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SANS L’HUMOUR DE FRANCIS VEBER, LA VIE SERAIT UNE ERREUR

Hier soir, au théâtre de la Madeleine, Francis Veber signait son grand retour avec une nouvelle comédie désopilante Le Tourbillon. Et ce fut un triomphe. Electrisée, la salle secouée de fous rires, applaudissait à tout rompre la troupe des fantastiques comédiens, Caterina Murino, Philippe Lellouche, Stéphane Metzger et Aline Gaillot. « Les rires faisaient même trembler les lustres » ajouterait Balzac. Magie du théâtre. Miracle du rire. Encore une fois, le merveilleux Francis Veber a réussi à nous rendre heureux. Le rideau tomba. Et soudain, l’on passa du rire aux larmes, lorsque Francis Veber, transfiguré par l’émotion, monta sur scène et fit une bouleversante déclaration d’amour à sa femme Françoise, présente dans la salle. Debout, ému aux larmes, le public lui répondit par une longue ovation. Moment de grâce. Chacun quitta à regret le théâtre, ne songeant qu’à une chose, retrouver l’enchantement. Pour goûter à nouveau à l’ivresse comique, courez voir et revoir ce chef-d’oeuvre de drôlerie, dont on attend avec impatience l’adaptation au cinéma. C’est tout simplement la meilleure pièce de l’automne !

Au commencement était Caterina Murino, alias Christine. Telle Aphrodite, elle apparaît la première sur scène dans une robe bleu aux allures de péplos, si exquise qu’on songe aussitôt à ce mot de Balzac : « En la voyant, on a envie de sauter sur scène, de lui offrir sa chaumière, son coeur et sa plume ». Elle sourit et c’est l’éblouissement. Elle, c’est l’incarnation de l’équilibre, de la sagesse. Digne fille de l’harmonie et de la tempérance, on fond devant sa beauté et sa bonté. Le kalos kagathos n’a qu’à bien se tenir devant une telle perfection humaine. Mais la belle Christine est un peu soucieuse. Affectée par la détresse de son mari, elle déploie des trésors de tendresse et de douceur pour le réconforter. En vain. Eric, alias Stéphane Metzger, reste impavide. Il vient de perdre son emploi de journaliste et passe le plus clair de son temps à quadriller l’appartement, superbe et silencieux, imperméable à tout, momifié dans son peignoir, muré dans une totale aphasie. Donc, au commencement était le calme, de ce calme qui précède les tempêtes. Soudain, les éléments se déchaînent, le temps s’accélère et c’est l’irruption quasi volcanique dans le salon feutré du demi-frère de Christine, le dénommé Norbert, alias Philippe Lellouche. Un Philippe Lellouche explosif, irrésistible, d’une drôlerie insurpassable, qui propulse la pièce dans une autre dimension. Lui, c’est un flic. Du genre brutal. Du genre basique. Du genre bas de plafond. Avec la délicatesse d’un rouleau compresseur, il se pique soudain de jouer les docteurs Freud auprès son beau-frère en barbotteuse. Peu importe que ce dernier couve une profonde dépression depuis son éviction de la radio, Norbert connaît son sujet, et prétend qu’il peut accoucher l’esprit d’Eric. Norbert que rien n’arrête, se prend maintenant pour la réincarnation de Freud et de Socrate à la fois. Rien de moins. Hegel en mangerait son chapeau, lui qui serinait à longueur de page que « Le préjugé semble régner que (…) chacun sait tout de suite philosopher ». Mais Norbert n’en a cure. Norbert sait qu’il sait, et il asticote si bien son beau-frère avec ses ratiocinations fumeuses, ses interprétations délirantes, que celui-ci, furax, passe de l’aphasie à la plus furieuse logorrhée. Eric incendie Norbert. Norbert jubile. Il a gagné ! Avec sa « psychanalyse de comptoir » il a réussi à déclencher l’ire de son beau-frère. Il vient de trouver le meilleur remède contre la dépression : la bêtise ! Mais ce que Norbert ignore, c’est que le pharmakon désigne à la fois le remède et le poison !

Au milieu de ce raffut, de cette ambiance survoltée, surgit Sophie, alias Aline Gaillot, la femme de Norbert. Coiffeuse de son état, elle incarne à merveille le rôle de l’adorable idiote, blonde bien sûr. Elle rajoute à la bourrasque ambiante, comme un second souffle de sottises. Et ça tourbillonne derechef. Cette décervelée a un don : mieux qu’un paratonnerre, elle attire les coups avec la régularité d’un métronome. Cocards, gnons, nez cassé, c’est François Pignon en jupon ! Mais on lui pardonne, parce que chacune de ses saillies, mixte de miel et de fiel, nappé d’un sirop de bêtise, fait sourire délicieusement nos zygomatiques. On se régale et c’est peu dire !

Le soir de la première de la pièce Le Tourbillon ©Diane Lotus

Rien de tel qu’une comédie légère, réjouissante, originale, inlassablement drôle et lucide, où les répliques fusent et le public frise l’euphorie, pour voir la vie en rose. Ce don du rire que Francis Veber possède mieux que personne, il s’en sert miraculeusement pour trousser les comédies les plus inoubliables du cinéma et du théâtre français. Là, dans Le Tourbillon, l’auteur du Dîner de Cons se surpasse. Ce génie du comique casse les codes de la pensée unique avec une jubilation palpable. Foin de la bien-pensance ! Sus au politiquement correct ! Tout le monde en prend pour son grade. La police, les délinquants, les grands groupes financiers, les influenceurs, Freud, et même Me Too ! Tout le système est moqué, le nouvel ordre capitaliste raillé. C’est la grande moulinette de la dérision. L’exhibition en règle des ridicules de notre époque. Et le public en redemande, lui qui s’étouffe de rire sous les ors du magnifique théâtre de la Madeleine.

Sans l’humour de Francis Veber, la vie serait une erreur

Depuis soixante ans, Francis Veber amuse ses semblables. Lui, dont l’insolente jeunesse frappe tous ceux qui l’approchent -reflet sans doute de son âme juvénile, vivante et solaire-, consacre son temps à la création. Par amour de l’art. Celui pour qui l’humour est toute sa vie, celui qui a toujours l’humeur à l’humour, pourrait s’enorgueillir de posséder une magnifique carrière et comme beaucoup de ses pairs, se reposer sur ses lauriers. Mais cette légende vivante préfère continuer toujours et encore à se donner pour mission de nous faire oublier la morosité du monde. De nous rappeler que nous sommes tous frères dans le rire. Grâce à ce bienfaiteur de l’humanité, chacun de ses films, chacune de ses pièces de théâtre est une fête de la fraternité et une fête de l’esprit. Irremplaçable Francis Veber qui fait du bien à tous, qui exalte la part de joie que recèle la vie, qui répare les vivants. Inoubliable Francis Veber qui contemple le monde dans le regard des mots et nous surprend à chaque fois par la succulence de son verbe. Unique Francis Veber, c’est le plus grand.

Isabelle Gaudé

Francis Veber

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Marc Petit : « Je crois qu’une oeuvre d’art doit déranger »

Le sculpteur Marc Petit

« Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience » remarquait René Char. Marc Petit en est le plus bel exemple. Voilà un immense artiste dont l’oeuvre n’a pas son pareil pour troubler, déranger, déconcerter, bouleverser. Rencontrer ses sculptures, c’est modifier à jamais notre regard sur le monde. C’est comprendre que l’on est face à une oeuvre d’une importance sans égale parmi nos contemporains. Une oeuvre comparable à un choc visuel, dont la puissance, l’envergure, le fond inépuisable nous cloue sur place. C’est si puissant que cela nous remet en question, si lucide que cela nous rapproche du soleil, si frémissant de vie que cela nous fait fondre littéralement. On reste démuni, sans défense, à cours de certitudes devant tant d’intensité artistique. Car Marc Petit possède un vrai génie sculptural. Devant chacun de ses bronzes, on éprouve immédiatement un vertige. Passé le choc de la découverte, passé le premier étonnement, on est époustouflé, chaviré par cette beauté à couper le souffle. On se sent appelé par la chair vivante de la matière, aspiré par sa lumière, soulevé dans les airs par cette présence plénière si attendrissante. Sous leur masque de douleur, ses statues sont si débordantes de tendresse qu’on a envie de les enlacer. On voudrait se serrer éperdument contre elles pour cueillir dans leurs bras de bronze un peu d’amour et d’humanité. Pour partager leur chaleur ou les consoler de leur douleur. Comment ne pas avoir envie de pleurer devant cette oeuvre magnifiquement déchirante qu’est La Famille ? Qui sont ces trois êtres proches, soudés, fondus dans un même amour, qui paradoxalement lévitent en croix ? Rien de plus émouvant aussi que ces solitudes qui se côtoient dans La Quarantaine. C’est comme si leur désespoir télescopait le nôtre. On reste fasciné par ces trente-quatre visages d’enfants sans masque qui s’abandonnent, ces yeux qui se livrent sans fard, et nous laissent sans voix. Admirer l’oeuvre de Marc Petit c’est aller d’éblouissement en éblouissement. Car sous la noirceur apparente se dissimule le soleil, le soleil brûlant de l’amour. Ici le sombre brûle, il réchauffe nos coeurs endurcis, les fait fondre pour ne laisser en nous que la joie incomparable de la tendresse. Et l’on comprend presque trop tard, saturés que nos sommes d’apparences, que dans la vie, il n’y a que les sentiments qui comptent…

Conversation à bâtons rompus avec un homme merveilleux.

Vous avez le regard d’un voyant : de ceux qui ont vu ce que les autres ne voient pas (ils ont la vue basse) comme si vous aviez traversé le monde des apparences (qui s’apparentent à du vide et à des mensonges). Cherchez-vous la vérité ?

Une certaine vérité sans doute mais une vérité qui ne se donne pas au premier regard, ce qui compte est en dessous. La rigueur et l’audace de la forme m’importent bien sûr mais la vérité qui m’intéresse, je la cherche où elle se trouve :  derrière l’image. Cela génère une énigme qui même pour moi est incompréhensible.

Vous voulez dire que la vérité est voilée, et qu’il faudrait posséder une sorte d’acuité pour voir derrière l’image de la sculpture ?

Je pense que cela demande un peu de temps. Après la première impression, de sa profondeur aussi enfouie soit-elle, une autre vérité doit monter doucement et prendre toute son importance. Ma sculpture, malgré ses formes sûrement sombres pour certains, n’est pas douloureuse, et si elle a une qualité c’est qu’elle véhicule peut-être un peu de vie et une véritable tendresse.

Vos sculptures sont inlassablement sincères et sublimes. Elles ne mentent pas, ne trichent pas, n’enjolivent pas, ne sont ni formatées ni complaisantes. Elles sont une véritable mise à nu. Montrent-elles le réel sans fard ?

Il n’est pas besoin d’enjoliveurs pour faire fonctionner un véhicule, dans mon travail je les supprime pour ne conserver que l’essentiel : le moteur et les roues. C’est le beau qui m’intéresse, le joli n’apporte rien, je fais tout pour l’éliminer.

Parce que le joli c’est peut-être le seul supportable pour l’être humain ? Le joli rassure. Beaucoup préfèrent la sculpture décorative pour ne pas être troublés par une véritable oeuvre d’art qui nous place face à nous-même et nous dérange.

A la différence du beau, le joli est tributaire des modes. C’est-à-dire du choix des autres. Ma sculpture essaie d’avoir sa propre entité, sa vérité et donc quelque part la mienne. Je n’aime ni les modes ni la mode.

Vous détestez la mode parce que vous détestez les diktats ?

Et depuis toujours ! La dernière fois que je suis allé chez le coiffeur – qui en l’occurrence était une coiffeuse – j’avais 17 ans. La coiffeuse m’a raté, elle m’a fait une tête de premier de la classe ce qui n’était pas mon cas ! Lorsque j’ai réglé la note, elle m’a dit, fière d’elle que j’étais très beau, que j’étais tout à fait à la mode. Instantanément,  je me suis dit : « jamais plus je ne donnerai un centime à un coiffeur ! » Depuis, je me coupe les cheveux seul, et cela dure depuis 45 ans ! Il est vrai que je me suis parfois fait des coupes étranges ! Mais je préfère rater ma coiffure par mon incapacité que de la déléguer à quelqu’un qui la ratera pour une des plus mauvaises raisons.

