Xavier Niel n’est pas un homme, c’est de la dynamite ! Une énergie incomparable, une force irrésistible, une substance explosive qui construit des mondes, bouscule l’ordre établi et met le feu aux préjugés. Il n’a pas son pareil pour faire voler en éclat les conventions, les convenances, les codes et les conformismes. Il a la folie, la fibre créatrice d’un Bill Gates, le génie entrepreneurial d’un Steve Jobs, le charme insolent d’un Julio Iglesias, quelque chose de fraternel en plus. Voilà un homme qui ose le grand écart : fréquenter le peuple et côtoyer les puissants, goûter à la prison et épouser Delphine Arnault, espionner pour la DST et créer l’Ecole 42, s’acoquiner avec un boss de sex-shops et festoyer avec les milliardaires de la tech, s’adonner à la cataphilie et créer Kyutai, passer du Minitel rose à l’empire Free. Niel s’autorise tout, il ne s’interdit rien. Rien ne le freine, rien ne l’arrête. Fou de liberté, cet enfant de Créteil est comme ces Ferrari lancées à grande vitesse, il joue avec les limites. Son moteur, c’est son inépuisable générosité. Cette supériorité morale, dont Xavier Niel n’a même pas conscience tant il a la vanité modeste, lui qui jamais ne se glorifie de rien, l’a poussé toute sa vie à partager, à donner ce qu’il a reçu, à vouloir augmenter les chances d’autrui. Millionnaire à 24 ans, il n’a de cesse, tout au long de son parcours « de rendre ce que la vie lui a donné », « d’utiliser sa fortune pour le bien commun. » Il ne cherche pas le profit, il cherche à en faire profiter les autres. Rendre à la société, aux plus démunis, aux moins favorisés, ce qu’elle lui a offert. Ce besoin d’aider, de soutenir, de rendre service, force le respect. Don de l’amour ? Bonté naturelle ? Aristocratie du coeur ? Sans doute. Aristote a un mot pour désigner cette forme d’amour fraternel : la philia. Et cette philia est le trait le plus marquant du caractère du philanthrope. C’est comme une expansion affective, la tendre diffusion d’une âme bienveillante qui s’attacherait à répandre la joie autour d’elle et à vouloir le bien des autres. Soutenir, encourager, aider, tel est mantra du fondateur de Free. Xavier Niel s’attache plus que personne à « faire fonctionner l’ascenseur social qui ne marche plus en France. » Fort de ce credo, il va soulever des montagnes pour créer l’école 42, une école gratuite, ouverte à tous, pour apprendre le code informatique. Une école sans profs, qui apprend à apprendre, qui aujourd’hui fête ses onze ans de succès et que l’on retrouve sur 55 campus dans 25 pays. Non content d’épauler et de donner de l’espoir aux élèves de toutes les origines sociales, Xavier Niel lancera quelques années plus tard, en 2017, Station F, le plus grand incubateur de start-up au monde et un « symbole de la soif d’entreprendre de ce pays. » Mille start-up réparties sur 34 000 mètres carrés, situées dans la halle Freyssinet à Paris. Une véritable pépinière que la Ville de Paris décrit ainsi : « Un épicentre urbain à la fois créateur d’emplois et d’innovations au service des Parisiens. » C’est peut-être parce que Xavier Niel est ami avec lui-même qu’il est l’ami du genre humain. Peut-être, cherche-t-il aussi à travers sa logique de partage, à réconcilier les humains avec le travail, lui qui comme Baudelaire pourrait dire : « Tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que s’amuser », le travail s’apparentant à un jeu pour le créateur de Free.
Impossible n’est pas Niel
Non seulement Xavier Niel est généreux mais c’est aussi un inlassable optimiste. Deux qualités rares qui provoquent un mélange étonnant, détonnant, lequel fait merveille dans sa réussite entrepreneuriale. Pour ce businessman sans blues : « Demain sera toujours meilleur qu’aujourd’hui », écrit-il dans son dernier ouvrage qui ressemble à une conversation entre amis Unesacréeenviedefoutrelebordel. Dans la bouche de Niel, c’est souvent Nietzsche qui parle : « Souviens-toi d’oublier » recommandait le philosophe. Oublier les échecs, ne se souvenir que des succès. « J’ai un cerveau, écrit Xavier Niel, qui gomme systématiquement les choses négatives, même les pires moments que j’ai pu vivre. C’est pour ça que mes souvenirs de prison sont si étranges : j’ai bronzé, j’ai perdu du poids, je me suis reposé, j’ai bien dormi, j’ai fait du sport. » Sic. Il est proprement stupéfiant de voir comment ce créateur d’entreprises a balayé toute sa vie les obstacles grâce à son optimisme. Pour lui « aucun projet ne peut échouer. Tous vont cartonner ». « Et quand ça rate, j’oublie et je passe à autre chose. Parce que si tu te laisses décourager par tes échecs, ou si tu écoutes ceux qui te disent que c’est impossible, tu ne fais rien. » Cet optimisme c’est son élégance. Une manière d’être au monde dans la légèreté, dans l’insouciance, toujours de bonne humeur, sans plainte ni renoncement. « Quand j’ai créé Station F, j’espérais accueillir 1000 start-up. Et François Hollande, à qui je présente le projet, me dit : « Mais vous êtes sûr qu’il y a mille start-up en France ? » Et bah tu sais quoi, à l’époque, je m’étais jamais posé la question ! Pourtant c’est une question logique, j’aurais dû y penser, faire une étude de marché, ce genre de truc. Une fois qu’on a ouvert, c’était plein à craquer, et il y a beaucoup plus que 1000 start-up en France. Mais quand je sors de l’Elysée, je me dis : « Merde, il a peut-être raison . . . » et je me demande pourquoi je me suis pas posé la question. Mais je me dis aussi que je dois très vite oublier cette question. Parce que sinon je vais jamais créer Station F. » Peut-être est-ce là la recette du bonheur et celle du succès : s’interdire d’être pessimiste mais ne jamais s’interdire de réussir. En somme, on a les limites que l’on s’autorise. « Tout le monde nous disait que ça marcherait jamais (la Freebox avant qu’elle n’existe). Mais pourquoi ça ne marcherait pas de passer la télé ou le téléphone sur un câble ADSL ? La voix et l’image, c’est de la data, ça va marcher. L’équipement n’existe pas ? C’est pas grave, on l’inventera. Il y a un côté naïf, presque enfantin, dans cette façon d’avancer. Je me dis toujours : « Bah, c’est très simple » alors qu’en fait c’est très compliqué (…) Mais cette naïveté m’a permis d’investir dans des secteurs où personne ne va . » Et si la naïveté était une vertu ? Si elle permettait de prévoir l’innovation avant tout le monde ? Si la naïveté n’était rien d’autre qu’une véritable confiance en soi, une confiance quasi aveugle mais souverainement lucide en son intuition ? Une confiance en la vie. Et si les grands visionnaires étaient tous des naïfs ? Naïf ou pas, le prochain de rêve de Xavier Niel sera pour les télécoms. Devenir le premier opérateur mondial dans les télécoms, voilà l’ambition qu’il caresse. « J’ai une carte du monde dans mon bureau. Chaque pays où on est présent est colorié en rouge. Il y a encore beaucoup de pays qui sont en blanc. Si je rachète cinq opérateurs par an, dans les trente ans qui viennent j’aurai rempli ma carte du monde. Je sais pas si je bosserai jusqu’à 85 ans, mais tu vois le truc. Si je fais ça, je deviens le premier opérateur mondial, et le seul à être présent dans tous les pays du monde. C’est ce jeu-là qui me plaît. »
Plus qu’un modèle pour la jeunesse et les entrepreneurs, Niel est un bienfaiteur. Non content « d’avoir rendu du pouvoir d’achat aux Français » grâce à Free, il a passé sa vie à être dans une logique de partage. Il fait partie de ceux qu’Auguste Comte appelait « Les grands serviteurs de l’humanité. » Parti de rien, Xavier Niel a changé le monde et il a servi l’humanité. Pas mal pour un enfant de Créteil qui n’avait pas fait trop d’études !
C’est incontestablement le plus grand chocolatier au monde. Son talent n’a d’égal que son originalité. Il est le seul à avoir su transformer le chocolat en un voyage. Un voyage à Madagascar, où des bouffées sensuelles d’une terre sauvage et indomptée vous assaillent, où le parfum puissant de la fève du cacao vous enivre, jusqu’à vous faire tourner la tête. Vous humez à plein poumons les fragrances grisantes de ces horizons lointains comme autant de bulles d’oxygènes d’un ailleurs envoûtant, vous mordez dans la chair vivante de ce cacao qui vous emmène au bout du monde, tel un voyageur immobile qui ferait l’expérience du plaisir en savourant les flaveurs épicées, aux arômes fruités, des chocolats de Madagascar.
Patrick Roger c’est un chocolatier. Mais c’est aussi un sculpteur. Cet amoureux des grands animaux sauvages, dont l’animal fétiche est le gorille, n’a pas son pareil pour faire surgir du chocolat les plus glorieux primates. Sous ses doigts de génie éclosent des orangs-outans, des gorilles, ou de petits chimpanzés. Toute la forêt se retrouve dans ses boutiques vertes, pareilles à des berceaux de verdures, que couve jalousement une nursery de bouchées en chocolat. C’est comme si le Patrick Roger avait su replanter une forêt en plein Paris. Ses huit magasins tels une coulée de chlorophylle semblent abriter des milliers de troncs d’arbres débités en petits chocolat. C’est ça la magie Patrick Roger. En entrant dans ses boutiques, vous n’entrez pas dans une simple chocolaterie, vous pénétrez en pleine nature, où bruissent les cris des grands primates, qui du haut de leur stèle, vous contemplent d’un oeil impavide. Festin visuel. Féerie. D’abord, vous voyagez par les yeux. Puis vous voyagez par le goût. Et là, c’est tout simplement la fête des sens. La ruée vers les étoiles. On atteint des sommets inimaginables. Tantôt c’est le choc de la fusion du chocolat, de la citronnelle et de la menthe poivrée, tantôt c’est la douceur amère de la ganache au poivre de Sichuan sertie de pâte d’amandes infusée au gingembre. Tantôt, c’est le chocolat signature de Patrick Roger, baptisé Sauvage, une demi-sphère alliant yuzu, citronnelle et verveine au sein d’une coque à l’allure d’un millefeuille de chocolat noir-blanc-noir, tantôt l’envoûtement d’un praliné feuilleté-crêpe dentelle, amandes et noisettes torréfiées caramélisées. C’est encore le fondu d’une ganache infusée au thé au jasmin aux parfums uniques qui vous laisse à bout de souffle. C’est à peine croyable, c’est comme si votre palais ne reconnaissait pas cette symphonie de saveurs qui l’emporte soudain dans un tourbillon de volupté. Les mots manquent à décrire la sensation. Car vous êtes tout simplement au coeur du plaisir. Et ce voyage est inlassablement bon. On voudrait que l’instant dure toujours, mais le périple se termine que déjà le souvenir s’invite. Le goût se fait inoubliable. Désormais, la promenade se poursuivra dans la mémoire. Le plus grand des chocolatiers vient de vous ravir avec ses créations. Et le plus grand chocolatier, c’est Patrick Roger.
La Tour d’Argent : sans doute le plus beau et le plus célèbre restaurant au monde. Une adresse culte, une référence gastronomique. Mieux, une Institution. TheRestaurant. Connu, fêté dans le monde entier, inspirant les réalisateurs du film Ratatouille, on s’y presse des quatre coins de la planète pour célébrer les grandes occasions de la vie, le temps d’un dîner inoubliable. Festoyer à cette table mythique c’est, bien sûr, se délecter du fameux canard au sang, des crêpes Mademoiselle, déguster les meilleurs crus au monde, ou encore profiter de la vue renversante mais c’est surtout, excusez du peu, entrer dans l’histoire. « En être », faire partie de ces happy few, côtoyer symboliquement, par-dessus les siècles, ceux qui firent la renommée de cette grande maison. Une pléiade de stars, célébrités, d’altesses, d’esthètes, de plumes littéraires, de puissants (Henri IV, Louis XIV, le président Kennedy, l’empereur Hirohito, Balzac, Proust, Sacha Guitry, Dali, Ava Gardner, Marilyn Monroe, Brigitte Bardot etc.) qui contribuèrent à faire de ce lieu plus qu’un restaurant, une légende. Car il existe quelque chose d’indéfinissable, de mystérieux, de magique qui émane de la Tour d’Argent, et que l’on s’approprie en y dînant. Une part de rêve… Voilà ce qu’est la Tour d’argent depuis des siècles – depuis 1582 – un temple de l’élégance et du raffinement, un phare scintillant sur la Seine illuminant de son prestige Paris et la France. Voilà pourquoi, malgré les siècles, celle qui a mis le monde à ses pieds, reste indémodable, intemporelle. Propriété, depuis 1911 de la famille Terrail, la Tour d’Argent est aujourd’hui dirigée par André Terrail. Un bel homme élégant, moderne, qui épouse parfaitement son époque. Un brillant entrepreneur qui voit grand, vise l’excellence et vient d’offrir à la Tour sa plus belle métamorphose. Comme une incomparable renaissance pour celle qui souffrait d’une image un peu poussiéreuse. Mais comment faire peau neuve sans perdre son âme ? André Terrail, en amoureux de la Tour, a trouvé la recette. Car ce jeune patron a du génie. Il vient d’apporter à la Tour un supplément d’âme. S’appliquant à la faire entrer tout en douceur dans la modernité, qui multipliant les services comme une épicerie fine en ligne, qui proposant une prestation unique LaTourchezVous (La Tour met sa cuisine au service de vos convives). Il y a trois semaines, André Terrail inaugurait une sublime boutique (ouverte 7 jrs/7) LaPetiteépicerie jouxtant la Tour et regorgeant de merveilles (foie gras succulent, canard de chez Burgaud, beurre salé à la robe jaune safran, camembert LaurentDubois – le must -, noix de cajou aux truffes, baba au rhum à se damner, époustouflantes confitures framboise ou fraise mara des bois au champagne, vins exceptionnels etc.) Pour parfaire cette métamorphose, on n’attend plus que le retour des grands esprits et écrivains de ce monde, manière de renouer avec le faste et la féerie intellectuelle des années Claude Terrail, véritable trait d’union entre les nourritures terrestres et les nourritures spirituelles. Dans ce souci de renouveau, et accessoirement pour réaccrocher fièrement deux ou trois étoiles Michelin au firmament de la Tour, il fallait rien moins qu’un nouveau Chef. C’est chose faite. Yannick Franques, un cuisinier surdoué, sans doute l’un des meilleurs de sa génération, au sommet de son art, fait vibrer l’assiette comme personne. On raffole de son Mystère de l’Oeuf, une recette qui tient du miracle culinaire, on se pâme devant sa Langoustine aux graines de Futaba, on pleure de plaisir en savourant les ravioles de foie gras de sa Soupe de lièvre. C’est une cuisine d’une précision époustouflante, inspirée, maitrisée, poétique. Yannick Franques enchante l’assiette et le résultat est irrésistible : le Caneton Mazarine (avec sa tatin de navets) est tout simplement parfait, les Quenelles de brochet sauvage mousseuses, aériennes, exquises. C’est l’extase à chaque bouchée, on est touché par la grâce. Avec son Merlan en croûte de pain inspiré du Bristol, on passe de la surprise à la stupéfaction. Incontestablement, Yannick Franques est un grand cuisinier. Sans parler de son délicieux dessert L’Or noir. De l’Or pour la Tour d’Argent, un fantasme ? Plutôt un défi pour 2021, histoire de remonter sur le podium, de décrocher la médaille d’or, les étoiles Michelin, et la première place dans le coeur des Français…
Vous êtes le tout nouveau Chef cuisinier de la Tour d’Argent. Régner sur les cuisines d’une « légende intouchable » comme La Tour, avec pour mission de la réinventer, d’être l’instrument de sa renaissance, comment relève-t-on un tel défi ?
Le véritable défi n’était pas simplement de venir à la Tour d’Argent, c’était surtout de la respecter. Je ne pouvais pas arriver et déclarer : je vais tout révolutionner ici, je vais faire ma cuisine, je vais enlever le Canard Delair, gommer la Quenelle André Terrail, tout effacer. Ce n’était pas du tout ma vision des choses. La Tour d’Argent est un restaurant chargé d’histoire, il a un héritage, des valeurs, des traditions. Je devais m’inspirer de tout ce qui avait été fait auparavant et réavancer comme ça. C’était la seule attitude possible pour parvenir à une véritable osmose entre passé et présent. Pour ma part, j’aime jouer avec ce côté classique, j’aime restaurer les classiques, les moderniser. Il n’empêche, il ne faut pas perdre de vue que nous avons une clientèle qui vient pour le Foie gras d’oie des trois Empereurs ou le Canard au sang. Cette clientèle a des attentes bien précises et mon rôle est de tenter les satisfaire. Pour moderniser le Foie gras des trois Empereurs, je m’attache aujourd’hui à faire une présentation avec de la gelée, à ajouter une brioche truffée, peut-être une râpée de plus sur le foie gras. C’est ça mon challenge. Réinventer ne signifie pas faire tabula rasa. C’est plutôt donner une envergure nouvelle, renouveler un plat certes, mais tout en respectant son essence. Je ne suis pas venu à la Tour d’Argent, en me frottant les mains et en m’autofélicitant » Génial, on va entendre parler de moi ! » Non, je ne suis pas ce genre d’homme, je n’ai ni ego surdimensionné ni vanité. Ma seule et unique mission c’est de refaire rayonner la Tour, de lui redonner son éclat, cet aura qu’elle a toujours eu. C’est tout.
Alorsvous êtes l’homme providentiel ! On murmure que c’est Eric Frechon qui vous a recommandé…
Je ne sais pas si je suis l’homme providentiel ! Mais c’est vrai que c’est Eric Frechon qui a donné mon nom ! Monsieur André Terrail compte parmi ses amis plusieurs cuisiniers. Il ne voulait pas se tromper et souhaitait avoir un avis éclairé sur la question. Il a sollicité plusieurs Chefs pour se faire une opinion. Quand il a demandé à Eric Frechon » Quel Chef verriez-vous à la Tour d’Argent ? » Celui-ci a répondu : « Moi, je verrais bien Yannick Franques. Il correspond vraiment à l’établissement. »
Eric Frechon, le Chef du Bristol, est-ce pour vous un bienfaiteur ? Lorsque je l’ai interviewé pour LeSensCritique, il ne tarissait pas d’éloges sur vous. Pour lui, vous êtes un grand cuisinier...
J’ai connu Eric Frechon, lorsqu’il était sous-chef au Crillon. A l’époque, j’étais chef de partie. Quand il a repris le Bristol, il m’a appelé pour que je devienne son sous-chef. Je suis resté 8 ans avec lui. Et j’ai gardé un magnifique souvenir de ces années. C’est Eric Frechon qui m’a formé et c’est lui qui m’a incité à passer le MOF (Le concours du Meilleur Ouvrier de France). C’est vrai qu’il a toujours été là pour moi. Il m’a donné sa confiance en donnant mon nom ici…
Pourvous, y-a-t-il d’autres raisons affectives qui vous ont poussé à venir à la Tour?
