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Jacques Mougenot

« Je n’envisage pas d’écrire une pièce sans humour et sans réjouir le public. »

Jaques Mougenot et Hervé Devolder dans la pièce Le cas Piche

On ne présente plus Jacques Mougenot. Tour à tour comédien, professeur de théâtre au cours Jean-Laurent Cochet, dramaturge reconnu, il est l’auteur et l’interprète de « L’affaire Dussaert », un monologue jubilatoire sur l’art contemporain qu’il a joué plus de 600 fois depuis sa création en 2002. Cet auteur dramatique, constamment taraudé par le besoin de création, a écrit des pièces inspirées et subtiles comme « La carpe du duc de Brienne » ou « Le Cas Martin Piche ». Il n’a de cesse de monter ses propres spectacles où il manie tout en finesse l’humour et la dérision. Ses pièces de théâtre devraient être remboursées par la Sécurité Sociale tant elles sont une fête de l’intelligence, un concentré de joie, un bonheur d’écriture. On en sort ravi et guéri ! Dernièrement Jacques Mougenot a adapté une pièce de jeunesse de Feydeau : « Les Fiancés de Loches ». Il a réussi le pari incroyable de la transformer en une superbe comédie musicale (aidé pour cela par un compositeur et metteur en scène talentueux, Hervé Devolder). Ces « Fiancés de Loches » sont un pur chef-d’œuvre de drôlerie et bien sûr la Profession n’a pas manqué de le remarquer. C’est pourquoi la pièce est nominée aux Molières 2016 dans la catégorie « Meilleur Spectacle Musical ».

Entretien avec l’heureux nominé.

Jacques Mougenot, vous êtes nominé dans la catégorie « Meilleur spectacle musical » pour les Molières 2016 pour la pièce « Les Fiancés de Loches ». Est-ce une forme de reconnaissance que la consécration de vos pairs ?

Bien sûr, cela fait très plaisir ! C’est une pièce qui mérite d’être récompensée parce qu’elle est le résultat d’un gros travail d’équipe avec une mise en scène exigeante, les talents conjugués d’un chorégraphe, de musiciens, d’une pléiade de comédiens, chanteurs et danseurs très doués, sans parler des costumes et décors magnifiques. Bref, beaucoup de monde a participé à ce spectacle. C’est vrai que ce serait pas mal si nous avions une récompense, cela permettrait de reprendre la pièce dans des conditions favorables.

Avez-vous une idée du discours que vous prononcerez si vous êtes l’heureux gagnant ? Quels seront vos premiers mots ? Une chanson peut-être ?

Oui, il était question que j’écrive une chanson ! Mais je n’aurai pas le temps de le faire. De toute façon, ce n’est pas moi qui ferai le discours.

Pourquoi ? C’est pourtant vous qui avez fait l’adaptation !

Oui, j’ai fait l’adaptation et les couplets. Mais c’est Hervé Devolder qui a fait la musique et la mise en scène. C’est plutôt lui qui parlera si jamais nous avons la chance de recevoir ce Molière, à moins que ce ne soient les producteurs du spectacle, ce ne serait que justice puisque ce sont eux qui nous ont permis de jouer dans ce si beau cadre.

La presse et le public ont salué unanimement « Les Fiancés de Loches » qui ont triomphé deux étés consécutifs au Palais-Royal. Comment expliquez-vous cet engouement ?

Parce que c’est une pièce de qualité. D’abord « Les Fiancés de Loches » est une pièce de jeunesse de Feydeau ( Feydeau a 26 ans lorsqu’il l’écrit ) qui permet qu’on la mette en musique. Toutes les pièces de Feydeau ne se prêtent pas à cet exercice, notamment les chefs-d’œuvre de la fin de sa carrière. Cette pièce est une de ses premières collaborations avec un auteur qui s’appelait Maurice Desvallières (par la suite, les deux auteurs collaboreront davantage). Cela dit, à l’époque, c’est une pièce à laquelle on a fait beaucoup de reproches. En disant que c’était un peu fouillis, que cela ne tenait pas la route, mais en tout cas elle nous a permis de réaliser cette comédie musicale.

Cela fait combien de temps que vous jouez les Fiancés de Loches ?

Cela fait deux ans. Elle a été créée en 2014. Mais n’a été jouée que durant l’été. En revanche, il y a eu une tournée importante en Province, de cinquante dates, qui s’est terminée à la fin 2015.

