Orlinski le magnifique

Il est l’artiste français contemporain le plus vendu au monde. Mais il est surtout un immense sculpteur. En quelques années à peine, son œuvre s’est imposée par son audace, son originalité, son inventivité. Quel est le secret de cette victoire ? Un bestiaire à couper le souffle. Des loups blancs, des ours polaires, des gorilles noirs, des crocodiles rouges flashy, des panthères chromées, des lions bleus. Un vestiaire tout aussi éclatant, avec ses perfectos roses, ses jeans argentés, ses stilettos laqués vermillon… Un arc en ciel de couleur pour une fête artistique.

Chez Richard Orlinski, l’ours blanc, le lion doré ou le tigre argenté ne sont pas de simples représentations multicolores mais une présence vivante, palpable, dont on perçoit la chaleur animale. Car Richard Orlinski fait mieux qu’imiter la vie, il la fait naitre sous ses doigts. D’un seul coup, l’animal palpite, vibre, se cabre, rugit. Paradoxalement, c’est en exhibant la violence animale, les crocs effrayants du gorille, les mâchoires acérées des crocodiles, que ces œuvres d’art nous aident à canaliser notre violence humaine, à dominer notre agressivité galopante, à la métamorphoser en douceur et tempérance. Par leur proximité esthétique, ces animaux ont un effet apaisant sur nous. Ils nous obligent à nous réconcilier avec nous-même. Mieux qu’une thérapie, c’est le triomphe de la beauté, de l’harmonie, de l’amour sur nous. Pour ce faire, Richard Orlinski n’a pas besoin de civiliser ses animaux, lesquels « sont plus humains que les humains ». Plus sages aussi. Il les a simplement corrigés à son image. « Voir le monde comme je suis, non comme il est » disait Eluard…

Dès lors, rien de plus beau que cette sculpture monumentale de 6 mètres de haut, campée sur les hauteurs de Val d’Isère, qui flirte avec les nuées. A la verticale, dressé vers le ciel, un ours polaire, immaculé, les pattes lancées vers l’azur en une sublime assomption, en une tendre accolade, nous invite à le rejoindre. Est-ce pour nous étreindre ? La sculpture s’élève, s’accorde, s’encorde à la structure cosmique, aux glaciers, aux cimes, à la montagne magique, au ciel azuréen. La lumière ruisselle sur sa chair transparente. C’est la pesanteur et la grâce. L’immobilité et le dynamisme. Eblouissement.

L’artiste que nous avons rencontré est à la hauteur de ses magnifiques sculptures. Simple, direct, adorable; la marque des grands. D’une belle supériorité morale, généreux, altruiste. On tombe instantanément sous le charme de son optimisme contagieux, comme on tombe immédiatement sous le charme de ses sculptures.

Rencontre avec un artiste au grand cœur.

En quelques années, vous avez réussi l’exploit de devenir l’artiste français contemporain le plus côté au monde. Vos œuvres sont présentes dans plus de 90 galeries aux quatre coins de la planète. L’enfant de quatre ans que vous étiez, qui modelait de petites figurines, serait-il fier de l’adulte que vous êtes devenu ?

Peut-être ! Je ne sais pas… Il faudrait lui demander ! Malheureusement, il n’est pas là !

Il est peut-être encore en vous…

Faut que je lui téléphone ou que je me connecte à lui… Plus sérieusement ! Je ne sais pas s’il ressentirait de la fierté mais en tout cas, cela ressemble à une espèce d’accomplissement.

Vous attendiez-vous à un tel avenir ?

Pas du tout !

C’est une heureuse surprise alors ?

Non, ce n’est pas une surprise. Je m’attendais à quelque chose parce que j’avais des ambitions. Effectivement après, il faut encore les réaliser…

Il y a quelque chose de très juvénile qui transparaît dans vos sculptures, juvénile au bon sens du terme. Comme si vous aviez gardé une âme pure, intacte, une âme d’enfant. Vos sculptures ressemblent à des cocottes en papier, des pliages monumentaux. Est-ce pour cette raison que les enfants adorent votre œuvre ?