La Grande Captive

J’ai lu que vous aviez commencé à sculpter véritablement à la mort de votre grand-mère. Vous l’avez vu mourir et cette proximité du néant vous a fait devenir un autre homme en une demi-heure. A regarder votre oeuvre, j’ai l’impression que ce sont vos morts qui vous sculptent. Vous avez trouvé un merveilleux dispositif pour expulser vos fantômes : vous les rendez vivants en les sculptant…

Le vide et l’absurdité de notre condition humaine me sont apparus à ce moment là. Ma mère et ma grand-mère sont des êtres qui m’ont porté. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, c’est moi qui les porte. Elles sont là présentes en permanence et doivent apparaître sans doute quelque part dans mes sculptures.

Vous ne faites pas d’auto-analyse ?

Je ne souhaite qu’équilibrer une forme dans l’espace. C’est déjà suffisamment compliqué sans y ajouter consciemment mes problèmes personnels qui n’apporteraient rien. Quand je vais à l’atelier, j’y suis entier, avec ma douleur et ma joie.  Mais cela n’influence pas mon travail. Je me borne simplement à essayer d’être sculpteur.

Y-a-t-il des autoportraits dans votre oeuvre ?

J’en ai fait deux ou trois quand j’étais très jeune mais depuis, des autoportraits au sens réel du terme, non. Par contre il faudrait qu’à ma dernière sculpture, la somme de ce que j’ai produit soit un autoportrait.

C’est beau ce que vous dites !

J’espère que l’ensemble me ressemblera tout en dépassant mon image.

Prenez-vous conscience de ce que vous êtes en sculptant ?

Cela me modifie, cela ne m’éloigne pas de ce que je suis mais cela m’éloigne de ce que je crois de moi. Le fait de sculpter génère des questions inédites qui m’écartent de ce que je sais. 

La Source

Votre oeuvre dérange ceux qui ne veulent pas voir la vérité de l’existence : comme la souffrance d’exister, le décharnement de la vieillesse, la blessure du temps, l’oeuvre de la maladie. Admirez vos oeuvres est-ce accepter le réel ?

C’est en se regardant dans la glace avant de prendre sa douche le matin, avant de s’être maquillé, qu’il faut s’aimer; avant d’être apprêté qu’il faut se trouver beau. Certains refusent, et c’est ainsi, de se voir comme ils sont et n’aiment pas ce que leur renvoient les miroirs.

Selon vous, pourquoi les êtres ne supportent pas le réel ?

Parce que le réel n’est pas drôle ! Nous avons tous une épée de Damoclès au-dessus de la tête, nous allons mourir et certains refusent de l’admettre. Pour d’autres, vieillir est inacceptable. Aussi surprenant que je le ressente, nombre de nos contemporains se font refaire des parties du corps pour paraître plus jeunes. Il est, parait-il, fréquent que certains fassent disparaître leurs rides.

Ont-ils recours à la chirurgie esthétique parce qu’ils ont une mauvaise image intérieure d’eux ?

Sans doute et c’est cette intériorité que j’essaye de montrer dans mon travail. C’est peut-être pour cela que certains le trouvent dérangeant. L’image extérieure existe bien sûr mais elle est la conséquence de ce que nous sommes en dedans. Les gens qui n’ont jamais souri n’ont pas les rides du sourire …  Il n’y a rien de plus beau qu’une ride…

Votre travail dit-il crûment la vérité de notre condition humaine : que l’homme est un être-pour-la-mort ?

Je laisserai volontiers cette réflexion aux philosophes mais il me semble que savoir qu’elle va finir est la condition sine qua non pour que la vie ait du sens !

En même temps, cherchez-vous à offrir l’éternité à vos morts ? Comme Proust lorsqu’il édifie La Recherche du temps perdu, inconsolable qu’il est de la mort de sa mère ?

J’ai l’espoir que mes statues durent puisque je les fais en bronze. L’art éphémère me terrorise. Je ne pourrais pas créer une oeuvre qui va disparaître dans un, deux ou trois ans et qui est vouée à une destruction rapide. Mais pour répondre à votre question, je vous dirai plutôt que ma sculpture est un hommage à la vie, c’est-à-dire un hommage à celles qui la donnent.

Donc un hommage à la nature !

Je m’émerveille de voir une fleur pousser parce que je ne comprends pas comment c’est possible. En définitive, me fascine et m’intéresse tout ce que je ne comprends pas, et entre tout, l’absurdité de la vie mais surtout son mystère.

Le Sablier

L’immortalité serait-elle l’apothéose de la vie ?

Tout sauf ça, nous ne serions pas en train de faire l’interview si nous étions persuadés vous et moi d’être là dans cent mille ans. Si nous parlons ensemble aujourd’hui c’est parce que nous savons que le temps nous est compté. L’immortalité nous rendrait impuissant, on s’installerait dans un fauteuil et on attendrait !

L’art est-ce une façon de conjurer la mort ?

C’est en tout cas une façon de lui faire un pied de nez.

L’atelier de Marc Petit


Pourquoi sculptez-vous en fait ?

Je ne sais pas ! Plus sérieusement, cela fait 47 ans que je travaille et que cela me préoccupe en permanence. Dernièrement, j’ai eu quelques petits soucis de santé et j’ai peu travaillé. Je me suis rendu compte que cela me manquait vraiment et bien plus que je ne l’aurais cru.

Les vernissages ont-ils de l’importance pour vous ?

Oui, cela me permet de passer de bons moments avec des amis, c’est une forme de fête. Sans compter que c’est important pour moi de pouvoir confronter mon travail au regard des autres. Je suis respectueux et attentif, et si quelqu’un me dit « que c’est beau ! » ou « quelle horreur ! » en découvrant une de mes sculptures, cela me fait réfléchir et me pose question…

Oui, mais si cette personne émet ce jugement, c’est parce que votre sculpture l’a dérangé, et c’est plutôt bon signe ! Cela veut dire que votre travail a atteint son but !

Oui sans doute, et si quelqu’un me dit je préfère cette sculpture plutôt que celle-là, cela m’aide et m’enrichit de sa perception. Le regard d’autrui sert à baliser lui aussi mon travail, mais il ne l’influence pas, je reste seul juge. Je crois qu’une oeuvre d’art doit déranger, mais pour apporter un nouvel ordre, une nouvelle façon de voir, une nouvelle façon d’aimer, une nouvelle façon d’embrasser. Quand je regarde un tableau de Vermeer, peintre que j’aime profondément, j’apprends à voir autrement. Même si ses tableaux sont de petits formats, je n’ose pas les regarder en entier tellement ils sont immenses… Je peux passer des heures à me concentrer sur une de ses draperies, la touche du pinceau, la manière dont il pose la peinture est grandiose. Et c’est cette ‘grandeur’ qui permet d’approcher la beauté… 

Et vous vous en approchez de plus en plus ?

Je n’en sais rien car chaque fois que j’ai l’impression de m’en approcher, elle s’éloigne.

Ce n’est pas étonnant ! C’est parce que vous êtes exigeant !

J’aimerais que le fond et la forme disent la même chose et arrivent à s’unifier.  Giacometti disait une chose extraordinaire : «  si vous cassez un objet en deux, vous n’avez plus d’objet. Si vous cassez une sculpture chaldéenne en quatre, vous avez quatre sculptures chaldéennes ». Michel Ange exprimait à peu près la même chose quand il déclarait : « Prenez une sculpture, montez-la en haut d’une colline et jetez-la, gardez le plus gros morceau, le reste était inutile ». Chaque partie de la sculpture doit porter et dire la sculpture en entier.

Vous dérangez l’ordre du monde. Vous nous donnez une nouvelle vision du monde grâce à vos sculptures…

Tant mieux si c’est le cas, même si ‘déranger’ n’est pas mon but. 

J’ai le sentiment que votre oeuvre cherche à atteindre l’essence du vivant. Cherchez-vous à exposer la façon dont la douleur et la joie nous affectent ? La façon dont nous sommes traversés par les émotions ?

Ma sculpture me semble achevée lorsqu’elle me fascine et m’émeut.

La Famille


Mais parfois quand on regarde votre travail, c’est un visage douloureux que l’on voit…

Et qui nous dit « Savoure quand tu pleures ». C’est plus profond de faire sourire une sculpture sous un masque qui peut être inquiétant, cela donne davantage d’intensité. Le spectateur qui se rend compte au bout d’un certain temps, presque comme une révélation, que ma sculpture est tendre le ressent souvent avec joie et étonnement.

A travers vos sculptures, je n’ai ressenti que de la tendresse ! Je pense que vous êtes un grand affectif, un grand sentimental !

Oui ! J’aime aimer et j’aime qu’on m’aime, et ma sculpture ne peut être que tendre puisque je suis tendre !

En même temps, pour un regard néophyte ou un regard disons normal, on ne ressent pas forcément cette tendresse au premier abord !

En effet ! Certains pensent que je plaisante quand je leur parle de tendresse …

Donc il faut apprendre à regarder votre sculpture !

Comme tout ! Comme toute oeuvre d’art ! Si je passe six mois à réfléchir et à travailler sur une sculpture, il faut accepter de ne pas tout voir en trente secondes !

Mais peut-être que plus on regarde une oeuvre, plus on la trouve belle !

C’est toute la différence entre une oeuvre et un chef-d’oeuvre. Une oeuvre, au bout d’un moment, peut lasser. Un chef-d’oeuvre est inépuisable, il posera toujours de nouvelles questions et seul le temps pourra dire dans quelle catégorie on classera telle peinture, telle sculpture ou tel roman …

La Pieta

Dans le livre d’Herman Hesse, Narcisse et Goldmund, le héros, un sculpteur, cherche éperdument à travers toutes ses sculptures le visage de sa mère. En fin de vie seulement, il parvient à donner une forme à l’absente et réalise l’oeuvre parfaite. Il peut alors mourir en paix. Poursuivez-vous, comme lui, une seule vision ?

Non ! Ce que je poursuis, c’est la sculpture, parce que depuis longtemps je la sais inaccessible. C’est pour ça que je dis que sculpteur est un métier terrifiant qui ne se termine que par un échec et de la frustration !

Oui, mais une frustration qui donnera naissance à de merveilleuses oeuvres, lesquelles feront parti du réel, et nous apprendrons à mieux regarder le monde ! Lorsque les amateurs d’art vous disent qu’ils ont été bouleversés par une de vos statues, qu’ils vont l’admirer à l’infini, c’est gratifiant, non ?

J’ai eu parfois des réactions extraordinaires grâce à mon travail, qui ont profondément touché l’homme, mais pas le sculpteur qui va à l’atelier et c’est heureux, il faut essayer d’éviter d’attraper la grosse tête. Rodin à l’approche de ses 60 ans, après avoir réalisé son Balzac, souligne « C’est maintenant que je voudrais avoir vingt ans parce que je crois que je commence à comprendre ». Michel Ange affirme qu’il aurait mieux fait de travailler dans une fabrique de souffre, cela aurait mieux servi la société ! Giacometti désespère et déplore :  » Le jour où je saurai faire la tête de Diego (son frère et son premier modèle), j’arrêterai la sculpture « .

Un jour, peut-être, atteindrez vous ce que vous avez envie d’atteindre…

Je ne l’espère pas, parce que si cela arrivait, je n’aurais plus aucune raison de travailler.

J’ai la sensation que vos sculptures veillent sur vous comme une armée d’anges gardiens qui protègent l’enfant que vous êtes peut-être, encore…

J’espère bien que je suis un enfant protégé pour toujours… Mais par contre, je ne sais par qui…

Est-ce difficile de vous séparer de vos sculptures ?

Non, cela ne me dérange pas, ce n’est pas parce que je les vends qu’elles ne sont plus à moi.

Comme disaient les Grecs, les oeuvres d’art ont leur propre destin !

