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Le retour du réel

Avec « Toute ressemblance…» (avec le monde réel, existant ou ayant existé, est purement fortuite…), Michel Denisot signe un premier film très réussi, intelligent et particulièrement jubilatoire. Il épingle avec élégance la métamorphose insidieuse du monde contemporain. Où comment cette société du spectacle, totalement asservie à l’impérialisme de l’image, qui comme l’écrivait Guy Debord « est la négation de la vie réelle », impose sa loi et finit par abolir la vitalité humaine. Quid de l’histoire ? D’abord, c’est une plongée palpitante dans les coulisses du JT d’une grande chaîne télévisuelle. A travers le personnage de Cédric Saint Guérande, le fantastique Franck Dubosc, présentateur vedette du 20h, on réalise très vite qu’en 2019, le pouvoir médiatique ne s’embarrasse pas de détails. Il n’admet tout simplement aucun contre-pouvoir… Exit le doute, la vérité, le réel, et pratiquement le politique (qui pour s’exprimer doit montrer patte blanche ! ) Dans cette ambiance quasi totalitaire mais bon enfant, l’image incarne la pensée dominante ou la doxa, et le présentateur du JT s’arroge tous les droits, comme celui de choisir à loisir d’informer ou de désinformer, de falsifier le réel ou de l’embellir. Il contrôle tout. Nul ne réagit face à ses écarts : aveuglé par le pouvoir de la petite lucarne, c’est l’assentiment immédiat, la crédulité absolue du côté du spectateur. Dans ce joli monde conçu comme représentation, notre Cédric Saint Guérande, œil de velours et séduction toute en retenue, trône aux cimes de l’audimat, adulé et vénéré par des millions de téléspectateurs. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où un nouveau patron de chaîne vient détruire cette belle harmonie. Alors que CSG, dopé au succès et aux amphétamines, consacre le plus clair de son temps à s’étourdir dans une vie festive en totale immersion dans sa bulle matricielle (bonjour la fusion intra-utérine !), ce bébé humain qui a de plus en plus de mal à devenir adulte (régression quand tu nous tiens…) va devoir revenir sur terre. Le grand patron a décidé de rajeunir et de féminiser le 20 heures. La guerre est donc déclarée. N’écoutant que son ego surdimensionné (lequel apparaît en réalité bien vacillant puisqu’il éprouve en permanence le besoin d’être rassuré par le regard d’autrui), CSG affronte son patron (symbole du père ? de la loi ?). Enragé à liquider son rival (à tuer le père ?) à n’accepter aucune hiérarchie ou pire par incapacité contemporaine à reconnaître l’Autre, CSG commence sa chute. On le découvre alors plus spectateur qu’acteur de sa vie, incapable de se réconcilier avec le réel, aliéné qu’il est par l’image, ses faux semblants, son cortège de paraître et d’apparences, quasiment condamné à la solitude. Et c’est là où Michel Denisot fait preuve d’une subtilité rare. Il offre à la splendide Caterina Murino, belle à couper le souffle dans ce film, la chance d’incarner le réel. Son personnage Elisa symbolise la vraie vie. Le réel dans ce qu’il a de plus imprévisible, de moins contrôlable. Elisa d’abord c’est l’amour. L’amour, cet invisible dans ce monde trop plein de visible. Elisa la vivante, la vibrante, qui refuse les faux-semblants et les mensonges, qui s’échappe car rien ne peut la contrôler sinon la passion. « Ne te courbe que pour aimer et si tu meurs, tu aimes encore » disait René Char. Aveuglé par le pouvoir médiatique et ses fantasmes de toute-puissance, CSG a perdu de vue l’essentiel, il est passé à côté de la vie réelle. Il intuitionne pourtant que la vraie vie est ailleurs et que quelque chose sur terre libère comme l’amour réel…

D’apparence léger, ce film est une remarquable réflexion sur le réel. Il ne peut être qu’accueilli qu’avec ferveur puisqu’en le visionnant sur le grand écran, peut-être deviendrons-nous plus lucides, plus réalistes, et même voyants face au petit écran…

En attendant, nous avons voulu rencontrer l’incarnation du réel (et l’incarnation de la beauté) !