Effectivement, certaines oeuvres ressemblent à des origamis. Mais je crois surtout que c’est le thème animalier qui plait aux enfants, l’émotion immédiate qu’ils éprouvent en présence de ces animaux.

A l’occasion de son 25ème anniversaire, le parc Disneyland Paris a fait appel à vous pour revisiter son Mickey. Vous avez donné vie à un Mickey magicien, bleu, de toute beauté. Ce privilège rare, est-ce une reconnaissance pour vous ?

Oui, c’est une vraie reconnaissance. C’est aussi, quelque part, rentrer dans l’histoire ! De savoir que mes enfants, mes petits-enfants, les générations futures pourront acquérir une œuvre revisitée par moi, c’est pour moi un honneur. De plus, Disney m’apporte quelque chose d’assez unique puisqu’il me permet de démocratiser l’art, de le rendre accessible à tous. Je suis un artiste populaire au bon sens du terme. L’idée, c’est de parler à tout le monde. A partir du mois de juillet 2017, ces petites figurines de Mickey magicien seront en vente à quelques dizaines d’euros (ndlr, 49 euros). Aujourd’hui, vu la qualité de l’œuvre, j’aurais été incapable de réaliser des sculptures à ce prix-là, cela coûterait beaucoup plus cher, et là Disney me donne la possibilité de réaliser mon rêve : partager avec le plus grand nombre. C’est vraiment superbe !

Ce Mickey magicien se décline-t-il en plusieurs couleurs ?

Il va se décliner aussi en chromé avec l’étoile bleu. Bleu et argent, c’était les couleurs du 25ème anniversaire du Parc Disneyland Paris. Mais on va probablement le faire dans d’autres couleurs…

Le monde de l’art français, les critiques d’art apprécient-ils votre œuvre ? Ou la boudent-ils au motif que vous êtes médiatique, célèbre, apprécié et jet set ?

Il y a une frange, une intelligentsia qui boude effectivement mes œuvres. Un petit milieu de gens bien-pensants qui croient faire le monde de l’art. Qui s’autorisent même des critiques très acerbes à l’égard de mes sculptures. D’une part, parce que je n’ai pas suivi le cursus artistique classique, d’autre part, parce que je dérange, que je n’ai pas eu besoin d’eux, que j’ai du succès, que je refuse les étiquettes. D’ailleurs, ce genre de comportement, c’est très français ! Dans les autres pays, je ne rencontre pas ce problème…

En réalité, vous avez d’abord été reconnu par les Américains avant d’être reconnu par les Français ?

Tout à fait ! Il y a un French bashing en France. Il faut savoir que dans l’hexagone, on a du mal à reconnaître nos artistes. Il y avait dernièrement un article au Sénat qui évoquait le peu de présence des artistes français à la FIAC. Imaginez, pas un seul artiste français n’a exposé sur les Champs- Elysées ! On a fait appel à Botero, à des chinois, des japonais, mais il n’y a jamais eu de français. En France, il y a un certain snobisme, on préfère importer des artistes de Russie, d’Inde, de tous les autres continents. En revanche, quand vous allez aux Etats-Unis, vous découvrez qu’eux sont très chauvins, très protectionnistes. Les chinois sont très protectionnistes aussi, ils défendent vraiment leurs artistes. Nous, on ne défend pas nos artistes…

Donc, les productions artistiques françaises ne sont pas valorisées par la France …

Pas tellement ! Quelques-unes ont ce privilège mais le monde institutionnel de l’art choisit vraiment ses artistes. Mais bon, depuis deux ans, le Ministère de la Culture commence à me reconnaitre. Ils ont même envoyé quelques tweets très élogieux à mon égard au moment où je faisais ma grande exposition à Courchevel, ce qui était une reconnaissance. Mais cette reconnaissance, j’aurai été content de l’avoir bien avant ! Enfin, c’est quand même arrivé !

