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Yvonne Poncet-Bonissol

 « Le seul devoir d’une mère, c’est d’être heureuse »

Yvonne Poncet-Bonissol

Psychologue clinicienne, psychanalyste réputée, auteur d’essais sur le harcèlement moral dans la famille, la perversion narcissique, les emprises et les addictions, Présidente de l’Association de défense contre le harcèlement moral, Yvonne Poncet-Bonissol est connue du grand public pour ses interventions en qualité d’experte psychologue dans l’émission télévisée « Toute une histoire ». Durant dix ans, elle a fait connaître au public français les rouages de la maltraitance psychologique, de la perversion, de la manipulation, la notion de projection, les mécanismes de défense que les pervers mettent en place pour se protéger. S’inscrivant dans la lignée de Françoise Dolto, qui avait vulgarisé la pédopsychiatrie au meilleur sens du terme, Yvonne Poncet-Bonissol a fait en sorte de rendre la psychologie accessible à tous. Elle a mis ses compétentes professionnelles, sa capacité d’écoute et sa rigueur intellectuelle au service de millions de téléspectateurs, secourant des êtres dont l’estime de soi avait été fragilisée par des personnalités toxiques, les aidant à s’affranchir de situations douloureuses et destructrices. Cette grande psychanalyste profondément bienveillante a fait beaucoup de bien autour d’elle. Depuis des années, elle se bat aussi contre les violences faites aux femmes.

Conversation à bâtons rompus avec une femme merveilleuse.

L’émission « Toute une histoire » présentée Sophie Davant a rencontré un immense succès auprès du public durant dix ans, mais s’est malheureusement arrêtée en juin dernier…

Oui, et c’est dommage. Mais si vous voulez bien avant de commencer notre entretien, j’aimerais rendre hommage à Sophie Davant. Sophie est une femme exceptionnelle. Tout ce qu’on a pu dire sur elle de négatif est très médiocre. J’aime beaucoup la sensibilité de Sophie, son intuition. Et j’ai envie de vous dire que c’est aussi une excellente psy. Elle a un sens de l’autre, un respect de l’autre rare et belle vivacité d’esprit. De plus, elle est belle, elle illumine le plateau…

Dans cette émission « Toute une histoire », vous étiez souvent accompagnée aussi de l’avocat Marc Geiger…

En effet. Avec Marc, nous allons, peut-être, essayer de refaire quelque chose ensemble. C’est un grand professionnel, un homme remarquablement compétent et c’est quelqu’un à qui je veux être fidèle.

Venons-en maintenant à la perversion narcissique dont vous analysez le mode de fonctionnement dans votre essai « Le harcèlement moral dans la famille ». Etes-vous d’accord avec le psychanalyste Jean-Charles Bouchoux qui dit que le pervers narcissique se situe aux frontières de la folie et en réchappe en assujettissant l’autre, pour lui faire porter ses propres symptômes ? 

Oui, la perversion narcissique est une défense contre la psychose. Il m’arrive souvent de parler de psychose blanche, ce sont des êtres qui sont psychotiques, qui n’ont pas le sens de l’autre, qui n’ont pas le sens de l’altérité et qui projettent sur l’autre ce qu’ils sont et qu’ils ne veulent pas être. C’est-à-dire qu’ils fonctionnent sur la culpabilité, la dévalorisation. Quand ils dévalorisent l’autre, c’est d’eux dont ils parlent. Ils ont un rapport en miroir, c’est-à-dire que l’autre est un support de leurs projections. C’est un peu comme si l’autre devenait leur « poubelle », le porteur de tout leur dysfonctionnement. Cette projection est un mécanisme de défense et c’est le propre de la perversion narcissique. Mais cela veut dire aussi que le pervers narcissique est isolé, c’est un autiste de l’affect, un invalide de l’amour. Il est incapable d’aimer et c’est un comédien. Il joue aux sentiments mais il n’en éprouve pas.