Conversation à bâtons rompus avec Caterina Murino

L’actrice Caterina Murino

Caterina Murino, vous venez de crever l’écran dans la série télévisée « Le temps est assassin » adaptée du roman de Michel Bussi. Cette série en 8 épisodes diffusée sur TF1 a réuni plus de 6,3 millions de spectateurs par semaine. Un véritable succès. Comment avez-vous vécu ce tournage ?

Avec beaucoup d’émotion. C’était un rôle puissant, d’une belle intensité dramatique. Les productrices et le réalisateur m’ont fait un très beau cadeau en me confiant le personnage de Palma. Celui d’une femme trompée qui veut protéger sa famille et se bat pour elle jusqu’au bout. Cette histoire c’est d’abord un magnifique travail d’écriture de Michel Bussi. Et puis un travail d’adaptation qui donne naissance à un scénario haletant. Mes partenaires étaient tous flamboyants dans ce décor sublime qu’est la Corse, la Corse qui finalement demeure la vedette de la série. Enfin, je suis très reconnaissante au public français de nous avoir suivis avec passion d’épisode en épisode jusqu’au dénouement.  

Depuis ces records d’audience, les passants vous reconnaissent-ils davantage dans la rue ?

Non ! Les gens s’imaginent que le but ultime des acteurs dans la vie, c’est d’être reconnu dans la rue. Mais c’est terrible de croire ça ! Moi, cela ne m’intéresse pas du tout. Par contre, j’ai reçu de magnifiques textos, de messages vraiment incroyables sur les réseaux sociaux. Des mots sincères et touchants qui me réchauffaient le cœur. Quelqu’un m’a même écrit un message bouleversant parce mon personnage l’avait touché. Des femmes, des téléspectatrices qui s’étaient identifiées au vécu de Palma m’ont raconté leur histoire. Je suis en émerveillement devant tant de générosité et d’empathie.

Elisa (Caterina Murino) et Cédric Saint Guérande (Franck Dubosc) dans le film « Toute ressemblance… »

Le mercredi 27 novembre est sorti le film très attendu de Michel Denisot « Toute ressemblance… » Vous a-t-il contacté directement ou avez-vous passé un casting pour décrocher le rôle principal féminin ?

Je n’ai pas passé de casting. Je connaissais déjà Michel Denisot. Je l’avais rencontré il y a quelques années lorsqu’il présentait sur Canal +, le Grand Journal. Nous nous sommes revus lors d’un déjeuner qui a duré plus de trois heures. J’avais face à moi quelqu’un d’extrêmement cultivé, d’extrêmement élégant, d’extrêmement gentil, à l’humour piquant, toutes ces qualités que j’ai retrouvé dans le film.

Durant des années, le journaliste Michel Denisot a reçu dans son Grand Journal (et à Cannes) les plus belles actrices du monde. Et c’est à vous qu’il a pensé pour incarner Elisa. Vous éclipsez toutes les autres… Est-ce parce que vous êtes l’une des actrices les plus charismatiques de votre génération ?

Ah non ! Je ne crois pas !

Pourtant, dès le début, Michel Denisot avait déjà dans l’idée que ce serait vous !

Je savais depuis plus d’un an que Michel Denisot préparait son film. Même si j’avais son numéro de portable, je n’ai pas cherché à le joindre, encore moins à le solliciter pour le rôle. C’est mon ex-agent qui, un jour, m’a contacté en me disant « Ecoute, Michel voudrait te rencontrer pour te parler de son film ». Et j’étais, comme vous le dites, très étonnée qu’avec toutes les actrices susceptibles d’interpréter le rôle d’Elisa, il ait pensé à moi ! Merci Michel !

L’actrice Caterina Murino (photo Paris Match)

Rien d’étonnant à cela, vous êtes une actrice incandescente !  

Trop gentil ! Mais ce qui était touchant c’est que Michel Denisot et Olivier Kahn ont vraiment lutté pour m’avoir. Le tournage de la série « Le Temps est assassin » et le tournage de « Toute ressemblance… » ont débuté en même temps, le 4 septembre 2018. L’un à Paris, l’autre en Corse. Donc, durant huit semaines, j’ai pris un avion tous les jours, pour faire Paris-Corse. Dimanche, j’atterrissais en Corse pour y tourner le lundi. Et dès le lundi soir, je reprenais un avion pour rentrer à Paris et y tourner dès le mardi matin. Le mardi soir, à nouveau l’avion et ainsi de suite tous les jours et ce, durant deux mois !  

Vous deviez être épuisée ?

Je n’y comprenais rien en fait ! Mais j’étais très heureuse parce qu’Elisa ne ressemblait pas à Palma ! Et qu’interpréter deux rôles en même temps me galvanisait !

Sur le plateau du Quotidien, Yann Barthès reçoit l’équipe du film, l’acteur Franck Dubosc, le réalisateur Michel Denisot, l’actrice Caterina Murino et l’acteur Jérôme Commandeur

« Toute ressemblance… » est un film sur les coulisses du monde de la télé. Michel Denisot montre l’envers du décor et fait ressortir les ridicules de certains comportements des gens de télé. On découvre un univers de manipulations, de trahisons, d’excès, de coup bas, de jeux de pouvoir mais aussi d’addiction à la drogue…

Oui ! Michel voulait révéler au public certaines vérités sur les médias. Il m’a donné un personnage proche de moi car je ne bois pas, je n’ai jamais touché une cigarette ni touché à la drogue. C’est un rôle qui dit non à tout ça. Cette femme porte à son compagnon un amour sincère et elle tente de lui faire comprendre que la vie c’est autre chose que l’égo et la drogue.

Que cherche Elisa dans la vie ?

A un certain moment, Elisa va quitter Cédric. Elle ne veut plus voir son compagnon sombrer dans les addictions. Elle ne l’accepte plus. Elle recherche l’intégrité chez un homme. C’est une femme qui n’est pas dans le paraitre. Elle possède une certaine richesse de l’âme et n’a pas besoin de faux-semblants pour avoir le sentiment d’exister. Peu lui importe que son compagnon soit chaque soir vénéré par six millions de téléspectateurs. Elle ne recherche ni la célébrité ni la reconnaissance. C’est une femme ancrée dans l’existence, qui veut simplement vivre dans la vraie vie, et non dans un monde de paillettes saturé d’apparences.  

Est-ce la première fois que vous tourniez avec Franck Dubosc. Est-il drôle et sympathique comme dans « Camping » ?  

Oui, absolument, c’est la première fois ! Et non, il est beaucoup mieux que ça ! Cela a été une vraie surprise pour moi. C’est un homme qui n’a rien à voir avec son image. C’est un homme humble, attentionné, prévenant, qui écoute les conseils de tout le monde. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Si j’avais bêtement des a priori à cause de cette image trop réductrice de son rôle dans « Camping », j’ai découvert un magnifique compagnon de voyage…

Lors de l’avant-première du film « Toute ressemblance… », le lundi 25 novembre, Franck Dubosc et son épouse, Danièle.

Dans toute ressemblance, Franck Dubosc incarne le présentateur préféré des Français. Il est beau, riche, célèbre. Chaque jour, il fait vibrer la France entière. Mais lui, qu’est-ce qui le fait vibrer ? Le pouvoir est sa drogue. Est-il dans l’illusion infantile de la toute-puissance ? Son succès lui donne-t-il un sentiment d’impunité ?

Totalement ! Il se drogue au pouvoir. Et la drogue réelle l’amène à penser qu’il est un Dieu… Finalement, il perd un peu la tête…

D’ailleurs, dans « Toute ressemblance », Franck Dubosc affirme qu’il est le Roi. Il est le roi, le roi du monde qui règne sur le réel grâce à la régence télévisuelle. Il a sa cour, ses codes, ses courtisans. Il se sent indétrônable. Jusqu’à l’arrivée du nouveau président de la chaine incarné Denis Podalydès, qui veut sa tête…

C’est la guerre des égos ! Entre celui qui rafle tous les succès, le présentateur du JT et son patron qui  est aux manettes de la chaîne. L’égo du boss est dérangé par le triomphe de Franck Dubosc. Il s’énerve à tort – car au lieu de penser au succès de la boite dont il a la gestion – il s’agace que les records d’audience ne viennent pas de lui mais de Cédric.