Oui et mes sculptures sont comme mes enfants, je ne les ai pas faits pour les garder avec moi. Ils et elles ont leur vie propre.

La sculpture est-elle une thérapie pour vous ?

Non ! Je ne suis pas malade !

Sculpter vous apaise ?

Quand ça marche bien, oui !

Testament 07

Etes-vous d’accord avec Lacan qui affirme que l’art c’est l’inconscient qui parle à l’inconscient. Et que les symptômes parlent dans l’oeuvre. Comme par exemple la peur de la solitude, de la mort, l’angoisse de l’abandon ?

Je ne sais que répondre à cela.

J’ai l’impression que l’angoisse de l’abandon transparaît dans les gestes de vos sculptures, avec ces mains tendues, ces postures d’attente, ces tensions. L’oeuvre d’art est le miroir de l’inconscient…

Les positions, les gestes s’intègrent dans une architecture et sont avant tout guidés par des logiques plastiques. Sinon plus que l’inconscient me semble-t-il, c’est souvent le hasard qui s’impose dans mon travail. Mais quand on est honnête quelque chose de soi ressort forcément involontairement.

Dans certaines de vos sculptures, on a l’impression d’entendre le Cri de Munch !

Le Cri de Munch, c’est un tableau !

Bien sûr, mais on croit entendre ce cri lorsqu’on regarde la toile. Certaines de vos sculptures ont la bouche ouverte, un cri en sort…

Cela a été une période autour des années 2000 où toutes mes sculptures avaient la bouche ouverte. Depuis, et cela n’empêche pas le cri mais un cri qui est silencieux, ce qui me semble plus fort, la plupart du temps aujourd’hui mes bouches sont fermées. 

Sculpture de Marc Petit au Clos des Cimaises

Vous êtes un immense sculpteur. Sans doute le plus grand de notre époque. Et vous êtes aussi le plus modeste. Vos oeuvres sont d’une poésie et d’une grâce incroyables, d’une liberté absolue, d’une puissance et d’une force uniques et pourtant vous remarquez humblement que vous menez une vie d’employé de bureau !

Je m’astreins à des horaires de travail, parce que je suis un peu paresseux !  Je me rends à l’atelier tous les jours de la semaine comme un employé de bureau ! Après, personne ne m’interdit d’y aller le samedi et le dimanche si j’en ai envie, et personne, non plus, ne m’interdit d’y aller la nuit. Mais je suis tenu, en semaine,d’y être de 9 h à 12h30 et de 13h à 17h30.

Quelle discipline !

Je ne crois pas à l’inspiration ! L’inspiration c’est 0,0001 % et tout le reste du travail ! Je pense qu’une sculpture a gagné sa vie quand elle permet d’en faire une autre; quand elle a, après avoir répondu aux siennes, engendré des nouvelles questions.

Vous êtes l’un des seuls artistes contemporains à pouvoir s’enorgueillir d’avoir de son vivant un musée à son nom. Inauguré à Ajaccio en 2008, ce musée est-il la reconnaissance que vous attendiez ?

C’est un cadeau qui m’est tombé dessus et c’était bien évidement inespéré ! Il aurait fallu que je sois d’une prétention incroyable…

Cela vous a plu cette reconnaissance ?

Bien sûr, c’est merveilleux et cela me rend fier. 

La Quarantaine

J’adore votre sculpture La Quarantaine, des enfants groupés dans un berceau. C’est une incroyable claque existentielle. Que dit-elle ?

Elle fait pourtant référence à une période heureuse, la naissance de mon fils aîné. Pour le protéger, comme de nombreux parents, je l’ai mis dans un parc d’un mètre carré avec des barreaux de cinquante centimètres de haut et je l’ai mal vécu, j’ai trouvé que cela évoquait un univers carcéral. Ce matin là, j’ai décidé que je ferai une sculpture avec un jeune enfant prisonnier dans un parc. Quand j’ai créé la sculpture, cela ne fonctionnait pas, pour répondre à mon ressenti, j’ai décidé de le remplir. Et de fait, il y a  34 enfants dans ce parc, mais aucun ne regarde dans la même direction. Ce sont 34 solitudes.

La série, le groupe signifie quoi ?

C’est une manière d’amplifier l’espace et de multiplier les problèmes. Mes groupes sont composés de personnages agglutinés, mais seuls. Ils sont une addition de solitudes à qui il faut apporter de la convergence.

Pensez-vous que le réel nous condamne à la solitude ?

Les moments dramatiques, la souffrance, la maladie, la mort se vivent toujours seul. Par contre le bonheur se partage, un bon vin est meilleur lorsqu’on ne le boit pas seul. La joie de vivre se partage mais par contre le côté sombre et noir de la vie, se vit seul malgré tous les efforts que font, pour nous soutenir, les gens qui nous aiment.

Sur le fil

Quelle sculpture préférez-vous au monde ?

J’adore Le Christ Courajod qui est au Louvre, c’est une sculpture du XIIème qui est un chef-d’oeuvre. J’aime la sculpture khmer, la sculpture africaine. J’aime Phidias, ses oeuvres sont admirables. Mais il y en a tellement d’autres … et dans toutes les cultures …

Quel rôle joue l’affectivité dans votre création ?

Elle est partout parce que j’aime aimer.

Marc Petit, êtes-vous heureux ?

Je dis toujours que je voudrais vivre 150 ans et je pense que je vais y arriver !!

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Site de Marc Petit Sculpteur : http://www.marc-petit.com/

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Yelena Popovic : « La foi est la victoire sur la mort »

Yelena Popovic, la réalisatrice serbo-américaine du film L’homme de Dieu

Son nom est depuis toujours synonyme de foi, de bonté, de charité. Il demeure l’un des saints les plus vénérés en Grèce. Saint Nektarios d’Egine fut le prêtre du peuple, aimé et respecté des petits, calomnié et persécuté par les grands. L’Homme de Dieu, le biopic bouleversant qui s’inspire de sa vie, sort en salles le 9 mars. Et c’est un événement. Tout d’abord parce que le film écrit et réalisé par Yelena Popovic est une révélation. Il parvient à rendre visible l’invisible, révélant la présence palpable d’une force supérieure. C’est dire si la cinéaste fut touchée par la grâce, pour offrir une telle dimension spirituelle à son récit. Au fil des images, on comprend, peu à peu, que ce qui est invisible est essentiel : Dieu, l’amour, le temps. Et l’on s’interroge : quel est le pouvoir de la foi ? Qu’est-ce que la foi ? L’amour et la confiance que l’on porte à Dieu ? Ou l’amour que Dieu nous porte ? A moins que ce ne soit une merveilleuse réciprocité amoureuse ? On reçoit aussi en plein coeur la souffrance mais aussi l’amour sans limite de saint Nektarios. On finit par tant s’identifier au héros, qu’on en vient à partager son calvaire et sa rédemption. Si cette merveilleuse empathie est possible c’est parce qu’il n’y a dans ce film, tourné à hauteur d’humain, aucune recherche d’effet ni d’esbroufe. Il n’y a que l’abandon dans la foi et la simplicité. Ce ne sont pas des hauteurs divines, que le pouvoir céleste, telle une foudre, s’abat sur les pécheurs des Dix commandements, à grand renfort d’images colorisées. Ici, c’est à travers l’humain que l’on perçoit Dieu. Entre ombre et lumière. Plus saint Nektarios s’humilie sur terre, plus le spectateur se rapproche du ciel. Comment expliquer cette ascension ? Au simple fait que le spectateur athée ou croyant adhère au discours du film. Il y croit. Et d’y croire à croire, il n’y a qu’un pas : celui de la foi. Ce magnifique film, parvient à travers l’exemple d’un homme, à raviver la foi des autres. Et ce prodige tient du miracle. A croire que l’oeil de la camera, c’est l’oeil de Dieu… Yelena Popovic, grâce à son extraordinaire humilité, vient de signer un immense film. Un film qui fera date dans l’histoire du cinéma.

Waouh, quel film ! D’entrée de jeu, on se demande comment une ravissante jeune femme comme vous, vivant dans une époque aussi matérialiste, consumériste et violente, peut réaliser un film aussi inspiré et spirituel… 

Vous avez raison, comme beaucoup d’entre nous, je vis dans un monde très matérialiste, consumériste et violent. Mon insatisfaction personnelle et mon désintérêt pour un tel monde m’ont incité à me rapprocher de Dieu pour ne pas me perdre dans les ténèbres et la tristesse. Peut-être que mon désir profond d’obtenir la vraie liberté intérieure, celle que seul Dieu peut véritablement donner, a permis la naissance d’un tel film.

L’homme de Dieu est un film lumineux, poignant, bouleversant. Un film touché par la grâce, avec des images à couper le souffle. On en sort foudroyé, comme si l’on se rendait compte qu’il n’y a qu’un seul chemin sur terre : croire en Dieu…

J’ai eu la chance de travailler avec beaucoup de personnes talentueuses qui ont cru en moi et en ce projet. Mon objectif était de me concentrer sur la vérité historique et l’aspect très humain de Saint Nektarios. Du fait de mon intimité forte avec l’histoire de ce saint, j’ai choisi exprès des scènes dans lesquelles je pouvais me retrouver facilement et qui faisait écho à ma propre expérience personnelle. C’était le seul moyen de faire entrer saint Nektarios dans le cœur des gens et de les toucher en profondeur. Si la spiritualité et la grâce transcendent ce film, c’est parce que Dieu a récompensé notre travail.

Pensez-vous que nous nous sommes oubliés, au point d’oublier la foi, de ne plus croire en aucune transcendance, aveuglés par la course au confort, à la consommation, aux vains pouvoirs et prestiges, à tous ces artifices dérisoires ? 

Nous vivons dans un monde où l’ego est à son paroxysme et où l’on fait l’éloge de l’« amour de soi » en permanence. Ce mantra a effacé l’humilité et la capacité d’aimer et de se sacrifier pour les autres. On parle beaucoup de l’importance de la confiance en soi. Il n’y a rien de pire pour la confiance en soi que le manque d’humilité. Le meilleur moyen de se perdre et de se rendre malheureux est de dénigrer l’humilité. L’arrogance et le mépris nous ont jetés dans un cercle vicieux où l’aveugle mène l’aveugle en essayant de trouver des réponses, de fuir ou de se guérir avec des faux remèdes.

Saint Nektarios, le héros du film, un être totalement désintéressé, affirme que la quête du pouvoir ronge les humains. Faut-il renoncer aux grandeurs humaines pour connaître la paix intérieure ?

Ce que nous considérons comme la grandeur humaine est en fait avilissante. Nous sommes bien plus puissants lorsque nous reconnaissons qu’il existe une force supérieure qui nous a donné la vie et lorsque nous faisons confiance à cette force. En fait, nous renonçons à nous-mêmes lorsque nous nous séparons de celui qui nous a donné la vie et, par conséquent, nous devenons impuissants.  Pour se rapprocher de la lumière et acquérir la paix intérieure, il faut s’abaisser.

Votre film vient de rencontrer un grand succès en Grèce, en Russie. Il a remporté le Prix du Public au Festival International du film de Moscou. Comment expliquez-vous ce succès ? Contrairement aux apparences, notre civilisation aurait-elle faim de spiritualité ? 

Dans le prolongement de ce que j’ai déjà dit, je crois que la société est très avide de spiritualité et je pense que c’est probablement l’une des principales raisons du succès du film auprès de différents publics.

Les acteurs Alexander Petrov et Vera Muratova en compagnie de la réalisatrice Yelena Popovic et du producteur du film Alexandros Potter au 43ème Festival International du film de Moscou

Le film narre la vie de saint Nektarios qui, jusque son dernier souffle, porte de nombreuses croix : celle de l’exil, des innombrables persécutions, des dénonciations, des accusations de corruption, des calomnies. Pourtant lorsque Nektarios est persécuté, il tend l’autre joue. Quel sens a son supplice ? 