Pourquoi certaines personnes entrent-elles dans le jeu des pervers quand ceux-ci discréditent ou salissent à tort les autres ? Ces personnes n’ont-elles pas de sens critique ?

Parce que ces personnes ont une faille narcissique elles-mêmes. Les gens bien construits ne rentrent pas dans le jeu des pervers…

Vous avez commis un superbe essai sur les dépendances affectives et les emprises toxiques. Selon vous, qu’est-ce qui déclenche la dépendance affective ? D’où vient cette insécurité intérieure ? 

Ce sont des êtres qui sont toujours en quête d’amour et qui n’ont pas eu de réponse à leur avidité affective. Ils sont restés suspendus, assoiffés d’amour. Donc ils deviennent dépendants et ils deviennent souvent dépendants d’une forme de maltraitance et de non réponse à leur besoin. On ne devient dépendant que lorsqu’on a eu des besoins que l’on a exprimés et auxquels on n’a pas répondu. Donc, on est toujours en attente d’une satisfaction de quelque chose qui n’arrive jamais. Si vous voulez, on reste toujours en attente comme l’oisillon dans son nid, le bec ouvert. La dépendance c’est une attente jamais comblée.

En ne lui donnant pas son amour, est-ce le parent qui crée cette attente chez l’enfant ?

Oui.

La peur profonde de la solitude est-elle le signe de la dépendance affective ?

Oui ! On ne se supporte pas parce que la vraie solitude c’est une forme de non-vie, on ne supporte pas d’être seul parce qu’on ne supporte pas d’être avec soi-même, d’être avec son image… Donc, l’autre est là pour venir vous gratifier, vous narcissiser.

Est-ce pour cette raison qu’on s’enferme dans le virtuel, qu’on a recours à Internet pour combler cette solitude ? Ne pensez-vous pas, à ce propos, qu’Internet est une offensive pour envahir le territoire psychique ?

C’est en effet très intrusif. C’est subtilement intrusif. Il ne faut pas oublier une chose c’est que le virtuel, la télé est devenue la deuxième nounou des enfants.

Vont-ils faire leur éducation alors ?

Un peu. D’ailleurs, ce qui me trouble en ce moment, c’est qu’il y a de plus en plus d’enfants autistes, des Aspergers. Ce sont des hauts potentiels intellectuels, ils sont sur stimulés, ils ont une mémoire faramineuse. Je pense que si j’ai un nouveau dossier à traiter dans les prochaines années, j’aimerai bien traiter sur l’Asperger.

C’est une psychose ?

En effet, c’est une forme d’autisme. Mais cela va souvent avec des hauts potentiels intellectuels et des hauts potentiels émotionnels.

Parlons maintenant des femmes et des violences faites aux femmes dans une société qui a tendance à occulter cette réalité. Faut-il briser la loi du silence ? Aider les femmes à sortir de la honte et de la culpabilité ?

Il est vrai que la violence est un de mes combats. Contre quoi faut-il se battre ? Tout ce qui est malin, c’est-à-dire le mal. Il faut que le bien triomphe du mal. Le mal au sens diabolique (diabolos signifie diviser). Le pervers divise toujours, il a une dimension diabolique. Quand on a un parent diabolique et pervers, il faut beaucoup de temps pour accéder enfin à un peu de paix. Par exemple, j’ai un patient qui a 55 ans, une très belle situation, qui a réussi brillamment. Il a compris qu’il a perdu énormément d’argent dès qu’il a rencontré une femme qui ressemblait à sa mère. Comme si soudain son argent ne lui était plus dû. Qu’il n’avait pas le droit de le gagner. Je crois que quand on a des parents un peu maltraitants psychologiquement, on peut être résilient, mais on se bat toute sa vie pour accéder enfin à un peu de paix, mais vers 60 ans…

En 2015, 146 femmes sont décédées suite aux violences infligées par leur conjoint. Que peut-on faire contre ce fléau ?

