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Denis Aurousse

« Il y a eu dans l’Histoire des belles-mères bienveillantes »

Denis Aurousse

Votre belle-mère vous excède ? Vous endurez ses critiques, son hostilité ou son mépris depuis des lustres ? Elle occupe une place exagérée au sein de votre couple ? Votre tendre époux s’entête à vous désavouer devant elle pour ne pas la contrarier ? Rassurez-vous, vous n’êtes pas la seule dans ce cas, les belles-filles bafouées sont légions ! Et certaines belles-mères célèbres de l’Histoire relégueraient même au rang de bluette vos relations conflictuelles… En effet, la grande Histoire regorge de belles-mères cruelles, écrasantes, étouffantes, démoniaques, hargneuses, persécutrices, des « machines de guerre » qui s’acharnent inlassablement sur leurs belles-filles ou leur beaux fils. Les pauvres brus ou gendres échouant tout naturellement à calmer l’ire de ces créatures dominatrices. Retenez bien votre souffle, voici une succulente et inoubliable galerie de portraits des belles-mères les plus croustillantes de l’Histoire. L’ouvrage Les Belles-mères de l’Histoire. Des siècles d’amour et de haine, paru aux éditions Jourdan, est de Denis Aurousse, un passionné d’histoire, polytechnicien et ingénieur dans l’aménagement urbain. Son livre est si formidable qu’une fois la couverture refermée, on émerge enivré de ce manège de mariages, ce festival d’amour et de haine, avec une seule envie : se précipiter à la librairie pour acheter un nouvel exemplaire et l’offrir sur-le-champ à sa belle-mère ! Cadeau idéal, livre de chevet que toute belle-mère se devrait de posséder (!), ces Belles-mères de l’Histoire recèlent bien des vertus apaisantes. Véritable baume à adoucir les tensions, à relativiser les griefs, à calmer les conflits, ce livre passionnant et divertissant présente des vertus pédagogiques indéniables puisqu’il permet de faire entendre à toute belle-fille moderne que si sa belle-mère n’est pas parfaite, c’est loin d’être la pire ! Sous la plume légère et talentueuse de Denis Aurousse, on découvre que depuis toujours les belles-mères souffrent d’une image négative. A raison pour certaines qui furent tout simplement odieuses comme la princesse Palatine, jugeant, jaugeant, décrivant sa belle-fille la duchesse d’Orléans, à la manière de Saint-Simon : « Ma belle-fille est une désagréable et méchante créature (…) Son arrogance et sa mauvaise humeur sont insupportables, et sa figure est parfaitement déplaisante. Elle ressemble, sauf votre respect, à un cul comme deux gouttes d’eau : elle est toute bistournée; avec cela une affreuse prononciation comme si elle avait toujours la bouche pleine de bouillie, et une tête qui branle sans cesse. Voilà le beau cadeau que la vieille ordure (Madame de Maintenon) nous a fait » Sic ! A l’évidence, ces propos déplaisants montrent que les motifs de mécontentement règnent des deux côtés ! Pour en finir avec cette guerre perpétuelle, avec ce procès intenté aux belles-mères, rien de tel qu’une joyeuse immersion dans les couloirs et boudoirs de l’Histoire, là où s’est joué l’avenir de la France, urbi et orbi. Bienvenue chez Les Belles-mères de l’Histoire. Un livre à lire et à faire lire !

Pourquoi écrire un livre sur les belles-mères ? Avez-vous souffert de la vôtre ?

Je me suis aperçu que c’était un sujet assez peu traité sur le plan historique. Bien sûr, on trouve toutes sortes de livres sur les rapports mères-filles ou mères-fils mais très peu de livres historiques envisagent la relation sous l’angle des belles-mères, de leurs gendres et de leurs brus. On ne dénombre que quelques essais sur ce sujet, souvent traités sous un éclairage psychanalytique, comme celui d’Aldo Naouri : Les belles-mères, les beaux-pères, leurs brus et leur gendres. Quant à ma belle-mère, j’avais de bons rapports avec elle ! Disons que j’ai pris le parti de ne m’intéresser qu’aux belles-mères historiques et non aux belles-mères actuelles, me cantonnant aux mères des conjoints de l’Histoire de France ou parfois d’ailleurs, et non aux nouvelles femmes du père, la fameuse marâtre des contes de fées.

