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Franck Magnier : « On doit rire de tout ! »

Le scénariste et réalisateur Franck Magnier

« Faire rire, c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre qu’un distributeur d’oubli ! » remarquait Victor Hugo. A ce titre, Franck Magnier est un bienfaiteur de l’humanité ! Une carrière jalonnée de succès et d’éclats de rire homériques. C’est lui, l’écrivain vedette des Guignols de l’info. Durant six ans, de 1994 à 2000, il nous régale de ses saillies et de son humour vitaminé. Chaque soir, sur Canal +, on salue la gouaille de celui qui n’a de cesse de moquer les politiques et les puissants. On se souvient encore du « mulot » de Jacques Chirac (nom donné à la souris de l’ordinateur !) L’enfant d’Arras, le poète qui a le don de faire fleurir le verbe, poursuit sa route et devient l’un des plus populaires scénaristes de France. Bienvenue chez les Ch’tis, c’est lui. Grâce à son style décapant, décalé, drolatique, il réinvente la comédie. Une comédie originale, pleine d’esprit, imprégnée d’une tendresse contagieuse. Il faut dire que l’homme a à portée de cœur des trésors d’affection, en témoigne cet amour absolu qu’il voue à son épouse. Franck Magnier tricote du rêve, de la bienveillance, de la solidarité comme d’autres tissent dans la violence, la mort et le conflit. Dans Bienvenue chez les Ch’tis, il explore le côté lumineux de la force sur fond de logorrhée Ch’timi. On boit du petit lait… Dany Boon explose dans ce film, le résultat est irrésistible : c’est la fête de la fraternité. On ressort des Ch’tis régénéré, le sourire aux lèvres et une irrépressible envie d’embrasser tout le monde à la sortie du ciné. C’est ça l’effet Franck Magnier ! C’est une bouffée d’oxygène dans un monde asphyxié par la violence. Une façon de gommer le laid pour ne garder que le beau. Avec lui, on oublie tout, l’implacable dureté de la vie, l’âpreté du réel, le malheur et la fugacité de l’existence. Résultat : le film pulvérise tous les records, plus de 20 millions de spectateurs, et une nomination aux César du Meilleur scénario dans la foulée pour Franck Magnier. Mais le génie du tempo ne s’arrête pas là. La même année 2008, un autre de ses scénarios fait mouche : Astérix aux Jeux Olympiques. Un succès inouï, 7 millions de spectateurs, un film jubilatoire porté par l’irremplaçable, l’inoubliable Benoît Poelvoorde dans le rôle de Brutus. En un rien de temps, une génération d’ados reprend les répliques cultes du film dans la cour du lycée. Tout s’enchaîne alors très vite. Le métier se penche sur le berceau de cet artiste surdoué et lui propose les fonds nécessaires pour réaliser trois films coup sur coup : Imogène Mc Carthery, Boule et Bill, et Les Têtes de l’emploi avec la belle Elsa Zylberstein et le fabuleux Franck Dubosc. Franck Magnier passe derrière la caméra et réussit à faire entrer tout un monde dans cet espace de liberté qu’il offre aux acteurs. Les performances d’acteurs se multiplient, le tournage se révèle être un pur bonheur, Les Têtes de l’emploi galvanisent le public. Aujourd’hui, Franck Magnier entame 2020 avec un bel appétit, la musette pleine de projets. Au menu : des comédies sociales hilarantes, une adaptation du fascinant thriller Prédateurs de Maxime Chattam, une série comique. Bref, du plaisir à jet continu. Cette fois encore, cet artiste génial dont la vie se résume à faire du bien aux autres, qui toute son existence a mené un combat contre l’endurcissement des coeurs, compte nous régaler de ses merveilles. Et nous, nous avons définitivement besoin de ce « bienfaiteur » pour continuer de croire en la bonté de l’humanité…

Indispensable Franck Magnier

Etes-vous un homme joyeux ?

Pas du tout !

Etonnant puisque vous nous régalez depuis des années de textes désopilants !

Je suis extrêmement pessimiste ! Je reprendrai à mon compte la phrase de Pierre Desproges : « L’humour est la politesse du désespoir. » L’optimisme est, pour moi, un effort… 

Une élégance ?