Quel est le sens de la torture de la grande majorité des gens dans ce monde? Si nous voulons être honnêtes, ce monde et notre vie ici sont une vallée de larmes. Je ne peux pas en donner le sens, mais je crois que ce film a un effet curatif et peut aider ceux qui souffrent à traverser la vie d’une manière plus significative.

Saint Nektarios d’Egine

Devant tant de bonté, de dévouement, d’humilité, de compassion pour les exclus et les humbles, d’amour des autres et de Dieu, et par impuissance à atteindre un tel degré de don, le clergé en Egypte, mordu par la jalousie et l’envie, commence à calomnier le prêtre Nektarios. L’accusant de faire semblant d’être un saint, de ne pas avoir de cœur… Est-ce à dire que la bonté est inhumaine ? 

Je crois que la bonté est une qualité très naturelle. Il n’est pas naturel de haïr et d’être jaloux car lorsque nous avons des pensées positives et de la bonté dans notre cœur, nous sommes des individus sains à tous points de vue, spirituellement, mentalement et physiquement. Lorsque nous décidons d’inviter des pensées négatives dans notre cœur, comme la haine et la jalousie, qui sont étrangères à l’âme, nous devenons malheureux et malades. Je pense donc que pour une personne qui est devenue aveugle et malade parce qu’elle a permis à des éléments non naturels d’occuper son âme, la bonté semble inhumaine.

Dans le film, Nektarios prononce une magnifique phrase :  « Avec Dieu, tout est possible. » Tout ? Les miracles ? L’amour ? Le bien ? Selon vous, que signifie cette phrase ? 

Dieu est Amour. Si nous acquérons le véritable Amour, nous n’avons pas de craintes ni de doutes. Le ciel est la limite.

Dans L’Evangile selon Saint Jean, Jésus dit : « Tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. » Avez-vous déjà demandé quelque chose à Dieu ? 

J’ai reçu des réponses rapides de Dieu. Surtout quand j’étais plus jeune. Je suppose que j’étais plus proche de lui alors.

Pour vous, la foi surmonte-t-elle l’impossible ? 

Oui. La foi est la victoire sur la mort et tout ce qui semble impossible.

L’acteur grec, Aris Servetalis, joue saint Nektarios

Comment interprétez-vous cette phrase de Dostoïevski : « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » ? 

Si vous n’avez pas de conscience, tout est permis.

Pensez-vous que les Saints sont là pour démontrer l’existence de Dieu ? 

Les saints sont une preuve de la résurrection. Les miracles leur sont souvent associés. Ils témoignent du fait qu’il y a plus dans notre existence que ce que nous pouvons percevoir à l’œil nu ou comprendre.

Avez-vous réalisé ce film pour offrir un espoir aux êtres désespérés ? 

Sans aucun doute. Je pense que c’est ce qui m’a le plus inspiré pour faire ce film.

L’acteur Aris Servetalis et l’actrice Vera Muratova

Dans le film, Nektarios s’adresse tout le temps à Dieu en priant. Il prie même pour ses ennemis. Une des paroles du Saint figure dans ses écrits :  « L’œuvre la plus importante de l’homme est la prière. » Quel est votre rapport à la prière ? 

C’est lorsque je suis en prière que je me sens la plus heureuse et la plus satisfaite. La prière est une communion avec la source de la vie et je crois que c’est pour cela que je me sens vivante quand je prie.

Faut-il prier plutôt que de surfer sur le Net ?

Il n’y a rien de plus bénéfique pour notre santé mentale et notre paix intérieure que de prier et il n’y a rien de plus néfaste pour notre santé mentale et notre paix intérieure que de surfer sur Internet.

Existe-t-il des lieux plus propices à la prière ? 

Naturellement, les lieux plus calmes sont plus propices à la prière, mais le plus important est d’avoir une prière honnête, une prière du cœur. Je voudrais citer un père spirituel bien connu, peut-être même un saint, qui fut approché par quelques personnes qui lui demandèrent d’un air moqueur : « Hé, vieil homme, comment fais-tu pour prier ? » Il leur répondit : « Si ton cœur bat au rythme de l’amour, tu peux le faire couché. »

Sur le tournage du film L’homme de Dieu

Vous soulignez dans une interview que, sans pouvoir l’expliquer, vous vous sentez en réelle communion avec la nature à chaque fois que vous revenez sur l’île d’Egine. Que vous en ressentez une joie immense. Est-ce une île bénie ? Le sacré est-il plus présent en Grèce ?

Je suis convaincue que l’île d’Égine est bénie et je me sens plus calme et paisible en Grèce que dans n’importe quel autre endroit où j’ai vécu. Il y a comme une grâce et une qualité de guérison spéciale en Grèce. Je peux dire honnêtement que j’en ai fait l’expérience.

Racontez-nous comment s’est passé le tournage du film en Grèce ? 

J’ai vécu une expérience fantastique en tournant en Grèce. Faire un film peut être très stressant, mais je crois que grâce à toutes les personnes étonnantes et talentueuses avec lesquelles j’ai travaillé, j’ai aussi connu beaucoup de joie. Je recommande vivement à quiconque de tourner en Grèce.

L’acteur Mickey Rourke

L’acteur Mickey Rourke, véritable star hollywoodienne, joue la dernière scène avec une intensité et une sincérité incroyable. Cette scène, qui se solde par un miracle, c’est un peu la résurrection de Lazare « Lève-toi et marche » ? 

Le miracle qui se produit à la fin du film symbolise métaphoriquement la Résurrection.

Saint Nektarios affirme que le bonheur est en nous et « béni celui qui comprend cela ». Et vous, Yelena, qu’est-ce qui vous rend parfaitement heureuse ? 

Je me suis sentie la plus heureuse lorsque j’ai expérimenté la présence de la grâce. Je ne peux pas l’expliquer par des mots. Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai expérimenté la présence de la grâce le plus intensément lorsque je souffrais le plus.

Pour vous, la vraie vie c’est vivre par Dieu ? 

La vraie vie est la vie éternelle et elle n’est possible qu’avec Celui qui est Eternel.

Emir Kusturica a écrit de très jolies choses sur votre film. Il affirme que « Le film de Yelena nous aide à plonger dans la profondeur de l’être et nous suggère que nous n’avons pas d’autre issue que de chercher notre équilibre sous le ciel de la foi. » Que pensez-vous de ce magnifique compliment ? 

Dans les temps que nous vivons actuellement, il semble bien que nous n’ayons pas d’autre choix.

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Yelena Popovic, la réalisatrice de L’homme de Dieu, un film qui fera date dans l’histoire du cinéma

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L’HOMME DE DIEU

Mercredi 9 mars sort en salle L’homme de Dieu. Attention chef-d’oeuvre. Ce film éblouissant, pétri de foi, sonne le réveil des consciences. Il combat nos coeurs endurcis, dessille nos yeux aveugles, agit comme un philtre d’amour, en nous réconciliant avec l’au-delà. Après avoir visionné ce biopic dépeignant la vie de saint Nektarios, impossible de douter de l’existence de Dieu, impossible de ne plus croire aux miracles. C’est la cinéaste serbo-américaine Yelena Popovic qui signe cette divine surprise. Primé onze fois, grand succès au box-office international, ce film salutaire est une véritable bénédiction pour l’homme contemporain souvent en proie à un sentiment de déréliction. Comme le souligne sa réalisatrice : « La vie de saint Nektarios est un exemple sur la façon dont nous devrions vivre et mourir. » En si peu de mots, tout est dit. Qui fut donc saint Nektarios ? Un homme saint qui préféra l’abnégation à l’égoïsme, l’humilité à la gloire, la fraternité à l’hostilité, la joie à la révolte, le don à la jalousie, la prière aux vanités. Un être qui, toute sa vie, souffrit de l’injustice, de la calomnie, de la persécution mais n’en fut pas vaincu. Un bienheureux qui, malgré les épreuves, garda toujours la foi, en faisant de sa vie un exemple. Ce théologien admiré et aimé du peuple, passa le plus clair de son temps à se corriger intérieurement comme pour mieux se rapprocher de Dieu. Convaincu que Dieu le rendait plus vivant. Et qu’il fallait aimer son destin, cet amor fati nietzschéen, cette acceptation qui conduit à la paix intérieure. Si ce film est magnifique et poignant c’est parce qu’il puise inlassablement dans l’empathie de sa réalisatrice. Par son regard bienveillant, sa foi vibrante, Yelena Popovic partage les souffrances de Nektarios et l’aide à porter sa croix. Sur l’île d’Egine, baignant dans la lumière éclatante de la Grèce, l’oeil de la caméra capte tout : la profondeur des âmes et celle des paysages. Résultat : les images sont d’une beauté à couper le souffle. Et les acteurs émouvants au-delà des mots. Avec L’homme de Dieu, Yelena Popovic fait preuve d’une immense audace en réalisant un film courageux, non convenu, inspiré et inspirant, non mercantile et qui ose dans une époque matérialiste et consumériste parler enfin de spiritualité.

Isabelle Gaudé

L’acteur Aris Servetalis qui joue le rôle de Nektarios et la réalisatrice Yelena Popovic

L’acteur Mickey Rourke et la cinéaste Yelena Popovic
L’avant-première, le 17 février, à Paris, au cinéma Les 7 Parnassiens, du film L’Homme de Dieu

Pour connaître toutes les séances de ce film indépendant cliquez sur ce lien, puis sur « voir toutes les séances » : https://www.sajedistribution.com/film/lhomme-de-dieu.html

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Enfin un Guitry féministe !

C’est la pièce de l’hiver ! Elle a déjà fait un malheur à l’automne 2021 au théâtre Darius Milhaud, où elle se jouait à guichets fermés. Elle revient en 2022, électriser une plus grande salle de la Comédie Saint-Michel. Courez la voir dès le 14 janvier 2022 ! C’est l’évènement immanquable de ce début d’année. Du grand, du très grand Guitry renaît de ses cendres, vivifié comme jamais, qui éclabousse de sa verve et de son brio la Comédie Saint-Michel. Sur scène, c’est une fête de l’esprit, un festival de fulgurances, de faux-semblants sur fond d’adultère, de cruauté et d’amour. Le Mari, la Femme, l’Amant c’est tout simplement un instant de grâce. Et un pari réussi pour sa metteur en scène, une toute jeune femme de 23 ans, Diane Lotus, sans doute l’une des premières à mettre en scène cette pièce du répertoire de Guitry. Le parti pris était osé : jouer « contre » Guitry. Renverser les rôles, choisir le parti des femmes, et non celui des hommes. Défendre joyeusement les droits des femmes : le droit de désirer pour une femme, d’être désirable sans se se sentir coupable, le droit de s’épanouir en dehors du désir masculin, le droit de se soustraire aux diktats maritaux, etc. Un véritable plaidoyer féministe. Et prendre ainsi le fameux misogyne à son propre piège. Les admirateurs de Guitry apprécieront : cette jeune troupe vibrante de passion interprète d’une façon incroyable et novatrice le texte ravageur du maître de l’ironie. On assiste à la naissance d’une compagnie surdouée, d’un naturel insensé, laquelle nous entraîne durant deux heures dans un époustouflant, éblouissant jeu de dupes, drôle, subtil, succulent d’intelligence. On sourit, on rit, on pleure de rire.

A voir absolument

Isabelle Gaudé

La troupe des Coureurs de Jardin © Julien Theuil

Les trois comédiens du Mari, la Femme, l’Amant (de gauche à droite : Judy Passy, Léo Marchand, Diane Lotus) © Julien Theuil

Les comédiens Paul Wilmart et Tiphaine Froid

En alternance, les comédiens Julian Baudoin, Léonardo Parcoret, Judy Passy, Lorette Magnier et Léo Marchand

Les comédiens Léo Marchand et Judy Passy ©Axel Buitrago

©Axel Buitrago
Les Coureurs de Jardin sous les vivats
Ils sont beaux, jeunes, talentueux, venez les applaudir à la Comédie Saint-Michel

La pièce se joue tous les vendredis et samedis à 21h30, du vendredi 14 janvier 2022 au samedi 7 mai 2022, à La Comédie Saint-Michel, 95 bd Saint-Michel, 75005 Paris.

Site officiel des Coureurs de Jardin : https://lescoureursdejardin.fr/

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Le Studio Harcourt

L’actrice Caterina Murino

Aujourd’hui, nous avions rendez-vous avec la directrice générale du Studio Harcourt, Catherine Renard, pour un entretien à bâtons rompus sur l’art du Portrait. Confinement oblige, l’interview a été reportée. Pour patienter, cap sur ces appels de fiction dont parlait Roland Barthes, splendeurs inaltérables, immatérielles, intemporelles, désincarnées que sont les actrices, acteurs et leurs portraits Harcourt. Car il s’agit bien de cela au Studio Harcourt. Dans cette fabrique à rêves, on métamorphose le réel en irréalité. On transmue le vivant en imaginaire. On fait surgir d’un acteur ou d’une actrice « un dieu ou une déesse, éternellement jeune, fixé à jamais au sommet de sa beauté. » Un être éthéré, évanescent, dont l’apparence immarcescible, à l’opposé du Portrait de Dorian Gray, échappe au temps, au vieillissement et à la mort. Non content de fixer l’éternité dans un instant, le portrait Harcourt offre au comédien une carte d’identité, une intronisation dans le métier d’acteur, et une place dans le Panthéon des Stars. Il lui accorde aussi la chance de s’inscrire dans cette mémoire mythique de la photographie, celle qui appartient au plus ancien et au plus célèbre studio de photographie. Reconnaissance suprême, véritable estampille, le portrait Harcourt fait penser à cette empreinte que les acteurs américains laissent sur Hollywood Boulevard. Histoire d’immortaliser leur passage au cinéma et sur terre. Loin de l’inflation narcissique actuelle où chacun s’expose, s’exhibe, se donne à voir, s’auto-séduit en se contemplant, le Studio Harcourt apparaît comme un lieu de résistance. Ici, la vanité n’est pas de mise. On ne vient pas chercher dans son Portrait Harcourt le quart d’heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol, on vient chercher quelque chose qui vous échappe, une part secrète, inconnue, mystérieuse, inconsciente de soi, mise en lumière par l’objectif du Studio. Où l’on comprend mieux que la surface est le miroir de la profondeur. Dans ce clair-obscur, la psyché se révèle…

Isabelle Gaudé

©Diane Lotus. Les coulisses du Studio Harcourt
L’actrice Romy Schneider
L’actrice Cate Blanchett
© Diane Lotus. Le plateau photo du Studio Harcourt

L’acteur Nicolas Duvauchelle
L’astronaute Thomas Pesquet
L’homme d’affaires Antoine Arnault
L’actrice Hélène de Fougerolles
©Diane Lotus. Le mythique Studio Harcourt

L’acteur Jean Dujardin

L’actrice Béatrice Rosen

L’actrice Marion Cotillard

L’acteur Matthias Schoenaerts

© Diane Lotus. L’acteur John Malkovich au Studio Harcourt

L’écrivain Leïla Slimani
L’actrice Aïssa Maïga
La directrice générale du Studio Harcourt, Catherine Renard
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Le retour du réel

Avec « Toute ressemblance…» (avec le monde réel, existant ou ayant existé, est purement fortuite…), Michel Denisot signe un premier film très réussi, intelligent et particulièrement jubilatoire. Il épingle avec élégance la métamorphose insidieuse du monde contemporain. Où comment cette société du spectacle, totalement asservie à l’impérialisme de l’image, qui comme l’écrivait Guy Debord « est la négation de la vie réelle », impose sa loi et finit par abolir la vitalité humaine. Quid de l’histoire ? D’abord, c’est une plongée palpitante dans les coulisses du JT d’une grande chaîne télévisuelle. A travers le personnage de Cédric Saint Guérande, le fantastique Franck Dubosc, présentateur vedette du 20h, on réalise très vite qu’en 2019, le pouvoir médiatique ne s’embarrasse pas de détails. Il n’admet tout simplement aucun contre-pouvoir… Exit le doute, la vérité, le réel, et pratiquement le politique (qui pour s’exprimer doit montrer patte blanche ! ) Dans cette ambiance quasi totalitaire mais bon enfant, l’image incarne la pensée dominante ou la doxa, et le présentateur du JT s’arroge tous les droits, comme celui de choisir à loisir d’informer ou de désinformer, de falsifier le réel ou de l’embellir. Il contrôle tout. Nul ne réagit face à ses écarts : aveuglé par le pouvoir de la petite lucarne, c’est l’assentiment immédiat, la crédulité absolue du côté du spectateur. Dans ce joli monde conçu comme représentation, notre Cédric Saint Guérande, œil de velours et séduction toute en retenue, trône aux cimes de l’audimat, adulé et vénéré par des millions de téléspectateurs. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où un nouveau patron de chaîne vient détruire cette belle harmonie. Alors que CSG, dopé au succès et aux amphétamines, consacre le plus clair de son temps à s’étourdir dans une vie festive en totale immersion dans sa bulle matricielle (bonjour la fusion intra-utérine !), ce bébé humain qui a de plus en plus de mal à devenir adulte (régression quand tu nous tiens…) va devoir revenir sur terre. Le grand patron a décidé de rajeunir et de féminiser le 20 heures. La guerre est donc déclarée. N’écoutant que son ego surdimensionné (lequel apparaît en réalité bien vacillant puisqu’il éprouve en permanence le besoin d’être rassuré par le regard d’autrui), CSG affronte son patron (symbole du père ? de la loi ?). Enragé à liquider son rival (à tuer le père ?) à n’accepter aucune hiérarchie ou pire par incapacité contemporaine à reconnaître l’Autre, CSG commence sa chute. On le découvre alors plus spectateur qu’acteur de sa vie, incapable de se réconcilier avec le réel, aliéné qu’il est par l’image, ses faux semblants, son cortège de paraître et d’apparences, quasiment condamné à la solitude. Et c’est là où Michel Denisot fait preuve d’une subtilité rare. Il offre à la splendide Caterina Murino, belle à couper le souffle dans ce film, la chance d’incarner le réel. Son personnage Elisa symbolise la vraie vie. Le réel dans ce qu’il a de plus imprévisible, de moins contrôlable. Elisa d’abord c’est l’amour. L’amour, cet invisible dans ce monde trop plein de visible. Elisa la vivante, la vibrante, qui refuse les faux-semblants et les mensonges, qui s’échappe car rien ne peut la contrôler sinon la passion. « Ne te courbe que pour aimer et si tu meurs, tu aimes encore » disait René Char. Aveuglé par le pouvoir médiatique et ses fantasmes de toute-puissance, CSG a perdu de vue l’essentiel, il est passé à côté de la vie réelle. Il intuitionne pourtant que la vraie vie est ailleurs et que quelque chose sur terre libère comme l’amour réel…

D’apparence léger, ce film est une remarquable réflexion sur le réel. Il ne peut être qu’accueilli qu’avec ferveur puisqu’en le visionnant sur le grand écran, peut-être deviendrons-nous plus lucides, plus réalistes, et même voyants face au petit écran…

En attendant, nous avons voulu rencontrer l’incarnation du réel (et l’incarnation de la beauté) !

Conversation à bâtons rompus avec Caterina Murino

L’actrice Caterina Murino

Caterina Murino, vous venez de crever l’écran dans la série télévisée « Le temps est assassin » adaptée du roman de Michel Bussi. Cette série en 8 épisodes diffusée sur TF1 a réuni plus de 6,3 millions de spectateurs par semaine. Un véritable succès. Comment avez-vous vécu ce tournage ?

Avec beaucoup d’émotion. C’était un rôle puissant, d’une belle intensité dramatique. Les productrices et le réalisateur m’ont fait un très beau cadeau en me confiant le personnage de Palma. Celui d’une femme trompée qui veut protéger sa famille et se bat pour elle jusqu’au bout. Cette histoire c’est d’abord un magnifique travail d’écriture de Michel Bussi. Et puis un travail d’adaptation qui donne naissance à un scénario haletant. Mes partenaires étaient tous flamboyants dans ce décor sublime qu’est la Corse, la Corse qui finalement demeure la vedette de la série. Enfin, je suis très reconnaissante au public français de nous avoir suivis avec passion d’épisode en épisode jusqu’au dénouement.  

Depuis ces records d’audience, les passants vous reconnaissent-ils davantage dans la rue ?

Non ! Les gens s’imaginent que le but ultime des acteurs dans la vie, c’est d’être reconnu dans la rue. Mais c’est terrible de croire ça ! Moi, cela ne m’intéresse pas du tout. Par contre, j’ai reçu de magnifiques textos, de messages vraiment incroyables sur les réseaux sociaux. Des mots sincères et touchants qui me réchauffaient le cœur. Quelqu’un m’a même écrit un message bouleversant parce mon personnage l’avait touché. Des femmes, des téléspectatrices qui s’étaient identifiées au vécu de Palma m’ont raconté leur histoire. Je suis en émerveillement devant tant de générosité et d’empathie.

Elisa (Caterina Murino) et Cédric Saint Guérande (Franck Dubosc) dans le film « Toute ressemblance… »

Le mercredi 27 novembre est sorti le film très attendu de Michel Denisot « Toute ressemblance… » Vous a-t-il contacté directement ou avez-vous passé un casting pour décrocher le rôle principal féminin ?

Je n’ai pas passé de casting. Je connaissais déjà Michel Denisot. Je l’avais rencontré il y a quelques années lorsqu’il présentait sur Canal +, le Grand Journal. Nous nous sommes revus lors d’un déjeuner qui a duré plus de trois heures. J’avais face à moi quelqu’un d’extrêmement cultivé, d’extrêmement élégant, d’extrêmement gentil, à l’humour piquant, toutes ces qualités que j’ai retrouvé dans le film.

Durant des années, le journaliste Michel Denisot a reçu dans son Grand Journal (et à Cannes) les plus belles actrices du monde. Et c’est à vous qu’il a pensé pour incarner Elisa. Vous éclipsez toutes les autres… Est-ce parce que vous êtes l’une des actrices les plus charismatiques de votre génération ?

Ah non ! Je ne crois pas !

Pourtant, dès le début, Michel Denisot avait déjà dans l’idée que ce serait vous !

Je savais depuis plus d’un an que Michel Denisot préparait son film. Même si j’avais son numéro de portable, je n’ai pas cherché à le joindre, encore moins à le solliciter pour le rôle. C’est mon ex-agent qui, un jour, m’a contacté en me disant « Ecoute, Michel voudrait te rencontrer pour te parler de son film ». Et j’étais, comme vous le dites, très étonnée qu’avec toutes les actrices susceptibles d’interpréter le rôle d’Elisa, il ait pensé à moi ! Merci Michel !

L’actrice Caterina Murino (photo Paris Match)

Rien d’étonnant à cela, vous êtes une actrice incandescente !  

Trop gentil ! Mais ce qui était touchant c’est que Michel Denisot et Olivier Kahn ont vraiment lutté pour m’avoir. Le tournage de la série « Le Temps est assassin » et le tournage de « Toute ressemblance… » ont débuté en même temps, le 4 septembre 2018. L’un à Paris, l’autre en Corse. Donc, durant huit semaines, j’ai pris un avion tous les jours, pour faire Paris-Corse. Dimanche, j’atterrissais en Corse pour y tourner le lundi. Et dès le lundi soir, je reprenais un avion pour rentrer à Paris et y tourner dès le mardi matin. Le mardi soir, à nouveau l’avion et ainsi de suite tous les jours et ce, durant deux mois !  

Vous deviez être épuisée ?

Je n’y comprenais rien en fait ! Mais j’étais très heureuse parce qu’Elisa ne ressemblait pas à Palma ! Et qu’interpréter deux rôles en même temps me galvanisait !

Sur le plateau du Quotidien, Yann Barthès reçoit l’équipe du film, l’acteur Franck Dubosc, le réalisateur Michel Denisot, l’actrice Caterina Murino et l’acteur Jérôme Commandeur

« Toute ressemblance… » est un film sur les coulisses du monde de la télé. Michel Denisot montre l’envers du décor et fait ressortir les ridicules de certains comportements des gens de télé. On découvre un univers de manipulations, de trahisons, d’excès, de coup bas, de jeux de pouvoir mais aussi d’addiction à la drogue…

Oui ! Michel voulait révéler au public certaines vérités sur les médias. Il m’a donné un personnage proche de moi car je ne bois pas, je n’ai jamais touché une cigarette ni touché à la drogue. C’est un rôle qui dit non à tout ça. Cette femme porte à son compagnon un amour sincère et elle tente de lui faire comprendre que la vie c’est autre chose que l’égo et la drogue.

Que cherche Elisa dans la vie ?

A un certain moment, Elisa va quitter Cédric. Elle ne veut plus voir son compagnon sombrer dans les addictions. Elle ne l’accepte plus. Elle recherche l’intégrité chez un homme. C’est une femme qui n’est pas dans le paraitre. Elle possède une certaine richesse de l’âme et n’a pas besoin de faux-semblants pour avoir le sentiment d’exister. Peu lui importe que son compagnon soit chaque soir vénéré par six millions de téléspectateurs. Elle ne recherche ni la célébrité ni la reconnaissance. C’est une femme ancrée dans l’existence, qui veut simplement vivre dans la vraie vie, et non dans un monde de paillettes saturé d’apparences.  

Est-ce la première fois que vous tourniez avec Franck Dubosc. Est-il drôle et sympathique comme dans « Camping » ?  

Oui, absolument, c’est la première fois ! Et non, il est beaucoup mieux que ça ! Cela a été une vraie surprise pour moi. C’est un homme qui n’a rien à voir avec son image. C’est un homme humble, attentionné, prévenant, qui écoute les conseils de tout le monde. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Si j’avais bêtement des a priori à cause de cette image trop réductrice de son rôle dans « Camping », j’ai découvert un magnifique compagnon de voyage…

Lors de l’avant-première du film « Toute ressemblance… », le lundi 25 novembre, Franck Dubosc et son épouse, Danièle.

Dans toute ressemblance, Franck Dubosc incarne le présentateur préféré des Français. Il est beau, riche, célèbre. Chaque jour, il fait vibrer la France entière. Mais lui, qu’est-ce qui le fait vibrer ? Le pouvoir est sa drogue. Est-il dans l’illusion infantile de la toute-puissance ? Son succès lui donne-t-il un sentiment d’impunité ?

Totalement ! Il se drogue au pouvoir. Et la drogue réelle l’amène à penser qu’il est un Dieu… Finalement, il perd un peu la tête…

D’ailleurs, dans « Toute ressemblance », Franck Dubosc affirme qu’il est le Roi. Il est le roi, le roi du monde qui règne sur le réel grâce à la régence télévisuelle. Il a sa cour, ses codes, ses courtisans. Il se sent indétrônable. Jusqu’à l’arrivée du nouveau président de la chaine incarné Denis Podalydès, qui veut sa tête…

C’est la guerre des égos ! Entre celui qui rafle tous les succès, le présentateur du JT et son patron qui  est aux manettes de la chaîne. L’égo du boss est dérangé par le triomphe de Franck Dubosc. Il s’énerve à tort – car au lieu de penser au succès de la boite dont il a la gestion – il s’agace que les records d’audience ne viennent pas de lui mais de Cédric.

Cédric de Saint Guérande, dit CSG, affirme au début du film «  Mon paradis, c’est ça : avoir tous vos yeux braqués sur moi, tous les soirs ». Dans l’ère visuelle, être visible, être partout sur les réseaux sociaux, être vu par tout le monde, passer à la télé, capter l’attention de tous, c’est devenu le nec plus ultra. Pour vous, être actrice, c’est se mirer et s’admirer dans les yeux des spectateurs ?

Non, pas pour moi ! Etre actrice c’est arriver à donner une âme et un corps à de l’encre tracée sur du papier. Mais aussi offrir une parole et raconter une histoire qui grâce à un écran, peut amener à un combat.  

Lors de l’avant-première du film « Toute ressemblance… », le réalisateur Michel Denisot et son épouse, Martine.

Les acteurs dépendent-ils du désir des réalisateurs ?

Toujours ! Il faut rentrer dans leur imaginaire. Pour le rôle de Palma, les productrices Isabelle et Aline m’ont dit dès le début, Palma c’est toi ! Mais ça c’est rare… C’est comme une grâce… Car, malheureusement nous ne sommes pas uniques au monde et chaque actrice a le pouvoir d’interpréter n’importe quel rôle.

 Est-ce que plus on vous voit à l’écran, plus les réalisateurs pensent à vous pour un rôle ?

Il y a les deux. Quand on voit trop un acteur, cela peut engendrer un phénomène de lassitude. Et quand on ne le voit pas assez, on peut l’oublier !

 

Le réalisateur du film « Toute ressemblance » Michel Denisot

Avez-vous une actualité théâtrale ?

Oui, cela fait deux ans que je fais une tournée théâtrale en Italie, qui se terminera le 8 mars prochain. Je joue dans la pièce « Huit femmes » de Robert Thomas, adaptée cinématographiquement par François Ozon en 2002.

Aimeriez-vous jouer au théâtre à Paris ?

J’aimerais tellement ! Je suis une grande fan d’Alexis Michalik, le metteur en scène qui a monté « Intra Muros », « Edmond » et « Loin ». C’est un jeune metteur en scène qui a un talent fou. En découvrant ses spectacles, on voit qu’il est amoureux du théâtre, qu’il a inventé un nouveau code du langage théâtral, qu’il dirige merveilleusement ses comédiens. Pour moi, ce serait un rêve de travailler avec lui…

 Et du côté du cinéma, y-a-t-il un réalisateur avec qui vous aimeriez jouer ?

Il y en a beaucoup ! Dernièrement, j’ai vu « Les Misérables ». C’est un très jeune metteur en scène, il a su raconter une histoire proche de lui. On voit qu’il a compris tout de suite, les codes du cinéma. Il raconte quelque chose de quotidien mais de bouleversant avec une énergie et une force qui vont droit au but. C’est un film « coup de poing ». J’aimerais tourner avec Ladj Ly.

Vous êtes une femme vraie, entière, extrêmement généreuse. Donner du bonheur aux autres vous rend heureuse. Et vous, qu’est-ce qui vous fait du bien à l’âme ?

On a perdu de vue ce qui faisait l’essentiel de la vie. La vie c’est la normalité, la quotidienneté. Par chance, la vie m’a donné des choses un peu extraordinaires, mais moi ce que j’adore c’est le quotidien ! Sans doute que si je n’avais que du quotidien dans ma vie, je m’en lasserai. Mais aujourd’hui, faire les courses, voir des amis, dîner avec mon fiancé, recevoir ma famille, passer un samedi soir à regarder la télé sous la couette, c’est simple, pour moi, c’est le bonheur !  

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

L’actrice Caterina Murino
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Le Meilleur de 2019 en livres et en images

La panthère des neiges, © Vincent Munier
Sylvain Tesson « Le face-à-face avec l’animal, c’est la véritable expérience de l’Altérité »
Peter Handke : « Ecoutez: ma route, mon droit, le dernier chemin libre sur notre planète – je veux le défendre.
Je veux ? Je dois. C’est mon rôle »
Un spectacle au théâtre national de la Colline, du 3 au 29 mars 2020. Distribution : De Peter Handke, mise en scène Alain Françon. Avec Pierre-François GarelGilles PrivatSophie SeminDominique Valadié.

Jérôme Garcin : « Il est si jeune encore et il y a tant de rôles à endosser, tant de vies imaginaires à épouser, tant de mues à faire et de peaux neuves à porter »

Riss : « Quand on émerge vivant d’une telle horreur, on n’a pas envie de retrouver intactes, toujours aussi triomphantes, la bêtise et la médiocrité.
Comme si rien n’avait changé (…)
On n’ose pas s’exprimer de peur de choquer, d’être incompris puis rejeté. Pour revenir parmi les vivants, on ne dit rien qui pourrait nous en exclure.
Car la vie ne nous est pas due. Mais seulement accordée »
Michel Desmurget : « Notre société a compris qu’il était de toute première importance de fabriquer les personnels acculturés dont le marché avait besoin. (…) Le rêve de l’industriel, c’est l’ilote, l’esclave sans conscience des sociétés antiques, le Crétin des sociétés modernes. »

I.G







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Les bonbons de Laurence Jenkell illuminent l’avenue George V

La sculptrice française Laurence Jenkell

Célébrée partout dans le monde (Dubaï, Miami, New-York, Monaco, Hong Kong, Séoul etc. ) pour ses sucreries en plexiglas, Bonbon-drapeau ou Wrapping, l’artiste française Laurence Jenkell est en passe de devenir aux Etats-Unis aussi célèbre que Jeff Koons. Pour ne citer que New York, c’est tantôt une exposition en plein air sur Madison Avenue, tantôt un parcours d’art au Port Authority Bus Terminal (la plus grande gare routière au monde avec ses 70 millions de passagers par an.) Les Américains l’adorent et c’est justice car ses berlingots appétissants, ludiques, aux couleurs franches, pop, bariolées ou acidulées, ces papillotes éclatantes qui décorent les rues de New York, font le bonheur des passants. Leur glacis coloré, léger et joyeux donne l’eau à la bouche, suscitant en nous une envie régressive de succion. Grâce aux sculptures Bonbon de Laurence Jenkell, c’est toute la société qui retombe en enfance… Et c’est merveille. Car ces sculptures ludiques, source de douceur, de tendresse et de réconfort, nous font du bien. Véritables madeleines de Proust, accélérateurs de mémoire, capteurs d’éternité, les Bonbons de Laurence Jenkell déclenchent à notre insu les mécanismes de la mémoire involontaire. A les contempler, émergent en nous la fraîcheur de souvenirs d’enfance oubliés, de fous-rires entre camarades, ces moments joyeux et insouciants où le pur bonheur de la dégustation d’une confiserie sucrée suffisait à nous combler. Le charme opère. Le passé refleurit dans le présent, Laurence Jenkell vient de donner vie aux bonbons et c’est tout simplement délicieux… Sans doute est-ce pour cette raison que cette artiste qui vit et travaille à Vallauris (dans les Alpes-Maritimes) rencontre un tel succès : ses bonbons représentent un peu de douceur dans un monde de brutes… Ils font plaisir à voir, parlent et plaisent à tous et à chacun, jeunes ou moins jeunes, sont universels et intemporels. Ils ont l’art de nous replonger dans le monde enchanté de l’enfance. Tant et si bien qu’à l’avenir, on ne pourra plus voir un bonbon sans penser à Laurence Jenkell…

Bonbon de Laurence Jenkell devant La Boutique Louis Vuitton




Bonbons de Laurence Jenkell devant La Boutique Louis Vuitton

L’art est une fête

Ces sculptures Bonbons, les parisiens et autres visiteurs du monde entier pourront les admirer sur toute l’avenue George V (Paris 8ème). Dans ce lieu mythique de Paris, proche des Champs-Elysées, qui accueille du mardi 14 octobre au vendredi 15 novembre 2019 pas moins de 60 œuvres d’artistes contemporains connus et reconnus pour une exposition monumentale et gratuite sur 2 kilomètres. Plus besoin de musée, le beau se tient dehors, à portée de main. Bien sûr, on pourra contempler les oeuvres de Laurence Jenkell devant le magnifique hôtel Prince de Galles où a eu lieu le vernissage de l’exposition le mardi 14 octobre avec ses prestigieux invités, mais aussi devant l’enseigne Vuitton ou Elie Saab. Mais ce n’est pas tout… L’enchantement poétique continue au cours de notre flânerie sur l’avenue George V. On croise des oeuvres de l’icône américaine de la sculpture hyperréaliste, Carole A. Feuerman, qui nous donne à apercevoir des corps plus réels que nature. Elle renouvelle notre vision du monde et nous révèle ce que nous ne voyons plus : la réalité vivante. Avec son style inimitable, elle campe la silhouette adorable d’une jeune nageuse enlaçant un ballon aux couleurs chatoyantes. Là aussi, on retrouve la perfection de la jeunesse, sa douce insouciance, son abandon ravissant. Pure beauté. Sous le soir rosé qui tombe sur l’écrin de verdure de l’avenue George V, c’est un peu de rêve qui nous est donné. Plus loin, on découvre une superbe danseuse de Carole A. Feuerman devant Bulgari. Ou encore un nageur à bonnet de bain doré ornant l’incontournable Fouquet’s. Paradent en bas de l’avenue des bustes en « portrait optique » du peintre et sculpteur Marcos Marin comme sa célèbre sculpture à l’effigie de Neymar ou encore des œuvres de la photographe Charlotte Mano. L’art sort du musée, il sort dans la rue pour notre plus grand plaisir. Accessible à tous, il se laisse appréhender lors d’une promenade en plein air, à ciel ouvert, sous une étoile, un clair de lune ou en plein jour dans notre capitale dédiée à l’Art. Après un peu de douceur, voilà enfin une source infinie de beauté dans un monde que l’on voudrait plein de grâce…

A ne pas manquer…

Sculpture de Carole A. Feuerman

Le
Marcos Marin devant son buste de Neymar

Les danseurs de Carole A. Feuerman

Nageur de Carole A. Feuerman devant le Fouquet’s

Pose du voiturier devant le magnifique Hôtel Prince de Galles en compagnie du Bonbon de Laurence Jenkell

I.G

Orlinski le magnifique

Il est l’artiste français contemporain le plus vendu au monde. Mais il est surtout un immense sculpteur. En quelques années à peine, son œuvre s’est imposée par son audace, son originalité, son inventivité. Quel est le secret de cette victoire ? Un bestiaire à couper le souffle. Des loups blancs, des ours polaires, des gorilles noirs, des crocodiles rouges flashy, des panthères chromées, des lions bleus. Un vestiaire tout aussi éclatant, avec ses perfectos roses, ses jeans argentés, ses stilettos laqués vermillon… Un arc en ciel de couleur pour une fête artistique.

Chez Richard Orlinski, l’ours blanc, le lion doré ou le tigre argenté ne sont pas de simples représentations multicolores mais une présence vivante, palpable, dont on perçoit la chaleur animale. Car Richard Orlinski fait mieux qu’imiter la vie, il la fait naitre sous ses doigts. D’un seul coup, l’animal palpite, vibre, se cabre, rugit. Paradoxalement, c’est en exhibant la violence animale, les crocs effrayants du gorille, les mâchoires acérées des crocodiles, que ces œuvres d’art nous aident à canaliser notre violence humaine, à dominer notre agressivité galopante, à la métamorphoser en douceur et tempérance. Par leur proximité esthétique, ces animaux ont un effet apaisant sur nous. Ils nous obligent à nous réconcilier avec nous-même. Mieux qu’une thérapie, c’est le triomphe de la beauté, de l’harmonie, de l’amour sur nous. Pour ce faire, Richard Orlinski n’a pas besoin de civiliser ses animaux, lesquels « sont plus humains que les humains ». Plus sages aussi. Il les a simplement corrigés à son image. « Voir le monde comme je suis, non comme il est » disait Eluard…

Dès lors, rien de plus beau que cette sculpture monumentale de 6 mètres de haut, campée sur les hauteurs de Val d’Isère, qui flirte avec les nuées. A la verticale, dressé vers le ciel, un ours polaire, immaculé, les pattes lancées vers l’azur en une sublime assomption, en une tendre accolade, nous invite à le rejoindre. Est-ce pour nous étreindre ? La sculpture s’élève, s’accorde, s’encorde à la structure cosmique, aux glaciers, aux cimes, à la montagne magique, au ciel azuréen. La lumière ruisselle sur sa chair transparente. C’est la pesanteur et la grâce. L’immobilité et le dynamisme. Eblouissement.

L’artiste que nous avons rencontré est à la hauteur de ses magnifiques sculptures. Simple, direct, adorable; la marque des grands. D’une belle supériorité morale, généreux, altruiste. On tombe instantanément sous le charme de son optimisme contagieux, comme on tombe immédiatement sous le charme de ses sculptures.

Rencontre avec un artiste au grand cœur.

En quelques années, vous avez réussi l’exploit de devenir l’artiste français contemporain le plus côté au monde. Vos œuvres sont présentes dans plus de 90 galeries aux quatre coins de la planète. L’enfant de quatre ans que vous étiez, qui modelait de petites figurines, serait-il fier de l’adulte que vous êtes devenu ?

Peut-être ! Je ne sais pas… Il faudrait lui demander ! Malheureusement, il n’est pas là !

Il est peut-être encore en vous…

Faut que je lui téléphone ou que je me connecte à lui… Plus sérieusement ! Je ne sais pas s’il ressentirait de la fierté mais en tout cas, cela ressemble à une espèce d’accomplissement.

Vous attendiez-vous à un tel avenir ?

Pas du tout !

C’est une heureuse surprise alors ?

Non, ce n’est pas une surprise. Je m’attendais à quelque chose parce que j’avais des ambitions. Effectivement après, il faut encore les réaliser…

Il y a quelque chose de très juvénile qui transparaît dans vos sculptures, juvénile au bon sens du terme. Comme si vous aviez gardé une âme pure, intacte, une âme d’enfant. Vos sculptures ressemblent à des cocottes en papier, des pliages monumentaux. Est-ce pour cette raison que les enfants adorent votre œuvre ?

Effectivement, certaines oeuvres ressemblent à des origamis. Mais je crois surtout que c’est le thème animalier qui plait aux enfants, l’émotion immédiate qu’ils éprouvent en présence de ces animaux.

A l’occasion de son 25ème anniversaire, le parc Disneyland Paris a fait appel à vous pour revisiter son Mickey. Vous avez donné vie à un Mickey magicien, bleu, de toute beauté. Ce privilège rare, est-ce une reconnaissance pour vous ?

Oui, c’est une vraie reconnaissance. C’est aussi, quelque part, rentrer dans l’histoire ! De savoir que mes enfants, mes petits-enfants, les générations futures pourront acquérir une œuvre revisitée par moi, c’est pour moi un honneur. De plus, Disney m’apporte quelque chose d’assez unique puisqu’il me permet de démocratiser l’art, de le rendre accessible à tous. Je suis un artiste populaire au bon sens du terme. L’idée, c’est de parler à tout le monde. A partir du mois de juillet 2017, ces petites figurines de Mickey magicien seront en vente à quelques dizaines d’euros (ndlr, 49 euros). Aujourd’hui, vu la qualité de l’œuvre, j’aurais été incapable de réaliser des sculptures à ce prix-là, cela coûterait beaucoup plus cher, et là Disney me donne la possibilité de réaliser mon rêve : partager avec le plus grand nombre. C’est vraiment superbe !

Ce Mickey magicien se décline-t-il en plusieurs couleurs ?

Il va se décliner aussi en chromé avec l’étoile bleu. Bleu et argent, c’était les couleurs du 25ème anniversaire du Parc Disneyland Paris. Mais on va probablement le faire dans d’autres couleurs…

Le monde de l’art français, les critiques d’art apprécient-ils votre œuvre ? Ou la boudent-ils au motif que vous êtes médiatique, célèbre, apprécié et jet set ?

Il y a une frange, une intelligentsia qui boude effectivement mes œuvres. Un petit milieu de gens bien-pensants qui croient faire le monde de l’art. Qui s’autorisent même des critiques très acerbes à l’égard de mes sculptures. D’une part, parce que je n’ai pas suivi le cursus artistique classique, d’autre part, parce que je dérange, que je n’ai pas eu besoin d’eux, que j’ai du succès, que je refuse les étiquettes. D’ailleurs, ce genre de comportement, c’est très français ! Dans les autres pays, je ne rencontre pas ce problème…

En réalité, vous avez d’abord été reconnu par les Américains avant d’être reconnu par les Français ?

Tout à fait ! Il y a un French bashing en France. Il faut savoir que dans l’hexagone, on a du mal à reconnaître nos artistes. Il y avait dernièrement un article au Sénat qui évoquait le peu de présence des artistes français à la FIAC. Imaginez, pas un seul artiste français n’a exposé sur les Champs- Elysées ! On a fait appel à Botero, à des chinois, des japonais, mais il n’y a jamais eu de français. En France, il y a un certain snobisme, on préfère importer des artistes de Russie, d’Inde, de tous les autres continents. En revanche, quand vous allez aux Etats-Unis, vous découvrez qu’eux sont très chauvins, très protectionnistes. Les chinois sont très protectionnistes aussi, ils défendent vraiment leurs artistes. Nous, on ne défend pas nos artistes…

Donc, les productions artistiques françaises ne sont pas valorisées par la France …

Pas tellement ! Quelques-unes ont ce privilège mais le monde institutionnel de l’art choisit vraiment ses artistes. Mais bon, depuis deux ans, le Ministère de la Culture commence à me reconnaitre. Ils ont même envoyé quelques tweets très élogieux à mon égard au moment où je faisais ma grande exposition à Courchevel, ce qui était une reconnaissance. Mais cette reconnaissance, j’aurai été content de l’avoir bien avant ! Enfin, c’est quand même arrivé !

Est-ce de la jalousie ?

Je ne sais pas car c’est un sentiment qui m’est inconnu. Quand je vois quelqu’un qui réussit, cela me motive et m’inspire. De toute façon, je ne fais pas grand cas de tout ça, j’avance, c’est tout. Je fais mon chemin…

© Francis Poirot

A vos débuts, à 38 ans, lorsque vous vous êtes lancé dans cette aventure artistique, muni de votre seule détermination et de votre talent, vous ne vous êtes jamais découragé ?

Non, parce que c’était un hobby. A la base, je ne faisais pas ça pour le montrer ni pour gagner ma vie. En fait, j’ai d’abord eu la chance d’avoir plusieurs expériences professionnelles, j’ai eu plusieurs vies, cette maturité m’a donné une idée des codes et du chemin à suivre. Quand après des mois de travail, j’ai voulu exposer ma première œuvre, effectivement, certaines personnes ont cherché à me décourager. Très rapidement quand même, puisque j’avais dans ma tête une espèce de plan et que je savais où je voulais aller, j’ai rencontré l’adhésion du public. Cela a marché très vite !

Comment se fait-il que rien ne vous résiste ?

On voit toujours la face émergée de l’iceberg ! On ne voit pas tout le travail qu’il y a derrière, toutes les contrariétés, les déceptions. Derrière tout ça, il y a une implication très importante. Il y a aussi une équipe solidaire. C’est un travail d’équipe, ce n’est pas un travail solitaire.

En 2006, la première pièce que vous présentez au public, est un crocodile en résine rouge « Born Wild ». Ce « Born Wild » (inspiré du « Livre de la Jungle » que vous affectionniez enfant) est un bestiaire d’animaux sauvages, fiers, conquérants. Vos sculptures interrogent-elles nos peurs concernant nos pulsions sauvages, instinctives ?

Mon message est le suivant : j’ai exacerbé la violence, l’animalité qui est en eux. Ils ont toujours la gueule ouverte, les dents acérées, les mâchoires prêtent à mordre. Ce sont plutôt des animaux féroces que j’ai représenté. Mais cette férocité, cette violence, les animaux l’utilisent à des fins utiles parce qu’ils tuent pour se nourrir. Ils tuent par nécessité. Nous, nous faisons des guerres… L’espèce humaine se pense beaucoup plus intelligente que les animaux parce qu’elle exerce une sorte de domination sur eux, alors que finalement elle a beaucoup à apprendre des animaux. Les animaux tuent pour obéir au cycle de la vie et c’est un cercle vertueux, alors que nous, malheureusement, sommes dans un cercle vicieux. Cela dit, j’ai aussi réinterprété complètement l’animal. Je change, je joue avec ses formes. Je corrige la nature à mon image…

Est-ce à dire que les animaux sont plus sages que nous ?

Ils sont plus humains que les humains…

Dans lequel de ces animaux, vous retrouvez-vous le plus ? Le loup épris de liberté qui échappe au contrôle de l’homme, le gorille invincible, le tigre prédateur ?