A quand remonte l’appellation de belle-mère ?

Il est l’héritage d’un usage médiéval. Le mot « belle-mère » date du XVème siècle. Au Moyen Age « beau » s’employait comme un terme d’affection et de respect. On parlait ainsi d’un beau et doux ami. C’est d’ailleurs ce sens que l’on retrouvera plus tard dans le titre du roman de Maupassant Bel-Ami. Le mot de beau-frère est né le premier, et l’usage s’est étendu ensuite aux autres membres de la famille : belle-sœur, belle-mère, beau-père.

Rôle négligé dans l’historiographie foisonnante des rapports familiaux, les belles-mères n’ont pas bonne presse dans l’imagerie populaire. Souvent caricaturées, toujours critiquées (qualifiées d’intrusives, d’invasives, d’envahissantes, de super-protectrices, de dominatrices, de castratrices, de manipulatrices etc.) elles semblent accumuler tous les défauts. Comment expliquer cette mauvaise réputation ?

Peut-être parce que le gendre ou la bru, ce nouvel arrivant dans la famille, va « voler » l’enfant de la mère et donc déranger la relation fusionnelle mère-fils ou mère-fille, ce qui va engendrer inévitablement rivalités et frictions. D’ailleurs, c’était souvent une guerre aux siècles derniers où belles-mères et belles-filles cohabitaient ensemble dans le même foyer. Mais gardons-nous de généraliser, il y a eu aussi dans l’Histoire des belles-mères bienveillantes, aimantes qui ont aidé leur gendre, leur bru, qui leur ont appris une foule de choses, qui ont été des initiatrices, de judicieuses conseillères pour leurs belles-filles, qui leur ont permis de trouver leur place dans la famille royale.

La Duchesse d’Orléans, belle-fille de la princesse Palatine

On dit souvent que le pire défaut d’un mari, c’est sa mère ! Notre belle-mère est-elle notre meilleure ennemie ?

Pas toujours ! Par exemple Louise de Belgique qui avait fait un mariage un peu contre son gré, affirmait que la seule qualité de son mari, c’était sa mère ! Comme quoi, il y a des exceptions !

Freud affirme que l’on épouse toujours sa mère. Ce qui incline à penser que certaines belles-filles ressemblent malgré tout à leurs belles-mères, ou tout au moins présentent des similitudes avec elles. Existe-t-il dans l’Histoire des exemples de ces belles-filles ?

En effet, il peut y avoir des substitutions car la belle-fille prend parfois la place de la mère. Elle devient une deuxième maman pour son mari. Mais peut-être épouse-t-on toujours sa mère quand on fait ce choix d’une manière indépendante et volontaire comme c’est le cas actuellement, mais dans beaucoup de mariages historiques, dans les familles royales ou nobles, il s’agissait plutôt de mariages arrangés. On ne choisissait pas son futur conjoint selon son inclination mais en fonction d’intérêts économiques ou politiques.

Claude Levi-Strauss rapporte que la loi de l’espèce, c’est l’échange des femmes. Pendant des millénaires de civilisation, votre compagnon était celui qui vous préservait du rapport à votre mère. « Je ne suis plus ta fille, je suis sa femme » : telle était, en substance, la loi du mariage. La Bible dit, à peu près, la même chose : « Tu quitteras tes parents pour fonder ta propre famille ». Le couple se forme donc pour mettre à l’écart la mère…