Est-ce de la jalousie ?

Je ne sais pas car c’est un sentiment qui m’est inconnu. Quand je vois quelqu’un qui réussit, cela me motive et m’inspire. De toute façon, je ne fais pas grand cas de tout ça, j’avance, c’est tout. Je fais mon chemin…

© Francis Poirot

A vos débuts, à 38 ans, lorsque vous vous êtes lancé dans cette aventure artistique, muni de votre seule détermination et de votre talent, vous ne vous êtes jamais découragé ?

Non, parce que c’était un hobby. A la base, je ne faisais pas ça pour le montrer ni pour gagner ma vie. En fait, j’ai d’abord eu la chance d’avoir plusieurs expériences professionnelles, j’ai eu plusieurs vies, cette maturité m’a donné une idée des codes et du chemin à suivre. Quand après des mois de travail, j’ai voulu exposer ma première œuvre, effectivement, certaines personnes ont cherché à me décourager. Très rapidement quand même, puisque j’avais dans ma tête une espèce de plan et que je savais où je voulais aller, j’ai rencontré l’adhésion du public. Cela a marché très vite !

Comment se fait-il que rien ne vous résiste ?

On voit toujours la face émergée de l’iceberg ! On ne voit pas tout le travail qu’il y a derrière, toutes les contrariétés, les déceptions. Derrière tout ça, il y a une implication très importante. Il y a aussi une équipe solidaire. C’est un travail d’équipe, ce n’est pas un travail solitaire.

En 2006, la première pièce que vous présentez au public, est un crocodile en résine rouge « Born Wild ». Ce « Born Wild » (inspiré du « Livre de la Jungle » que vous affectionniez enfant) est un bestiaire d’animaux sauvages, fiers, conquérants. Vos sculptures interrogent-elles nos peurs concernant nos pulsions sauvages, instinctives ?

Mon message est le suivant : j’ai exacerbé la violence, l’animalité qui est en eux. Ils ont toujours la gueule ouverte, les dents acérées, les mâchoires prêtent à mordre. Ce sont plutôt des animaux féroces que j’ai représenté. Mais cette férocité, cette violence, les animaux l’utilisent à des fins utiles parce qu’ils tuent pour se nourrir. Ils tuent par nécessité. Nous, nous faisons des guerres… L’espèce humaine se pense beaucoup plus intelligente que les animaux parce qu’elle exerce une sorte de domination sur eux, alors que finalement elle a beaucoup à apprendre des animaux. Les animaux tuent pour obéir au cycle de la vie et c’est un cercle vertueux, alors que nous, malheureusement, sommes dans un cercle vicieux. Cela dit, j’ai aussi réinterprété complètement l’animal. Je change, je joue avec ses formes. Je corrige la nature à mon image…

Est-ce à dire que les animaux sont plus sages que nous ?

Ils sont plus humains que les humains…

Dans lequel de ces animaux, vous retrouvez-vous le plus ? Le loup épris de liberté qui échappe au contrôle de l’homme, le gorille invincible, le tigre prédateur ?

Le gorille ! En réalité, c’est celui qui se rapproche le plus de l’homme, ne serait-ce que dans la manière de se tenir ! A part les poils, évidemment ! Je ne sais si l’homme descend du singe mais de toute évidence, il y a une vraie similitude !