Plutôt un effort ! Cela dit, je préfère être lucide qu’optimiste. J’essaye de rire le plus possible ou en tout cas de faire rire les autres, ce qui me procure du plaisir. Rire des situations tragiques, c’est mon moyen à moi de m’en sortir. J’ai eu une enfance marquée assez précocement par un certain nombre de drames qui m’ont obligé à mettre à distance la souffrance. 

L’humour est-ce une défense pour vous ?

Du plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu ce goût pour le drôle, le comique, la satire, la caricature, l’outrance. L’humour, y compris l’humour noir, est un trait constitutif de ma personnalité. Dans toutes les situations de la vie, je ne peux m’empêcher de chercher l’ironie, le côté burlesque, loufoque, décalé. Jeune, c’était déjà une manière de penser, puis c’est devenu un tic professionnel et un tic existentiel. Sans compter que je trouve cela magique d’arriver à faire rire les gens. C’est comme créer une sorte cataclysme dans la cervelle de l’autre. Ce que j’apprécie le plus quand les gens rient, c’est de voir l’enfant qu’ils étaient avant de devenir adulte. Il y a quelque chose de juvénile, de puéril dans un rire qui éclate. Nous trimballons tous notre image sociale, une image sérieuse que l’on prend au sérieux, nous y adhérons sans recul. Le rire permet de bousculer nos certitudes, de faire tomber les masques. C’est une mise à distance, une irrévérence salutaire…

Rire vous sauve ?

Probablement… Mais parfois, malheureusement, rire ne suffit pas. Je dois à mon épouse mon salut, ma rédemption. C’est elle qui est optimiste et elle l’est pour deux ! Je lui répète tout le temps que je le jour où je l’ai rencontrée, j’ai repris goût à l’existence…

Quelle belle déclaration d’amour !

J’espère !

Etes-vous d’accord avec Nietzsche qui affirmait : « Il faut que les hommes aient beaucoup souffert pour avoir inventé le rire. » Selon vous, le rire naît-il de la douleur ?

Je ne saurai le dire… En ce qui me concerne, je reconnais que la douleur existentielle a nourri mon sens de l’humour. A partir du moment où l’on réalise que l’on est de passage, qu’il n’y a rien après la mort, il ne reste qu’à en rire…

Mais peut-on rire de tout ?

On doit rire de tout ! Si « Le rire est le propre de l’homme » comme le disait Rabelais et si l’on ne peut rire de tout, c’est que l’on n’est pas humain à 100%. On doit rire de tout, c’est obligatoire, mais pas avec n’importe qui. Vous pouvez faire certaines blagues avec certaines personnes quand vous êtes sûr de partager le même sens de l’humour et qu’il n’y a pas d’ambiguïté sur l’interprétation. Par exemple, lorsque j’étais auteur aux  Guignols de l’info, avec mon complice Alexandre Charlot, nous étions spécialistes dans l’analyse des différentes sortes de rire du public. Il y avait le rire qui explose, le rire exutoire, le rire qui dure, le rire un peu gêné, et puis le rire où on sent que la gêne augmente, que cela fait rire une partie du public mais que la blague n’a pas été parfaitement comprise par tous. 

Quel regard portez-vous sur les comédies actuelles françaises ? Pourquoi sont-elles si peu récompensées par les César ?

L’histoire de la comédie est compliquée en France. Il existe une forme de snobisme dans le cinéma tricolore. Patrie du cinéma, la France fait du cinéma d’auteur. Si vous faites de la comédie, c’est un peu « déshonorant » mais en même temps, on vous jalouse lorsque vous avez du succès, parce que cela fait des entrées. A cause de ce regard condescendant (une condescendance générale qui va du producteur aux acteurs), les comédies sont rarement récompensées. Enfin, dernièrement, on a quand même créé pour les César un « Prix du Public » qui récompense les films qui font le plus grand nombre d’entrées dans l’année. Or, il s’avère que ce sont presque toujours des comédies !

C’est pourtant difficile de faire une bonne comédie !