Mettre à l’écart la mère, en quelque sorte « liquider » sa relation fusionnelle avec sa mère, c’est effectivement salutaire pour un fils afin de ne pas parasiter son mariage et de courir à la catastrophe quand la belle-mère occupe une place exagérée au sein du couple, mais cela ne veut pas dire qu’il faille l’isoler complètement. Certes, la belle-mère ne doit pas diriger le foyer, envahir le territoire de sa belle-fille ou lui disputer sa place, comme le faisait par exemple Blanche de Castille. Sans doute celle qui était surnommée « la Reine magnifique » refusait-elle d’être détrônée dans le cœur de son fils par sa belle-fille Marguerite de Provence. En tout cas, Blanche de Castille s’ingéniait à décider de tout et cherchait même à contrôler la vie intime du Roi, son fils Louis IX. Par exemple, elle obligeait Saint Louis et sa femme Marguerite de Provence à faire chambres séparées et trouvait tous les prétextes pour entrer inopinément dans la chambre de son fils. Comme Blanche de Castille avait la réputation de se promener dans les couloirs du château de Pontoise pour surveiller les jeunes époux, le couple avait dressé un petit chien à aboyer lorsque celui-ci détectait la présence de la Reine-mère près de leur chambre. Ce qui leur évitait d’être surpris ensemble ! Dès que la Reine-Mère arrivait, le chien aboyait, les serviteurs tapaient sur la porte pour prévenir Saint Louis qui s’enfuyait dans sa propre chambre à l’étage supérieur par un escalier dérobé ! Il faut tout de même préciser, à la décharge de Blanche de Castille, qu’ avant le XVIIIème siècle, la notion d’intimité n’existait pas. Il n’y avait pas d’appartements privés, aussi bien chez le peuple que dans la bourgeoisie ou l’aristocratie, tous vivaient souvent dans une même pièce, dans une promiscuité voulue, sauf peut-être dans les châteaux royaux…

Blanche de Castille, belle-mère de Marguerite de Provence et mère de Saint Louis

Saint Louis était-il trop faible ?

Disons qu’à l’époque, on témoignait un grand respect envers ses parents et envers toute la lignée. Cela dit, la surveillance intempestive de Blanche de Castille n’a pas empêché le couple d’avoir onze enfants ! Il faut ajouter aussi que lorsque Saint Louis est parti en Croisade, son épouse Marguerite de Valois, même enceinte, s’est empressée de l’accompagner plutôt que de rester seule avec sa belle-mère !

Existe-t-il dans l’Histoire de France des belles-mères bienveillantes, admirables, idéales, qui n’ont pas besoin de dominer, et qui accueillent avec joie leur bru ou leur gendre ? Qui acceptent que leur fils devenu un homme aime une autre femme, bref des belles-mères qui ne sont pas dans la rivalité ?

Bien sûr ! C’est le cas de Yolande d’Aragon (la mère de Marie d’Anjou) qui se révèle très bienveillante envers son gendre, Charles VII. Charles VII est pourtant dans une position peu envieuse. Il a été rejeté par sa mère, qui a décidé qu’il n’accéderait pas au trône de France (sa mère Isabeau de Bavière préférant son gendre le roi d’Angleterre Henri V). Son fils s’en trouve tout désemparé et c’est sa belle-mère qui va le prendre en charge, l’encourager, le conseiller à ses débuts, elle va même lui donner sa formation de futur roi. C’est  elle qui va le faire connaitre partout, qui va lui faire visiter le royaume. Finalement, c’est grâce à elle qu’il a pu s’imposer. C’est encore Yolande d’Aragon qui va découvrir Jeanne d’Arc et pressentir tout le potentiel que l’on peut tirer de cette jeune fille. C’est enfin elle qui va organiser la rencontre de Chinon entre la Pucelle et Charles VII. Bien sûr, Yolande d’Aragon, dans son soutien indéfectible, n’oublie pas ses propres intérêts mais elle a toujours eu une véritable affection pour Charles VII. De plus, elle se révèle très tolérante parce qu’elle a tout de suite accepté que son beau-fils ait des maîtresses. Dont la célèbre Agnès Sorel qui avait vingt ans de moins que Charles VII, qui devient pour la première fois de l’Histoire de France, la maîtresse officielle du Roi, et à qui Charles VII va offrir un domaine à Beauté-sur-Marne. Agnès Sorel reçoit alors le titre officiel de Dame de Beauté.