Vos gorilles sont souvent amoureux ! Dans votre single « Heartbeat », le gorille géant fond littéralement devant la chanteuse. On entend les battements de son cœur amoureux…

Comme dans King Kong, c’est un singe au grand cœur. Il est plus sage que l’homme. Il défend sa belle. Il a beaucoup de vertu ce King Kong ! Ou alors beaucoup de défauts, le défaut d’aimer, de vouloir le bien de l’autre…

En 2007, Dominique Desseigne, le PDG du Groupe Barrière, vous offre d’exposer vos œuvres à l’hôtel Normandy en plein festival du cinéma américain de Deauville. L’acteur Andy Garcia flashe aussitôt sur l’un de vos crocodiles et vous l’achète. C’est le début de la gloire…

C’est une anecdote assez amusante. A l’époque, je n’étais pas très connu, mais nous avions fait une belle exposition sur tout le festival. On était en plein vernissage au Normandy et des gens du staff de Dominique viennent vers moi en s’exclamant : « Monsieur Orlinski, il faut absolument venir maintenant ! Andy Garcia veut acheter vos œuvres ! » Pour eux, cela avait l’air d’être un grand événement ! Moi, je ne me rendais pas compte de l’importance de la chose. J’ai donc accepté. On a traversé la rue avec une cohorte de gardes du corps. Andy Garcia était à l’hôtel Royal et le vernissage avait lieu au Normandy. Il y a quelques centaines de mètres entre les deux hôtels. On arrive en bas du Royal. Là, on téléphone à sa chambre. Et on nous répond, Monsieur Garcia s’est endormi ! Il s’est couché très tard ! Le directeur de l’hôtel avait l’air navré et répétait qu’on ne pouvait rien faire. Mais, je n’avais pas l’intention de revenir, alors j’ai dit : « Vous transmettrez que l’artiste s’en va ! De toute façon, il ne reviendra pas ! Il n’a pas que ça à faire ! » Une assistante de Dominique a été très dynamique et ne s’est pas laissée démonter. Deux secondes après, finalement, on a appris que c’était bon ! On est monté là-haut, Andy Garcia était en robe de chambre. En pyjama, devant tout le staff de l’hôtel, là à attendre dans le couloir ! Il m’a fait entrer dans sa suite et on a sympathisé tout de suite. J’avais l’impression qu’on était amis depuis toujours, qu’on s’était quitté la veille. On est resté deux-trois heures à discuter et le lendemain ça a fait « La Une » des journaux locaux ! On a noué une relation très vite. Les américains sont si simples, conviviaux et faciles !

C’était le début de la gloire…

Oui, même si je ne m’en rendais pas compte au début. Même aujourd’hui, j’ai toujours l’impression qu’on en est au début…

Ce succès à Deauville vous a donné l’idée d’exposer vos sculptures dans les lieux fréquentés par les stars et la jet set. Vous installez alors vos gorilles géants sur la Croisette à Cannes…

C’est vrai en partie… mais pas seulement ! C’est ce que relatent les reportages à la télévision car les journalistes aiment bien insister sur le côté spectaculaire des événements, mais si je n’exposais que dans les lieux fréquentés par les stars, je ne vivrais pas aujourd’hui ! Moi, je parle au plus grand nombre. Et puis le terme de jet set me semble un peu démodé. Il correspondait à une époque. Il a perdu son sens aujourd’hui. Il y a tellement de mixité, de monde qui se mélange. Ce n’est plus le Saint-Tropez d’il y a 20 ans où on venait regarder les vedettes. A l’ère d’Internet, le monde a beaucoup évolué.

Vous faites aussi des expositions à ciel ouvert, comme ce sublime ours blanc que vous campez sur les hauteurs de Val d’Isère, au sommet de la montagne. Mais aussi des expositions dans les rues de Paris, comme au Village Royal. Où pourrons-nous croiser vos prochains bébés ?

J’expose en ce moment à Saulieu, avec François Pompon, qui est l’un des plus grands sculpteurs animaliers du 20ème siècle. Le Musée de Saulieu organise une exposition intitulée « Le Choc des Titans ». Ce sculpteur a fait un ours polaire qui est très emblématique. Donc, on a mis mon ours polaire avec le sien ! C’est une rétrospective tout à fait intéressante. Sinon, effectivement, j’ai exposé l’année dernière au Village Royal à Paris, c’était une très belle exposition. Nous allons sûrement renouveler l’opération en septembre prochain d’ailleurs. Mes sculptures sont aussi exposées en ce moment et pour plusieurs mois dans les rues de Montélimar et dans le musée d’art contemporain de la ville. Aujourd’hui, je veux faire plaisir au public. Mon maître-mot, c’est le partage !