Effectivement ! C’est une mécanique difficile, d’une incroyable précision. Il y a quelque chose de très millimétré dans les dialogues, les gags,  les mouvements et les situations comiques. C’est réglé comme un coucou suisse. Malheureusement, cette beauté de la facture comique en France n’a pas la cote…

Franck Magnier, le scénariste de Bienvenue chez les Ch’tis

Une comédie réussie exige aussi un certain tempo…

En fait, il faut que ce soit au bon rythme. Il ne s’agit pas à tout prix d’accélérer le tempo. Je me souviens que lorsque nous avons écrit Bienvenue chez les Ch’tis avec Alexandre Charlot, nous étions vraiment dans la volonté de faire avancer l’histoire sur une structure narrative. Mais Dany Boon qui a une fabuleuse expérience de la scène, lui, identifiait tous les endroits où l’on pouvait s’engouffrer dans un développement comique. Il nous disait, à tel moment, il y a un bon numéro d’acteur, un numéro comique à faire. Cela a été pour nous un enseignement incomparable. Maintenant, quand nous écrivons des films, nous réfléchissons immanquablement aux endroits où l’acteur va pouvoir donner bien plus.

Le métier de scénariste de cinéma s’apprend-il ? 

J’ai construit toute ma carrière sur mon sens de l’humour. Quand je suis arrivé au Guignols, je n’y connaissais rien. J’ai donc improvisé. Les Guignols de l’info, c’était la caricature, l’outrance. C’est une tradition française de se moquer de l’actualité des hommes politiques. Je portais ça en moi, c’était déjà dans mon ADN ! Par contre, lorsque j’ai commencé le cinéma, il a fallu apprendre tout autre chose. Je suis passé du format « une minute trente » au format « une heure et demi ». Et puis, je suis passé d’un statut d’auteur tout-puissant qui fait la pluie et le beau temps, à scénariste de cinéma. Et scénariste de cinéma en France, cela ne pèse pas bien lourd…  Il y a une blague professionnelle qui dit : «  Savez-vous à quoi on reconnait une actrice belge ? C’est la seule qui couche avec un scénariste ! » Là aussi, j’ai dû apprendre sur le tas, contrairement à aujourd’hui, où se multiplient les écoles et les spécialisations scénaristes. L’industrie de la série a formaté une génération de jeunes auteurs qui écrivent à la chaîne. Je suis persuadé que dans dix ans, la plupart des séries seront écrites par des ordinateurs. Evidemment, je ne parle pas de la série Chernobyl , magnifiquement écrite, mais dans 70 % des séries, un épisode est divisé en trois sous-parties, A, B, C. Vous donnez la partie A à écrire à dix auteurs, la B à dix autres et la C à dix autres encore. Et ensuite vous ramassez les copies. On est loin du mythe romantique de l’auteur torturé qui regarde au loin la mer avant de pondre une ligne…

Vous êtes un scénariste à succès, avec plus de 20 millions d’entrées pour Bienvenue chez les Ch’tis le meilleur score d’un film français au box office. Avez-vous eu le vertige devant ce succès ?

Cela ne risquait pas ! Parce que les scénaristes ne sont pas exposés à la lumière, ils restent dans l’ombre ! Pour être honnête, venant des Guignols, où nous étions entourés de spectateurs tous les soirs, avec une émission très populaire, des dizaines d’interviews, de grandes journées que Canal + organisait avec des rencontres avec le public, j’étais loin du vertige ! 

J’ai l’impression que vous regrettez cette époque ?

Oui et non. Non, parce que je l’ai vécue, donc c’est fait, c’est bien et j’avais vingt-cinq ans de moins ! Oui, parce que je pense que c’était une époque d’une très grande liberté. Beaucoup d’insouciance, de légèreté et une joyeuse ambiance. Enfin, il y avait une énorme satisfaction à écrire dans la journée ce que l’on voyait le soir même à l’antenne. Je ne passais pas mes journées à écrire des scénarios qui parfois ne se vendent même pas… Quand votre travail rencontre le public, c’est un achèvement, un moment qui fait sens. Je dois reconnaître que le succès des Ch’tis a quand même eu pour moi une heureuse conséquence : on nous a proposé de réaliser un film…

A quoi attribuez-vous le prodigieux succès des Ch’tis ?

C’est, semble-t-il, la conjonction de plusieurs paramètres. Il y a d’abord Dany Boon. C’est un comédien extrêmement populaire. Les Ch’tis, c’est le paroxysme de la trajectoire d’un artiste qui rencontre une histoire, celle qui offre à son jeu le meilleur écrin possible. C’est aussi un film où il n’y a pas de méchants. Je crois que plus l’époque est dure, plus il y a cette volonté de ressortir du cinéma avec un petit sourire en se disant finalement : « la nature humaine n’est pas si méchante que ça, on peut encore y croire. » Il s’agit de remettre un peu d’utopie, de bienveillance dans les rapports humains, les rapports sociaux, dans le monde du travail afin que la vie en société ne finisse pas nécessairement en conflit. 