Si les belles-mères ont des comportements parfois si intrusifs et tyranniques, n’est-ce pas la faute de leurs fils trop faibles ? Ce sont eux qui ont du mal à se détacher d’elles, à couper le cordon ombilical, ce qui entraîne inévitablement une rivalité entre les deux femmes aimées. Inconsciemment le fils se laisse infantiliser, il refuse de devenir adulte, et laisse les pleins pouvoirs à sa mère… Le rôle du mari n’est-il pas de soutenir et de rassurer sa femme, en lui montrant qu’elle reste la première dans son cœur, que son avis compte davantage que celui de sa mère. Afin que chacun trouve sa place dans la famille, et que la Belle-mère ne devienne pas un véritable obstacle au bonheur du couple ?

C’est vrai que certains maris faibles ne savaient pas trancher entre leur mère et leur femme. Zola n’était pas toujours très affirmé, il n’osait pas s’opposer à sa mère, il restait soumis à son autorité. Quant à Madame Zola, elle qui rêvait d’une épouse exemplaire pour son fils chéri, souhaitait un autre parti pour lui. Elle espérait une bru qui vienne d’un milieu bourgeois alors qu’Alexandrine venait d’un milieu très simple, elle avait fait tous les métiers, et elle avait déjà eu un enfant placé à l’assistance publique avant d’épouser Emile Zola. Pour Madame Zola, ce mariage était une mésalliance… De la même façon, le futur Edouard VII n’a jamais su couper le cordon ombilical avec sa mère, la Reine Victoria. Mais, comme il était assez avisé, il savait donner le change. Sans s’opposer formellement à sa mère, il contournait l’obstacle. Par exemple, la Reine Victoria tenait absolument à être présente à la naissance de chacun de ses petits-enfants. Edouard VII, dit Bertie, ne s’y est jamais opposé pour ne pas froisser sa mère, mais comme par hasard, il s’est toujours trompé dans les dates. Ce qui fait que la Reine n’était jamais là au bon moment… Pareil pour les prénoms de leur premier enfant, le couple s’est dépêché de le choisir avant que la Reine Victoria n’y mette son grain de sel. Une façon comme une autre de lui résister tout en douceur …

La Reine Victoria, mère d’Edouard VII et belle-mère d’Alexandra de Danemark

Existe-t-il des maris célèbres ou des rois dans l’Histoire qui se vengent sur leurs épouses en les trompant, des humiliations maternelles qu’ils ont subies d’une mère toute-puissante et castratrice ?

Très certainement ! Mais, il faut voir aussi qu’à une certaine époque, on faisait un mariage de raison, organisé par les parents, dont la finalité était « d’assurer la conservation et la transmission d’un patrimoine » parce que cela correspondait à une famille, que le lignage était plus important que l’individu, et que l’amour et les galipettes n’entraient pas forcément en ligne de compte !

Comme le dit très justement Luc Ferry dans « L’homme-Dieu ou le Sens de la vie », jadis, on ne fondait pas le mariage sur l’amour – ce qui était une bonne chose, ajoute-t-il , puisque les sentiments ne sont pas toujours durables, que l’amour s’éteint, qu’il existe une usure du désir – on le fondait sur des intérêts nobiliaires, économiques ou financiers… « Si le sentiment seul unit les êtres, il peut à lui seul aussi les désunir » remarque-t-il. C’est sans doute pour cette raison qu’il y a autant de divorces aujourd’hui, parce que dès qu’il n’y a plus d’amour, le couple ne voit pas pourquoi il prolongerait cette union, et le mariage perd sa raison d’être…

Sans doute !

On critique beaucoup les belles-mères, mais on oublie que passer du rang de mère à celui de belle-mère n’est pas chose aisée. Il faut quitter un statut bien agréable, celui de mère qui chérit ses enfants et accepter l’absence prolongée des enfants et la solitude. On oublie aussi que c’est à ces mêmes belles-mères que les jeunes couples confient durant les vacances ou la semaine la tâche de garder leurs petits-enfants…

Ce phénomène concerne les mères actuelles ! L’ironie de la chose, c’est de constater que dans l’imaginaire populaire, la belle-mère représente une femme abominable, dotée de tous les défauts. C’est pourtant la même qui se métamorphose en grand-mère adorable, en mamie-gâteaux qui s’occupe merveilleusement de ses petits-enfants ! Pourtant, il s’agit bien de la même personne !