Briser la loi du silence, informer, mettre un terme à la culpabilité, tout ce qui est fait actuellement. Etre dans la prévention. Cette violence ordinaire du quotidien est intolérable et insoutenable.

Estimez-vous que les femmes qui subissent des violences sont plus tolérantes que les autres ?

Par loyauté pour leur famille, parfois elles se taisent…

Certaines ont des parents ou des grands-parents qui ont déjà vécu des violences. Par loyauté familiale, vont-elles jusqu’à les revivre ?

Souvent, il y a une généalogie de victime. Et une généalogie de bourreau. Mais bien sûr qu’on peut sortir de ce schéma. Pour cela, il faut se tourner vers de bons psys, des gens qui vous « boostent », qui vous disent que vous avez le droit de ne pas être victime, le droit d’être heureux. De souligner combien l’autoflagellation n’aboutit pas à grand-chose. Et surtout, on se doit, quand on a des enfants, et je dirai presque que c’est le rôle principal d’une mère, d’être heureuse. C’est son seul devoir…

Estimez-vous que la perversion est le contraire du respect ?

Bien sûr, c’est l’irrespect et l’égocentrisme portés à leur apogée.

Un essai vient de sortir dernièrement intitulé « La fabrique du pervers », Estimez-vous que la société fabrique actuellement des pervers ?

Oui

Selon vous, le monde s’oriente-t-il vers une perversion généralisée ?

J’ose espérer qu’un jour on mettra un terme à ça. Comme disait Malraux, le XXIème siècle sera spirituel ou pas. Soit on verse dans une forme d’échange ou de bonté, soit on verse dans la perversion et dans une forme de matérialisme exacerbé et cela c’est dangereux.

Yvonne Poncet-Bonissol, être adulte est-ce s’accepter, accepter ses limites ou renoncer à sa toute-puissance ?

De toute évidence, c’est renoncer à la toute-puissance, c’est faire preuve d’humilité. C’est accepter la vie au quotidien, c’est la remercier. C’est ça être adulte et puis c’est ne pas avoir peur des épreuves. Parce que bien souvent, on ne se rend pas compte mais on a les épreuves que l’on peut surmonter…

Vous croyez ?

C’est une impression, mais ce n’est pas du tout de la psychologie, c’est de l’expérience, comme une intuition, en tout cas, cette intuition m’a souvent portée, disons que cela m’a fait taire les angoisses que chacun peut avoir, dont l’angoisse de la mort, de la maladie, et je me dis toujours cette phrase « on a souvent que les épreuves que l’on peut supporter »…

Est-ce l’inconscient qui nous inflige ces épreuves pour nous apprendre à vivre ?

Oui, pour nous apprendre à vivre…

Mais pourrait-il aller jusqu’à nous faire mourir pour nous apprendre à vivre ? Par exemple, dans les cas de cancers, de maladies inopérables…

Dans tous les témoignages que j’ai pu avoir à travers cette émission de « Toute une histoire » depuis 10 ans, ce qui correspond donc à un nombre incalculable de gens, je trouve que bien souvent après la maladie, le handicap, les cancers, les personnes sont différentes. Avoir frôlé la mort, cela donne un sens à leur vie. C’est fréquent. Les personnes disent souvent cette phrase : « le cancer m’a sauvé », « ma souffrance m’a transformé » « on m’a donné une deuxième chance », « je vois la vie différemment » « j’ai tout quitté parce que maintenant, je veux vivre ». C’est ce que je vous disais tout à l’heure, c’est ce principe d’individuation où il faut absolument se délester de ce que l’on vous a demandé d’être et d’être ou de devenir ce que vous êtes.

D’advenir enfin à soi-même ?

D’accoucher de soi-même comme disait Socrate.