Aviez-vous conscience de ce phénomène lorsque vous écriviez le scénario ?

Non, c’est impossible d’en avoir conscience ! Quand j’écrivais pour Les Guignols de l’info, je me souviens du nombre de fois où je sortais une blague ou une expression en me frottant les mains et en me disant « là, ça va cartonner ! » A chaque fois, cela faisait un bide ! Le jour où j’ai inventé « le mulot » pour la souris d’ordinateur de Jacques Chirac, quinze jours plus tard, je l’entendais partout et même dans la rue. Cette expression est même entrée dans le dictionnaire ! Malheureusement, on ne peut pas prévoir à l’avance ce qui va plaire ou pas, ce serait trop facile !

Jacques Chirac et son « mulot » aux « Guignols de l’info »

Etes-vous Ch’ti ?

Complètement ! Je suis d’Arras. C’est pour cette raison que Dany Boon est venu vers moi. On s’était rencontré auparavant et il voulait absolument avoir un scénariste qui connaisse le Nord-Pas-de-Calais.  A l’époque, il a pensé à moi car il venait d’avoir entre les mains la version initiale du scénario d’Astérix aux Jeux Olympiques. Il l’a lue et il s’est dit que ce serait pas mal qu’on travaille ensemble. C’est ainsi qu’est née notre collaboration pour Bienvenue chez les Ch’tis 

Franck Magnier, le scénariste du film Astérix aux Jeux Olympiques

 

Avez-vous conscience qu’à travers vos films se dessine une même ligne directrice, celle qui consiste à réconcilier les humains plutôt qu’à les diviser. Si vos films sont si attachants c’est parce qu’il y a du lien, de la bonté dedans…

Ce n’est pas du tout une volonté consciente, intentionnelle. Je constate juste que j’aime les personnages qui se battent pour devenir ce qu’ils sont. Ce sont parfois des personnages qui sont devenus ce qu’ils ne voulaient pas être. Ils ont le sentiment de passer à côté de leur vie, qu’ils ne sont pas à leur place. J’apprécie ces personnages qui luttent pour arriver à rejoindre leur destin, pour s’accomplir.

Et vous, êtes-vous devenu qui vous êtes ?

Alors ça, c’est la grande question !

Aujourd’hui, quel film aimeriez-vous tourner ? 

J’ai beaucoup de souhaits mais il faut que le financement suive, que les financiers se penchent avec tendresse sur mon berceau… J’ai un très beau projet de comédie sociale, une superbe aventure, une histoire d’usine de machines à laver qui ferme. L’histoire d’un petit groupe d’ouvriers qui va entreprendre quelque chose de complètement fou. C’est en écriture et cela avance très bien. C’est vraiment mon projet phare. Nous avons aussi, avec Alexandre Charlot, beaucoup d’autres projets en écriture. Un autre projet qui a une dimension plus ludique mais toujours avec une couleur sociale. Je travaille aussi sur l’adaptation d’un roman de Maxime Chattam Prédateurs. J’ai enfin une série comique en lecture chez une Plateforme. Comme il y a un risque pour que cela ne se fasse pas pour cause de non-financement, on multiplie les projets….

Franck Magnier signe l’adaptation du thriller Prédateurs de l’écrivain français Maxime Chattam (sur la photo). Le best-seller devrait renaître bientôt dans une série télé de 8 épisodes.

Comment avec votre talent et votre fabuleux parcours, peut-on vous refuser un financement pour un film ?

C’est pourtant le risque ! Vous pouvez avoir des scénarios très aboutis qui ne se font pas. La dernière fois, j’avais un film complet, très drôle, j’avais un producteur dans la place, et pourtant je n’ai pas réussi à faire le film car je n’ai pas obtenu le financement. Il y avait une dimension politique vaguement subversive qui a déplu. Il y a des sujets plus ou moins facilement acceptés…

Parce que les financiers ne veulent pas prendre de risque ?

Evidemment ! Le problème du risque est devenu crucial aujourd’hui. Comme tout le monde voit qu’il y a une dispersion des spectateurs avec l’arrivée des plateformes, le métier devient prudent.

Voulez-vous dire que les plateformes comme Netflix vont remplacer le cinéma français ?

Avec l’arrivée des plateformes s’opère une grande mutation dans le cinéma français. Nous sommes dans une industrie artistique ou dans de l’art industriel, je ne sais comment dire cela, qui nécessite des moyens investis financiers et humains considérables. Aujourd’hui, il n’y a pas un film qui tient la route sans un minimum d’argent. Or on assiste actuellement à la remise en cause des circuits financiers classiques du cinéma français. L’arrivée des plateformes a pour conséquence la mondialisation de l’offre télévisuelle. C’est-à-dire qu’on ne regarde plus un feuilleton américain sur TF1, on regarde maintenant un feuilleton américain sur une plateforme américaine… et la différence est énorme. Car, en France, le système de financement du cinéma passe par les chaînes de télévision. Ce sont les chaînes de télévision, à commencer par TF1, Canal + etc. qui sont les premiers financiers du cinéma français. Quand un film est fait, il passe d’abord au cinéma puis ensuite sur les chaînes de télé qui l’ont coproduit et c’est ce système là qui fait tourner la machine. A partir du moment où les spectateurs préfèrent regarder la série américaine directement sur Netflix ou sur une autre plateforme, les chaînes de télé française perdent énormément de spectateurs, tout s’écroule puisque les recettes publicitaires des chaînes tombent, et les capacités d’investissements qui vont avec aussi. 

C’est inquiétant…

En effet. Il va y avoir un lissage des productions, une américanisation des formats et déjà là on voit bien que l’impact sur les audiences télé est conséquent. Tout le monde se gargarise des millions d’entrées au cinéma en France mais si les chiffres restent très bons au niveau des entrées, quand on regarde de près ces chiffres, le cinéma français ne fait que baisser…

Vous avez raison, les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 213 millions d’entrées au cinéma pour l’année 2019 (la meilleure année pour le cinéma en France depuis 50 ans) il y a 117 millions d’entrées pour les films américains, avec une nette progression de plus de 32 % par rapport à l’année précédente…

Oui, je reste très partagé sur ce qui se passe actuellement. Dernièrement, je parlais avec un producteur qui m’assurait qu’on ne pouvait que se réjouir de rejoindre le grand modèle mondial. En même temps, la plupart des gens qui font des films aujourd’hui ne se payent plus. Je n’appelle plus ça un métier, j’appelle ça une passion. Ce n’est pas la même chose. Les films sont très durs à monter et ne font pas forcément de recettes. Quand on parle de producteurs qui gagnent leur vie chichement, on peut se demander comment ils font pour vivre. On me répond, c’est tous des fils de famille, des héritiers. Donc, si vous n’avez pas une fortune personnelle, vous ne pouvez pas faire de cinéma ! On en revient à une devinette qui circule dans le milieu du cinéma : « Comment fait-on pour faire une petite fortune au cinéma ? Avec une grande fortune ! »

Les temps changent !

Oui, l’image s’est totalement désacralisée en 30 ans. J’ai la cinquantaine. A mon époque, lorsqu’on allait au cinéma, à 15-20 ans, le cinéma c’était « La sortie de la semaine ». Aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe ? Lorsque je prends le train pour aller à mes rendez-vous à Paris, je vois des gens qui regardent des séries sur leurs téléphones portables. A quoi cela sert que le cinéaste se mette en quatre pour faire de bons plans, des profondeurs de champs, des mouvements de caméra puisque vous avez une vue de la taille d’un timbre poste. On me parle également d’un grand mouvement qui s’appelle le binge-watching. La plateforme vous livre la série en entier. Quand j’étais jeune, je regardais Les Mystères de l’Ouest à l’émission Samedi est à vous. Et j’attendais avec impatience le samedi suivant pour voir un nouvel épisode. Ca s’appelle le désir, l’envie, et cela fait partie de l’érotisme de l’existence. Alors qu’avec le binge-watching, les gens se visionnent à la suite tous les épisodes d’une série, en une nuit, dés qu’elle arrive… On m’explique aussi qu’il y a toute une population qui regarde les séries en accéléré pour aller directement au dénouement. Pourquoi soigner les dialogues, si c’est le cas ? C’est bizarre de vivre un changement aussi fondamental. J’ai l’impression que pour beaucoup, nous sommes dans le même état que les stars du muet qui ont vu arriver le parlant et le passage du noir et blanc à la couleur. On est en pleine révolution industrielle et comme dans toute révolution, il y a des têtes qui tombent….