Peut-être est-ce juste parce que la belle-mère change de nom, qu’elle change de statut, de rôle et d’image ! Elle passe de belle-mère à grand-mère ! Le fait de s’occuper de la petite-enfance la rend inoffensive, et annihile les pouvoirs et les menaces qu’elle peut faire peser sur sa belle-fille…

Peut-être ! Mais je ne peux pas vous répondre, je ne suis pas psychanalyste !

Lucile et Camille Desmoulins

Pour quelle belle-mère de l’Histoire avez-vous le plus d’affection ?

Il y a beaucoup de femmes admirables ! Parmi elles, la belle-mère de Camille Desmoulins. Tout jeune avocat, Camille Desmoulins se promenait souvent au Jardin du Luxembourg. Il rêvait le long des allées ombragées, et rencontrait parfois une jeune femme très gracieuse, Madame Duplessis, qui fréquentait assidûment le parc en compagnie de ses deux petites-filles, Adèle et Lucile. Camille était charmé par la beauté de Madame Duplessis. En jeune poète qu’il était, il lui récitait des vers qu’il avait composés pour elle, ce qui plaisait à la jeune femme, qui considérait son trouble avec amusement. Quelques années plus tard, alors que le vent de la Révolution commence à souffler et que Camille en devient l’ardent défenseur, celui-ci songe à se marier. Comme si le destin se pliait à sa volonté, il revoit par hasard au Jardin du Luxembourg, la petite Lucile qui est devenue une belle jeune fille. Il la reconnait et veut aussitôt l’épouser. Mais Madame Duplessis trouve que sa fille est trop jeune pour se marier, sans compter que Camille Desmoulins n’a pas beaucoup de revenus. Elle le repousse gentiment car elle trouve ce jeune homme toujours aussi sympathique. Il revient à la charge quelques mois plus tard, fort de sa toute nouvelle notoriété due à ses pamphlets qui s’arrachent à Paris. Lucile, de son côté, est très éprise de son beau poète. Monsieur Duplessis finit par se dire que par les temps qui courent, il serait peut-être bon d’avoir un gendre qui a peut-être un bel avenir dans la politique. Le mariage se fait. Robespierre, Saint Just, tous sont là pour célébrer la noce. Le couple est heureux en ménage, il a même un enfant. Mais la Révolution gronde et Camille Desmoulins est accusé de trahison par Hébert. Il est condamné à mort. Le dernier geste de Camille Desmoulins sera pour sa belle-mère. Juste avant son exécution, Camille tend au bourreau, le fameux Sanson, un médaillon qu’il portait sur lui et qui contenait une mèche de cheveux de sa chère Lucile. Il demande au bourreau de la remettre à sa belle-mère. Sanson accepte. On raconte que Sanson fut bouleversé par la détresse des beaux-parents de Camille, au point qu’il confiera que jamais il n’avait autant souffert que ce jour-là… Sans doute savait-il aussi qu’il devait bientôt couper la tête de la belle Lucie, arrêtée depuis peu.

La romancière George Sand aussi a été une belle-mère idéale pour Lina, sa belle-fille, au point que cette dernière écrira : « J’ai bien plus épousé Georges Sand que Maurice et je me suis mariée avec lui parce que je l’adorais elle… » Ce qui ne manque pas de piquant !

Maurice avait du mal à affirmer sa personnalité, d’ailleurs ce n’est pas lui qui a choisi Lina, c’est George Sand. Maurice vivait dans l’ombre de sa mère. George Sand était beaucoup plus protectrice dans sa vie familiale que dans sa vie sociale où elle était assez libérée.