Mais il faut une vie pour ça… Au moment où on a acquis tout ça, c’est déjà la mort…

Oui, il faut une vie… Mais on l’acquiert jamais vraiment parce qu’on ne s’autorise pas totalement à l’avoir. C’est vrai que si on l’acquiert totalement, eh bien qu’est-ce qu’il nous reste, un grand vide… donc vaut mieux pas. Il faut toujours être en recherche ! Regardez Victor Hugo, à 83 ans, une semaine avant de mourir, il avait encore des rapports sexuels, jusqu’au bout, il y a cru… Chacun d’entre nous n’a pas la notion de la mort, l’inconscient nous protège de ça. L’inconscient n’a pas la notion du temps. C’est tellement génial que l’on se demande si parfois l’inconscient n’a pas été fabriqué d’une manière quasiment magique et cela ça fait partie d’un secret de la vie… La psychologie et la psychanalyse n’expliquent pas tout. Il y a aussi la vie et ses secrets…

Nos peurs sont-elles nos plus grandes ennemies ? La peur est-ce le contraire de la liberté ?

Oui. La phobie est un enfermement. Si on considère que la peur s’inscrit dans la phobie et se matérialise par des phobies, par des anxiétés, c’est vrai que c’est le contraire de la liberté parce que ce qui nous prive de liberté. Nos angoisses, nos peurs, nos verrous intérieurs, nos craintes, tout cela fait que l’on ne va pas de l’avant. Lorsque l’on a des peurs, on n’ose pas. Or, il faut oser la vie.

Ces peurs viennent-elles de l’enfance ?

Elles viennent de l’intérieur. C’est plurifactoriel. Très souvent ce sont des peurs projetés par nos parents.

Ce que ce que l’on appelle le destin, la fatalité ne serait-il pas plutôt l’œuvre de l’inconscient ?

C’est intéressant ce que vous dites ! Je pense que l’inconscient nous guide, nous mène par le bout du nez ! Et pas seulement notre inconscient individuel mais l’inconscient collectif qui lui aussi joue un rôle très important. Et l’inconscient transgénérationnel. C’est-à-dire que quand quelque chose n’a pas été réglé, eh bien la patate chaude est donnée, transmise à l’autre génération. Par exemple, une de mes patientes ne veut pas faire le don d’ovocytes alors qu’elle veut absolument un enfant. Parce qu’elle a fait beaucoup de recherches sur la mémoire cellulaire, parce qu’elle considère qu’il y a aussi une fracture transgénérationnelle, ne serait-ce que dans le don d’ovocytes, C’est symbolique, le don. A travers son analyse, on va à la rencontre de son histoire. Quant à moi, j’ai vu dans mon histoire, disons lorsque j’ai fait le bilan de mon parcours, que j’avais rassemblé toutes les choses qui étaient restées un peu inachevées…

Vous avez refait le puzzle ?

Oui, j’ai refait le puzzle. Mes arrières grands-parents étaient des hommes d’armés très bons, toujours en combat. J’ai fait un combat de mon Association. Ensuite ma mère guérissait avec les plantes. J’ai travaillé un peu dans des laboratoires de phyto, presque à mon insu. Si je suis devenue psy, c’était pour mettre un terme peut-être à ce côté qui me faisait peur, ce côté invisible, cette lecture clairvoyante qu’ont les Médiums et qu’avait ma mère. Adolescente, cela me faisait très peur et j’ai voulu contrer ça d’une façon scientifique et je suis devenu psy. Enfin, un de mes grands-pères était écrivain publique, et je suis devenu écrivain !

Mais si l’inconscient nous guide, cela signifie qu’il n’y a plus de libre arbitre ? Cela veut dire que nous sommes déterminés par notre inconscient, que nos choix affectifs sont déterminés par lui, que nous ne sommes pas vraiment libres… Qu’on est mû par quelque chose qu’on ne contrôle pas…

J’ai peut-être été porté par quelque chose en effet, mais j’avais le choix de le faire ou de ne pas le faire. On a toujours la liberté d’accueillir les choses…

L’inconscient, cela peut être un ami, mais cela peut-être un ennemi aussi…

J’ai fait de mon Inconscient mon ami…

Comment fait-on pour faire de son inconscient son ami ?