C’est totalement inédit d’adapter entièrement une pièce de Feydeau en comédie musicale. Et c’est vous qui vous êtes attelé à ce pari osé. A partir du texte original, vous avez troussé un bon nombre de couplets chantés. Pour ce faire, vous avez sabré, coupé, enlevé ici, ajouté là, dans le texte de Feydeau. Quelles difficultés avez-vous rencontré dans ce tour de passe-passe ?

C’était la première fois, en effet, que l’on adaptait entièrement une pièce de Feydeau en comédie musicale. C’est une idée d’Edy Saïovici qui était le directeur du théâtre Tristan Bernard. C’est une idée qu’il portait depuis très longtemps. Ce projet lui tenait à cœur et il y croyait. Il nous a passé commande en 2010, à Hervé Devolder et à moi. Malheureusement il est décédé en 2013 et n’a pas pu assister à la première de la pièce, sinon aux côtés des « enfants du Paradis » ! J’espère, je crois, qu’il aurait aimé notre réalisation. Quant au texte de Feydeau, je n’y ai pas trop touché, j’ai juste beaucoup coupé. La difficulté essentielle c’était de mettre en musique des scènes de théâtre. Il fallait que cela reste du théâtre. Le problème dans cette pièce de Feydeau, c’est qu’il y a beaucoup de contraintes. Il y a un foisonnement de personnages. Une vingtaine dans la pièce originale. Edy était effrayé par ce nombre de personnages donc il m’avait demandé de les réduire au minimum. Le minimum, c’était neuf. On ne pouvait pas faire moins !

Tout coule tellement de source dans ce spectacle que le spectateur finit par croire que c’est Feydeau qui a écrit cette opérette. Vous vous êtes glissé dans la peau de Feydeau pour délivrer son chant le plus beau. Peut-on dire que Feydeau, c’est vous ?

Non ! Certainement pas ! Disons que je me suis coulé dans le style de l’époque. Grâce à la musique aussi, cela a été plus facile car c’est une musique adaptée à l’époque de Feydeau. Hervé Devolder avait déjà fait auparavant d’autres comédies musicales, et il a cette merveilleuse faculté de pouvoir s’adapter à tous les styles musicaux. C’est très parisien comme pièce, c’est pour ça que l’été, elle attirait aussi beaucoup de touristes.

Que cherchiez-vous atteindre en créant cette comédie musicale ?

Essayer de retrouver l’esprit de l’époque, l’esprit des pièces de Feydeau, qui est quand même un auteur joyeux malgré son désespoir profond. Feydeau était un grand neurasthénique. Et c’est justement peut-être pour se dégager de cette neurasthénie, qu’il a cherché à faire rire. En principe, les pièces de Feydeau, quand elles sont bien jouées, font rire à chaque réplique. Bien sûr, Feydeau ce n’est pas facile à monter. Il y a eu un travail de direction d’acteurs puisque les comédiens-chanteurs venaient plutôt de la comédie musicale et qu’ils n’étaient pas tous préparés à jouer du Feydeau. C’est Hervé qui les a choisis parce qu’il fallait des chanteurs. Moi, je ne connaissais pas du tout le monde de la comédie musicale.

Sur scène, cela virevolte, pirouette, rebondit, tourbillonne de partout. C’est ravigotant, revigorant, roboratif en diable. C’est joyeux, comique, drôle à l’infini. Pour vous le théâtre c’est d’abord le plaisir de faire rire. Le rire permet-il de tout dédramatiser ?

Oui, le théâtre c’est la joie ! Au Palais Royal, Feydeau était « chez lui », puisqu’il y a créé nombre de ses pièces. D’ailleurs, au Palais Royal, un des plus beaux théâtres de Paris, un théâtre classé, au-dessus du cadre de scène, il y a un médaillon avec une phrase de Rabelais qui dit : « mieux est de ris que de larmes escrire, pour ce que rire est le propre de l’homme !». A l’entracte, je voyais que les spectateurs découvraient cette phrase avec plaisir. Effectivement, je crois que faire rire, c’est quand même un honneur pour un auteur dramatique. Guitry, qui était un admirateur de Feydeau a beaucoup écrit là-dessus. Je n’envisage pas d’écrire une pièce sans humour et sans réjouir le public…

Vous connaissez la phrase de Nietzsche qui dit : « il faut que les hommes aient beaucoup souffert pour avoir inventé le rire » ?

Et connaissez-vous la phrase de Voltaire qui dit « J’ai décidé d’être gai, parce que c’est bon pour la santé » ?

Dites-moi, c’est culturel comme interview !

N’est-ce pas !