Cédric de Saint Guérande, dit CSG, affirme au début du film «  Mon paradis, c’est ça : avoir tous vos yeux braqués sur moi, tous les soirs ». Dans l’ère visuelle, être visible, être partout sur les réseaux sociaux, être vu par tout le monde, passer à la télé, capter l’attention de tous, c’est devenu le nec plus ultra. Pour vous, être actrice, c’est se mirer et s’admirer dans les yeux des spectateurs ?

Non, pas pour moi ! Etre actrice c’est arriver à donner une âme et un corps à de l’encre tracée sur du papier. Mais aussi offrir une parole et raconter une histoire qui grâce à un écran, peut amener à un combat.  

Lors de l’avant-première du film « Toute ressemblance… », le réalisateur Michel Denisot et son épouse, Martine.

Les acteurs dépendent-ils du désir des réalisateurs ?

Toujours ! Il faut rentrer dans leur imaginaire. Pour le rôle de Palma, les productrices Isabelle et Aline m’ont dit dès le début, Palma c’est toi ! Mais ça c’est rare… C’est comme une grâce… Car, malheureusement nous ne sommes pas uniques au monde et chaque actrice a le pouvoir d’interpréter n’importe quel rôle.

 Est-ce que plus on vous voit à l’écran, plus les réalisateurs pensent à vous pour un rôle ?

Il y a les deux. Quand on voit trop un acteur, cela peut engendrer un phénomène de lassitude. Et quand on ne le voit pas assez, on peut l’oublier !

 

Le réalisateur du film « Toute ressemblance » Michel Denisot

Avez-vous une actualité théâtrale ?

Oui, cela fait deux ans que je fais une tournée théâtrale en Italie, qui se terminera le 8 mars prochain. Je joue dans la pièce « Huit femmes » de Robert Thomas, adaptée cinématographiquement par François Ozon en 2002.

Aimeriez-vous jouer au théâtre à Paris ?

J’aimerais tellement ! Je suis une grande fan d’Alexis Michalik, le metteur en scène qui a monté « Intra Muros », « Edmond » et « Loin ». C’est un jeune metteur en scène qui a un talent fou. En découvrant ses spectacles, on voit qu’il est amoureux du théâtre, qu’il a inventé un nouveau code du langage théâtral, qu’il dirige merveilleusement ses comédiens. Pour moi, ce serait un rêve de travailler avec lui…

 Et du côté du cinéma, y-a-t-il un réalisateur avec qui vous aimeriez jouer ?

Il y en a beaucoup ! Dernièrement, j’ai vu « Les Misérables ». C’est un très jeune metteur en scène, il a su raconter une histoire proche de lui. On voit qu’il a compris tout de suite, les codes du cinéma. Il raconte quelque chose de quotidien mais de bouleversant avec une énergie et une force qui vont droit au but. C’est un film « coup de poing ». J’aimerais tourner avec Ladj Ly.

Vous êtes une femme vraie, entière, extrêmement généreuse. Donner du bonheur aux autres vous rend heureuse. Et vous, qu’est-ce qui vous fait du bien à l’âme ?

On a perdu de vue ce qui faisait l’essentiel de la vie. La vie c’est la normalité, la quotidienneté. Par chance, la vie m’a donné des choses un peu extraordinaires, mais moi ce que j’adore c’est le quotidien ! Sans doute que si je n’avais que du quotidien dans ma vie, je m’en lasserai. Mais aujourd’hui, faire les courses, voir des amis, dîner avec mon fiancé, recevoir ma famille, passer un samedi soir à regarder la télé sous la couette, c’est simple, pour moi, c’est le bonheur !  

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

L’actrice Caterina Murino

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