Lorsque Eric Frechon a donné mon nom à Monsieur Terrail, ce dernier a fait tout le trajet pour venir goûter ma cuisine au restaurant la Réserve de Beaulieu, sur la Côte d’Azur. Je n’étais même pas au courant. La Tour d’Argent, c’était un beau projet et je n’ai pas hésité. Participer au renouveau de la Tour d’Argent, c’était, pour moi, un challenge et une superbe perspective. Qui ne connait pas la Tour d’Argent ? Dans ses films, Belmondo va toujours dîner à la Tour d’Argent ! C’est un établissement mythique. Lorsque j’ai reçu mon contrat dans le Sud, mon facteur m’a dit, en me le remettant : » Ouah, la Tour d’Argent ! » Il avait des étoiles plein les yeux. Cela le faisait rêver. Il s’est promis, lors d’un voyage à Paris, de réaliser ce rêve !
Surtoutqu‘il y a aujourd’hui un menu au déjeuner de 105 euros qui reste relativement abordable !
C’est vrai. Mais le vin n’est pas compris dans le menu ! Cela dit, pour que le moment soit festif, car les gens ont envie de se faire plaisir à la Tour, beaucoup commandent le menu de midi, accompagné d’une coupe de champagne.
Cherchez-vous, par ce prix attractif, à attirer une nouvelle clientèle ?
Bien sûr ! A ce propos, je trouve que notre clientèle rajeunit.
Votre mission est de redonner tout son lustre à cette table prestigieuse. Un restaurant qui a gardé ses trois étoiles Michelin jusqu’en 1996 (et perdu sa deuxième étoile en 2006). Dans un premier temps, pour vous, c’est cap sur la deuxième étoile ?
La deuxième étoile, c’est mon ambition bien sûr, mais je ne me focalise pas là-dessus. L’idée c’est d’abord de récupérer toute la clientèle de la Tour d’Argent et que tous repartent contents. Que chacun se dise, j’ai connu La Quenelle André Terrail, aujourd’hui elle a été modernisé et j’ai adoré. C’est cela que je souhaite vraiment.
Vous êtes aux commandes de la cuisine de la Tour depuis décembre 2019. Confinement oblige, vous n’avez exercé que très peu de mois. Avez-vous eu le temps de prendre vos marques ?
En effet, je suis tout jeune dans l’entreprise, je n’ai que 5 mois ! Mais j’ai vite trouvé mes marques. On a très bien commencé, on a fait de beaux chiffres, tout allait à merveille puis malheureusement on a du s’arrêter à cause du confinement. Après, on a dû se réinventer. On s’est concerté, en comité de direction, pour essayer de trouver des solutions. On s’est demandé : que pourrait-on faire durant le confinement que les autres restaurants ne font pas ? C’est comme ça que nous est venue l’idée de LaTourchezvous. On se déplace chez les gens afin de leur faire vivre l’expérience d’un repas gastronomique à la Tour d’Argent comme si ils y étaient. On vient avec tout notre matériel, la nappe, les couverts, l’argenterie, la verrerie de la Tour, notre presse à canard. Il y a un maître d’hôtel, et la brigade mobile sert les hôtes et leurs convives avec le faste de la Tour. On cuisine chez les gens, on dresse les assiettes et si l’on fait le Canard au sang, le serveur fait la découpe du canard à bout de fourchette sans toucher le plat, devant les convives ravis. C’est fabuleux ! On a fait des 8, des 17, des 19 couverts, un peu partout à Paris et même à Rueil-Malmaison. Ce service est proposé à Paris et en Ile-de-France. Parfois pour célébrer l’anniversaire de rencontre d’un couple, ou des dîners romantiques en tête à tête, ou des soupers festifs sur la terrasse d’un client le soir du quatorze juillet avec de grandes tablées. Du coup, lorsque l’on a réouvert le restaurant après le premier confinement, LaTourchezvous marchait si bien que l’on a décidé de continuer de proposer cette prestation.
Depuis que vous avez inventé le concept LaTourchezvous, d’autres grands restaurants vous imitent, j’ai vu un reportage là-dessus au Journal de 20h…
Ah oui ?
Ce n’est pas la première fois d’ailleurs que la Tour innove et inspire les autres restaurants ! C’est grâce à elle que le roi Henri III inaugure pour la première fois à dîner un ustensile nommé fourchette. La fourchette fait alors son apparition en France ! Pareil pour les tasses à café. Les premières viennent de la Tour d’argent. C’est encore la Tour d’Argent, qui, tout à son culte de la courtoisie et de l’élégance, va lancer la mode de la Carte sans prix pour les femmes !
En effet, André Terrail, le premier du nom, fourmillait d’idées. Il a inventé cette coutume qui consiste à confier une Carte sans prix aux femmes et aux autres invités. C’est aussi lui, à l’époque, qui a initié le « Menu déjeuner » chose qui n’existait pas alors dans les grands restaurants.
Aujourd’hui, comment vivez-vous le confinement jusqu’au 20 janvier 2021 ?
On s’occupe activement ! On a ouvert une boutique en un mois et demi LaPetiteEpicerie située à côté de la Tour. Monsieur Terrail avait envie de créer une petite épicerie. Nous avions un grand local à côté de la Tour. Auparavant, c’était un entrepôt où l’on stockait notre matériel. Nous avons tout vidé et Monsieur André Terrail s’est occupé de la décoration. Aujourd’hui, vous pouvez acheter du café, du beurre, du lait, de la crème, des oeufs, du foie gras, des terrines de campagne, des vins, des canards, des bonbons, des épices, des biscuits, des nougats, des caramels etc. On fait même des mélanges pour l’apéritif, des noix de cajou au thym et romarin, aux truffes. On a du beurre que l’on va chercher à la Chalotterie, à quarante kilomètres d’ici, de la crème, des pots de yaourt et de fromage blanc. Ce n’est pas comme dans les autres magasins, ce sont des produits de la ferme. On essaye vraiment de réduire les circuits. On fait aussi des Jus Tour d’argent (des jus de canard, des jus de viande) en petit bocaux que l’on réchauffe au bain-marie avant de les verser sur la viande. On fait aussi le Canard Tour d’Argent de chez Burgaud pour les fêtes dans un beau packaging. Toujours dans l’optique de développer la marque de la Tour d’Argent, j’ai créé un Canard maturé (après la maturation, il est si tendre que c’est du beurre quand on le cuisine !) On vend ce canard maturé pour les fêtes avec un jus et un sel (et une explication pour la préparation). C’était une façon pour moi de moderniser le Canard Delair. Les gens poussent la porte de cette boutique et sont ravis. Ils font leurs courses chez nous. C’est ouvert 7 jrs/7. On ne voulait pas créer une épicerie trop chère donc on s’est efforcé de proposer des prix raisonnables, des prix accessibles à tous.
Et que proposez-vous d’autre pour les fêtes de Noël et de fin d’année ?
On va faire des plats à emporter spécialement pour les fêtes. Sur la Rôtisserie de la Tour. Mais on ne veut pas livrer chez les gens parce que l’on ne sait pas comment cela arrive. Car si le client ne met pas les plats à réchauffer correctement, ils seront moins goûteux. Donc, on voulait éviter cet écueil.
Le maître des lieux André Terrail, un jeune et brillant entrepreneur de 40 ans, s’attache à rajeunir la Tour. Il vient de crée une E-boutique, le Comptoir de la Tour d’Argent…
Oui, c’est une boutique au sein de la Tour qui propose un service en ligne d’épicerie fine, des coffrets cadeau, des champagnes, des vins, diverses confitures, du thé, des babas au rhum etc.
Pour rivaliser avec les grandes tables de ce monde et séduire une nouvelle clientèle, André Terrail a aussi engagé un nouveau Chef sommelier, Julien Touitou. A seulement 31 ans, celui-ci veille sur la plus belle des collections de vins au monde. 320 000 bouteilles dont des trésors inestimables comme un cognac 1788, un Pétrus 1947, un Château Yquem de 1871 etc. La bouteille la plus chère est à plus de 60 000 euros…. Vendez-vous certaines bouteilles en salle des ventes ?
Oui, et on vend pas mal de vins sur Internet. A La Petite Epicerie, on a une très belle clientèle qui achète de très bons vins. Et même au restaurant, il y a de très belles additions grâce aux belles bouteilles. J’estime qu’on ne parle pas assez de la cave. Tout le monde connait la Tour d’Argent mais pas forcément pour sa cave. C’est une cave exceptionnelle avec des vins plus que prestigieux, c’est l’une des plus grandes de Paris. Il y a 14 000 références sur le livre du sommelier et il est épais comme la Bible. Les serveurs sont obligés de mettre un chevet à côté de la table de restaurant afin que que le client puisse regarder à son aise la Carte des vins. Parfois, cela peut prendre une demi heure avant qu’il ne choisisse le vin ! C’est une cave fabuleuse. Passé par le Meurice, Julien Touitou est un très bon sommelier.
Pour sa Carte, la Tour d’Argent vous laisse-t-elle vous exprimer pleinement ?
Oui, on a une Carte avec d’un côté » L’Héritage » de la Tour d’Argent (avec le Foie gras d’oie des Trois Empereurs, La Sole cardinale). En 1970, Claude Terrail a publié un livre de recettes » La Tour d’Argent », je l’ai feuilleté et j’ai repris les plats. Par exemple le Canard Mazarine est à l’orange, le Canard Marco Polo au poivre vert, le Canard Mac Arthur que j’ai remis au goût du jour, a une sauce poivrade au vin rouge. J’ai fais ces trois Jus à la boutique : orange, poivre vert Marco Polo et Mac Arthur vin rouge. On peut les acheter. C’est trois jus et c’est trois sels (le sel Mazarine est donc orange, le sel Mac Arthur, et le sel Marco Polo) pour accompagner. Je m’amuse un peu sur les plats Héritage que je fais, les nouveaux, comme La Sole cardinale. Je les prépare au goût du jour. On ne les cuit plus comme avant, maintenant on les cuit à juste cuisson, on fait le jus d’écrevisse un peu différemment. A l’époque, quand il y avait les écrevisses, elles étaient entières avec les pinces et tout, c’était à l’ancienne. Je m’amuse à faire goûter les nouveaux classiques à Monsieur Terrail et j’aime bien avoir son retour car lui, a connu les anciens plats. On en discute ensemble. Pareil pour la Quenelle de brochet André Terrail, on l’a revisité. Je fais une quenelle et je la fais poêler sur du pain. Ca donne un côté croustillant. On essaye de moderniser cet héritage. Les clients sont ravis car ils ont retrouvé le Canard, l’animal emblématique de la Tour. Sur la carte, on propose donc le Canard Delair, et toujours un autre canard (soit le Mazarine, soit le Marco Polo, soit le Mac Arthur). Comme cela fait 60 ans que l’on travaille avec la maison Burgaud, j’aimerais aussi avoir notre Canard estampillé Tour d’Argent.
Yannick Franques, qu’est-ce qu’un grand cuisinier ?
Un cuisinier qui trouve des accords. Pour ma part, je suis plus pour deux trois saveurs au maximum, pour que l’on sache ce que l’on mange, mais après on peut avoir une autre vision des choses.
Vous êtes le créateur d’un plat incroyable. Sublime. Mieux que ça : inoubliable. Le Mystère de l’Oeuf. S’est-il mué en Mystère de l’Oeuf de Cane ?
Eh bien oui, j’ai fait un mystère de l’Oeuf de cane ! On a essayé au début, cela a marché, c’était très bien. Cela dit, l’oeuf de cane est un peu plus riche, un peu plus écoeurant, un peu plus compliqué.
Le Mystère de l’Oeuf est un plat magique. Plaît-il aux habitués de la Tour ?
Beaucoup ! C’est mon plat signature. Avec la Langoustine aux graines de Futaba.
Vous avez inventé une trouvaille qui ravit vos clients : les pommes soufflées en forme de goutte, faciles à attraper avec les mains. Les clients ne jurent plus que par elles !
Normalement, les pommes soufflées sont ovales. Avec cette forme de goutte, on la saisit par la pointe, et on la mange à la main sans se salir les doigts. C’est amusant !
On peut aussi déguster une Soupe de lièvre à la Tour. Avec un visuel éblouissant : dans l’assiette s’ébattent des copeaux de châtaigne, des flocons de ravioles de foie gras flottent paresseusement sur un coulis onctueux. C’est savoureux à l’oeil et au palais…
C’est un plat assez marqué, assez faisandé, et c’est puissant au goût. Le foie gras adoucit le côté fort du lièvre. Je fais aussi un Canard à la Royale dans le Menu des classiques : c’est une sauce au sang à base de foie gras et de truffes.
On ne peut qu’aimer votre cuisine parce qu’en plus d’être d’une stupéfiante précision, d’une grande technique, elle est aussi poétique. Vous ne cherchez pas à imiter qui que ce soit, vous inventez vos propres règles...
J’essaye de faire la cuisine qui me correspond, avec le plus de sincérité et d’honnêteté possibles. Je pense que pour parvenir à cela, il faut avoir l’établissement qui vous corresponde aussi. Ici, à la Tour, je vais pouvoir m’accomplir totalement. La Tour d’Argent me correspond parce qu’ici, on est dans les vraies valeurs essentielles, il n’y a pas d’esbrouffe.
Le dessert L’Or Noir fait le délice de vos clients. Ainsi que les Crêpes Mademoiselle. Qui est le Chef pâtissier ?
Le Chef pâtissier était déjà là quand je suis arrivé, mais il est parti durant le confinement, donc le sous-chef a pris sa place. Je suis en train de rechercher un Chef pâtissier.
Quel est votre rêve pour la Tour d’Argent ?
Je m’efforce avant tout d’être réaliste ! Et avant tout, ce que je souhaite, c’est offrir à nos clients de l’amour dans les assiettes et de la joie grâce à notre cuisine. Si ce projet, cette aventure me plaisent tant c’est parce qu’il y a une bonne dynamique, une belle ambiance à la Tour. Mais, il faut y aller étape par étape et ne pas brûler les étapes. Bien sûr, décrocher un deuxième macaron pour la Tour, serait pour moi l’aboutissement de toute une carrière. Il faut aussi que je me stabilise, et j’espère vraiment rester ici. Puisque vous me le demandez, je vais vous confier mon plus grand rêve : si je pouvais marquer mon nom dans l’histoire de la Tour d’Argent, ce serait pour moi, la plus belle récompense et le plus bel accomplissement !
Sa cuisine est époustouflante. Il est l’un des meilleurs cuisiniers au monde. Un modèle pour tous et une source d’inspiration pour les chefs de la jeune génération. Pénétrer dans l’univers gastronomique d’Eric Frechon, c’est s’embarquer pour Cythère. On ne touche plus terre, catapulté jusqu’aux étoiles par l’échelle aromatique, l’alchimie des flaveurs inédites, les sapidités inimitables de ce génie de la cuisine. On adore sa poularde de Bresse transfigurée par un bouquet d’écrevisses, comme des roses pimpantes de la mer qui piqueraient au vif une volaille bien terrestre. On s’enthousiasme pour ses sublimes macaronis farcis, truffe noire, artichaut et foie gras, gratinés au vieux parmesan. On pleure de plaisir devant ce mémorable rouget de roche, émouvant comme un tableau, avalé par une fleur de courgette et farci d’un caviar d’aubergine… A la table 3 étoiles d’Epicure, le corps tout entier est convié au plaisir. Même le cerveau est à la fête. En bouche, on va de surprise en surprise, le palais vibre, s’émerveille au contact de saveurs inoubliables, de tendres textures, et de parfums rares comme si l’excellence d’un plat avait le pouvoir d’affiner nos sensations. De les décupler, de les révéler. C’est la richesse de l’aliment qui en nous donnant son goût « ouvre en nous une nouvelle bouche, une deuxième langue » affirme Michel Serres dans son essai « Les Cinq Sens », soulignant au passage qu’étymologiquement « l’homo sapiens » est l’homme qui sait goûter, qui a le palais délicat. Ce n’est donc pas un hasard, si tous les palais fins se pressent des quatre coins de la planète, pour savourer à la table d’Epicure, ce temple gourmand incontournable, la cuisine hautement poétique de ce magicien, ce maître qu’est Eric Frechon. Un festin de Frechon, c’est la félicité assurée. C’est fulgurance sur fulgurance. C’est tout simplement Eric Frechon…
Qu’est-ce qui a de
l’importance pour vous dans la vie ?
Le plaisir, au sens
large du terme.
Pour vous la cuisine,
c’est le goût des autres ?
Non, c’est mon goût,
que je partage !
Avez-vous un souvenir
inoubliable en matière d’émotion gustative ?
Oui, les senteurs de
la tarte aux pommes de ma maman… Sinon, je garde en mémoire un souvenir assez
désagréable : la première fois que j’ai goûté du caviar. Autant
maintenant, j’adore parce que c’est un mets que l’on apprend à déguster, c’est
le fruit d’une éducation, autant la première fois, je n’ai pas aimé du tout.
Avez-vous déjà goûté
chez vos confrères une recette sublime ?
Evidemment ! La
première qui me vient à l’esprit, c’est une bécasse absolument incroyable de
Ducasse, au Louis XV à Monaco. Ce souvenir remonte à une trentaine d’années.
Vous sentez vous à
votre place, chez vous, dans une cuisine ?
Oui, je suis très à
l’aise dans mes cuisines, parce que j’aime être en contact avec les jeunes,
j’aime cette dynamique et cette passion.
Votre plus grand
bonheur professionnel a-t-il été l’obtention du titre de Meilleur Ouvrier de
France en 1993 ?
En fait, j’en ai eu
deux : il y a d’abord eu le titre de Meilleur Ouvrier de France, un titre
personnel puis l’obtention des trois étoiles, qui récompense toute une équipe.
Feuerbach affirmait
« L’homme est ce qu’il mange ». Quel est votre rapport à la
nourriture ?
Ce sont souvent les
cordonniers les plus mal chaussés ! Nous, les cuisiniers, nous goûtons
énormément de choses à longueur de journée mais nous avons du mal à faire de
vrais repas assis. Donc, notre rapport à la nourriture n’est pas tout à fait
normal !
Quelle a été votre
plus belle rencontre dans le monde de la cuisine ?
Pour n’en citer
qu’une, ce serait Paul Bocuse.
Poularde de Bresse en vessie
De quoi êtes-vous le
plus fier ? De votre ascension fulgurante, d’avoir épinglé trois étoiles
au firmament du restaurant Epicure ou d’avoir enchanté le
palais de milliers de gastronomes ?
Incontestablement,
d’avoir enchanté le palais de milliers de gastronomes !
Pensez-vous que
l’estomac influe sur le cerveau ?
Lorsqu’on a faim, on
éprouve une frustration, il suffit de combler cette faim pour ressentir
aussitôt la satisfaction de la satiété, donc une forme de bien-être. Un estomac
heureux, c’est un cerveau enclin à l’optimisme. Panse et penser vont de
pair ! Ils sont indissociables. Les sensations gustatives réveillent,
stimulent l’intellect. La nourriture enseigne des choses à l’homme et renseigne
sur l’homme. C’est pour cette raison que ce rapport à la nourriture me semble
si important. Brillat-Savarin d’ailleurs ne cessait de répéter : « Dis-moi
ce que tu manges et je te dirai qui tu es ».
Le restaurant Epicure
Vous êtes à la tête du
restaurant du Bristol : Epicure, du nom du philosophe grec. On
confond souvent l’épicurisme avec l’hédonisme, croyant qu’être épicurien, c’est
ne songer qu’aux plaisirs, par exemple les plaisirs de la table avec tout ce
que cela comporte d’excès. Or, c’est tout le contraire, l’épicurisme est un
ascétisme. Dans sa correspondance à un ami, Epicure écrit :
« Envoie-moi un petit pot de lait caillé afin que je fasse bombance »
Pour Epicure, on peut éprouver un grand plaisir avec un ingrédient tout simple.
Le Bristol prône-t-il la même tempérance ?
C’est même notre
philosophie ! On peut travailler du caviar, qui est un produit assez noble
mais on va lui donner un poireau grillé, qui est quelque chose de très terrien,
de très basique dans la cuisine, et ce sera en légume unique. On ne travaille
pas que des produits nobles. On fait du radis-beurre, on fait du hareng pommes
à l’huile, des choses vraiment toutes simples. C’est à nous, après, de les
mettre en scène pour les rendre trois étoiles. On privilégie une extrême
simplicité, en préservant et sublimant la quintessence du produit.
Vous êtes un
merveilleux dialecticien de la gastronomie. Vous réconciliez l’irréconciliable,
vous mariez des saveurs incompatibles, des alliances improbables. Par exemple,
beaucoup de vos plats, infiniment originaux, célèbrent les noces de la terre et
de la mer comme le foie gras de canard aux huîtres, la poularde de Bresse cuite
en vessie aux écrevisses et truffes, le ris de veau aux couteaux, le lapin au
poulpe. Cherchez-vous à inventer de nouvelles correspondances entre les
ingrédients ?
Je suis né en
Normandie, entre terre et mer, cela se ressent dans ma cuisine. C’est vrai que
cette dichotomie m’intéresse tout particulièrement parce que ces mélanges
surprenants, ces alliages inédits permettent d’innover et de rendre les plats
plus originaux. Effectivement, c’est un peu ma patte mais c’est aussi ça le
trois étoiles, c’est arriver à marier des choses à priori incompatibles, en
mélangeant des ingrédients que d’emblée personne n’aurait eu envie d’associer.
La règle du trois étoiles est que pour chaque plat, quand on goûte ce
plat, on doit s’en souvenir. Un trois étoiles, c’est un plat de mémoire… Les
plats de mémoire passent par l’originalité des plats, par le mariage des goûts,
par un visuel surprenant, par la magie d’une saveur inoubliable, par une
émotion mémorable.
La poularde de Bresse
cuite en vessie, c’est un hommage à « Monsieur Paul » ?
C’est plutôt un
hommage à la Mère Brazier, « Monsieur Paul » n’a fait que la
réinterpréter à sa manière. Mais ces plats sont tellement représentatifs de la
cuisine française qu’il faut garder ces traditions.
On dit que votre
« Lièvre à la Royale » est à se damner. La sauce, sublime de bout en
bout, est un morceau d’anthologie. Avez-vous fait évoluer cette recette au fil
du temps ?
Je dis toujours, j’ai
mis trente ans pour faire mon Lièvre à la Royale ! Quand on arrive dans le
métier, on apprend à faire des Lièvres à la Royale. Une fois chef, vous
réalisez votre premier Lièvre à la Royale que vous tentez d’améliorer d’année
en année. Et puis un jour, vous vous dites « là, je l’ai ! » et à
partir de là, vous n’y touchez plus !
Depuis combien de
temps, n’y touchez-vous plus ?
A peu près quatre-cinq
ans !
Est-ce difficile à
réaliser comme recette ?
Selon moi, c’est la
recette qui représente le mieux la cuisine française et le savoir-faire du
cuisinier. Parce qu’il y a le choix du produit, il y a les marinades, il y a
des cuissons, il y a des sauces, il y a des farces. C’est-à-dire que toutes ces
traditions françaises se retrouvent en un plat. Sans compter la sensibilité du
cuisinier. Prenez deux cuisiniers, avec la même recette écrite et les mêmes
ingrédients, à l’arrivée, on n’aura pas le même Lièvre. Pour l’un, les os
seront plus caramélisés, pour l’autre, la sauce sera plus onctueuse…
Pour un petit dîner
chez vous, quel est votre menu préféré ?
Ce serait un bon
poulet de ferme rôti. Avec en dessert, une tarte cuite (une tarte aux pommes ou
une tarte aux pêches.)
Julien Alvarez, chef pâtissier du Bristol et Eric Frechon
Actuellement, quels
sont les desserts à l’honneur sur la carte de l’Epicure ?
Il y a le citron de
Menton givré au Limoncello. Comme j’aime bien recréer l’atmosphère des
produits, nous donnons vraiment la forme du citron au citron. Julien Alvarez,
notre chef pâtissier, a créé aussi un dessert au chocolat « Fève de
Cacao », mousseux et croquant à la fois. On fait un lait fumé avec de la
vanille, on lui fait un appareil mousseux à base de fève de cacao, avec de la
fève de cacao cristallisée. On le déguste à même la cabosse du chocolat.
Dessert « Fève de cacao »
Votre cuisine est
intemporelle, elle n’épouse pas les modes mais les saisons. Vous ne cherchez
pas à être tendance, vous cherchez juste à être pleinement vous-même. Est-ce
pour cette raison que vous êtes devenu le chef le plus à la mode ?
Je ne suis pas le plus
à la mode… mais effectivement, je fais une cuisine intemporelle, ça c’est
certain ! Je ne n’endors jamais sur ce que je fais, je remets tous les ans tout
en question, à part bien sûr quelques recettes incontournables comme La
Poularde de Bresse et Le Lièvre à la Royale où je sens que je ne pourrais pas
les emmener plus loin, tellement elles sont abouties. Mais sur tout le reste,
en effet, ce sont les saisons qui nous font changer les cartes. Si, cette
année, on a un très joli plat d’asperges (on les propose avec un sabayon au vin
jaune), l’année suivante, on en recrée un nouveau pour essayer de faire encore
mieux. Notre cuisine, c’est de l’intemporel qui dure dans le temps.
Un dîner à l’Epicure,
c’est de la pure poésie, un rêve devenu réalité, une fête des sens, une
expérience inoubliable ?
C’est ce que l’on
tente de faire en tout cas, tous les jours et pour chaque personne. Nous sommes
ouverts sept jours sur sept, midi et soir. Au total, 100 personnes œuvrent en
cuisine, dans notre laboratoire de création, pour satisfaire les clients du
restaurant l’Epicure, mais aussi du 114, la brasserie, du café
Antonia en terrasse où l’on fait quand même 150 clients l’été, et du room
service.
Vous avez de magnifiques
mains ! La cuisine, c’est d’abord et avant tout le tactile ?
C’est drôle ce que
vous dites… Quand on s’est connu, Clarisse (qui est devenue mon épouse) m’a
dit « tes mains sont impressionnantes, je suis tombée amoureuse de tes
mains » ! C’est un fait, la cuisine commence par le toucher. Quand on
a un produit absolument magique en main, c’est plus que plaisant. On prend un
grand soin à le lever, à le travailler, à le déposer dans une assiette. Par ce
contact, on transmet de l’amour…
J’ai l’impression que
vous avez le goût de l’absolu. Vous flirtez avec la perfection, l’excellence,
sans jamais vous contenter du moyen ou du médiocre, comme si vous exigiez
toujours davantage. Ce goût de l’absolu engendre le sublime. Etes-vous un
perfectionniste ? Visez-vous toujours l’inaccessible ?
Vous m’avez
parfaitement décrit ! Je suis un gros travailleur qui a réussi à développer les
potentialités, les richesses qu’il portait en lui, grâce au Bristol, parce que
dans cette belle maison, j’ai des patrons qui ont eu l’intelligence de me faire
confiance, de m’accompagner et de me laisser m’exprimer. Ici on a la meilleure
cuisine, la meilleure brigade, les meilleurs produits. Après, il n’y a plus
qu’à s’exprimer ! Je suis un homme très heureux et accompli, même si c’est
vrai que le désir de perfection rend parfois un peu insatisfait.
Le Bristol
Le Bristol est un
sublime hôtel, c’est même l’hôtel favori des clients de Booking.com. Woody
Allen a tourné « Midnight in Paris » au Bristol. Il y a séjourné
durant plusieurs semaines. Comment est-il ?
Malheureusement, je ne
l’ai pas croisé beaucoup, parce que ce sont des gens qui sont difficilement
accessibles. De plus, il travaillait énormément. Il ne venait pas dîner au
restaurant mais on a fait beaucoup de service en chambre.
Depuis des années,
vous êtes célébré partout dans le monde. En 2009, en plus de recevoir le
troisième macaron Michelin, vous êtes élu « Chef de l’année ». Dans
la foulée et durant trois années consécutives, l’Epicure est
élu « Meilleur restaurant d’hôtel au monde ». En 2015, vous êtes élu
7ème sur 100 (aux côtés de Pierre Gagnaire, Paul Bocuse, Alain
Ducasse,Thomas Keller, Joan Roca, Michel Bras…) du classement des chefs du
monde qui incarnent au mieux les valeurs de la profession et proposent une
cuisine incontournable. Qu’est-ce que cela fait d’être l’un des plus grands
chefs au monde ?
Honnêtement, je vous
avoue que je ne fais pas trop attention à tous ces titres… Bien sûr, je suis
très heureux et très fier de les recevoir ,mais je ne m’y attache pas. Je reste
très humble là-dessus parce que demain tout peut changer. J’avoue que je ne me
laisse pas distraire par ce qui se fait ailleurs, ni à l’extérieur ni même à
l’étranger. Je vis tellement en autarcie ici que je fais ma propre cuisine
telle que je la ressens, et je ne me laisse pas perturber par toutes ces modes,
par cette course effrénée à la nouveauté, aux cuisines exotiques ou aux
tendances fluctuantes.
Macaronis façon Eric Frechon
Avez-vous reçu au
Bristol des Présidents de la République française ? Quels sont leurs plats
préférés ?
Emmanuel Macron n’est
pas encore venu… François Hollande est venu en banquet mais jamais au
restaurant. Par contre Nicolas Sarkozy adorait mes macaronis (macaronis farcis
truffe noire, artichaut et foie gras de canard, gratinés au vieux parmesan).
J’aurais presque pu les appeler « Macaronis Nicolas Sarkozy » !
Il en a tellement parlé dans tous les articles de presse que ce macaroni est
devenu la Soupe aux truffes VGE de Paul Bocuse !
Vous consacrez
beaucoup de temps à transmettre votre passion de la cuisine, à former des
apprentis, des stagiaires, des cuisiniers qui deviendront les Grands de demain.
Pourquoi cette mission vous tient-elle tant à cœur ?
J’estime que le fait
de passer Meilleur Ouvrier de France nous confère des devoirs. On a quelque
part un devoir que l’on s’impose à soi-même – ce n’est pas une règle – qui est
un devoir de transmission. Il s’agit de préparer les grands de demain,
d’assurer la relève. A un moment donné, c’est une belle satisfaction pour nous
aussi de voir ces petits grandir. Et puis c’est un peu ma cuisine, mon style,
qui perdurera à travers d’autres cuisiniers. Ils garderont un « esprit
Frechon » !
Ce sera « L’Ecole
d’Epicure » !
Exactement !
Vous êtes à la tête du
« Lazare » (un superbe « restaurant bistronomique »
installé sur le parvis de la gare Saint Lazare), du « Minipalais » au
Grand Palais, et du « Drugstore » Publicis en haut des
Champs-Elysées. Vous signez la carte estivale d’un restaurant à Saint-Tropez
« La Petite plage ». Vous écrivez des livres de recettes plus
alléchantes les unes que les autres, comme « E » de Eric Frechon paru
aux éditions Solar, qui composent une magnifique bibliothèque gourmande.
Qu’est-ce qui peut encore faire rêver le fabuleux cuisinier que vous
êtes ?
Le concours des
Meilleurs Ouvriers de France arrive bientôt. Ce concours très exigeant qui
récompense l’excellence du savoir-faire français demande des mois de
préparation à tous ceux qui souhaitent le passer. On va tout faire pour aider
les cuisiniers qui s’y présentent à décrocher ce titre prestigieux. Ce sont de
vraies satisfactions pour nous. Après, il y a aussi les plus belles créations
que l’on invente au quotidien dans nos cuisines….C’est ça qui nous fait
vraiment rêver.
Enfin, avec qui
aimeriez-vous dîner ?
Il y a énormément de
personnes avec qui j’aimerais dîner ! Par exemple, Clint Eastwood, pour
qui j’ai beaucoup d’admiration, j’adore ses films ! J’apprécierais aussi
de partager un moment avec Michel Onfray autour d’une table, c’est un homme
très intéressant…
Eric Frechon dans sa cuisine Propos recueillis par Isabelle Gaudé
Gisèle Halimi était mon amie. Je l’avais rencontrée une première fois dans les années 2000 lors d’une interview sur son métier d’avocate et j’avais été éblouie par son brio. Quelques années plus tard, un peu pour la rejoindre, un peu pour participer au combat, j’avais intégré la rédaction du magazine « Choisir, la cause des femmes » fondé par Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi. Et c’est là que j’ai appris à la connaître. Gisèle Halimi était une grande dame. Une femme d’esprit au grand coeur, une femme généreuse et lumineuse mais aussi une insurgée, une rebelle, une insoumise, une combattante qui toute son existence avait résisté aux pressions et aux oppressions. Gisèle Halimi, c’était une vie consacrée à lutter contre les injustices et les aliénations. Gisèle Halimi, c’était une femme qui avait décidé d’offrir aux autres femmes sa propre destinée pour livrer un combat en faveur de la dignité des femmes, afin d’améliorer leur condition. Gisèle Halimi, c’était un modèle pour les femmes et un modèle pour moi. Gisèle Halimi, c’était une femme de lettres. Une quinzaine d’ouvrages (essais, romans) à son actif, tous vibrants, brillants et merveilleusement écrits. Gisèle Halimi, c’était une amie et ce soir je suis triste. Pour entendre, une dernière fois, sa voix vibrer non dans une plaidoirie mais dans sa prose, j’ai eu envie de retranscrire cet entretien que nous avions eu ensemble (entretien initialement publié dans le Grandes Ecoles Magazine de juin 2002) . Au revoir Gisèle…
Maître Gisèle Halimi, qu’est-ce qu’une avocate du pénal ?
Une avocate qui défend des individus poursuivis pour des délits ou des crimes. Cela dit, j’oppose sans les opposer véritablement parce qu’on me le reprocherait infiniment, les avocats du pénal et les avocats d’affaires. Ces derniers n’ont personne devant eux. Ils ont des sociétés. Pour eux, tout se passe donc dans un échange de correspondances, il y a l’intérêt des associés à faire prévaloir, et ceci est purement matériel. Il y a bien des délits dans les sociétés mais, comme vous le savez, ce sont des délits financiers. Tandis que l’avocate du pénal défend des gens dont la vie même est obscurcie, menacée par une comparution devant un tribunal pénal qui va prononcer des peines. C’est à ce moment-là, et toute la différence est là, qu’on mesure l’énorme solitude d’un individu confronté à toute une machine, à un engrenage qui est l’engrenage judiciaire de la société. Il y a un gigantesque rapport de force qui le défavorise totalement, quelle que soit la faute, quel que soit le crime. Or, dans un pays civilisé, juger c’est comprendre, et pour comprendre, il faut donner la possibilité de s’expliquer. Mais, cette disproportion de forces produit quelquefois l’inhibition d’un homme ou d’une femme, innocent ou pas — et j’ai envie de dire que quand ils sont innocents c’est pire, puisque lorsqu’ils sont innocents le ciel leur tombe sur la tête — du fait de la force de cet engrenage, de la solennité, de la force impérieuse d’une justice et de la mise en scène établie. Donc, pour pouvoir défendre quelqu’un — c’est mon point de vue mais je ne dis pas que tout le monde doive le partager, quoique je le souhaiterais — face à cet engrenage, pour rétablir un tant soit peu d’abord un rapport de force moins inégal, et pour comprendre l’individu, il faut un minimum de compassion, au sens latin du terme (compatire : souffrir un peu avec lui). C’est-à-dire entrer en dedans de lui pour comprendre comment, en déroulant sa vie et son parcours, et en particulier le bout de sa vie, comment il a abouti brusquement, en quelques secondes, à une rupture et a basculé dans le crime. Pourquoi, comment, qu’est-ce qui s’est cassé, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné, qu’est-ce qui a poussé à la transgression ? Toutes ces interrogations sont nécessaires pour refaire le chemin parcouru et pour l’expliquer. Et pour véritablement découvrir le personnage, il faut incontestablement un peu de compassion. En tout cas, moi, si je n’en ai pas, je n’ai pas de talent.
Au début de votre carrière, vous étiez une jeune juriste idéaliste qui pensait qu’avec les mots ou l’éloquence, on pouvait changer le cours des choses. Pour votre premier client, un légionnaire qui avait dérobé 3 kilos de pommes de terre, vous avez fait une belle plaidoirie littéraire. Il a été condamné à 6 mois d’emprisonnement par un tribunal militaire : cette désillusion vous a donné envie de quitter le barreau. Qu’est-ce qui finalement vous a poussé à ne pas le faire ?
C’était ma première plaidoirie. Et j’étais évidemment effondrée à cause du verdict. J’avais choisi de citer Saint-Exupéry, Péguy, des mots parfaitement absurdes devant un tribunal militaire pour qui ce genre de procès devait se régler en cinq minutes. Donc, je me suis dit : au pire je suis responsable de cette condamnation, et au mieux, je n’ai pas su l’aider. J’ai donc voulu quitter le barreau. Ce qui m’a permis de passer par-dessus ce moment dépressif, c’est d’abord, comme je le raconte dans mon livre, cette conversation avec mon patron, qui était quelqu’un de tout à fait exceptionnel, un ancien résistant, un homme intègre, ce qui était rare dans la Tunisie colonisée de l’époque. C’est d’abord lui et ce qu’il m’a expliqué qui m’ont fait revenir sur ma décision. Mais c’est aussi, je crois plus que tout, cette volonté qui était en moi de justement continuer à redonner force à cette arme absolue : les mots. J’ai une passion pour convaincre, et dans ma jeunesse, cette passion confinait un peu à la mystique. Le combat contre l’injustice, je me disais que je ne pouvais le mener que comme cela, avec mes mots, et que ce combat, il fallait continuer de le mener. Il ne faut pas oublier qu’à cet âge-là et après cette plaidoirie, je continuais de subir l’injustice et surtout de la voir subir autour de moi dans la Tunisie des années 50. Donc, le contexte continuait d’exister mais seulement moi, j’avais pris un coup de barre sur la tête. Heureusement, j’ai pu m’en relever, et sauvegarder ainsi mes rêves d’adolescente, être avocate comme je me l’étais promis à l’âge de dix ans.
