussi sa grandeur et sa décadence. Ce soulier de prunelle fait des matériaux les plus précieux, fait pour danser sur les parquets de Versailles, pour traverser avec grâce la galerie des Glaces, se retrouve dans une flaque de sang sur l’échafaud. Cela résume de façon assez symbolique la vie de Marie-Antoinette. Cette vie qui commence comme un conte de fées : Il était une fois une princesse qui arrive dans son carrosse doré du palais de Vienne pour se rendre au palais de Versailles, et finit comme un cauchemar. La princesse se retrouve en haillons dans une charrette, les mains liées. Il ne lui reste de beau que ses souliers, on lui a tout pris, ses robes, la petite chevalière à l’intérieur de laquelle étaient gravées les armes de Fersen et ces mots « Tutto a te mi guida » (tout me conduit vers toi), la montre de son enfance. Elle porte une robe tachée de sang et elle monte sur l’échafaud avec ses petits souliers, de taille 36 et demi, brodés dans une étoffe précieuse. Elle glisse probablement dans son empressement à mourir et perd un soulier. Un assistant du bourreau Samson va le ramasser immédiatement, revendre la relique pour un louis à un royaliste, le comte de Guernon-Ranville.

On pourrait encore avancer une autre interprétation : en perdant son soulier, Marie-Antoinette perd sa féminité. Cela signifie que sa féminité ne meurt pas avec elle… La mort ne lui a pas volé sa féminité, elle a réussi à la protéger de l’échafaud. C’est peut-être pour cette raison que bien des siècles plus tard, Marie-Antoinette est toujours aussi fascinante, incandescente. Sa féminité irradie encore…

Je n’en suis pas sûre… Marie-Antoinette avait de très jolis pieds. Les pieds sont encore plus féminins que l’enveloppe, que la chaussure. Certains gazetiers de l’époque, dont la décapitation de la reine n’avait pas suffi à étancher la haine, se répandent encore en commentaires malveillants, allant jusqu’à dire que Marie-Antoinette en perdant sa chaussure, faisait l’intéressante. « La coquine a eu la fermeté d’aller à l’échafaud sans broncher. » Ses détracteurs ne cesseront jamais de l’accabler…

Finalement, vous avez écrit ce livre bouleversant, déchirant sur Marie-Antoinette pour lui redonner vie ?

Oui, on n’écrit que pour ressusciter les morts… mais tributaire de l’histoire. Il est difficile pour une romancière de se soumettre à l’histoire. L’histoire est là. J’ai apposé le point final très émue, dans un état comparable à celui qui était le mien quand j’ai fini « L’âme sœur ». Impuissante, plus démiurge du tout. Je n’ai pas pu changer le destin de Marie-Antoinette… ni celui de ma petite sœur. Je reviens au roman !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

le-sens-critique

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *