Saluons la sortie du magnifique et magistral Dictionnaire amoureux de Montaigne du philosophe André Comte-Sponville aux éditions Plon. A lire et feuilleter « sans ordre et sans dessein, à pièces décousues… » comme le requerrait Montaigne. Entrer dans ce livre c’est explorer ce monument de lucidité et d’humanisme que fut Montaigne. Le philosophe gascon nous réconcilie avec nous-mêmes, mieux, nous rend ami de nous-mêmes. Il n’est qu’à tirer profit de son expérience pour apprendre à s’accepter et à s’aimer. « C’est une perfection absolue et pour ainsi dire divine que de savoir jouir loyalement de son être » écrit Montaigne. C’est encore Montaigne qui n’a pas son pareil pour nous inciter à aimer la vie, à la goûter pleinement, à « étendre la joie, mais retrancher autant qu’on peut la tristesse ». Sa merveilleuse lucidité nous libère de nos illusions sur nous-mêmes, nous révèle l’inconsistance de notre moi. Grâce à lui, on réalise que la « vie est elle-même à soi sa visée », qu’elle ne va nulle part, elle passe, simplement, elle passe, et sans cohérence ni progrès. » Mieux que personne, Montaigne peint ce passage et nous exhorte à en profiter intelligemment, à « servir la vie selon elle ». Car « on ne vit pas pour, on vit simplement ». Ne reste que le plaisir de vivre, de jouir de notre vitalité. Montaigne fait l’éloge de la volupté en nous invitant à accepter « la sagesse de nos organes », et ce miracle du corps accroché à notre âme, indissociable, avant que n’arrive l’inévitable mort. » Tous les jours vont à la mort, écrit Montaigne, le dernier y arrive »…
Quelle merveilleuse philia que celle d’André Comte-Sponville pour son maître, « ce génie tout libre de Montaigne » comme le disait Pascal. Devant tant d’émerveillement, d’admiration pour l’auteur des Essais, on pourrait parler d’amour sinon d’attachement au sens aristotélicien du terme. Cet élan de gratitude d’André Comte-Sponville envers le plus fraternel de nos écrivains mais aussi le plus « humain trop humain » qui jamais ne voulu « échapper à l’homme », irrigue chaque ligne, chaque page de ce bien nommé Dictionnaire amoureux de Montaigne. Car Montaigne fut un être unique. Un homme désarmant de sincérité, de simplicité, de tolérance, de vérité, sans complaisance ni vanité qui se peignit dans ses Essais « tout entier et tout nu ». C’est sans doute pour cette raison qu’il nous semble aujourd’hui un ami si proche, si libre, si contemporain, si fraternel, si familier, en un mot si sympathique. Dans ce Dictionnaire amoureux de Montaigne, dans cette communion des esprits, même la mélodie philosophique d’André Comte-Sponville s’accorde parfaitement à la musique des mots de Montaigne. La prose libre et poétique de l’auteur du Petit traité des grandes vertus fait écho au style vagabondant, à sauts et gambades de Montaigne. Dans ce texte, tout n’est qu’harmonie. Résultat : c’est inlassablement beau…
A celui qui proclamait sans feinte que son livre (Les Essais) « ne sert à rien », on pourrait objecter que cette fête de l’esprit que sont les Essais, rédigés il y a plus de quatre siècles, furent pour beaucoup un livre phare. Tolstoï emporte avec lui les Essais lorsqu’il partit pour mourir, Gide racontait que le fameux chapitre 5 des Essais « Sur les vers de Virgile » consacré à l’amour, lui arrachait des larmes, André Comte-Sponville, lui, parle du chapitre 9 « De la vanité » comme l’un des plus beaux textes que nous ayons. Pour découvrir ce chef-d’oeuvre, lisez André Comte-Sponville. Lisez son Dictionnaire amoureux de Montaigne. C’est un grand livre. Et incontestablement, ce livre fera date.
Isabelle Gaudé