D’abord, je suis à mon écoute. A l’écoute de ce que les autres me disent. A l’écoute des choix que j’ai faits. A l’écoute de la répétition.

Pour éviter la compulsion de répétition (la répétition morbide de situations douloureuses), que faut-il faire ?

Il faut un jour s’arrêter et se demander : pourquoi je répète tout le temps ? Et avoir le courage d’aller à la recherche de soi. Et s’affronter…

Oui, mais il y a des violences familiales comme le suicide d’ancêtres qui s’inscrivent à notre insu en nous…

Oui, et il faut faire très attention à cela. Les suicides dans une famille s’inscrivent en effet. Vous savez, je crois que les gens devraient prendre conscience que lorsqu’ils divorcent, cela s’inscrit aussi d’une manière transgénérationnelle…

La société permissive actuelle fait tout pourtant pour nous faire croire que ce n’est rien du tout de divorcer…

Je me bats contre cela. J’ai mis beaucoup de temps pour avoir ma fille, j’ai fait beaucoup de traitements. Dans mon couple, j’ai parfois été humilié par mon mari puis j’ai repris le dessus…

Est-ce pour cette raison que vous avez créé votre Association de défense contre le harcèlement ?

Oui, c’est pour cela… Mon mari a demandé le divorce, et j’ai refusé. Personne ne comprend mon choix. Parce que je ne veux pas que ce soit inscrit dans l’histoire de ma fille. Je me suis battue pour ne pas divorcer. J’ai repris le dessus sur le mal. Et maintenant, je n’ai que des choses merveilleuses qui m’arrivent…

Oui, mais vous êtes extrêmement bien construite ! Avouez qu’il y a quand même un déterminisme plus prégnant pour certains que pour d’autres. Parce qu’il y a quand même des familles plus abîmées que d’autres…

Oui, mais l’important, c’est l’énergie de base que l’on vous a donné, c’est la pulsion de vie. Parfois quand vous n’avez pas été désiré, l’enfant est dans une pulsion de mort et d’autodestruction et il a tendance à s’auto-flageller.

N’avez-vous pas l’impression que la société occidentale est actuellement plus dans la pulsion de mort que dans la pulsion de vie ?

Oui, et on est aussi dans la crainte, avec tout ce qui nous arrive. Paradoxalement, on a eu des guerres qui étaient certainement plus meurtrières que ce que l’on vit actuellement. Néanmoins ce qui est meurtrier c’est la solitude affective des gens qui grandit.

Avec les sites virtuels qui se multiplient…

On ne touche pas au corps, on ne prend pas le risque. On fuit l’autre.

Nous sommes aussi dans une société très narcissique…

Il y a ceux qui sont de plus en plus dans la lumière, qui sont dans une quête spirituelle et les êtres narcissiques, les prédateurs qui sont dans la quête matérielle. D’un point de vue économique, ces derniers veulent de l’argent et considèrent que le pouvoir comme l’argent leur permettent de tout contrôler. Ils se servent de l’argent comme élément de domination.

Etes-vous d’accord avec le philosophe Bernard Sichère qui dit que « la haine de l’autre va avec la méconnaissance de soi » ?

Oui, on hait en l’autre ce qu’on est soi-même et qu’on ne veut pas voir… La haine de l’autre c’est souvent la haine de soi… Il faut parfois choisir entre haïr, juger et aimer.

Se connaître soi-même, est-ce le travail de toute une vie ?

C’est un travail au quotidien et c’est le travail de toute une vie. Ce qui peut être paniquant pour certains, c’est qu’à un moment donné, on se rend compte que l’on ne sait plus rien. Socrate disait « Je sais que je ne sais pas ». En vieillissant, et je peux presque le dire, à mon âge, j’ai l’impression de quitter des théories, de quitter beaucoup de choses, d’avoir une forme d’humilité et je vais beaucoup plus au cœur de l’autre parce que je ne suis plus envahie par des principes, des théories, des dogmes.