Comment lutter contre le rouleau compresseur du cinéma américain ?

On ne peut pas lutter… Le cinéma exige des moyens… Ce vers quoi on va tendre, ce sont de grosses comédies populaires pas forcément de très grande qualité mais avec des acteurs populaires et de gros moyens. Le film à budget moyen va sans doute disparaître. Cela me parait difficile, déjà non pas de lutter avec le cinéma américain, mais de tout simplement continuer à exister… En fait, si on n’a pas les moyens de résister, on ne peut pas résister. Or, là les moyens, on est en train de nous les enlever…

Le réalisateur et scénariste Franck Magnier, François-Xavier Demaison, Elsa Zylberstein, Franck Dubosc et le réalisateur et scénariste Alexandre Charlot à la joyeuse avant-première du film Les Têtes de l’emploi le 14 novembre 2016

C’est désespérant… Revenons à des choses plus joyeuses ! Parmi vos trois films réalisés, quel est votre meilleur souvenir ?

Difficile d’isoler un moment… Pourtant, sans hésiter, je vous répondrai que je me suis senti très heureux sur le tournage des Têtes de l’emploi. J’ai vraiment trouvé là une liberté dans la réalisation que je n’avais pas ressentie auparavant dans mes deux premiers films. Avec ce film, on a pu renouer avec l’humour un peu vachard des Guignols. On avait des interprètes extraordinaires. On a montré à la France entière qu’Elsa Zylberstein était une formidable actrice comique, alors qu’elle n’était pas du tout connue comme telle ! Ma rencontre avec Elsa, c’est peut être l’un des meilleurs moments de ma carrière. Il y a eu vraiment un bel échange entre nous qui nous a permis de faire évoluer son personnage ensemble. J’ai le souvenir d’une sensation de liberté grisante sur le plateau. C’était magique. Les acteurs jouaient au maximum, s’exprimaient réellement. Je me suis senti pleinement réalisateur dans ce film et cela a été une grande fierté.

Avez-vous beaucoup ri durant le tournage ?

Oui, on n’a pas arrêté ! Je m’entends très bien avec Franck Dubosc qui est un excellent exemple d’horlogerie comique, d’une précision extraordinaire. C’est un homme très fin et très drôle. Le tournage était très joyeux ! 

La ravissante actrice Elsa Zylberstein révèle dans Les Têtes de l’emploi, la comédie réalisée par Franck Magnier et Alexandre Charlot, une puissance comique incroyable.

Pour vous, qu’est-ce qu’un bon acteur ?

C’est un acteur qui compose, qui a une compréhension qui va au-delà du personnage, qui rayonne sur l’histoire en entier. C’est aussi un acteur extrêmement physique. Un acteur, c’est d’abord un corps. Il doit habiter, incarner un personnage dans sa manière de se mouvoir, de s’asseoir etc.

Comme Jean Dujardin ?

En effet, c’est un acteur extrêmement investi et physique.

Selon vous, qu’est-ce qui fait qu’un film est inoubliable ?

C’est déjà un film que l’on n’a pas oublié le lendemain ! Qui continue de nous habiter et laisse en nous comme le sillage d’un parfum… Peut-être est-ce tout simplement un film qu’on a envie de revoir cinq fois, dix fois…

Y a-t-il un film que vous ayez eu envie de revoir un nombre infini de fois ?

Oui, La Guerre du feu de Jean-Jacques Annaud. Depuis des années, je rêve de faire un film d’aventure préhistorique. J’espère avoir un jour cette chance. Sinon, j’ai beaucoup aimé aussi Into the Wild. Quant à l’humour, je peux revoir dix fois, cent fois, Papy fait de la résistance ! C’est, pour moi, le summum, le meilleur film comique français. Je le trouve extraordinaire !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Inséparables depuis Les Guignols de L’info, le tandem des réalisateurs et scénaristes Franck Magnier et Alexandre Charlot.

Boule et Bill une comédie de Franck Magnier et Alexandre Charlot

Imogène Mc Carthery un film de Franck Magnier et Alexandre Charlot

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