© Francis Poirot

En 2014, vous vendez une œuvre pour 15 millions d’euros. Il s’agit d’un Pin-up jaillissant de la bouche d’un crocodile en or. Cette nouvelle Vénus ne sort pas des eaux mais des mâchoires acérées d’un crocodile. Est-ce à dire que le monde contemporain est particulièrement cruel pour la femme, que l’homme « est un loup » pour la femme, que c’en est fini de l’amour courtois ?

En réalité, cette œuvre est assez étonnante parce qu’on peut l’interpréter de plusieurs façons. Je ne veux pas insuffler une interprétation unique. J’aime bien l’idée que les gens l’interprètent comme ils en ont envie. J’aime cette liberté. La Pin-up peut sortir du crocodile mais elle peut y rentrer aussi ! On ne sait pas dans quel sens cela se passe. Est-ce que justement, elle en sort pour s’échapper, pour se désaliéner, pour sortir de l’emprise ?

Oui, mais le crocodile est un prédateur vorace, cela signifie que la femme est menacée, qu’elle est une proie…

Malheureusement, de tout temps, la femme l’a été. Les femmes sont en butte au sexisme, à la violence conjugale, aux agressions etc. C’est pour cette raison que je soutiens beaucoup d’associations qui défendent les conditions de la femme dans le monde, comme l’association Womanity.

J’insiste ! Mais si la femme rentre dans le crocodile, celui-ci la dévore aussi !

Je n’y ai pas pensé au moment de réaliser cette sculpture ! J’éprouve une envie de création immédiate, un élan, mais je ne sais pas forcément pourquoi. Je réalise des choses et je réfléchis après. Ensuite, les observateurs soulignent ou non le manque de relation entre une œuvre et une autre. Or, il y en a toujours une. Pour la bonne raison que ces œuvres sortent toutes de moi ! Mais je n’en suis pas toujours conscient tout de suite.

Lacan disait : « l’art c’est l’inconscient qui parle à l’inconscient »…

C’est ça ! C’est mon inconscient qui me parle. Ce qui explique que c’est parfois bien après que je comprends pourquoi j’ai fait une œuvre…

Simone de Beauvoir soulignait à propos de la femme qu’il n’y avait pas d’autre alternative que « bête de sexe ou bête de somme ». Pensez-vous que la femme contemporaine doit rentrer dans le moule pour plaire ? Ne reste-il donc à nos contemporains que la performance et la compétition, comme l’écrit Michel Houellebecq ?

J’ai beaucoup d’amies qui se livrent à moi et qui me font part des difficultés d’être une femme, aujourd’hui encore. Bien sûr les mentalités évoluent mais pas aussi vite qu’elles le devraient. Les diktats physiques par exemple sont aujourd’hui très forts. L’essor de la chirurgie esthétique est révélateur de nos nouveaux canons de beauté et de notre quête perpétuelle de jeunesse. Mais tout ce qui était réservé aux femmes, cette course effrénée vers la perfection, l’homme y participe de plus en plus.

Mais vous, vous soumettez-vous à ces diktats ou les envoyez-vous promener ?

Moi, je suis un esthète, je suis toujours en quête de perfection pour mes œuvres. J’aime qu’une sculpture soit parfaitement finie, aboutie. Bien sûr, quand on est esthète, on apprécie ce qui est beau. De là à dire que c’est un diktat, c’est ridicule. Je pense que l’être humain est composé de pas mal de facettes, il faut savoir aussi être raisonnable et avoir du recul par rapport aux choses. L’excès n’est jamais bon dans rien. Tout cela est valable dans notre société occidentale. Mais en allant dans d’autres sociétés, on découvre vite qu’ils n’ont pas les mêmes codes. Nos codes occidentaux ne sont pas universels.