Aldo Naouri affirme dans son essai « Qu’est-ce qu’éduquer son enfant ? » qu’auparavant les parents disaient à leurs enfants « dans la vie, on ne peut pas tout avoir » tandis que maintenant on leur dit « non seulement tu peux tout avoir mais tu as droit à tout ». Pensez-vous comme Aldo Naouri que les interdits, la frustration sont nécessaires à l’évolution de l’enfant ?

Oui, les interdits sont nécessaires mais pas n’importe quand et à n’importe quel moment. Je crois que ce qui est important c’est d’apprendre à l’enfant le manque. Parce que c’est le manque qui crée le désir et que des enfants trop comblés sont des enfants sans désir. Donc, cela crée une dimension très narcissique. On les met dans une posture de toute puissance. Je crois qu’il faut essayer de leur dire non et c’est très dur, mais aimer l’enfant c’est savoir à certains endroits lui dire non, là, ce n’est pas possible. Cela renvoie à quelque chose qu’ils apprennent : il faut avoir soif pour gagner. Si on n’a pas soif, si on n’a pas faim, on n’a pas envie de réussir. On n’a pas envie de se battre. Or, je crois qu’il faut du manque pour désirer et pour se battre.

Cela veut-il dire que ces enfants non frustrés ne franchissent pas toutes les stades de la construction du moi ?

Ils restent dans la toute-puissance, dans le stade narcissique, régressif et immature.

Et comme la société, elle aussi, devient de plus en plus narcissique…

En effet, parce qu’on est dans le stade de l’enfant-roi. Alors, c’est vrai que l’enfant est une personne à part entière. On respecte l’enfant comme un invité mais un invité ne fait pas n’importe quoi à la maison. C’est Dolto qui disait qu’il faut accueillir l’enfant comme un invité. Je trouve que c’est très important. Vous accueillez l’enfant comme un invité, il a des droits, mais aussi des devoirs, il ne fait pas n’importe quoi quand il vient chez vous. Sans le couple, il n’y a pas l’enfant et quand l’enfant prend toute la place, il n’y a plus de couple.

Aldo Naouri affirme encore que le père n’a qu’une fonction, ce n’est pas forcément d’emmener l’enfant à l’école, de pousser la poussette ou de le conduire chez le pédiatre, c’est d’être amoureux de la mère. Etes-vous d’accord avec lui ?

Oui, le père a comme fonction d’être amoureux de la mère et comme ça chacun reste à sa place ! Mais il a aussi le rôle de tiers-séparateur. Quand il est amoureux de la mère, il dit à l’enfant, « attention c’est ma femme », et là, il n’y a pas de confusion. C’est là qu’il fait office de tiers séparateur entre la mère et l’enfant.

Acquérir une image suffisamment bonne de soi dans la petite enfance permet-il de mieux trouver sa place dans la société ?

C’est une évidence, plus on est construit, c’est-à-dire qu’on est construit avec des manques, avec des frustrations, avec de l’amour; plus on est construit, mieux on trouve sa place. Deux concepts qui sont des concepts de Winnicott me paraissent importants pour se construire. C’est le holding, cela veut dire que la mère porte l’enfant, et le helding, cela veut dire accompagner l’enfant vers quelque chose.

Selon vous, la maladie est-elle une réponse à des non-dits ?