Dans votre livre Avocate irrespectueuse, paru chez Plon, vous évoquez la torture pendant la guerre d’Algérie. Dans un livre, paru chez Plon, Services Spéciaux, le général Aussaresses avoue comment il a tué et exécuté en Algérie de 1955 à 1957. Vous dont l’histoire professionnelle a rencontré la Grande Histoire, quel jugement portez-vous sur cette époque ?
C’est une époque tout à fait charnière de notre histoire et c’est la raison pour laquelle dans « l’appel des 12 », nous nous entêtons à vouloir que cette défaillance, cette honte, cette systématisation de la torture comme moyen d’enquête et comme moyen de répression, soient reconnues et entrent dans notre histoire car autrement notre histoire serait truquée. Il y a une vérité historique qu’il faut rétablir. Quant à moi, je l’ai vécu, si vous voulez, moi, l’idéaliste amoureuse, passionnée de la France, pays des droits de l’homme, de la Révolution française, de Rousseau, Voltaire, Diderot, des Lumières, des paysages même de la France (au lycée, j’ai eu le premier prix de français en décrivant un Noël de neige en France avec des paysannes en sabots etc., alors que c’était un fantasme qui m’habitait, car de ma vie, je n’avais vu ni la neige ni les sabots) comme un choc terrible. Je me suis posée le dilemme à ce moment-là, d’une manière assez brutale : si c’était ça la France, alors tout ce qu’on m’avait appris dans mon lycée français était mensonger. On m’a endoctrinée, on m’a manipulée. C’est alors que j’ai connu un moment de désarroi très fort. Mes plaidoiries de l’époque étaient d’autant plus acharnées qu’elles défendaient à la fois nos valeurs et qu’elles avaient comme dessein de me défendre moi-même et de faire en sorte que ce que je portais en moi ne se transforme pas en désespoir, en illusions. Il me fallait pour cela surmonter ma désillusion, pour ainsi dire ressusciter, car je me sentais en cendres.
Vous relatez dans votre livre Avocate irrespectueuse, qu’en 1957, le général Aussaresses décide de vous faire enlever et assassiner mais qu’un ami bienveillant, Paul Teitgen, vous sauve in extremis…
Oui ! J’ai appris cela en le lisant ! Paul Teitgen était alors Secrétaire général de la police, préfet de police d’Alger en quelque sorte. A l’époque, je n’avais pas compris le pourquoi de cette expulsion. Je lui en ai beaucoup voulu puisqu’un matin à l’aube, deux inspecteurs de police m’ont dit de faire mes bagages, que j’avais cinq minutes et que j’étais expulsée. J’ai eu beau protester : mais comment, je suis venue avec une autorisation régulière, la voilà ! Une autorisation que l’on m’a donnée à Paris, je me suis entendue répondre : Paris c’est Paris, ici c’est Alger ! Allez dépêchez-vous l’avion va partir. Je l’avoue, sur le moment, j’étais folle de rage. Comment lui, lui qui essayait de lutter contre Massu, de tenir une comptabilité de tous ceux que Massu faisait disparaître, lui qui me disait : Gisèle, il faut résister, il n’y a qu’un devoir comme toujours, voilà qu’il m’expulsait. C’est beaucoup plus tard, lorsque je lui ai demandé : Enfin mais pourquoi ? Je devais plaider ce matin-là ! Il m’a répondu : Non ! Vous deviez mourir ! Il m’a alors expliqué que des indicateurs lui avaient révélé le complot d’assassinat qui se tramait contre moi, orchestré par le général Aussaresses. Or pour lui, la seule manière de me sauver, c’était de m’éloigner d’Alger.
Etre avocate pour vous, c’était une vocation ou une rébellion contre la machine sociale. Vous écrivez « au nom de la loi, contester la loi »…
C’était beaucoup de choses à la fois. C’était à l’origine, je pense, une prise de conscience d’une injustice phénoménale dans le monde. Je trouvais que le monde marchait sur la tête dans la manière qu’il avait de traiter les uns et les autres, les femmes et les hommes, les Arabes et les Français tout-puissants, colonisateurs. Donc, il y avait déjà un sens profond de la révolte contre l’injustice, et la volonté, la passion de vouloir convaincre, de lutter contre cela avec des mots. Et puis, la loi que d’une certaine manière, obscurément, je contestais, dans ces fondements même parce que j’avais des tendances un peu marginales. J’aurai aimé m’abstraire, déserter tout ce système, toute cette légalité et toutes ces valeurs qu’on disait nécessaires et vivre ma propre vie, en marge. En même temps, cet attachement à la loi me permettait aussi de me sauver moi-même d’une marginalité qui n’aurait probablement pas été aussi fructueuse pour moi que ce que j’ai fait.
Vous dites « ma vie c’était défendre » mais défendre, c’était pour vous aussi d’une certaine façon « accuser la loi », accuser la société ou le système, l’enfance du criminel…
Oui, bien sûr. C’était aussi montrer ce que j’ai dit plus haut : cet énorme déséquilibre entre la loi qui accuse et l’accusé qui veut se défendre, mais toujours dans le cadre de la loi. C’est la quadrature du cercle. Le métier d’avocat est compliqué : c’est pour cela que je revendique la plus extrême liberté car ce n’est pas automatiquement, bêtement le respect de la loi. Ce que font certains magistrats qui se transmuent en machines enregistreuses. Délit n° 1, on tape sur une touche, cela correspond à la peine n° 1. Or, cette attitude, c’est le contraire du rôle d’avocat. Je veux que la justice ait profondément un rôle culturel, c’est-à-dire qu’elle opère la remise en question, qu’elle suscite un changement profond de tout à la fois, et ce, à travers le parcours d’un individu qui est de toute manière un révélateur de notre société. Il s’agit de voir en quoi cette transgression est révélatrice de la société et implique de dysfonctionnements dans la société, y compris dans la loi.
Donc, on peut dire aussi que défendre c’est s’engager et s’opposer ?
Oui ! Il n’y a rien à ajouter à cela !
Toute votre vie, vous vous êtes sentie écartelée entre votre désir de plaider, celui d’élever vos enfants et votre vie de femme. Comment jongle-t-on avec tout cela ?
Entendons-nous bien sur le sens de cet écartèlement ! Pas un instant, dans ma vie, je n’ai songé que je ne devais faire qu’une chose. C’est d’ailleurs, un peu ce qui a rendu ma vie si compliquée. Ma vie, c’étaient les deux vies en une : mener deux choses à la fois. Au moins deux, d’ailleurs ! Je me sentais écartelée parce que je subissais comme vous, comme toutes les femmes, ce conditionnement atavique depuis des millénaires, comme quoi nous sommes les gardiennes du foyer, des mères par excellence. Si nous travaillons à l’extérieur, nous sommes coupables, nous sommes de mauvaises mères, même si nous nous organisons. Qu’on le veuille ou pas, ce fond de culpabilité des femmes quand elles ne sont pas 24 heures sur 24 au foyer est quelque chose qui malheureusement existe et survit à tous les efforts d’intelligence et de lucidité. Donc, c’est pour cela que j’ai été très souvent dans ma vie déchirée, d’autant que ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille du point de vue professionnel puisque j’ai été arrêtée à Alger par des paras putschistes (1958), que je devais être fusillée, que mes enfants étaient seuls, qu’ils avaient 5 et 3 ans. Tout cela a fait ce bouillonnement qui, quelquefois, me donnait un peu le vertige, il faut bien le dire.
Vous n’avez jamais fait partie d’aucun réseau politique, maçonnique, ni profité d’aucun soutien. Tout ce que vous avez conquis, vous vous le devez. D’autant plus que vous étiez une femme. Avez-vous aujourd’hui, un sentiment d’accomplissement ?
Le temps a passé, et aujourd’hui, j’ai le sentiment de m’être appropriée véritablement ma liberté. A l’origine, la lutte était pour cet accomplissement, pour se l’approprier. A présent, de ce point de vue-là, je trouve que je n’ai pas fait de concessions, je n’ai jamais adhéré à un parti, même s’il faut savoir que je suis fondamentalement de gauche. Cela dit, personne ne me soutient. Ce livre, par exemple, a suscité des réactions très diverses. Il a emballé les jeunes avocats, les syndicats d’avocats, les avocats qui réfléchissent à ce dilemme « toute la loi », mais jusqu’à quand, contre qui, comment, etc. On m’a ainsi invitée au prestigieux concours des jeunes stagiaires pour que je puisse expliquer la nécessité de l’irrespect. Quant à la profession elle-même, elle ne l’a pas reçu de la même façon. J’ai eu un rappel à l’ordre du Bâtonnier. Il n’empêche : ce que je dis dans ce livre est historiquement exact et les archives de l’Ordre sont là pour le démontrer. Mais la profession est corporative et préfère le silence.
Dès le début de votre carrière, vous avez tenu à la féminisation du mot avocate. Vous avez été rappelé à l’ordre par le Conseil de l’Ordre. En quoi le « e » était-il un choix, une conquête ?
D’abord, je rappelle et c’est en cela que la défense du Conseil de l’Ordre était absurde, que la première avocate qui a son buste au palais de justice Maria Verone, était présentée comme une avocate, déjà à l’époque, en 1898, ainsi qu’il l’est écrit sur le marbre. Pourquoi c’est une bataille ? En tout cas, c’est une bataille que la profession menait contre les femmes. Etre avocate, ce n’est pas s’agréger à la masse d’avocats, sans spécificité, sans distinction. Avocate, ce n’est pas seulement une femme dans le métier, c’est une femme qui parce qu’elle est femme fait le métier autrement. Qui cumule ses vies. Du côté du Conseil de l’Ordre, c’était une bataille qui rejoint d’ailleurs toutes les batailles contre la féminisation des titres quand les titres sont d’un niveau supérieur par exemple à celui de directrice d’école maternelle. On accepte mal le vocable de directrice de cabinet. C’est une conquête et il faut croire que les hommes ne souhaitent pas que ces conquêtes soient marquées concrètement par le langage. Or, je prétends que le langage n’est jamais innocent et que la féminisation des titres accompagne ces conquêtes en leur donnant la place dans l’histoire et en faisant en sorte que ces conquêtes ne se fondent pas, ne s’uniformisent pas avec les métiers qui, jusque-là, étaient le territoire hégémonique des hommes.
Vous êtes aussi une avocate affective. Il y a une véritable empathie, voire une affection qui vous lie à vos clients. Par exemple, dans le cas de Maria, cette jeune femme battue par son mari, que vous soutenez moralement et affectivement, et qui le jour de son divorce, fut abattue par son époux, devant vous, son avocate, en plein tribunal…
Maria, c’est la tragédie de mes années de jeune avocate…
Avez-vous porté cette culpabilité, vous qui lui aviez dit que les maris violents menacent toujours de tuer leur femme sans jamais le faire, lorsqu’elles cherchent à les quitter…
Oui. La preuve, c’est que j’ai bétonné cette histoire, que je ne l’ai jamais racontée, que je ne l’ai pas consignée dans mon journal habituel. Je l’ai refoulée parce que je crois que pour moi, l’enterrer dans l’oubli c’était une condition de survie. Je me sentais tellement responsable. Et puis, elle a resurgi. Quant à l’affectivité envers mes clients, il est vrai qu’au départ, il y a cette compassion. Ce qui explique d’ailleurs que je ne pourrais jamais défendre un tortionnaire ou un violeur, parce que là je ne peux pas entrer dans son système. Bien sûr, je veux qu’il soit défendu mais moi je ne m’en sens pas capable. Donc, il y a cette dose d’empathie, il faut que je partage un peu, que j’essaye de voir, de comprendre mais de l’intérieur du personnage et non pas du haut des lois répressives. Parce que là, je ne pourrais pas plaider, je ne serai pas bonne.
Par votre engagement et vos actions judiciaires, vous avez participé à l’avancée sociale : réformes telles que l’abolition de la peine de mort, les droits des femmes et vous avez demandé des peines plus sévères pour le viol. Selon vous, les progrès du droit peuvent-ils être attribués à la seule parole ?
Je crois qu’il y a une série de facteurs qui interviennent. Mais la parole en tant qu’elle a transformé des procès de faits divers en faits « politiques » c’est- à-dire qu’on s’adressait non pas au juge pour demander pardon mais, au contraire comme dans le procès de Bobigny, parler au-dessus de la tête du juges, à l’opinion publique, à la société, incontestablement a une grande part, mais en même temps, il y a une dialectique. C’est qu’une fois qu’il y a eu des relais qui ont été pris par l’opinion publique, le troisième relais qui a été la loi, a changé. Pour ce qui concerne la plaidoirie, je crois effectivement que c’est par cette force du mot, par cette arme, par la force de conviction aussi que l’on peut transformer des procès en en faisant de grands procès, de grands moments culturels. Je dis toujours, ne faisons pas des procès expiations mais des procès explications. Ce sont ces procès explications qui sont les leviers du changement de la culture.
L’irrespect des lois politiques, des ordres moraux, de la bienséance consensuelle, vous a valu aussi, une fois, le respect. Au procès du Congo…
C’est un drôle de moment. Il parait que cela va faire un film ! D’ailleurs, tous les ingrédients y sont : le côté exotique, ce fleuve, moi en train de hurler au téléphone dans ce café bondé avec au bout du fil le Président de la République. Au reste, c’est la première fois que je me suis sentie très malheureuse, car au départ je voulais sauver ces gens, je les aimais suffisamment pour les sauver. Et en même temps pour la première fois, ce qu’on appelle le transfert de l’accusé sur son avocat ne se faisait pas ou se faisait mal. Je me sentais prise avec des pincettes, pas assez révolutionnaire, bourgeoise comme ils ont dit. J’ai eu cette difficulté là mais je dois dire qu’en la surmontant, convaincue que j’étais de vouloir les sauver, j’ai été payée par un jugement absolument unique dans les annales judiciaires. Ainsi la cour révolutionnaire de Brazzaville, à 2 heures du matin, après trois jours de débats, a déclaré : « Compte tenu que ces séditieux, ces quatre Français coopérants avaient reconnu leur faute et qu’ils étaient défendus par Gisèle Halimi, avocate tiers-mondiste, avocate de Djamila Boupacha et de Mehdi Ben Barka, amie du peuple congolais, nous les lui remettons… » Avouez que c’est amusant ! Je me suis retrouvée à 2 heures du matin avec les quatre Français qui ne sont même pas rentrés à la prison ni rien. Ils étaient en short et en chemisettes. Et à l’aube, nous avons pris l’avion pour Paris. Voilà que mon irrespect, celui-là même dont j’avais largement usé pour défendre les gens auxquelles la cour faisait allusion, Djamila Boupacha, Ben Barka, cet irrespect qui me permettait de lutter contre la répression à notre égard en Algérie, contre la bien-pensance; cet irrespect donc, tout à coup, me valait un respect inattendu ! Au fond, j’ai peut-être sauvé les vies de ces quatre Français non pas parce que j’ai démontré quelque chose, mais tout simplement, parce que c’était moi, leur avocate, qui étais là ! Extraordinaire, non ?
« Faire rire, c’est faire oublier. Quel bienfaiteur sur la terre qu’un distributeur d’oubli ! » remarquait Victor Hugo. A ce titre, Franck Magnier est un bienfaiteur de l’humanité ! Une carrière jalonnée de succès et d’éclats de rire homériques. C’est lui, l’écrivain vedette des Guignols de l’info. Durant six ans, de 1994 à 2000, il nous régale de ses saillies et de son humour vitaminé. Chaque soir, sur Canal +, on salue la gouaille de celui qui n’a de cesse de moquer les politiques et les puissants. On se souvient encore du « mulot » de Jacques Chirac (nom donné à la souris de l’ordinateur !) L’enfant d’Arras, le poète qui a le don de faire fleurir le verbe, poursuit sa route et devient l’un des plus populaires scénaristes de France. Bienvenue chez les Ch’tis, c’est lui. Grâce à son style décapant, décalé, drolatique, il réinvente la comédie. Une comédie originale, pleine d’esprit, imprégnée d’une tendresse contagieuse. Il faut dire que l’homme a à portée de cœur des trésors d’affection, en témoigne cet amour absolu qu’il voue à son épouse. Franck Magnier tricote du rêve, de la bienveillance, de la solidarité comme d’autres tissent dans la violence, la mort et le conflit. Dans Bienvenue chez les Ch’tis, il explore le côté lumineux de la force sur fond de logorrhée Ch’timi. On boit du petit lait… Dany Boon explose dans ce film, le résultat est irrésistible : c’est la fête de la fraternité. On ressort des Ch’tis régénéré, le sourire aux lèvres et une irrépressible envie d’embrasser tout le monde à la sortie du ciné. C’est ça l’effet Franck Magnier ! C’est une bouffée d’oxygène dans un monde asphyxié par la violence. Une façon de gommer le laid pour ne garder que le beau. Avec lui, on oublie tout, l’implacable dureté de la vie, l’âpreté du réel, le malheur et la fugacité de l’existence. Résultat : le film pulvérise tous les records, plus de 20 millions de spectateurs, et une nomination aux César du Meilleur scénario dans la foulée pour Franck Magnier. Mais le génie du tempo ne s’arrête pas là. La même année 2008, un autre de ses scénarios fait mouche : Astérix aux Jeux Olympiques. Un succès inouï, 7 millions de spectateurs, un film jubilatoire porté par l’irremplaçable, l’inoubliable Benoît Poelvoorde dans le rôle de Brutus. En un rien de temps, une génération d’ados reprend les répliques cultes du film dans la cour du lycée. Tout s’enchaîne alors très vite. Le métier se penche sur le berceau de cet artiste surdoué et lui propose les fonds nécessaires pour réaliser trois films coup sur coup : Imogène Mc Carthery, Boule et Bill, et Les Têtes de l’emploi avec la belle Elsa Zylberstein et le fabuleux Franck Dubosc. Franck Magnier passe derrière la caméra et réussit à faire entrer tout un monde dans cet espace de liberté qu’il offre aux acteurs. Les performances d’acteurs se multiplient, le tournage se révèle être un pur bonheur, Les Têtes de l’emploi galvanisent le public. Aujourd’hui, Franck Magnier entame 2020 avec un bel appétit, la musette pleine de projets. Au menu : des comédies sociales hilarantes, une adaptation du fascinant thriller Prédateurs de Maxime Chattam, une série comique. Bref, du plaisir à jet continu. Cette fois encore, cet artiste génial dont la vie se résume à faire du bien aux autres, qui toute son existence a mené un combat contre l’endurcissement des coeurs, compte nous régaler de ses merveilles. Et nous, nous avons définitivement besoin de ce « bienfaiteur » pour continuer de croire en la bonté de l’humanité…
Indispensable Franck Magnier
Etes-vous un homme joyeux ?
Pas du tout !
Etonnant puisque vous nous régalez depuis des années de textes désopilants !
Je suis extrêmement pessimiste !
Je reprendrai à mon compte la phrase de Pierre Desproges : « L’humour
est la politesse du désespoir. » L’optimisme est, pour
moi, un effort…
Une élégance ?
Plutôt un effort ! Cela
dit, je préfère être lucide qu’optimiste. J’essaye de rire le plus possible ou en tout cas de faire rire les
autres, ce qui me procure du plaisir. Rire des situations tragiques, c’est mon
moyen à moi de m’en sortir. J’ai eu une enfance marquée assez précocement par
un certain nombre de drames qui m’ont obligé à mettre à distance la
souffrance.
L’humour est-ce une défense pour vous ?
Du plus loin que je m’en
souvienne, j’ai toujours eu ce goût pour le drôle, le comique, la satire, la
caricature, l’outrance. L’humour, y compris l’humour noir, est un
trait constitutif de ma personnalité. Dans toutes les situations de la vie, je
ne peux m’empêcher de chercher l’ironie, le côté burlesque, loufoque, décalé. Jeune, c’était déjà une manière de penser, puis c’est devenu un tic
professionnel et un tic existentiel. Sans compter que je trouve cela magique d’arriver à faire rire les gens. C’est comme créer une sorte cataclysme dans la
cervelle de l’autre. Ce que j’apprécie le plus quand les
gens rient, c’est de voir l’enfant qu’ils étaient avant de devenir adulte. Il y
a quelque chose de juvénile, de puéril dans un rire qui éclate. Nous
trimballons tous notre image sociale, une image sérieuse que l’on prend au
sérieux, nous y adhérons sans recul. Le rire permet de bousculer nos
certitudes, de faire tomber les masques. C’est une mise à distance, une irrévérence
salutaire…
Rire vous sauve ?
Probablement… Mais parfois, malheureusement, rire ne suffit pas. Je dois à mon épouse mon salut, ma rédemption. C’est elle qui est optimiste et elle l’est pour deux ! Je lui répète tout le temps que je le jour où je l’ai rencontrée, j’ai repris goût à l’existence…
Quelle belle déclaration d’amour !
J’espère !
Etes-vous d’accord avec Nietzsche qui affirmait : « Il faut que les hommes aient beaucoup souffert pour avoir inventé le rire. » Selon vous, le rire naît-il de la douleur ?
Je ne saurai le dire… En ce qui
me concerne, je reconnais que la douleur existentielle a nourri mon sens de l’humour.
A partir du moment où l’on réalise que l’on est de passage, qu’il n’y a rien après la mort, il ne
reste qu’à en rire…
Mais peut-on rire de tout ?
On doit rire de tout ! Si « Le rire est le propre de l’homme » comme le disait Rabelais et si l’on ne peut rire de tout, c’est que l’on n’est pas humain à 100%. On doit rire de tout, c’est obligatoire, mais pas avec n’importe qui. Vous pouvez faire certaines blagues avec certaines personnes quand vous êtes sûr de partager le même sens de l’humour et qu’il n’y a pas d’ambiguïté sur l’interprétation. Par exemple, lorsque j’étais auteur aux Guignols de l’info, avec mon complice Alexandre Charlot, nous étions spécialistes dans l’analyse des différentes sortes de rire du public. Il y avait le rire qui explose, le rire exutoire, le rire qui dure, le rire un peu gêné, et puis le rire où on sent que la gêne augmente, que cela fait rire une partie du public mais que la blague n’a pas été parfaitement comprise par tous.
Quel regard portez-vous sur les comédies actuelles françaises ? Pourquoi sont-elles si peu récompensées par les César ?
L’histoire de la comédie est compliquée en France. Il existe une forme de snobisme dans le cinéma tricolore. Patrie du cinéma, la France fait du cinéma d’auteur. Si vous faites de la comédie, c’est un peu « déshonorant » mais en même temps, on vous jalouse lorsque vous avez du succès, parce que cela fait des entrées. A cause de ce regard condescendant (une condescendance générale qui va du producteur aux acteurs), les comédies sont rarement récompensées. Enfin, dernièrement, on a quand même créé pour les César un « Prix du Public » qui récompense les films qui font le plus grand nombre d’entrées dans l’année. Or, il s’avère que ce sont presque toujours des comédies !
C’est pourtant difficile de faire une bonne comédie !
Effectivement ! C’est une
mécanique difficile, d’une incroyable précision. Il y a quelque chose de
très millimétré dans les dialogues, les gags,
les mouvements et les situations comiques. C’est réglé comme un coucou
suisse. Malheureusement, cette beauté de la facture comique en France n’a pas
la cote…
Une comédie réussie exige aussi un certain tempo…
En fait, il faut que ce soit au bon rythme. Il ne s’agit pas à tout prix d’accélérer le tempo. Je me souviens que lorsque nous avons écrit Bienvenue chez les Ch’tis avec Alexandre Charlot, nous étions vraiment dans la volonté de faire avancer l’histoire sur une structure narrative. Mais Dany Boon qui a une fabuleuse expérience de la scène, lui, identifiait tous les endroits où l’on pouvait s’engouffrer dans un développement comique. Il nous disait, à tel moment, il y a un bon numéro d’acteur, un numéro comique à faire. Cela a été pour nous un enseignement incomparable. Maintenant, quand nous écrivons des films, nous réfléchissons immanquablement aux endroits où l’acteur va pouvoir donner bien plus.
Le métier de scénariste de cinéma s’apprend-il ?
J’ai construit toute ma carrière sur mon sens de l’humour. Quand je suis arrivé au Guignols, je n’y connaissais rien. J’ai donc improvisé. Les Guignols de l’info, c’était la caricature, l’outrance. C’est une tradition française de se moquer de l’actualité des hommes politiques. Je portais ça en moi, c’était déjà dans mon ADN ! Par contre, lorsque j’ai commencé le cinéma, il a fallu apprendre tout autre chose. Je suis passé du format « une minute trente » au format « une heure et demi ». Et puis, je suis passé d’un statut d’auteur tout-puissant qui fait la pluie et le beau temps, à scénariste de cinéma. Et scénariste de cinéma en France, cela ne pèse pas bien lourd… Il y a une blague professionnelle qui dit : « Savez-vous à quoi on reconnait une actrice belge ? C’est la seule qui couche avec un scénariste ! » Là aussi, j’ai dû apprendre sur le tas, contrairement à aujourd’hui, où se multiplient les écoles et les spécialisations scénaristes. L’industrie de la série a formaté une génération de jeunes auteurs qui écrivent à la chaîne. Je suis persuadé que dans dix ans, la plupart des séries seront écrites par des ordinateurs. Evidemment, je ne parle pas de la série Chernobyl , magnifiquement écrite, mais dans 70 % des séries, un épisode est divisé en trois sous-parties, A, B, C. Vous donnez la partie A à écrire à dix auteurs, la B à dix autres et la C à dix autres encore. Et ensuite vous ramassez les copies. On est loin du mythe romantique de l’auteur torturé qui regarde au loin la mer avant de pondre une ligne…
Vous êtes un scénariste à succès, avec plus de 20 millions d’entrées pour Bienvenue chez les Ch’tis le meilleur score d’un film français au box office. Avez-vous eu le vertige devant ce succès ?
Cela ne risquait pas ! Parce que les scénaristes ne sont pas exposés à la lumière, ils restent dans l’ombre ! Pour être honnête, venant des Guignols, où nous étions entourés de spectateurs tous les soirs, avec une émission très populaire, des dizaines d’interviews, de grandes journées que Canal + organisait avec des rencontres avec le public, j’étais loin du vertige !
J’ai l’impression que vous regrettez cette époque ?
Oui et non. Non, parce que je l’ai vécue, donc c’est fait, c’est bien et j’avais vingt-cinq ans de moins ! Oui, parce que je pense que c’était une époque d’une très grande liberté. Beaucoup d’insouciance, de légèreté et une joyeuse ambiance. Enfin, il y avait une énorme satisfaction à écrire dans la journée ce que l’on voyait le soir même à l’antenne. Je ne passais pas mes journées à écrire des scénarios qui parfois ne se vendent même pas… Quand votre travail rencontre le public, c’est un achèvement, un moment qui fait sens. Je dois reconnaître que le succès des Ch’tis a quand même eu pour moi une heureuse conséquence : on nous a proposé de réaliser un film…
A quoi attribuez-vous le prodigieux succès des Ch’tis ?
C’est, semble-t-il, la conjonction de plusieurs paramètres. Il y a d’abord Dany Boon. C’est un comédien extrêmement populaire. Les Ch’tis, c’est le paroxysme de la trajectoire d’un artiste qui rencontre une histoire, celle qui offre à son jeu le meilleur écrin possible. C’est aussi un film où il n’y a pas de méchants. Je crois que plus l’époque est dure, plus il y a cette volonté de ressortir du cinéma avec un petit sourire en se disant finalement : « la nature humaine n’est pas si méchante que ça, on peut encore y croire. » Il s’agit de remettre un peu d’utopie, de bienveillance dans les rapports humains, les rapports sociaux, dans le monde du travail afin que la vie en société ne finisse pas nécessairement en conflit.
Aviez-vous conscience de ce phénomène lorsque vous écriviez le scénario ?
Non, c’est impossible d’en avoir conscience ! Quand j’écrivais pour Les Guignols de l’info, je me souviens du nombre de fois où je sortais une blague ou une expression en me frottant les mains et en me disant « là, ça va cartonner ! » A chaque fois, cela faisait un bide ! Le jour où j’ai inventé « le mulot » pour la souris d’ordinateur de Jacques Chirac, quinze jours plus tard, je l’entendais partout et même dans la rue. Cette expression est même entrée dans le dictionnaire ! Malheureusement, on ne peut pas prévoir à l’avance ce qui va plaire ou pas, ce serait trop facile !
Etes-vous Ch’ti ?
Complètement ! Je suis d’Arras. C’est pour cette raison que Dany Boon est venu vers moi. On s’était rencontré auparavant et il voulait absolument avoir un scénariste qui connaisse le Nord-Pas-de-Calais. A l’époque, il a pensé à moi car il venait d’avoir entre les mains la version initiale du scénario d’Astérix aux Jeux Olympiques. Il l’a lue et il s’est dit que ce serait pas mal qu’on travaille ensemble. C’est ainsi qu’est née notre collaboration pour Bienvenue chez les Ch’tis
Avez-vous conscience qu’à travers vos films se dessine une même ligne directrice, celle qui consiste à réconcilier les humains plutôt qu’à les diviser. Si vos films sont si attachants c’est parce qu’il y a du lien, de la bonté dedans…
Ce n’est pas du tout une volonté
consciente, intentionnelle. Je constate juste que j’aime les personnages qui se
battent pour devenir ce qu’ils sont. Ce sont parfois des personnages qui sont
devenus ce qu’ils ne voulaient pas être. Ils ont le sentiment de passer à côté
de leur vie, qu’ils ne sont pas à leur place. J’apprécie ces personnages qui luttent pour arriver à rejoindre leur destin,
pour s’accomplir.
Et vous, êtes-vous devenu qui vous êtes ?
Alors ça, c’est la grande question !
Aujourd’hui, quel film aimeriez-vous tourner ?
J’ai beaucoup de souhaits mais il faut que le financement suive, que les financiers se penchent avec tendresse sur mon berceau… J’ai un très beau projet de comédie sociale, une superbe aventure, une histoire d’usine de machines à laver qui ferme. L’histoire d’un petit groupe d’ouvriers qui va entreprendre quelque chose de complètement fou. C’est en écriture et cela avance très bien. C’est vraiment mon projet phare. Nous avons aussi, avec Alexandre Charlot, beaucoup d’autres projets en écriture. Un autre projet qui a une dimension plus ludique mais toujours avec une couleur sociale. Je travaille aussi sur l’adaptation d’un roman de Maxime Chattam Prédateurs. J’ai enfin une série comique en lecture chez une Plateforme. Comme il y a un risque pour que cela ne se fasse pas pour cause de non-financement, on multiplie les projets….
Comment avec votre talent et votre fabuleux parcours, peut-on vous refuser un financement pour un film ?
C’est pourtant le risque ! Vous pouvez avoir des scénarios très aboutis qui ne se font pas. La dernière fois, j’avais un film complet, très drôle, j’avais un producteur dans la place, et pourtant je n’ai pas réussi à faire le film car je n’ai pas obtenu le financement. Il y avait une dimension politique vaguement subversive qui a déplu. Il y a des sujets plus ou moins facilement acceptés…
Parce que les financiers ne veulent pas prendre de risque ?
Evidemment ! Le problème du
risque est devenu crucial aujourd’hui. Comme tout le monde voit qu’il y a une
dispersion des spectateurs avec l’arrivée des plateformes, le métier devient
prudent.
Voulez-vous dire que les plateformes comme Netflix vont remplacer le cinéma français ?
Avec l’arrivée des plateformes s’opère une grande mutation dans le cinéma français. Nous sommes dans une industrie artistique ou dans de l’art
industriel, je ne sais comment dire cela, qui nécessite des moyens investis
financiers et humains considérables. Aujourd’hui, il n’y a pas un film qui
tient la route sans un minimum d’argent. Or on assiste actuellement à la remise
en cause des circuits financiers classiques du cinéma français. L’arrivée des plateformes a pour conséquence la
mondialisation de l’offre télévisuelle. C’est-à-dire qu’on ne regarde plus un feuilleton américain sur TF1, on
regarde maintenant un feuilleton américain sur une plateforme américaine… et la
différence est énorme. Car, en France, le système de financement du cinéma
passe par les chaînes de télévision. Ce sont les chaînes de télévision, à
commencer par TF1, Canal + etc. qui sont les premiers financiers du cinéma français. Quand un film est fait, il passe d’abord au cinéma puis ensuite
sur les chaînes de télé qui l’ont coproduit et c’est ce système là qui fait tourner la machine. A partir du moment où les
spectateurs préfèrent regarder la série américaine directement sur Netflix ou
sur une autre plateforme, les chaînes de télé française
perdent énormément de spectateurs, tout s’écroule puisque les recettes
publicitaires des chaînes tombent, et les capacités d’investissements qui vont
avec aussi.
C’est inquiétant…
En effet. Il va y avoir un lissage des productions, une américanisation des formats et déjà là on voit bien que l’impact sur les audiences télé est conséquent. Tout le monde se gargarise des millions d’entrées au cinéma en France mais si les chiffres restent très bons au niveau des entrées, quand on regarde de près ces chiffres, le cinéma français ne fait que baisser…
Vous avez raison, les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 213 millions d’entrées au cinéma pour l’année 2019 (la meilleure année pour le cinéma en France depuis 50 ans) il y a 117 millions d’entrées pour les films américains, avec une nette progression de plus de 32 % par rapport à l’année précédente…
Oui, je reste très partagé sur ce qui se passe actuellement. Dernièrement, je parlais avec un producteur qui m’assurait qu’on ne pouvait que se réjouir de rejoindre le grand modèle mondial. En même temps, la plupart des gens qui font des films aujourd’hui ne se payent plus. Je n’appelle plus ça un métier, j’appelle ça une passion. Ce n’est pas la même chose. Les films sont très durs à monter et ne font pas forcément de recettes. Quand on parle de producteurs qui gagnent leur vie chichement, on peut se demander comment ils font pour vivre. On me répond, c’est tous des fils de famille, des héritiers. Donc, si vous n’avez pas une fortune personnelle, vous ne pouvez pas faire de cinéma ! On en revient à une devinette qui circule dans le milieu du cinéma : « Comment fait-on pour faire une petite fortune au cinéma ? Avec une grande fortune ! »
Les temps changent !
Oui, l’image s’est totalement désacralisée en 30 ans. J’ai la cinquantaine. A mon époque, lorsqu’on allait au cinéma, à 15-20 ans, le cinéma c’était « La sortie de la semaine ». Aujourd’hui, qu’est-ce qui se passe ? Lorsque je prends le train pour aller à mes rendez-vous à Paris, je vois des gens qui regardent des séries sur leurs téléphones portables. A quoi cela sert que le cinéaste se mette en quatre pour faire de bons plans, des profondeurs de champs, des mouvements de caméra puisque vous avez une vue de la taille d’un timbre poste. On me parle également d’un grand mouvement qui s’appelle le binge-watching. La plateforme vous livre la série en entier. Quand j’étais jeune, je regardais Les Mystères de l’Ouest à l’émission Samedi est à vous. Et j’attendais avec impatience le samedi suivant pour voir un nouvel épisode. Ca s’appelle le désir, l’envie, et cela fait partie de l’érotisme de l’existence. Alors qu’avec le binge-watching, les gens se visionnent à la suite tous les épisodes d’une série, en une nuit, dés qu’elle arrive… On m’explique aussi qu’il y a toute une population qui regarde les séries en accéléré pour aller directement au dénouement. Pourquoi soigner les dialogues, si c’est le cas ? C’est bizarre de vivre un changement aussi fondamental. J’ai l’impression que pour beaucoup, nous sommes dans le même état que les stars du muet qui ont vu arriver le parlant et le passage du noir et blanc à la couleur. On est en pleine révolution industrielle et comme dans toute révolution, il y a des têtes qui tombent….
Comment lutter contre le rouleau compresseur du cinéma américain ?
On ne peut pas lutter… Le cinéma exige des moyens… Ce vers quoi on va tendre, ce sont de grosses comédies populaires pas forcément de très grande qualité mais avec des acteurs populaires et de gros moyens. Le film à budget moyen va sans doute disparaître. Cela me parait difficile, déjà non pas de lutter avec le cinéma américain, mais de tout simplement continuer à exister… En fait, si on n’a pas les moyens de résister, on ne peut pas résister. Or, là les moyens, on est en train de nous les enlever…
C’est désespérant… Revenons à des choses plus joyeuses ! Parmi vos trois films réalisés, quel est votre meilleur souvenir ?
Difficile d’isoler un moment… Pourtant, sans hésiter, je vous répondrai que je me suis senti très heureux sur le tournage des Têtes de l’emploi. J’ai vraiment trouvé là une liberté dans la réalisation que je n’avais pas ressentie auparavant dans mes deux premiers films. Avec ce film, on a pu renouer avec l’humour un peu vachard des Guignols. On avait des interprètes extraordinaires. On a montré à la France entière qu’Elsa Zylberstein était une formidable actrice comique, alors qu’elle n’était pas du tout connue comme telle ! Ma rencontre avec Elsa, c’est peut être l’un des meilleurs moments de ma carrière. Il y a eu vraiment un bel échange entre nous qui nous a permis de faire évoluer son personnage ensemble. J’ai le souvenir d’une sensation de liberté grisante sur le plateau. C’était magique. Les acteurs jouaient au maximum, s’exprimaient réellement. Je me suis senti pleinement réalisateur dans ce film et cela a été une grande fierté.
Avez-vous beaucoup ri durant le tournage ?
Oui, on n’a pas arrêté ! Je m’entends très bien avec Franck Dubosc qui est un excellent exemple d’horlogerie comique, d’une précision extraordinaire. C’est un homme très fin et très drôle. Le tournage était très joyeux !
Pour vous, qu’est-ce qu’un bon acteur ?
C’est un acteur qui compose, qui
a une compréhension qui va au-delà du personnage, qui rayonne sur l’histoire en
entier. C’est aussi un acteur extrêmement physique. Un acteur, c’est d’abord un
corps. Il doit habiter, incarner un personnage dans sa manière de se mouvoir,
de s’asseoir etc.
Comme Jean Dujardin ?
En effet, c’est un acteur
extrêmement investi et physique.
Selon vous, qu’est-ce qui fait qu’un film est inoubliable ?