Vous ne cessez de montrer la cruauté du monde contemporain, un monde très hostile avec des mâchoires de prédateurs, ou sa vacuité, avec une sculpture par exemple symbolisant un pantalon, un jean vide… Ce jean symbolise-t-il la société de consommation, le consumérisme effréné ?

Non ! Le jean est vivant, il est flottant, il est déboutonné. Avec lui, je représente une icône. Comme l’a fait Andy Warhol, mon modèle, à son époque. Le jean, c’était plutôt une façon de représenter la sensualité. D’ailleurs, dans certains pays, je ne peux pas vendre cette sculpture, elle est considérée comme trop sensuelle. A ce propos, on ne sait pas si c’est le pantalon d’un homme ou d’une femme… C’est l’action que je souhaitais représenter, le côté vivant. C’est difficile de représenter un jean vivant ! Et puis le jean a participé à mon histoire, je suis né avec le jean. Nous sommes les enfants du jean. Il a été le pantalon le plus vendu au monde !

Dans votre œuvre, à la violence vous répondez par la douceur; à la destruction, vous opposez la vie; à la férocité, vous répondez par l’amour… D’accord avec ça ?

Complètement !

Vous sculptures sont très graphiques, avec des pliages, des arrêtes, des facettes. Ce miroir à facettes, est-ce pour refléter toutes les facettes de l’être humain ?

Mes sculptures sont taillées à facettes comme un diamant. D’où une certaine brillance, un éclat particulier. Mais ces facettes, c’est aussi un mélange de symboles. Ce subtil cristal nous éclaire sur nous-même…

Ces facettes sont-elles toujours positives ou y a-t-il des faces cachées ?

Non, je suis quelqu’un de très positif même quand j’interprète une tête de mort !

Toutes les stars raffolent de vos sculptures. Sharon Stone fut l’une de vos premières admiratrices. Elle possède plusieurs sculptures de vous. Justin Bieber a devant sa piscine deux de vos crocodiles bleu, un petit et un grand. Paul McCartney a une guitare en aluminium de vous…

J’ai aussi parmi mes collectionneurs des stars de l’Est, en Inde, partout. Pas seulement des stars américaines connues des occidentaux ! Mais ce n’est vraiment pas le plus important pour moi, connu ou pas, aisé financièrement ou pas, spécialiste ou néophyte, je veux que celui qui acquiert mes œuvres en éprouve un réel plaisir, de la joie même.

Qu’éprouvez-vous à essaimer ainsi vos sculptures aux quatre coins du monde ?

Je rentre complètement dans le concept de partage. Je ne cherche pas la notoriété ou la reconnaissance pour la reconnaissance. Ce que je veux, c’est pouvoir partager avec le plus grand nombre. Plus je partage, plus je suis content !

Cela vous rend heureux de rendre heureux les gens ?

Exactement ! C’est ce que je donne qui m’intéresse ! La dernière fois, on a remis à un collectionneur une panthère pour un événement. Il m’a pris dans ses bras, il était incroyablement ému… Pareil pour les enfants ou les personnes plus âgées. Dès qu’une émotion passe, j’ai tout gagné !

© Francis Poirot

Vous sculptez la résine mais aussi les notes. Vous avez signé deux singles : « Heartbeat » puis « Paradise », des tubes qui ont fait danser la planète entière. Avez-vous d’autres projets musicaux ?

Oui, j’ai un premier album en préparation, contenant une vingtaine de titres.

Et des spectacles aussi ?