Manifestement, Madeleine Béjart fut une belle-mère pour le moins conciliante puisque de maîtresse de Molière, elle laissa sa place à sa fille Armande Béjart, qui prit le relais et épousa Molière…

Les historiens s’accordent à dire qu’Armande était bien la fille de Madeleine et non pas sa sœur comme on l’a d’abord cru. Bien sûr, Madeleine Béjart a été surprise que son amant veuille épouser sa fille mais, bon gré mal gré, elle a fini par accepter leur relation. Dans le même genre, on a aussi Adolphe Thiers, qui a épousé Elise, la fille de sa maîtresse, Madame Dosne. Jeune, Adolphe Thiers était souvent invité à la table familiale des Dosne, ceux-ci ayant décidé de prendre le jeune homme sous leur aile. Monsieur est un riche magnat de l’immobilier. Madame tient salon et occasionnellement boudoir avec Adolphe Thiers. Finalement, leur fille Elise a 16 ans lorsqu’elle épouse Adolphe Thiers qui en a 36. Il est alors ministre de l’Intérieur. Madame Dosne est ravie de ce mariage, elle estime qu’Adolphe Thiers est le gendre idéal. Sa gloire grandit peu à peu et Adolphe Thiers ne se déplace jamais sans sa femme, sa belle-mère et sa belle-sœur, ces trois femmes, qu’il appelle « ces dames ». On raconte même qu’il est devenu l’amant de sa belle- sœur…. Certains disaient aussi que madame Dosne pouvait être considérée comme la personne la plus puissante de France puisqu’elle gouvernait Thiers qui lui-même gouvernait la France ! Lorsque sa belle-mère, qui était pour lui une confidente, une conseillère, et une amie, meurt, Thiers très affecté par sa mort, déclare : « Je ne vis plus, je ne peux plus vivre »… Thiers semblait plus proche de sa belle-mère que de sa propre épouse. Malheureusement, Madame Dosne est morte trop tôt pour voir son cher gendre devenir le premier Président de la Troisième République.

Madame Dosne, belle-mère d’Adolphe Thiers

Il y a un bel exemple de belle-mère persécutrice dans l’Histoire, c’est celui de Madame de Montreuil, la belle-mère de Sade…

Madame de Montreuil avait quand même quelques raisons car Sade n’était pas vraiment le gendre idéal ! Mais c’est vrai qu’elle l’a poursuivi toute sa vie, sans jamais désarmer ! Pourtant, tout avait bien commencé. En 1763, Sade épouse Renée Pélagie de Montreuil. Joueur, libertin, le marquis a su conquérir le cœur de sa belle épouse. Mais très vite, Sade est condamné pour libertinage, sacrilège, puis empoisonnement. Il va de procès en procès. Sade fuit le château de sa belle-mère où il était tenu à résidence. Furieuse, sa belle-mère réussit à faire arrêter Sade en Italie où il venait de s’enfuir en emmenant sa fille cadette Anne, qui bien que chanoinesse, n’avait pas su résister à l’attrait du marquis. Anne le suit de son plein gré alors que son épouse légitime se morfond au château des Montreuil. Madame de Montreuil mande le roi de Sardaigne et le supplie de lancer sa police aux trousses du polisson. Sade est emprisonné en Savoie. Mais il parvient à s’échapper avec l’aide de son épouse Renée Pélagie, qui fera preuve toute sa vie d’un soutien indéfectible envers lui. Sade se réfugie dans son château de Lacoste en Provence. Nouveau scandale. La police perquisitionne le château mais Sade échappe à ses poursuivants puis finit par être arrêté à Paris le 13 février 1777. Il restera onze ans à la prison de la Bastille où il passera son temps à écrire son oeuvre. On le retrouve en juillet 1789 à la fenêtre de la Bastille à exhorter la foule à venir le délivrer. On le transfère le 4 juillet à la prison de Charenton réservée aux malades mentaux. Il devra attendre 1790, et la Constituante qui abolit les lettres de cachet du Roi, pour sortir de Charenton. Mais entre-temps, son épouse s’est retirée dans un couvent, et sa belle-mère s’est un peu calmée…

Jules Renard fait un terrible portrait de sa mère, Madame Renard, dans son roman « Poil de Carotte ». Celle qui fut la belle-mère de Marie Morneau, dite Marinette, l’épouse de Jules Renard, était insupportable avec sa belle-fille…