C’est déjà un film que l’on n’a pas oublié le lendemain ! Qui continue de nous habiter et
laisse en nous comme le sillage d’un parfum… Peut-être est-ce tout simplement
un film qu’on a envie de revoir cinq fois, dix fois…
Y a-t-il un film que vous ayez eu envie de revoir un nombre infini de fois ?
Oui, La Guerre du feu de Jean-Jacques Annaud. Depuis des années, je rêve de faire un film d’aventure préhistorique. J’espère avoir un jour cette chance. Sinon, j’ai beaucoup aimé aussi Into the Wild. Quant à l’humour, je peux revoir dix fois, cent fois, Papy fait de la résistance ! C’est, pour moi, le summum, le meilleur film comique français. Je le trouve extraordinaire !
Pour tout savoir sur la guerre, plongez-vous dans l’oeuvre considérable, magistrale et passionnante de l’un des meilleurs historiens français de la guerre, éminent spécialiste de l’histoire militaire, Hervé Drévillon. Ce brillant esprit, professeur d’histoire à l’Université de Paris I-Sorbonne, directeur de l’« Institut des Études sur la Guerre et la Paix » et Directeur de la Recherche au Service Historique de la Défense, a commis de nombreux ouvrages sur le sujet. Petit florilège de ses essais :
Retenez bien ce nom, Sébastien Gamot. Il est le chef pâtissier qui monte qui monte et dont le patronyme demain attirera toutes les attentions. On s’enflamme pour ses desserts uniques, exquis, succulents, éblouissants, renversants, époustouflants. Comme Rimbaud inventait des voyelles, Gamot invente des couleurs, des parfums, des goûts. C’est le poète de la pâtisserie, le virtuose de la viennoiserie, le pape des papilles. Il nous joue une partition parfaite aux envolées lyriques. C’est l’épopée du moelleux, du fondant, du croquant, de l’acidulé qui souffle un vent de légèreté sur des desserts aériens. Le chocolat s’élève, les fruits s’envolent. Ce n’est plus de la pâtisserie, c’est de la haute voltige. Rien d’étonnant à ce que ce jeune prodige normand, modeste et génial, ait été élu « Meilleur Pâtissier du Grand Ouest » en 2018. Jusqu’à la fin novembre 2019, Sébastien Gamot officie au restaurant gastronomique « 1912 » aux Cures Marines à Trouville. On peut encore déguster ses chefs-d’œuvre comme le « Chocolat bio/ Vanille de Madagascar/ Poivre de Likouala » ou le « Figue/Hibiscus/Baies de Bataks. » Précipitez-vous à cette adresse et laissez votre palais s’enivrer de poivre et de pulpe de cacao, se perdre dans le goût délicat du sorbet avant de succomber de plaisir. Gageons que ce merveilleux créateur inscrira un jour son nom au firmament des meilleurs pâtissiers de ce monde tout comme son maître Pierre Hermé dont il fut durant quatre ans le chef pâtissier au « Royal Monceau ». En attendant, Sébastien Gamot ouvrira sa toute première boulangerie-pâtisserie conçue comme un véritable laboratoire du goût (il nous promet déjà du pain au poivre et mille autres merveilles…), en avril prochain à Benerville, à la lisère de Deauville, en Normandie. C’est sans doute le plus beau cadeau qui sera fait aux habitants de cette région. La chance de goûter quotidiennement une dose de féerie rien qu’en poussant la porte de la boutique. Là, il leur sera donné le meilleur de ce que l’on peut attendre en matière de boulangerie et de pâtisserie. A n’en pas douter, les gourmandises de Sébastien Gamot illumineront votre journée. Aspirer la lumière, le beau et le bon avec une cuillère, quoi de plus jubilatoire ?
A ne pas manquer…
Votre passion pour la pâtisserie remonte à l’enfance. Vous racontez que très jeune, vous regardiez les brioches monter dans le four…
Oui, ma vocation est précoce. Dès l’âge de 8 ans, je voulais devenir pâtissier. Voir la brioche se lever dans le four, ca m’intriguait. Le côté « chimique » qui préside à la cuisine me passionnait. Partir avec de la farine, de l’eau, de la levure, puis assister à la métamorphose, à la transmutation de ces ingrédients pour finir par obtenir une brioche dorée, cela me semblait magique…
Vous avez officié chez les plus grands, Alain Ducasse, Yannick Alleno, Christophe Michalak et Pierre Hermé. Votre premier poste de chef pâtissier fut au Royal Monceau, aux côtés de Pierre Hermé, élu « Meilleur Pâtissier du monde en 2016 ». Qu’avez-vous appris à son contact ?
J’ai beaucoup appris sur les produits : comment utiliser un produit simple mais très goûteux. Par exemple des produits assez basiques comme de la vanille, du thé. Rien qu’avec ça, Pierre Hermé arrive à faire de la magie, il crée des desserts extraordinaires.
Estimez-vous que Pierre Hermé est le plus grand pâtissier au monde ?
Oui ! C’est mon idole ! J’ai adoré travailler avec
lui. On s’entendait très bien. C’est lui qui m’a choisi. A l’époque, je
travaillais avec Camille Lesecq au Meurice (juste avant Cédric Grolet) et il
m’a sollicité. Je suis resté quatre ans à ses côtés et ce furent quatre années
de bonheur. J’étais Chef Exécutif. Pierre Hermé créait des recettes sur le
papier et je leur donnais vie, je les réalisais. Je faisais aussi des desserts
à l’assiette, des déclinaisons à base de gâteaux.
Quelle est votre pâtisserie préférée chez Pierre Hermé ?
« La Tarte infiniment vanille ». Elle se compose de trois vanilles différentes, une vanille de Madagascar, une vanille de Tahiti, et une vanille du Mexique. Cette conjugaison des trois donne un goût exceptionnel à la pâtisserie. Un pur bijou.
Vous n’avez travaillé que dans des lieux de prestige. Quel palace parisien vous a le plus marqué ?
Peut-être l’hôtel Meurice parce qu’à l’époque, nous avons décroché les trois étoiles Michelin avec Yannick Alleno. J’étais son adjoint au chef pâtisserie et j’avais 28 ans. Je garde de cette époque un très bon souvenir.
Parmi vos souvenirs gustatifs, quel est le plus marquant ?
Lorsque j’ai dégusté pour la première fois les desserts de Pierre Hermé. C’était de la pure félicité…
En 2017, vous avez rejoint la brigade du chef Johan Thyriot à l’hôtel « Les Cures Marines » à Trouville. Vous avez quitté Paris parce que vous deveniez papa d’une petite fille. Revenir en Normandie, c’était pour vous, un retour aux sources puisque vous êtes natif de la région. Depuis, vous travaillez de concert avec Johan Thyriot et comme il apprécie tout particulièrement le poivre, vous travaillez vos desserts avec beaucoup d’épices…
Comme Johan Thyriot a une vraie connaissance des poivres – chose que je ne possédais pas – j’ai appris au fur et à mesure grâce à lui. A début, j’ai fait des essais de desserts, puis j’ai trouvé mon rythme de croisière !
Cette communion des contraires, cette alliance improbable entre l’harmonie du chocolat et le choc pimenté et amer des poivres donne des notes surprenantes à vos desserts. C’est du grand art. Vos desserts sont tout simplement exceptionnels…
C’est gentil, cela me touche !
Pouvez-vous nous parler de votre dessert « Chocolat Mokaya, thé ananas épicé, poivre de Timiz » ?
Oui, c’est un chocolat Mokaya de 68%. Ce qui donne le goût, c’est le sorbet aux épices. Il y a un thé épicé avec de l’ananas, du gingembre, de la cannelle. Je pousse un peu fort les arômes pour essayer de tuer le chocolat, pour apporter de la saveur en bouche.
Votre assiette est radieuse, on dirait un souffle de chocolat, une gourmandise aérienne, libre comme l’air, prête à s’envoler…
C’est un dessert léger ! Le poivre c’est la marque du
chef, le design c’est ma patte. J’aime que ce soit épuré. Je n’aime pas
manger un dessert au restaurant qui soit pâteux. Il faut qu’on ait envie de le
finir et une fois fini, qu’on en est encore envie !
A la carte d’automne, on trouve un dessert tout aussi enivrant et délicat. Il s’agit de figues, le fruit est rôti et les feuilles en crémeux rafraîchis d’un sorbet à l’Hibiscus et Baies de Bataks. Vous faites jaillir des goûts incroyables avec ce dessert. C’est un pur délice !
Je suis content qu’il vous plaise !
Enfin, vous créez aussi des mignardises au miel, des « caramiels » avec le miel de vos ruches installées sur le toit des « Cures Marines » ?
Oui, mais malheureusement, nous n’avons que deux ruches. Là,
pour le coup, c’est vraiment nature !
Dans ces mignardises, il n’y a que du miel et rien d’autre !
Vos sablés au chocolat au cœur fondant sont à pleurer de plaisir… Tout simplement succulents !
Que de compliments ! Merci !
Rien d’étonnant à ce que vous ayez été élu « Meilleur Pâtissier du Grand Ouest » en 2018 par le Gault & Millau ! Est-ce pour vous une consécration ?
Oui ! C’est une reconnaissance pour moi et mon équipe.
Pour vous, un bon dessert, c’est une promesse de bonheur ?
Si ce n’est pas beau et bon, je suis malheureux… Je suis
exigeant, j’aime que ce soit carré, propre, parfait.
Que cherchez-vous à atteindre quand vous composez vos desserts ?
Je vise l’excellence. C’est ma façon de m’exprimer. Je veux atteindre un certain niveau, un certain résultat.
La pâtisserie est-ce un retour à l’enfance ?
Lorsque l’on déguste une bonne pâtisserie, il arrive parfois qu’un souvenir ou un goût associé à l’enfance nous reviennent en mémoire. Ce sont des réminiscences gustatives. On retrouve les odeurs, les parfums, les saveurs de cet âge tendre. Ce retour à l’enfance, c’est un peu comme la madeleine de Proust. On se souvient d’un financier ou un riz au lait savouré il y a vingt ans. C’est comme un flash, en retrouve subitement en bouche la texture, le parfum et l’instant précis de la découverte du goût. A ce moment là, les saveurs du présent et du passé se télescopent, et ça c’est magique !
Les gourmandises de Sébastien Gamot méritent d’être connues dans le monde entier comme celles de Pierre Hermé. Vous installerez-vous bientôt à votre compte ?
Oui ! Le moment est venu pour moi de prendre mon envol ! En avril prochain, en 2020, je lancerai ma propre boutique à Benerville en Normandie. Ce sera une boulangerie-pâtisserie. En plus de la pâtisserie, j’aimerais réaliser toutes sortes de pains, comme des pains à base de poivre par exemple. Bien sûr, je ferai aussi de la viennoiserie, des pâtisseries, des confiseries, des desserts à l’assiette à emporter. L’avantage de cette boulangerie à Benerville, c’est d’être bien placée, il y a un parking attenant au magasin où les gens peuvent se garer
Si cette enseigne marche bien en Normandie, en créerez-vous d’autres ailleurs ?
C’est mon projet !
Et peut-être une à Paris alors, comme le grand pâtissier Cédric Grolet, connu pour sculptures de fruits à l’hôtel Meurice, qui va bientôt ouvrir sa première boulangerie-pâtisserie (le 22 novembre 2019) au 35 avenue de l’Opéra, à Paris…
Pourquoi pas ! Mais si j’ouvre une boutique sur Paris,
ce sera exclusivement de la pâtisserie. Je réaliserai sans doute des « desserts
signatures ».
Où puisez-vous votre inspiration ? Vous renouvelez-vous souvent ? Avez-vous besoin de vous surprendre ?
J’ai toujours besoin de dépassement, de compétition, d’aller plus loin !
Enfin, nos lecteurs l’auront compris, vos desserts sont inoubliables, mémorables, renversants. En un mot, exquis ! Que peut-on vous souhaiter ?
« Je suis un amoureux du palais » dit-il joliment et c’est peu dire que grâce à ce jeune chef cuisinier, cet enfant de la Meuse, le palais est à la fête. Avec lui, chaque bouchée est un bout d’absolu, une surprise gastronomique. A table, on vogue entre incrédulité, vertige et volupté, en un voyage exquis aux frontières de l’inconnu. Déguster la cuisine du chef étoilé Johan Thyriot c’est faire la stupéfiante expérience qu’il existe encore sur terre des goûts inexplorés, des fumets rares, des parfums inédits, des arômes et des saveurs originales, des alliances méconnues qui ne demandent qu’à élargir la palette gustative. Voici donc une cuisine audacieuse, inventive, qui ne manque pas de piment, et dont les grains moulus des 44 poivriers vont stimuler, électrocuter, faire décoller vos papilles. Car le chef Johan Thyriot, ce cuisinier surdoué, s’est donné pour mission de délivrer les palais fins de la routine. Exit le classique, le connu, le déjà-vu, le déjà goûté, le répertorié et le remâché, place à l’innovation, à l’inédit, aux chefs-d’œuvre de l’imagination. Ici tout est nouveau, incroyablement nouveau. Et c’est merveille, car dans les assiettes, ce sont nuances, subtilités, finesses comme s’il en pleuvait… A table, c’est tantôt un joyau de homard saphir serti de poivres exotiques de Phu Quoc rouge, alangui sur une mousse de betterave dorlotée par des poivrons aux parfums de passion et de graines de la paix. Les mots manquent à décrire cette fraîche coulée iodée qui implose en bouche comme une vague déferlante et rafraîchissante. C’est un peu comme avaler les embruns de cette Manche qui ondule constamment derrière les fenêtres cathédrales du vaisseau étoilé qu’est le restaurant « 1912 ». C’est encore un filet Black Angus plus tendre et moelleux qu’un doux velours, le fondu du bœuf qui rosit de plaisir et flirte avec le glacis d’une sauce divine, un jus de viande aux notes réglissées, le tout accompagné de frites d’aubergines relevées d’une giclée de gingembre. En bouche, la sapidité dorée, charnue de la viande d’exception alliée à l’ambre du gingembre provoque une telle onde de plaisir, un tel bouquet de bonheur que le palais, confit de gratitude, s’agenouille mentalement pour remercier le ciel de cette divine saveur qu’il n’est pas prêt d’oublier. Le corps se réjouit de prolonger de telles agapes, c’est vrai, ce qui ressemble au bonheur ne voudrait jamais finir… On se met à convoiter l’inaccessible, la perfection et elle arrive comme par magie sur la table joliment dressée, sous la forme d’un filet de Bar étuvé aux zestes d’orangettes, jeu de concombre, coco et câpre. Et là, c’est l’apothéose… Du sublime à jet continu. L’apothéose, avant la prochaine apothéose qui s’annonce avec le dessert. Le dessert du fabuleux chef pâtissier Sébastien Gamot, un dessert poivré comme il se doit, « Le Chocolat Mokaya, thé ananas épicé, poivre de Timiz » signe le final et l’acmé du repas. C’est léger, frais, acide, vaporeux, craquant, acidulé. Le peps du poivre combiné à la cannelle dynamite le chocolat ravageur… Une émotion vaporeuse vous emporte et soudain… c’est l’éternité dans une bouchée, l’infini à la portée des cuillères… On l’aura compris la cuisine de Johan Thyriot est exceptionnelle. Elle est si originale qu’après elle, toutes les autres cuisines semblent fades… Ce magnifique fleuron du groupe Accor qu’est l’hôtel « Les Cures Marines » de Trouville et son restaurant gastronomique « 1912 » n’est pas seulement un hommage au faste de la Belle Epoque, c’est aussi un lieu où un chef qui a un stupéfiant sens du goût, nous initie à l’ivresse de l’ingoûté, crée de l’inoubliable, tout simplement parce qu’il a le goût de l’absolu… Que rêver de mieux ?
A 39 ans, vous avez déjà une belle carrière derrière vous. Elève de Christian Willer au Martinez puis de Philippe Labbé, vous travaillez ensuite pour les chefs Michel et Sébastien Bras qui vous proposent de prendre la direction de leur restaurant au Japon. Vous partez avec votre compagne sur l’île d’Hokkaido et vous décrochez une troisième étoile pour le restaurant « Michel BRAS Toya ». Aujourd’hui, les critiques gastronomiques vous prédisent un très bel avenir. Comment le voyez-vous cet avenir ?
Je le vois surtout dans une démarche éco-responsable et respectueuse vis-à- vis de la nature. Bien sûr, j’espère un jour pouvoir être reconnu comme un chef qualifié, mais ce qui m’importe avant tout c’est d’aider la planète à mon niveau, dans la façon de procéder à mes achats, d’exploiter les marchandises et de privilégier les produits locaux. Cuisiner les produits du terroir normand c’est non seulement rendre hommage à une région, c’est aussi travailler en équilibre avec la nature.
Michel Bras est pour vous une source d’inspiration. Est-ce parce qu’il est l’un des plus grands chefs cuisiniers de la planète ou parce que c’est un artiste doublé d’un humaniste ?
Disons que parmi mes
mentors, Philippe Labbé m’a appris la technique (c’est un technicien hors pair,
il m’a appris à travailler, à avoir le geste, le geste précis) et Michel Bras,
lui, m’a initié à la poésie culinaire. Tous ses plats respirent la poésie.
C’est une cuisine radieuse, vaporeuse, inspirée, éclatante de couleurs, de parfums et d’arômes. Un appel de
lumière et de magie. Une cuisine qui laisse une trace infinie dans votre âme…
Grâce à Michel Bras, j’ai beaucoup appris aussi sur la lisibilité de la
cuisine. Car la cuisine parle avec les yeux avant de s’exprimer en bouche.
Un an après votre arrivée au restaurant « 1912 » de l’établissement « Les Cures Marines » à Trouville, vous décrochez une première étoile au Michelin. Précisons qu’aujourd’hui le restaurant gastronomique « 1912 » est le seul restaurant étoilé en France dans un site de thalassothérapie. Etes-vous fier de cet exploit ?
Bien sûr !
Donc, bientôt la 2ème étoile !
J’aimerais… En tout cas, c’est l’ambition que je me suis donné !
Déguster vos menus dégustation « Feu » ou « Mer », c’est s’immerger dans l’incandescence d’un repas sans repères. Tout le long du menu, on est dérouté par des goûts inconnus, des associations inattendues, des sensations fortes et en même temps c’est de la pure grâce… Ces deux menus sont une incroyable symphonie de saveurs aux notes poivrées qui s’achèvent en apothéose par un sublime dessert de Sébastien Gamot, véritable feu d’artifice de sapidités fondantes et de subtiles poivrades. Dans cette musique, aucune dissonance, juste l’accord parfait…
Vos remarques me touchent. J’avoue que j’ai une cuisine assez atypique de par l’utilisation des poivres qui amène de nouvelles variations, des parfums neufs et méconnus. Le poivre a longtemps souvent souffert de l’image du sel et du poivre gris que l’on pose sur la table. Mais le poivre ce n’est pas du tout ça, c’est un condiment qui possède des notes aromatiques exceptionnelles, et ce sont elles qui confèrent une saveur inhabituelle aux mets.
Vous composez vos assiettes comme des peintures. Vous réalisez une cuisine tendre, douce, sensible, poétique que vous musclez et pimentez d’aromates et de poivres rares. Le poivre blanc, noir, gris, rouge, orangé, c’est votre palette chromatique ?