Je travaille à un spectacle interactif pour 2019, dans lequel je ferai participer le public. Ce qui me dérange dans les spectacles actuels, c’est le côté passif. Je préfère que le spectateur se sente sollicité afin de favoriser une communion entre le spectacle et le spectateur. Dans ce futur spectacle, j’aimerais faire partager une expérience multi-sensorielle aux spectateurs-participants. Nous ferons appel aussi à toutes les émotions : musique, théâtre, humour. Ce sera quelque chose d’assez complet et d’assez nouveau. J’ai besoin de faire des choses qui me plaisent à moi aussi. Quand je fais une sculpture, il faut qu’elle puisse être dans mon salon, que j’ai envie de la contempler tous les jours. Quand je vais à un spectacle ou au théâtre, je n’ai pas envie de m’ennuyer. Donc, je vais créer un spectacle, où on sera en même temps spectateur et acteur !

Vous avez sorti aussi un livre !

En mai 2017 chez Michel Lafon : « Richard Orlinski. Pourquoi j’ai cassé les codes. » C’est un livre assez pédagogique qui explique, en toute humilité, mon parcours, les embûches que j’ai pu rencontrer, etc. A chaque fin de chapitre, je donne les codes qui m’ont aidé, en me disant que cela peut servir à d’autres pour aller plus vite, pour éviter de perdre du temps. Il y a pas mal de messages aussi. C’est ma première bio ! Auparavant, j’ai déjà fait des livres, mais c’était des livres d’art…

Des sculptures, des CD, un film au cinéma « Les Effarés » dans lequel vous allez tourner bientôt, une biographie, vous êtes dans une dynamique créatrice incroyable !

On n’a qu’une vie ! Comme disait Moustaki « Nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer ! »

Vous dévorez la vie…

Faut avouer que je n’ai plus vingt ans non plus ! C’est aussi une façon de conjurer la mort…

Vous construisez, édifiez, créez pour détruire la destruction. Pour arrêter la mort ?

C’est très fort chez moi, cette angoisse de la mort depuis que je suis tout petit. C’est ce qui fait que j’ai envie de faire en un an ce que d’autres font en dix ou vingt ans ! Du coup, je cours toujours après le temps. C’est physiquement très éprouvant, c’est beaucoup de stress, mais bon c’est un moteur fabuleux !

Finalement, vous êtes un homme extrêmement sensible…

Oui, c’est sûr, mais je cache beaucoup ma sensibilité. Disons que je donne parfaitement le change. J’ai créé une armure autour de moi pour me protéger. Je n’ai pas le choix. Parfois, ce bouclier se révèle ennuyeux parce qu’il m’empêche de ressentir des émotions. Mais c’est nécessaire parce que des flèches, on en prend dans tous les sens. Quand on a une certaine notoriété, le succès est parfois difficile à gérer.

Quand on est au centre, on est la cible…

Voilà ! Il faut se protéger !

Richard Orlinski, vous semblez tout avoir… Qu’est-ce qui vous manque encore ?

Tout !

Qu’est-ce qui vous fait vibrer ?

La peinture, la sculpture, la musique. Bref, l’art sous toutes ses formes ! C’est aussi tout ce que peut apporter la vie, les enfants. Par ailleurs, je suis très impliqué dans plusieurs causes caritatives. Je fais, par exemple, des ateliers à Garches pour les enfants malades. J’ai animé récemment un atelier artistique où l’on réalise avec les enfants des petits modelages, de la peinture, des dessins. Il y avait là une petite fille extrêmement douée qui produisait à main levée des choses incroyables. Je lui ai dit : « Tiens dans mon prochain bouquin d’art, je publierai ton dessin ! » Je l’avais déjà fait pour les enfants malades de l’hôpital Necker. Donc, le soir je rentre, les médecins et les personnes de l’association me remercient. Soudain, la Présidente de l’association vient vers moi et me dit : « Te rends-tu compte de ce qui s’est passé aujourd’hui ? Je lui rétorque un peu surpris « Non, que s’est-il passé ? », « La petite fille avec qui tu as parlé, elle n’avait jamais parlé auparavant… » J’ai trouvé ça incroyable ! Bien sûr, ce n’est pas grâce à moi, c’est un concours de circonstances, mais c’est à ce moment précis qu’elle s’est exprimée. Pour moi, c’était extrêmement émouvant. Si on fait des choses pour les enfants, ils nous apportent souvent plus que nous ne leur apportons…

Qu’est-ce qui vous rend heureux ?