Déjà comme mère, Madame Renard était assez épouvantable, mais comme belle-mère, elle s’est surpassée ! Jalouse du bonheur de sa belle-fille, elle ne pouvait s’empêcher de la houspiller, de l’humilier, de multiplier les vexations quotidiennes, de distiller des petites phrases blessantes à son encontre, bref de l’asticoter. Ce qui agaçait prodigieusement Jules Renard qui aimait tendrement sa femme. Pour se venger de cette attitude, il épinglera ses travers dans un odieux portrait, celui de Madame Lepic, qu’il offrira à la postérité dans « Poil de carotte » !

Pour conclure, pouvez-vous nous raconter l’incroyable histoire de Madame Japy, la belle-mère de Madame Steinheil, laquelle fut connue pour avoir été la dernière maîtresse du Président Félix Faure…

Madame Steinheil en effet est très célèbre. C’est dans ses bras que meurt Félix Faure. Cette jeune femme était une demi-mondaine. Elle avait épousé un peintre qui se satisfaisait de cette situation parce que grâce à sa femme, il obtenait des commandes de tableaux, alors qu’il n’était pas un grand nom de la peinture. La mère de Madame Steinheil qui n’habitait pas avec sa belle-fille et son fils, était venue leur rendre visite pour quelques jours. Elle aurait dû, du reste, repartir mais avait finalement prolongé son séjour d’une nuit chez eux. Nuit qui lui fut fatale puisque le lendemain, on retrouva le mari égorgé, la belle-mère sans vie et madame Steinheil vivante mais attachée à un fauteuil. Madame Steinheil a affirmé que c’était des bandits qui étaient venus pour les voler, mais rien n’avait été dérobé. Sans compter que la police se demandait pourquoi les voleurs auraient pris la peine de tuer deux personnes et d’en épargner une troisième. Finalement, la véritable explication tient en peu de mots. Ce serait l’un des amants de Madame Steinheil, un Prince russe, qui aurait fait irruption chez elle, aurait fait un scandale, se serait battu avec le mari, l’aurait tué. La belle-mère débarquant et voyant son fils mourir, en aurait avalé son dentier. Elle étouffe et meurt sur place. Madame Steinheil, ne sachant que faire dans cette situation, appelle la police. Comme la France était très liée avec la Russie et qu’on voulait protéger les relations diplomatiques entre la France et le Prince russe, la police met en scène le crime et attache Madame Steinheil pour faire croire à des voleurs ! D’ailleurs, plus tard, il y aura un procès et bien évidemment Madame Steinheil sera acquittée…

Votre style est vif, léger, alerte, plein d’humour et très agréable à lire. Vous avez su croquer en peu de mots les traits les plus piquants de ces histoires de Belles-mères. .. On devine que vous connaissez parfaitement votre sujet. Le travail de recherche bibliographique a-t-il été important ?

Grâce à Internet, j’ai pu avoir accès à des livres anciens sur le site Gallica, le site de la BNF. J’ai consulté des écrits, des témoignages, des mémoires, des écrits de certaines belles-mères au XVIIIème siècle. Par exemple, l’épouse de La Fayette a écrit une histoire de sa mère. C’est passionnant car on découvre les relations entre Lafayette et sa belle-mère. D’ailleurs, on pourrait classer la duchesse d’Ayen, la belle-mère de Lafayette parmi les belles-mères les plus sympathiques de l’Histoire ! Ils se sont connus très jeunes, Lafayette était orphelin et c’est elle qui l’a poussé dans le monde, qui a parfait son éducation. Lors de leur rencontre, dès le premier jour, elle a deviné sa valeur, et l’a tendrement aimé.

A peine le livre refermé (à regret…), on n’a qu’une seule envie, l’ouvrir à nouveau pour prolonger cette délicieuse promenade avec vous à travers les siècles. A quand un nouvel opus sur les beaux-pères, ces grands absents des études historiques sur les rapports familiaux ?

C’est un sujet intéressant certes, mais peut-être moins croustillant que les belles-mères ! Enfin, on verra !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

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