Oui, mais mes véritables couleurs ce sont surtout les
plantes aromatiques ! D’abord, parce que cela représente le premier moment
de ma journée. Je suis là dans mon jardin, j’arrose mes plantes, et c’est à ce
moment là que je crée mes plats. Je ne suis pas un cuisinier qui fait des
essais dans une cuisine, je suis un cuisinier qui m’exprime en pleine nature.
C’est en me baladant, en musardant, en ramassant mes plantes, que j’imagine mes
plats, avant de les tester en cuisine. J’ai déjà l’assiette dressée dans ma tête
avant même d’arriver à mes fourneaux !
C’est la ville de Trouville qui vous a donné ce potager ?
Oui, nous avons fait un partenariat avec Trouville. La ville
a mis à ma disposition des serres pour cultiver mes herbes aromatiques (que du
bio !) et j’interviens sur les écoles, dans les cantines pour initier les
enfants au mieux-manger. J’interviens aussi auprès des personnes âgées dans les
maisons de retraite. Nous multiplions les échanges avec leurs cuisiniers et du
coup nous sommes vraiment dans une démarche sympathique, humaine et chaleureuse.
Ce partenariat a le mérite aussi de démocratiser mon métier et de me permettre
de rencontrer un tout autre public.
Vous avez même créé des vocations chez des enfants…
De plus en plus d’enfants veulent devenir cuisiniers ! J’ai rencontré en effet un jeune garçon qui à la base ne souhaitait pas être cuisinier mais qui depuis qu’il m’a vu faire, a eu la vocation. Il n’y a pas longtemps, j’ai revu sa mère – ses parents sont même venus dîner au restaurant le 1912 avec lui – qui m’a déclaré que son fils répétait à l’envi : « je ne veux pas être pompier, je ne veux pas être policier mais je veux être comme lui, chef cuisinier ! » C’est amusant…
Vous cuisinez en compagnie de très nombreux moulins à poivre alignés près de vous. Chaque plat a son poivre. Sont-ce les moulins de votre cœur comme dans la chanson de Michel Legrand ?! Etes-vous un affectif ? Plus sérieusement, quelles sont les vertus du poivre ? Est-ce un révélateur, un amplificateur de goût ? Le poivre est-ce l’étincelle qui va mettre le feu aux poudres ?
Je dis toujours à mes cuisiniers que lorsqu’ils dressent ou servent une assiette, ils doivent s’imaginer qu’ils la servent à leur famille ou à leurs parents. Dans tous les cas, s’ils procèdent ainsi, ils vont mettre beaucoup d’amour dans leur assiette. Et le client le ressentira. Moi je suis un cuisinier amoureux et je le revendique. Mes poivres font partie de mon histoire et je les aime plus que tout ! Assez souvent même, je leur parle… Je ne devrais pas dire ça parce que c’est quand même assez surprenant, mais il m’arrive de leur poser des questions du genre : « Comment te sentirais-tu si je te mettais sur ce plat ? » J’entretiens un véritable dialogue avec mes poivres ! Le poivre c’est à la fois un exhausteur de goût et une touche de feu. On va avoir des notes agrumes très végétales ou très florales mais on a également des notes cuivrées, voir cuir et camphrées. Du coup, on peut jouer sur ces différentes tonalités et amener des subtilités aromatiques qui seront beaucoup plus prononcées que le simple produit livré à lui-même avec un peu de sel. C’est simple, j’ai tendance à réduire ma quantité de sel et à augmenter celle du poivre.
Le poivre cela réchauffe ?
Oui, cela réchauffe complètement. Vous ne changez pas la
saveur du produit, vous la réveillez avec du poivre. Vous la révélez. Le poivre,
c’est ma signature. A l’origine, j’utilisais les plantes aromatiques, comme
Michel Bras. J’ai commencé à travailler les cartes printemps, été, automne avec
les plantes, mais, en hiver, c’était un peu la panne sèche, je ne savais pas trop
quoi mettre dans mes plats puisqu’il n’y avait plus de plantes. J’ai essayé les
épices sous toutes leurs formes et là, j’ai trouvé qu’à la différence du
poivre, cela avait tendance à dénaturer le produit. C’est-à-dire qu’on amenait
une dynamique de goût qui avait tendance à couvrir le goût et non à le
réveiller. Alors, je suis allé voir du côté des poivres. J’ai commencé avec un
deux trois poivres et maintenant j’en ai toute une collection, j’en ai plus
d’une quarantaine !
Votre cuisine tire aussi sa force, son originalité, son inventivité de la manière dont vous mariez l’immariable ou tout au moins dont vous procédez à des alliances pour le moins improbables. Ce sont les noces du terroir normand et de la région sud-ouest. C’est le mariage du Japon et des fonds marins normands. Les noces de l’Orient et de l’Occident. Que cherchez-vous à exprimer à travers ces alliances singulières ?
Je cherche à montrer que finalement, il n’y a pas un terroir meilleur qu’un autre. Ce que j’essaye d’exprimer dans ma cuisine c’est que la planète est un véritable vivier de produits de qualités et que n’importe où dans le monde, vous allez trouver de beaux produits, des recettes et des savoir-faire qui vont mettre en avant ces produits. Aujourd’hui, je suis en Normandie, je travaille des produits normands mais je ne me verrais pas faire une cuisine normande. J’ai envie de montrer que ma cuisine peut être réalisée avec des produits normands mais peut avoir une note totalement mondialiste, cosmopolite, ouverte sur toutes les influences.
Vous utilisez souvent une terminologie affective. Vous parlez de fusion, d’osmose. Vous avez le vocabulaire d’un passionné, d’un affectif, comme si vous entreteniez un rapport fusionnel à la nature, aux plantes ! C’est sans doute pour cette raison que votre cuisine est si attachante, si inoubliable…
Je ne suis pas un grand technicien et je l’assume. Je n’ai
pas non plus le col Meilleur Ouvrier de France et je ne l’aurais jamais, je
suis plus dans la poésie et le sens du goût. Je suis un amoureux du palais…
En tant que chef, vous êtes très attentif à l’anti-gaspillage, à l’écologie. Vous vous définissez comme un cuisinier-jardinier. Vous sélectionnez attentivement vos partenaires locaux pour la viande, les légumes, les fruits, les poissons. Vous avez même deux ruches sur les toits des « Cures Marines ». C’est votre philosophie, la préoccupation écologique ?
Je suis né dans un petit village, en pleine campagne et j’avoue que depuis toujours j’ai un attachement viscéral à la nature. Je ne devrais pas dire ça pour mes collègues parisiens mais je n’ai jamais voulu travailler sur Paris parce que j’ai besoin de la nature, je ne me sens pas à ma place sur le bitume. Il y a deux jours, je suis allé voir un nouveau maraicher à côté d’ici, j’ai passé une journée extraordinaire en sa compagnie. Il m’a rappelé le lendemain en me confiant gentiment : « Je n’aimerais travailler qu’avec des Chefs comme toi ! ». Je suis un homme du terroir, je suis attaché à la nature, aux hommes, aux pécheurs que je rencontre à chaque fois. Vous voyez ce qui se passe en ce moment en Amazonie, eh bien le soir je pleure devant les infos en voyant le feu détruire la nature. C’est plus fort que moi…
Contrairement aux autres chefs, vous n’avez pas de « plat signature ». Pourquoi ? Est-ce comme le disait Pierre Gagnaire « que la technique ne doit jamais prendre le pas sur l’émotion ». Pas de plat figé mais de l’inédit, du rêve en permanence ?
Quand on a un « plat signature », on le retrouve tout le temps sur la carte. Or un produit évolue en fonction des saisons, des terroirs, des régions. J’ai du mal à croire à l’aspect figé d’une recette. Par exemple, un poisson comme le Bar évolue en fonction des saisons. En période de reproduction, il va être beaucoup plus gras. Ce produit évolue et je considère que mes recettes évoluent de la même manière. C’est la nature qui me dicte mes recettes, non l’inverse. Et donc ma signature, c’est de ne pas en avoir…
L’hôtel « Les Cures Marines » à Trouville est un hommage à ce qui fut le plus grand Casino d’Europe (et thalassothérapie) inauguré en 1912 à la Belle Epoque. Le groupe Accor, qui en est le propriétaire, a souhaité redonner tout son faste, sa grandeur d’antan à ce lieu célèbre à l’époque pour ses fameux bains de mer. La ville de Trouville est-elle redevenue, grâce aux « Cures Marines » et à son sublime restaurant gastronomique « 1912 », la cité balnéaire emblématique de la Côte Normande qu’elle fut jadis ? Aviez-vous pour ambition de faire revivre la Belle Epoque ?
Trouville a longtemps été victime de la « concurrence » de
Deauville. Il est vrai que depuis toujours Deauville a été « the place to
be ». Aujourd’hui, les choses sont en train de changer. Trouville commence
à attirer de plus en plus de monde parce qu’elle a ce côté décomplexé,
familial. Certains même préfèrent Trouville à Deauville. Sans compter qu’à
l’hôtel cinq étoiles « Les Cures Marines », nous sommes l’une des
thalassothérapies les mieux notées de France. La particularité de notre hôtel
c’est de ne pas être un site de thalassothérapie. Nous sommes avant tout un hôtel
et la thalassothérapie est une option chez nous. C’est vrai enfin que grâce au
Groupe Accor qui a réussi son pari, « Les Cures Marines » ont
retrouvé aussi leur lustre d’antan. Les lieux sont fastueux et les équipements
ultra-moderne. Enfin le restaurant « 1912 » nous attire une très belle
clientèle.
Le Gault et Millau vient de vous décerner 3 Toques et une note de 15. C’est plus que prometteur. A quand la 2nde étoile au Michelin ? Est-ce possible au sein d’un centre de thalassothérapie ?
Gault & Millau
m’a toujours suivi et cela fait longtemps que j’ai 3 toques. Ils me les ont
redonnées ici, au « 1912 » et c’est très bien. Pour ce qui est de la
deuxième étoile au Michelin, c’est une ambition à la fois personnelle (un
objectif assumé !) et affichée de la maison. Le Groupe Accor espérait 1
étoile et on se rend compte qu’on pourrait peut-être aller en chercher une
deuxième… J’avoue qu’on serait plus qu’heureux de l’obtenir…
Cette reconnaissance vous importe ?
Oui, parce que je ne suis pas issue d’une famille de restaurateurs. Mon histoire, je me la suis créée tout seul. Bien souvent, certains chefs qui ont hérité de maisons familiales ont tendance à dire qu’ils ne veulent plus participer à cette course aux étoiles mais dans mon cas c’est différent. D’abord, j’ai envie de me prouver à moi-même que j’en suis capable. C’est comme un diplôme ! Je compare souvent les cuisiniers à des sportifs. Une étoile c’est comme une médaille de bronze aux Jeux Olympiques… et l’Or, ce serait les trois étoiles ! Et puis j’aime cette pression, cela me permet de me lever le matin et d’avoir envie chaque jour de me dépasser, de me surpasser, de ne jamais me reposer sur mes acquis. Je suis toujours en quête de recette nouvelle. A ce propos, nous changeons notre carte à chaque saison. Là, à la mi-septembre, j’ai réalisé la carte d’automne.
Avez-vous d’autres projets concernant « Les Cures Marines » ?
L’année prochaine, nous allons ouvrir une boutique de vente
de produits à emporter. Ce seront des produits labellisés « Cures Marines »,
des produits du restaurant. Nous allons vendre toute les huiles parfumées que
nous réalisons dans les cuisines du restaurant, nous allons vendre des poivres, des confitures, des
chutneys, des cookies, des madeleines etc., nous allons développer plusieurs gammes.
Quel est votre meilleur souvenir gastronomique ?
Incontestablement, le plat qui m’a le plus marqué dans mon histoire de cuisinier, c’est le gargouillou de jeunes légumes de Michel Bras. Ce plat lui a valu d’avoir les trois étoiles dans les années 80. C’est la première véritable assiette de légumes qu’un restaurateur a fait, qui a été dupliquée ensuite à l’infini. Et c’est enfin le plat qui a été le plus copié dans le monde. La première fois que je l’ai savouré, mes poils se sont dressés sur mes avant-bras et ça a été une émotion inégalée, incomparable. Je n’ai jamais retrouvé cette sensation… Je regardais l’assiette et c’est comme si le temps s’arrêtait et que j’assistais, médusé au chant chatoyant, à la mélodie des légumes… En une architectonique qui relevait de la magie, dans l’assiette s’ébattaient des légumes, des fleurs et des herbes de toute beauté. La cuisson des légumes était tellement juste, l’harmonie des couleurs, des reliefs tellement parfaite. J’avais devant moi la perfection. Michel Bras était au sommet de son art. Cela a été une révélation pour moi. J’ai compris alors l’univers que j’allais choisir dans le métier. Ce plat a fait plus que m’influencer, il a déterminé ma vie. Aujourd’hui, je rêve d’arriver à une telle perfection. En tant que cuisinier, il me semble que c’est à mon âge qu’on est certainement le meilleur. Disons dans cette tranche d’âge… 0n a l’expérience, la technique et le côté poétique. On reste encore assez jeune pour avoir ce coté fougueux et enthousiaste. On a le feu ardent…
Pour finir, vous qui créez en permanence du rêve, quel invité célèbre vous ferait à votre tour rêver pour un dîner à deux ?
J’aimerais bien dîner avec Pierre Gagnaire, si c’était un chef (pour moi, c’est un génie absolu…) Avec Michel Onfray, si c’était un intellectuel (ses écrits sur la cuisine sont magnifiques…) Avec Nathalie Portman, si c’était une actrice, parce que c’est une jolie femme et qu’elle a du charisme. Et avec Barack Obama, si c’était un homme politique (j’aurais tant aimé le rencontrer en tant que Président, j’apprécie son style.)
Caterina Murino, c’est
Vénus et Mère Teresa à la fois. Un grand cœur dans un corps de rêve. Un pur
concentré d’amour de l’humanité dans un superbe écrin. Celle qui rêvait d’être
médecin pour « sauver les autres » a fait carrière au cinéma. Sur le
tapis rouge, la James Bong girl, la bombe explosive de « Casino
Royale » qui fait chavirer le cœur des spectateurs, n’en oublie pas pour
autant ses premières amours : aider les autres. Servir son prochain.
Mettre sa notoriété au service des plus démunis. Elle met aussi son
intelligence de la vie, sa bienveillance à faire connaître et promouvoir les
artisans joaillers de son beau pays, la Sardaigne, afin de préserver l’art de
la filigrane, ce savoir-faire incomparable sarde. Elle est encore, cette femme
au cœur d’or qui s’implique dans des combats humanitaires en tant
qu’ambassadrice de l’AMREF (qui aide à la formation des sages-femmes en
Afrique), qui milite pour aider la Recherche contre le cancer, qui crée de
magnifiques bijoux dont les bénéfices serviront à réduire la mortalité
maternelle en Afrique. « C’est la Sardaigne qui aide un peu
l’Afrique » commente-t-elle joliment. Depuis toujours, la belle sarde
cherche à apporter sa contribution en faisant du bien à l’humanité. Comme si
elle vivait pour tenter d’endiguer la souffrance humaine, pour atténuer les
malheurs du monde. On l’aura compris, Caterina Murino a le cœur pur. Généreux.
Transparent. C’est d’ailleurs le titre de son prochain film, qui sortira en
salle le 16 mai 2018 « Et mon cœur transparent ». Un superbe
thriller, à ne manquer sous aucun prétexte ! Actuellement, Caterina Murino
est en tournée théâtrale à Rome et dans le Nord de l’Italie dans une magnifique
pièce écrite et mise en scène par Giancarlo Marinelli « L’idea di
ucciderti » (« L’idée de te tuer »).
Conversation avec une
femme merveilleuse
Le 16 mai 2018,
sortira au cinéma un sublime thriller psychologique réalisé par David et
Raphaël Vital-Durand « Et mon cœur transparent ». Dedans, vous
incarnez le rôle d’Irina. C’est l’histoire d’un mari qui découvre la vérité sur
son épouse alors qu’elle vient de mourir. Pourquoi Irina est-elle victime d’un
accident de voiture au volant d’une voiture inconnue alors qu’il venait
lui-même de l’accompagner à l’aéroport ? Il mène l’enquête et découvre la
face cachée de son épouse. Dans un couple, peut-on être transparent l’un pour
l’autre ?
Dans ma vie, surtout
au début d’une relation, je me vois toujours comme un verre d’eau sans
bulles ! Une eau transparente… C’est ma façon de vivre. Peut-être ne
devrais-je pas le dire, mais c’est plus fort que moi, je suis incapable de
dissimuler. Dans mon couple, si je commence à cacher quelque chose, cela
signifie que c’est le début de la fin. Je veux protéger ceux qui sont auprès de
moi. Même si ce n’est ni très intelligent, ni très mystérieux, ni très sexy,
c’est compliqué pour moi de cacher les choses à mon homme. Après, bien sûr,
cela dépend comment on mène sa vie. Irina, dans le film, est une femme qui aime
profondément son mari. Elle décide le jour de sa mort de changer de vie. Mais
c’est trop tard. Alors qu’elle était prête à raconter à son époux sa double
vie, une vie très particulière, une vie en trompe-l’œil, malheureusement le
pire arrive…
Votre rêve, c’est
d’être « transparente » dans l’amour…
Exactement. Je me sens
en accord avec ce titre magnifique « Et mon cœur transparent » qui
fait écho à une phrase de Verlaine (tiré du poème « Mon rêve
familier ») « Car elle me comprend, et mon cœur transparent.
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème »). J’ai le
« cœur transparent » pour mon conjoint… Du coup, c’est
particulièrement amusant et piquant de jouer un rôle de femme insaisissable,
double, à facettes, car dans la vie je suis très loin de lui ressembler…
Donc, c’est un rôle de
composition ?
Absolument. Même si,
parfois, je partage la philosophie d’Irina. Son combat, sa lutte, son
militantisme. Mais je ne veux pas dévoiler l’histoire, juste dire que ce film
incroyable est riche en rebondissements, en revirements de situation.
Pensez-vous que la grâce
de l’amour est de rendre le cœur transparent ? Ou l’amour, forcément
opaque, masque-t-il la vérité des êtres ?
On doit avoir
confiance en l’amour… Si l’on masque quelque chose, cela veut dire que l’on n’a
pas confiance dans le pouvoir de l’amour. On a peur que l’être aimé nous cache
quelque chose. On a peur que l’être aimé nous juge, donc on cache, on se cache
et on ne sera jamais pleinement soi-même. Je me souviens d’un de mes ex
qui vivait quelque chose de très douloureux dans sa famille. Le premier
jour de notre rencontre, nous avions échangé notre premier baiser. Dès le
lendemain, il m’a confié avec émotion : « il faut que je t’avoue
quelque chose ». C’était plus fort que lui, il devait me révéler un secret
sur sa famille. Lui n’était pas « concerné » personnellement, mais
pour lui ce n’était pas possible de commencer une relation sans être
transparent l’un à l’autre. J’ai trouvé cet aveu loyal, émouvant. Nous partions
sur de belles bases…
Dans son excellent
roman « Une affaire conjugale », Eliette Abécassis écrit à propos du
couple : « Pour bien faire les choses, il faudrait commencer par
divorcer ». Ne pensez-vous pas que c’est dans les épreuves qu’on connait
réellement les gens ?