Ce genre de démonstration, vous voyez, me rend heureux ! Cela remplit, c’est un vrai bonheur…

Richard Orlinski, quelle est votre devise ?

Take the best fuck the rest ! (prendre le meilleur et laisser le reste.)

Enfin, estimez-vous que vous êtes notre Jeff Koons français ?

Non ! Mais j’ai déjà eu cette comparaison. Elle ne me dérange pas d’ailleurs.

C’est une comparaison flatteuse…

C’est drôle ce que vous dites, parce qu’il y a 5 ans, il a un critique d’art qui a écrit un article très virulent, très destructeur au sujet de l’art contemporain et surtout des artistes contemporains, et j’étais dans le lot ! Il faisait un parallèle entre le Balloon Dog de Jeff Koons et le Born Wild d’Orlinski, or cette comparaison m’a fait plaisir parce qu’alors je n’avais pas la notoriété que j’ai aujourd’hui. Le journaliste me mettait au niveau de Jeff Koons. Je me suis dit tiens si je suis considéré comme Jeff Koons, du coup c’était très positif pour moi. Cela ne me dérange pas du tout d’ailleurs, on n’a pas la même vision, mais je trouve que ce qu’il fait est intéressant. Il assume ce qu’il fait, et j’aime beaucoup sa démarche. Moi, de la même façon, j’assume de ne pas faire toutes mes sculptures, la plupart de mes sculptures sont faites par mes équipes, je n’ai aucun problème avec ça. A l’époque, c’est déjà ce que l’on faisait. Les gens ne le savent pas mais Rodin faisait couler ses bronzes par ses collaborateurs. Aujourd’hui, je fais intervenir dix corps de métiers différents, presque cent cinquante personnes, des fondeurs, des mouleurs, des soudeurs, des polisseurs, des peintres, des menuisiers, des marbriers etc., et j’assume. Et Koons aussi assume ça. On le voit à son atelier en costume d’hommes d’affaires. Mais on s’en fiche de son apparence, l’important c’est le message qui est derrière. On aime ou on n’aime pas mais ce qui compte c’est l’œuvre. Peu importe comment l’artiste travaille.

Du 8 février au 9 avril 2017, on pouvait gagner une de vos merveilleuses sculptures en participant à un concours de photos à Courchevel. Quand recommencez-vous cette incroyable dotation ?

Très régulièrement, je fais ce genre d’opération parce que je veux que l’art soit accessible ! Je fais des concours, du dumping sur des œuvres, je les vends moins chères que leur prix de revient. Un jour, je suis passé chez Cauet, dans une grande radio, où j’ai proposé des œuvres. Et à ma grande surprise, j’ai découvert que les jeunes étaient très intéressés. Je pensais que ce qui les passionnait c’était la musique, c’est faux. Ils étaient aussi très réceptifs à la sculpture. J’ai même eu des demandes sur mon site. Certains m’écrivaient pour me dire qu’ils aimeraient bien avoir des oeuvres de moi ! Donc, derrière ça, j’ai lancé des petits événements, des concours etc. J’ai même fait des concours de Pokémon. J’essaye d’être dans l’actualité, de toucher, de parler à tout le monde, du plus petit au plus grand.

Vous êtes un véritable bienfaiteur !

Non ! J’essaye simplement de redistribuer !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Paru le 24 mai 2017, livre de Richard Orlinski : « Pourquoi j’ai cassé les codes » aux éditions Michel Lafon.

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