Bon, revenons aux « Fiancés de Loches ». La pièce, construite sur une série de quiproquos, aborde l’éternelle fracture entre les provinciaux (un peu niais et naïfs) et les parisiens (un peu méprisants), la campagne et les citadins. Selon vous, qui sont les plus civilisés ?

Cette pièce, c’est un peu la fable du « Rat des Villes et du Rat des Champs ». Dans l’esprit de Feydeau, il ne donnait pas raison aux parisiens, ils sont cyniques, méprisants effectivement. Les provinciaux ont une sorte de candeur et de naïveté qui est assez fraîche. Moi, j’aime bien avoir ça dans toutes mes pièces, j’aime bien me moquer de l’intellectualisme parisien, comme vous avez pu vous en rendre compte ! Personne n’a tort ni raison, c’est ça qui est merveilleux aussi chez Feydeau, chaque personnage a son caractère et chacun est dans sa raison d’être.

En quoi cette pièce résonne-t-elle aujourd’hui pour vous ?

Dans l’état de morosité ambiant (on a toujours de bonnes – de mauvaises – raisons d’être triste) c’est difficile de trouver des raisons d’être joyeux. Je crois que l’une des missions du théâtre (et de l’artiste en général) c’est de nous révéler cette part de joie que contient, en dépit des apparences, l’existence.

Depuis longtemps, à travers vos écrits théâtraux et autres, vous cherchez à percer le mystère du langage, du verbe. Rousseau affirme dans son « Essai sur l’origine des langues » que l’homme a d’abord chanté avant de parler (imitant par-là les sons de la nature, le chant des oiseaux). Rousseau écrit qu’autour « des fontaines, les premiers discours furent des chansons. » Cette pièce, est-ce une façon pour vous de retrouver le langage des premiers hommes, c’est-à-dire le chant, la langue des poètes ?

Je peux vous raconter une anecdote : un de mes proches est autiste, il ne possède pas le langage. « Les Fiancés de Loches » aura été son disque préféré pendant toute l’exploitation de la pièce. Il l’écoutait tous les soirs. Il pouvait chanter alors qu’il ne parlait pas aisément. Si l’on prononçait l’un des vers d’une chanson, il enchaînait tout naturellement. Le chant, c’est plus naturel, plus aisé que la parole. Le chant, c’est la poésie de l’homme. On peut dire en paraphrasant Nietzsche que sans les chansons, la vie serait une erreur.

Après avoir participé à ce tourbillon gai et savoureux de danses et de chansons, le public en sort enchanté. L’enchantement se prolonge puisqu’on se prend à entonner jusque dans les draps l’inoubliable « Michette, Michette… ». C’est l’effet Feydeau ou l’effet Mougenot ?

Le personnage de Michette, c’est un personnage récurrent dans les pièces de Feydeau, c’est le personnage de la cocotte, cela a donné la Môme Crevette dans « La Dame de chez Maxim’s ». Mais si c’est aussi entraînant, c’est grâce à la musique d’Hervé qui est très mélodique. Il a commencé par écrire la musique, bien sûr dans l’esprit de la scène, et moi, je me suis dit : « quel texte, je vais mettre là-dessus ? » Et ça a donné l’air de Michette. Effectivement, les gens chantent en sortant du théâtre, ils ont les airs en tête. Ce que je reproche à certaines comédies musicales, c’est justement de ne pas être assez mélodiques. Certaines m’ennuient profondément, car lorsqu’on entend un air, on ne peut pas tout de suite le rechanter. C’est peut-être un peu populiste, un peu populaire ce que je raconte mais ce que j’apprécie avant tout dans les comédies musicales, c’est la mélodie, comme par exemple dans « My Fair Lady » où celle-ci est très réussie.

Vous jouez au Petit Montparnasse en alternance, « L’affaire Dussaert » et « Le Cas Martin Piche » jusqu’en juin, est-ce que vos deux pièces marchent ?

Sinon, nous ne prolongerions pas !

Jacques Mougenot, sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Hervé et moi, nous sommes en train d’écrire une autre comédie musicale…

Ce sera un texte de votre cru ?

En effet, ce sera une pièce entièrement originale mais je ne peux pas vous en dire plus… Je préfère faire la surprise aux futurs spectateurs !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

A voir absolument, jusqu’au 16 mai 2018, la pièce écrite et interprétée par Jacques Mougenot.

Jacques Mougenot et Hervé Devolder, dans la pièce Le Cas Martin Piche

Jacques Mougenot et Hervé Devolder, dans la pièce Le Cas Martin Piche. Une pièce désopilante et surprenante.

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