Le mal a dit… Certaines maladies, je pense. C’est une voix par laquelle les émotions s’expriment. Donc, c’est le cœur qui parle, c’est un mal qui ne peut pas être dit, c’est des émotions bloquées. Et j’ai envie de vous dire, ce qui ne s’exprime pas s’imprime. Et s’imprime où ? Sur le corps. Par exemple les ruptures difficiles, les ruptures impossibles, les deuils non faits peuvent s’exprimer par de l’eczéma ou du psoriasis. Cela crée une dimension anxiogène qui crée un état ou des maladies auto-immunes. Les maladies de peau sont des maladies où l’on crie sa quête d’amour. Un amour perdu et qu’on ne retrouve pas…

En fait, on meurt tous du manque d’amour, comme l’écrivait Michel Houellebecq…

J’ai envie de vous dire on meurt tous du manque d’amour de soi… Il faut être sa propre mère quand on a été fragilisé. Il faut devenir sa meilleure amie. Il faut faire en sorte d’être très bienveillant vis-à-vis de soi. Il faut être ami de soi-même…

Comment fait-on pour renouer avec soi ?

Pour renouer avec soi, il faut renouer avec la vie et considérer que la vie est belle. C’est la première chose. Il faut renoncer à des plaisirs illusoires, c’est-à-dire de complétude, de perfection. Les gens qui sont dans une quête de perfection ne seront jamais satisfaits. Donc, il faut quitter cette forme d’insatisfaction majeure sur tout. Il faut accueillir la vie chaque jour, il faut vraiment l’accueillir au sens « ne panique pas, la vie est là, je l’aime la vie » et puis on gère ce qu’on trouve. Il faut savoir renouer avec ce qu’on appelle l’interconnectivité. Quand vous êtes dans une situation qui vous parait insurmontable, vous vous dites : il y a deux solutions. Qu’est-ce que je fais là ? Je me bats ou j’attends que la vie me donne des réponses. Eh bien mon expérience me dit qu’il ne faut pas paniquer, mais il faut déjà un peu lâcher pour accueillir la vie. On ne se bat pas contre des choses impossibles. On accueille plus la vie. Et on voit comment cela se déroule. Il ne faut jamais paniquer…

Donc la vie vous donne ses propres réponses…

Oui, c’est en tout cas comme cela que je l’expérimente. Peut-être que je suis spirituellement protégée… C’est la question que je me pose, mais je n’aurai jamais la réponse…

Ecrivez-vous sur quelque chose en ce moment ?

J’aimerai bien écrire justement sur « à la recherche de soi ». Peut-être aussi sur l’autisme…

Mais l’autisme n’est-ce pas aussi le déni de l’altérité ?

Oui, on n’est pas avec l’autre…

Vous allez me trouver pessimiste mais j’ai l’impression que nous sommes de plus en plus dans le déni de la réalité, le déni de l’altérité, le déni de l’intériorité… Nous sommes de plus en plus dans les faux-semblants, dans le mensonge, dans la tricherie…

Vous êtes en train d’évoquer les trois D de Freud : le déni, le défi, et le délit. Voilà les trois dénominateurs de la perversion…

Cela fait froid dans le dos… Enfin, Yvonne Poncet-Bonissol, connaissez-vous cette phrase de Pascal sur le divertissement « La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement et cependant c’est la plus grande de nos misères » ?

Pascal était un philosophe très rigoriste. Je crois qu’il faut faire la différence entre se divertir, s’étourdir, s’enivrer et se réjouir. On peut se réjouir, il faut s’autoriser à la légèreté. Parce que pour aimer, il faut offrir son propre bonheur à l’autre. On ne peut pas aimer si d’abord on n’est pas bien avec soi-même. C’est pour cela que je vous disais tout à l’heure que le devoir d’une mère c’est de travailler à son propre bonheur pour l’offrir à ses enfants. C’est ce que je fais avec ma fille. Elle a 23 ans. Elle a un humour farouche, elle est merveilleuse. Quelle réussite ! Tout le monde me le dit. Elle travaille dans la communication. On fait de la boxe ensemble le soir. Elle a beaucoup d’énergie. Je l’ai toujours éduqué dans ce sens, Laurine exprime toi, exprime toi ! Je lui disais tout ce qui ne s’exprime pas, s’imprime…

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

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