Je suis d’accord. Je
n’irais pas jusqu’à souhaiter un divorce parce que cela ne sert à rien et que
je trouve cela vraiment dommage mais c’est sûrement dans les épreuves que l’on
découvre la personne telle quelle est. Au quotidien, on peut se disputer sans
comprendre l’autre pour les petites chamailleries ou les petites tracasseries
de la vie. A la limite, là, si l’autre n’est pas à la hauteur, ce n’est pas
bien grave. Mais lorsqu’il y a une véritable épreuve, des malheurs ou des
difficultés à surmonter, là on réalise vraiment si celui avec qui on vit est à
la hauteur. S’il assume sa place ou non. Ceux qui assurent royalement face à
l’adversité, alors là chapeau ! Ces hommes-là, on sait que l’on peut
compter sur eux…
Sans compter que dans
un couple, on est toujours trois ! Il y aussi l’Inconscient de l’autre…
Oui, car on est le
résultat d’une vie. La personne que l’on est aujourd’hui n’est rien d’autre que
le fruit de son passé, de son histoire. De l’histoire de ses parents, de celle
de ses ancêtres. On reçoit dans certains cas, à la naissance, des bagages
« un peu pourris », si je peux me permettre, et il faut malgré tout,
construire notre vie. Une autre vie.
Vous avez raison, le
vrai couple commence lorsque celui-ci édifie sa propre vie, une vie nouvelle,
et non quand il reproduit le vécu de ses parents…
Il faut avoir une
énorme force de volonté pour construire quelque chose. On peut se dire
« ok, je n’ai pas eu beaucoup de chance dans ma vie au départ, mais je
suis capable de changer ce destin qui était déjà un peu marqué et de trouver
autre chose pour moi. Maintenant, je fais les choses pour moi, et je vais
changer mon destin. Il n’y a pas que les gens magnifiques, dont la vie est
toute tracée, qui parviennent à réaliser leurs rêves.
C’est beau ce que vous
dites. Il n’y a pas de fatalité si on fait montre de suffisamment de volonté…
Absolument. Je pense
que chacun de nous, peut, avec énormément de volonté, écrire son destin. Il y a
des cas extraordinaires dans l’Histoire, il suffit de s’inspirer d’eux.
Comment êtes-vous
entrée dans l’âme, dans la peau d’Irina ? Vous êtes-vous préparée
physiquement ? Avez-vous eu un coach pour vous aider ?
Non, pas pour ce rôle.
Pour la série « Deep », j’avais eu un coach physique. Je devenais une
championne d’apnée, et là, c’était une préparation incroyable. Pendant un mois
et demi, six heures d’entrainement tous les jours ! C’était de
l’intensif ! Pour « Et mon cœur transparent », bien sûr, j’ai
étudié le rôle. J’ai plongé dans ce rôle en m’intéressant à la cause qui tient
à cœur à Irina. Ce fut une immersion totale pour tenter de comprendre ses
motivations. J’ai aussi essayé de trouver différents angles pour séduire un
homme totalement pur, afin qu’il puisse tomber amoureux d’une femme aussi
extravagante.
Dans tous vos films,
vous êtes merveilleusement vivante, vraie, criante de vérité, et émouvante.
C’est le propre des grandes actrices. Pensez-vous que les femmes s’identifient
à vous ?
J’aimerais bien
qu’elles s’identifient à moi ! Surtout pour le combat que porte Irina.
C’est tellement convaincant son personnage.
Trouvez-vous que les
deux réalisateurs, David et Raphaël Vital-Durand, ont su magnifier la femme que
vous êtes dans « Et mon cœur transparent » ?
Une fois le film fini,
j’ai visionné les rushes. Lorsque j’ai vu « Et mon cœur transparent »
en projection, j’ai été étonné. J’avais l’impression de ne pas avoir tourné ce
film-là ! Il était totalement différent. C’était une œuvre accomplie,
un pur joyau, un vrai bijou éblouissant, parce qu’il y avait un vrai parti
pris, une vraie direction de la part des metteurs en scènes. A partir du
scénario, ils ont su créer un monde fantastique, extraordinaire. Donc, chapeau
aux deux metteurs en scène parce que ce n’était pas évident ! Transformer
une histoire non pas anodine certes mais relativement ordinaire au point d’en
faire un tel petit bijou extraordinaire, là c’est vraiment unique. Le film est
unique. Il y a eu un vrai choix de la part des deux réalisateurs. Ils ont eu
des idées géniales !
Parlons maintenant de
votre cœur à vous… Pour qui bat-il ? J’ai lu quelque part que vous aimiez les
hommes prévenants et mâtures. Quel est votre genre d’homme ?
C’est mon homme !
Un homme drôle, séduisant, intelligent ! Quelqu’un sur qui je peux poser
ma tête sur son épaule…
Eva Green, Daniel Craig et Caterina
Murino dans le film « Casino Royale »
Vous êtes très belle
et célèbre, comment gérez-vous le désir que vous suscitez ?
Je me vois
quotidiennement, donc je ne me reconnais pas dans ce que vous dites… Je ne sais
pas… Je ne me préoccupe pas de tout cela…
En ce moment, on parle
énormément de « l’affaire Weinstein ». Avez-vous été victime
d’agression, ennuyée ou harcelée par des hommes de pouvoir ? Par des
producteurs ou des réalisateurs ? Par exemple, un chantage au rôle…
Jamais, heureusement.
Depuis vingt ans que je fais des films, je n’ai jamais connu ce type
d’agression. J’ai même rencontré Harvey Weinstein lorsque j’avais 20 ans. Il
est venu dans ma chambre d’hôtel avec une autre personne. Il m’attendait
pendant que je me préparais, il n’a pas cherché à m’agresser. On a fini à
quatre heures du matin ensemble en mangeant des hamburgers. Je n’ai pas eu de
problème avec lui… Dans ma vie, on m’a fait des avances, mais elles ne venaient
pas forcément des producteurs, mais des hommes en général. A chaque fois,
c’était de la séduction, jamais personne n’a cherché à m’imposer son désir.
J’ai travaillé à la télé, j’ai été danseuse à la télé, j’ai travaillé à la télé
en tant qu’actrice, j’ai travaillé pour le théâtre, j’ai été mannequin. Une
fois, à la télé italienne, j’ai remarqué que le producteur essayait de temps en
temps avec les autres actrices. Mais jamais avec moi !
Tant mieux, vous êtes
chanceuse !
Oui !
Vous attachez-vous
facilement ?
Très jeune, je
m’attachais assez vite. Maintenant, je ne m’attache plus aussi vite ! Au
moment d’une rencontre, il y a beaucoup de choses qui se passent dans ma
tête ! Mais après, quand c’est parti, c’est parti !
Etes-vous
romantique ?
Oui, et j’ai trouvé un
homme qui est merveilleusement romantique aussi. Alors c’est parfait !
En parlant de votre
compagnon, le 7 octobre 2017, vous avez inauguré la suite Michèle Morgan du
palace cannois « Le Majestic » du groupe Barrière, en présence d’un
ami, Edouard Rigaud. Est-ce indiscret de vous demander si vous êtes
amoureuse ?!
Très !
Alors je repose ma
question différemment ! Qu’est-ce qu’il faut faire ou être pour vous
rendre amoureuse ?
Dans l‘amour, Il y a
des choses que l’on ne peut pas rationnaliser. Quand on rencontre l’âme sœur,
il se passe quelque chose d’insaisissable, d’incompréhensible, qui échappe à la
raison. C’est le mystère et la grâce de l’amour. C’est une attraction physique
contre laquelle on ne peut pas lutter. Le cerveau est en ébullition…
Vous aimez les bijoux.
Vous avez été le visage de la maison Chaumet, vous avez représenté les marques
De Grisogono et Maubussin. Vous-même créez de magnifiques bijoux d’inspiration
sarde. Depuis toujours, vous vous battez pour préserver l’artisanat sarde, pour
promouvoir l’art de la filigrane (l’or torsadé), ce savoir-faire traditionnel
dont les sardes ont le secret. Dans vos superbes collections, vous valorisez
aussi le corail sarde, cet or rouge qui fait merveille sur un collier, un
pendentif ou des boucles d’oreille. Où peut-on acheter vos sublimes
créations ?
On peut les découvrir
et les acheter à la Galerie Elsa Vanier, au 7 rue de l’Odéon, 75006 Paris. Les
bijoux et toutes les nouvelles collections sont présentés là en permanence.
Caterina Murino en Dolce & Gabbana
au festival de Venise
En matière de
haute-couture, qui sont vos créateurs préférés ?
C’est indiscutablement
Dolce & Gabbana. Depuis très longtemps, ils m’habillent. Je leur reste
fidèle. Ce sont des créateurs incroyables. Ils n’ont pas leur pareil pour
sublimer la femme. Je suis une véritable addict de Dolce & Gabbana.
Toutes les robes que j’arbore pour le festival de Venise sont de Dolce &
Gabbana.
Quels produits de
beauté utilisez-vous pour prendre soin de votre peau ?
J’utilise des produits
de beauté qui viennent de la Sardaigne, les produits « Soha », des
cosmétiques que l’on peut trouver en parapharmacie. La Sardaigne est connue
pour abriter le nombre le plus élevé de centenaires au monde. Quel est le
secret de la longévité de ses habitants ? On raconte que c’est grâce au
vin Cannonau. C’est un raisin qui a 4% de polyphénols en plus que les autres
raisins. Il aiderait à la longévité des hommes et des femmes sardes.
« Soha Sardinia » utilisent ces raisins et font des crèmes de beauté à
base de ces raisins. Donc, j’utilise ça !
Qu’est-ce que la
beauté, pour vous ?
C’est un truc très
banal ! Bien sûr, c’est un cadeau du ciel. Mais une jolie plante, ça ne
sert pas à grand-chose ! Je pense que la beauté vient surtout de
l’intérieur. Les jolies plantes, il y en a plein le monde, mais les êtres qui
dégagent quelque chose, un peu moins…
Et vous, qu’est-ce qui
vous rend belle ?
D’arroser la plante
intérieure ! Il faut travailler sur l’intériorité et non sur la surface.
Sinon, bien sûr, l’amour me rend belle !!
Avez-vous un rituel
beauté, des produits fétiches que vous emportez partout dans vos
déplacements ?
Par le passé, j’avais,
pour les yeux, un crayon gris-noir sublime avec des paillettes incorporées de
chez Dolce & Gabbana. Je l’adorais mais malheureusement, ils ne le font
plus. Lorsque je rencontre un maquilleur de chez Dolce & Gabbana, il m’en
donne parfois deux ou trois parce qu’il sait que la gamme est terminée. Ces
crayons sont très précieux pour moi ! Mon seul rituel beauté c’est de me
démaquiller quotidiennement, avec application, même si je ne me suis pas
maquillée le matin, afin d’enlever toutes les impuretés de la journée.
Pratiquez-vous un
sport pour avoir un corps de rêve comme le vôtre ?
Oui, j’adore courir !
Je fais du jogging avec mes voisins le lundi, le mercredi et le vendredi sur la
butte Montmartre, à 7heures et demi du matin.
Pratiquez-vous la
natation ? J’imagine que oui puisque vous avez tourné dernièrement dans la
minisérie « Deep » diffusée sur studio+, une série digitale que l’on
peut suivre sur les tablettes et smartphones. Quel souvenir gardez-vous de ce
tournage ?
Un souvenir fabuleux !
C’est un film extraordinaire qui raconte quelque chose qui, je pense, n’a
jamais été exploité au cinéma, l’amour entre des jumeaux. L’un des frères
jumeaux meurt. C’est un champion d’apnée. Donc, le premier épisode, mon frère
meurt pendant les championnats du monde et moi, j’ai l’impression de devenir
complètement folle. Du coup, je décide de devenir une championne de plongée en
apnée. Mais à chaque fois que je plonge, j’ai une surprise au milieu de la mer.
C’est un film troublant, avec un immense amour. Qu’est-ce que cela veut dire
quand deux jumeaux ont grandi ensemble, et que l’un d’eux meurt ? C’est
comme s’il y avait une partie de soi qui n’existait plus… L’héroïne va aller
chercher cette partie d’elle-même qui lui manque le plus, en cherchant à
travers la plongée, son frère défunt. C’est vraiment un film extraordinaire.
Cela a été un magnifique bonheur et une immense douleur aussi de le tourner.
Parce que je ne savais pas nager… Donc, j’ai menti, tout au début, quand j’ai
rencontré le producteur et le metteur en scène en leur disant que je savais
nager. Je voulais tellement ce rôle qu’en un mois, j’ai appris à nager, à plonger,
l’apnée, toute la discipline extraordinaire et dangereuse qu’il faut pour faire
ce métier. A côté de Pierre Frolla, le champion du monde d’apnée, qui a été mon
guide, mon frère. Cela été un voyage extraordinaire…
Vous êtes aussi une
femme de cœur. Une femme généreuse qui s’épanouit dans le don et l’altruisme.
Depuis toujours, vous faites beaucoup pour les autres. Les autres, c’est votre
vraie passion. Vous soutenez les malades, les gens défavorisés, les femmes
africaines etc… Le 24 février 2017, à Monaco, en partenariat avec la Fondation
Princesse Charlène, en tant qu’ambassadrice de l’AMREF (Association pour la
Médecine et la Recherche en Afrique), vous avez aidé la princesse Charlène à
soulever des fonds pour le projet Kilifi. Etes-vous parvenu à en réunir
énormément ?
C’était l’AMREF Monaco
en partenariat avec la Fondation de la princesse Charlène, pour aider les
enfants africain à apprendre à nager. Sauver des vies en luttant contre les
noyades. En Afrique, on recense énormément de noyades parce que les enfants ne
savent pas nager. Il faut donc leur enseigner les mesures de prévention et leur
apprendre à nager. Oui, à cette soirée, nous avons récolté énormément d’argent.
Pierre Frolla, Princesse Charlène de
Monaco et Caterina Murino
Comment est la
princesse Charlène ?
Elle est adorable,
généreuse. C’était vraiment une très jolie rencontre. A cette soirée, j’étais
assisse à côté de Pierre Frolla, le recordman du monde de plongée en apnée.
Pierre Frolla est devenu l’ambassadeur de la fondation Princesse Charlène. Il
se consacre à l’enseignement de sa passion et à l’apprentissage de la natation.
En octobre dernier,
vous renouvelez l’expérience avec une soirée caritative pour la Fondation Arc,
pour la lutte contre le cancer du sein. Cette fois, les deux maîtresses de
cérémonie sont Marie Drucker et vous. Ce soir-là, vous interpellez
magnifiquement les 130 convives, avec ces mots bouleversants : « Ma
mère a eu un cancer du sein, mon père un cancer de la prostate. Dieu merci, ils
s’en sont sortis. Je vous demande juste de vous faire un cadeau :
faites-vous dépister le plus tôt possible ». Pensez-vous que la lutte
contre le cancer est une lutte contre la montre ?
Je redis exactement ce
que j’ai dit. Ma première belle-sœur est morte à 40 ans d’un cancer du sein, en
laissant un enfant de huit mois, et un de quatre ans. Elle était très jeune,
elle n’a pas songé à se faire dépister. Cela a été très douloureux pour moi.
Avec ma mère puis mon père, on a revécu la même expérience, mais grâce au
dépistage, on a pu arrêter à temps l’évolution de la maladie. Je demande et je
n’arrêterais jamais de demander d’aider la Recherche, parce que j’ai vu déjà
qu’en très peu de temps la Recherche avait fait des pas de géant. Il faut aider
la Recherche pas seulement avec des fonds mais surtout avec des campagnes
de dépistage. Il faut absolument se faire dépister. Certaines femmes disent que
cela leur fait mal de faire une mammographie, je leur réponds que cet examen
douloureux qui dure 40 secondes, peut leur sauver la vie et leur éviter la
chimiothérapie, la radiothérapie et les opérations. Il faut être sensé et se
faire dépister le plus vite possible. Aidons la Recherche et aidons-nous
nous-mêmes ! C’est que j’ai compris à travers toutes ces épreuves que la
vie m’a données. Quand j’ai su que ma mère était malade, je me suis dit que je
n’allais pas m’en sortir… C’était trop douloureux… C’était tellement
insurmontable… Je ne savais pas comment j’allais trouver la force pour lutter
contre ça… Et quand j’ai su que ma mère n’avait « que » le cancer
du sein, qu’il n’y avait pas de métastases, que les autres organes n’avaient
pas été touchés, j’ai commencé à relativiser. Je me suis dit, je pense que je
peux y arriver. Je vais faire face et trouver en moi la force, grâce à ma famille,
pour affronter tout ça et venir à bout de ce mal. Il faut comprendre que la vie
nous donne des épreuves, des croix…
Est-ce pour cette
raison, qu’aujourd’hui, vous voulez sauver les gens ?
Moi, c’était mon rêve,
comme vous le savez, de devenir médecin… Même petite, je voulais déjà sauver
les autres ! Mon chéri m’a dit l’autre jour : « Mais arrête, tu
ne peux pas sauver tout le monde ! »
Mais c’est
magnifique ! C’est tellement rare cette générosité !
Cela me détruit
réellement de voir les autres malheureux. Je ressens une douleur intérieure
très forte. Je pleure. Quand je vois quelqu’un d’autre souffrir, je souffre…
C’est tout à votre
honneur ! Vous avez une belle âme !
Je ne sais pas, mais
cela me rend malheureuse…
En même temps, ce
combat vous rend heureuse… Sauver, partager, donner. Redistribuer aussi parce
que vous avez beaucoup reçu de la vie…
C’est ça…
Pour vous, sauver
c’est aimer ?
En fait, je rêve d’un
monde idyllique. Un monde où les êtres ne souffrent pas, un monde avec plus de
joie… Un monde sans malheurs…
Pour finir, on dit que
vous êtes pressentie pour incarner dans le biopic consacré à Ingrid Betancourt,
le rôle de l’ex-otage des Farc. Est-ce que ce projet de film va bientôt voir le
jour ?
Le film sur Ingrid Betancourt est toujours en quête de financement. J’espère qu’il verra le jour prochainement. C’est une femme tellement complexe et intéressante…
Propos recueillis par Isabelle Gaudé
Tournée théâtrale en Italie du 27
février à la fin mars
A voir absolument à
Noël et en 2019
Caterina Murino nous
fait rêver…
Du 30 novembre à la
fin janvier, à la Maison Goralska Joaillerie, au 12 rue de la Paix, à Paris,
venez découvrir les magnifiques créations signées Caterina Murino, des pièces
uniques en filigrane (l’or torsadé), une collection de bijoux de toute beauté
d’inspiration sarde. Pour chaque bague vendue « Fili di Vento », 25 euros
seront reversés à L’AMREF, et à sa campagne « Stand up for African
Mother’s » association, dont Caterina Murino est la marraine, et qui vise
à la formation des sages-femmes dans les pays d’Afrique. Le Beau et le Bon…