Le gorille ! En réalité, c’est celui qui se rapproche le plus de l’homme, ne serait-ce que dans la manière de se tenir ! A part les poils, évidemment ! Je ne sais si l’homme descend du singe mais de toute évidence, il y a une vraie similitude !

Vos gorilles sont souvent amoureux ! Dans votre single « Heartbeat », le gorille géant fond littéralement devant la chanteuse. On entend les battements de son cœur amoureux…

Comme dans King Kong, c’est un singe au grand cœur. Il est plus sage que l’homme. Il défend sa belle. Il a beaucoup de vertu ce King Kong ! Ou alors beaucoup de défauts, le défaut d’aimer, de vouloir le bien de l’autre…

En 2007, Dominique Desseigne, le PDG du Groupe Barrière, vous offre d’exposer vos œuvres à l’hôtel Normandy en plein festival du cinéma américain de Deauville. L’acteur Andy Garcia flashe aussitôt sur l’un de vos crocodiles et vous l’achète. C’est le début de la gloire…

C’est une anecdote assez amusante. A l’époque, je n’étais pas très connu, mais nous avions fait une belle exposition sur tout le festival. On était en plein vernissage au Normandy et des gens du staff de Dominique viennent vers moi en s’exclamant : « Monsieur Orlinski, il faut absolument venir maintenant ! Andy Garcia veut acheter vos œuvres ! » Pour eux, cela avait l’air d’être un grand événement ! Moi, je ne me rendais pas compte de l’importance de la chose. J’ai donc accepté. On a traversé la rue avec une cohorte de gardes du corps. Andy Garcia était à l’hôtel Royal et le vernissage avait lieu au Normandy. Il y a quelques centaines de mètres entre les deux hôtels. On arrive en bas du Royal. Là, on téléphone à sa chambre. Et on nous répond, Monsieur Garcia s’est endormi ! Il s’est couché très tard ! Le directeur de l’hôtel avait l’air navré et répétait qu’on ne pouvait rien faire. Mais, je n’avais pas l’intention de revenir, alors j’ai dit : « Vous transmettrez que l’artiste s’en va ! De toute façon, il ne reviendra pas ! Il n’a pas que ça à faire ! » Une assistante de Dominique a été très dynamique et ne s’est pas laissée démonter. Deux secondes après, finalement, on a appris que c’était bon ! On est monté là-haut, Andy Garcia était en robe de chambre. En pyjama, devant tout le staff de l’hôtel, là à attendre dans le couloir ! Il m’a fait entrer dans sa suite et on a sympathisé tout de suite. J’avais l’impression qu’on était amis depuis toujours, qu’on s’était quitté la veille. On est resté deux-trois heures à discuter et le lendemain ça a fait « La Une » des journaux locaux ! On a noué une relation très vite. Les américains sont si simples, conviviaux et faciles !

C’était le début de la gloire…

Oui, même si je ne m’en rendais pas compte au début. Même aujourd’hui, j’ai toujours l’impression qu’on en est au début…

Ce succès à Deauville vous a donné l’idée d’exposer vos sculptures dans les lieux fréquentés par les stars et la jet set. Vous installez alors vos gorilles géants sur la Croisette à Cannes…

C’est vrai en partie… mais pas seulement ! C’est ce que relatent les reportages à la télévision car les journalistes aiment bien insister sur le côté spectaculaire des événements, mais si je n’exposais que dans les lieux fréquentés par les stars, je ne vivrais pas aujourd’hui ! Moi, je parle au plus grand nombre. Et puis le terme de jet set me semble un peu démodé. Il correspondait à une époque. Il a perdu son sens aujourd’hui. Il y a tellement de mixité, de monde qui se mélange. Ce n’est plus le Saint-Tropez d’il y a 20 ans où on venait regarder les vedettes. A l’ère d’Internet, le monde a beaucoup évolué.

Vous faites aussi des expositions à ciel ouvert, comme ce sublime ours blanc que vous campez sur les hauteurs de Val d’Isère, au sommet de la montagne. Mais aussi des expositions dans les rues de Paris, comme au Village Royal. Où pourrons-nous croiser vos prochains bébés ?

J’expose en ce moment à Saulieu, avec François Pompon, qui est l’un des plus grands sculpteurs animaliers du 20ème siècle. Le Musée de Saulieu organise une exposition intitulée « Le Choc des Titans ». Ce sculpteur a fait un ours polaire qui est très emblématique. Donc, on a mis mon ours polaire avec le sien ! C’est une rétrospective tout à fait intéressante. Sinon, effectivement, j’ai exposé l’année dernière au Village Royal à Paris, c’était une très belle exposition. Nous allons sûrement renouveler l’opération en septembre prochain d’ailleurs. Mes sculptures sont aussi exposées en ce moment et pour plusieurs mois dans les rues de Montélimar et dans le musée d’art contemporain de la ville. Aujourd’hui, je veux faire plaisir au public. Mon maître-mot, c’est le partage !

© Francis Poirot

En 2014, vous vendez une œuvre pour 15 millions d’euros. Il s’agit d’un Pin-up jaillissant de la bouche d’un crocodile en or. Cette nouvelle Vénus ne sort pas des eaux mais des mâchoires acérées d’un crocodile. Est-ce à dire que le monde contemporain est particulièrement cruel pour la femme, que l’homme « est un loup » pour la femme, que c’en est fini de l’amour courtois ?

En réalité, cette œuvre est assez étonnante parce qu’on peut l’interpréter de plusieurs façons. Je ne veux pas insuffler une interprétation unique. J’aime bien l’idée que les gens l’interprètent comme ils en ont envie. J’aime cette liberté. La Pin-up peut sortir du crocodile mais elle peut y rentrer aussi ! On ne sait pas dans quel sens cela se passe. Est-ce que justement, elle en sort pour s’échapper, pour se désaliéner, pour sortir de l’emprise ?

Oui, mais le crocodile est un prédateur vorace, cela signifie que la femme est menacée, qu’elle est une proie…

Malheureusement, de tout temps, la femme l’a été. Les femmes sont en butte au sexisme, à la violence conjugale, aux agressions etc. C’est pour cette raison que je soutiens beaucoup d’associations qui défendent les conditions de la femme dans le monde, comme l’association Womanity.

J’insiste ! Mais si la femme rentre dans le crocodile, celui-ci la dévore aussi !

Je n’y ai pas pensé au moment de réaliser cette sculpture ! J’éprouve une envie de création immédiate, un élan, mais je ne sais pas forcément pourquoi. Je réalise des choses et je réfléchis après. Ensuite, les observateurs soulignent ou non le manque de relation entre une œuvre et une autre. Or, il y en a toujours une. Pour la bonne raison que ces œuvres sortent toutes de moi ! Mais je n’en suis pas toujours conscient tout de suite.

Lacan disait : « l’art c’est l’inconscient qui parle à l’inconscient »…

C’est ça ! C’est mon inconscient qui me parle. Ce qui explique que c’est parfois bien après que je comprends pourquoi j’ai fait une œuvre…

Simone de Beauvoir soulignait à propos de la femme qu’il n’y avait pas d’autre alternative que « bête de sexe ou bête de somme ». Pensez-vous que la femme contemporaine doit rentrer dans le moule pour plaire ? Ne reste-il donc à nos contemporains que la performance et la compétition, comme l’écrit Michel Houellebecq ?

J’ai beaucoup d’amies qui se livrent à moi et qui me font part des difficultés d’être une femme, aujourd’hui encore. Bien sûr les mentalités évoluent mais pas aussi vite qu’elles le devraient. Les diktats physiques par exemple sont aujourd’hui très forts. L’essor de la chirurgie esthétique est révélateur de nos nouveaux canons de beauté et de notre quête perpétuelle de jeunesse. Mais tout ce qui était réservé aux femmes, cette course effrénée vers la perfection, l’homme y participe de plus en plus.

Mais vous, vous soumettez-vous à ces diktats ou les envoyez-vous promener ?

Moi, je suis un esthète, je suis toujours en quête de perfection pour mes œuvres. J’aime qu’une sculpture soit parfaitement finie, aboutie. Bien sûr, quand on est esthète, on apprécie ce qui est beau. De là à dire que c’est un diktat, c’est ridicule. Je pense que l’être humain est composé de pas mal de facettes, il faut savoir aussi être raisonnable et avoir du recul par rapport aux choses. L’excès n’est jamais bon dans rien. Tout cela est valable dans notre société occidentale. Mais en allant dans d’autres sociétés, on découvre vite qu’ils n’ont pas les mêmes codes. Nos codes occidentaux ne sont pas universels.

Vous ne cessez de montrer la cruauté du monde contemporain, un monde très hostile avec des mâchoires de prédateurs, ou sa vacuité, avec une sculpture par exemple symbolisant un pantalon, un jean vide… Ce jean symbolise-t-il la société de consommation, le consumérisme effréné ?

Non ! Le jean est vivant, il est flottant, il est déboutonné. Avec lui, je représente une icône. Comme l’a fait Andy Warhol, mon modèle, à son époque. Le jean, c’était plutôt une façon de représenter la sensualité. D’ailleurs, dans certains pays, je ne peux pas vendre cette sculpture, elle est considérée comme trop sensuelle. A ce propos, on ne sait pas si c’est le pantalon d’un homme ou d’une femme… C’est l’action que je souhaitais représenter, le côté vivant. C’est difficile de représenter un jean vivant ! Et puis le jean a participé à mon histoire, je suis né avec le jean. Nous sommes les enfants du jean. Il a été le pantalon le plus vendu au monde !

Dans votre œuvre, à la violence vous répondez par la douceur; à la destruction, vous opposez la vie; à la férocité, vous répondez par l’amour… D’accord avec ça ?

Complètement !

Vous sculptures sont très graphiques, avec des pliages, des arrêtes, des facettes. Ce miroir à facettes, est-ce pour refléter toutes les facettes de l’être humain ?

Mes sculptures sont taillées à facettes comme un diamant. D’où une certaine brillance, un éclat particulier. Mais ces facettes, c’est aussi un mélange de symboles. Ce subtil cristal nous éclaire sur nous-même…

Ces facettes sont-elles toujours positives ou y a-t-il des faces cachées ?

Non, je suis quelqu’un de très positif même quand j’interprète une tête de mort !

Toutes les stars raffolent de vos sculptures. Sharon Stone fut l’une de vos premières admiratrices. Elle possède plusieurs sculptures de vous. Justin Bieber a devant sa piscine deux de vos crocodiles bleu, un petit et un grand. Paul McCartney a une guitare en aluminium de vous…

J’ai aussi parmi mes collectionneurs des stars de l’Est, en Inde, partout. Pas seulement des stars américaines connues des occidentaux ! Mais ce n’est vraiment pas le plus important pour moi, connu ou pas, aisé financièrement ou pas, spécialiste ou néophyte, je veux que celui qui acquiert mes œuvres en éprouve un réel plaisir, de la joie même.

Qu’éprouvez-vous à essaimer ainsi vos sculptures aux quatre coins du monde ?

Je rentre complètement dans le concept de partage. Je ne cherche pas la notoriété ou la reconnaissance pour la reconnaissance. Ce que je veux, c’est pouvoir partager avec le plus grand nombre. Plus je partage, plus je suis content !

Cela vous rend heureux de rendre heureux les gens ?

Exactement ! C’est ce que je donne qui m’intéresse ! La dernière fois, on a remis à un collectionneur une panthère pour un événement. Il m’a pris dans ses bras, il était incroyablement ému… Pareil pour les enfants ou les personnes plus âgées. Dès qu’une émotion passe, j’ai tout gagné !

© Francis Poirot

Vous sculptez la résine mais aussi les notes. Vous avez signé deux singles : « Heartbeat » puis « Paradise », des tubes qui ont fait danser la planète entière. Avez-vous d’autres projets musicaux ?

Oui, j’ai un premier album en préparation, contenant une vingtaine de titres.

Et des spectacles aussi ?

Je travaille à un spectacle interactif pour 2019, dans lequel je ferai participer le public. Ce qui me dérange dans les spectacles actuels, c’est le côté passif. Je préfère que le spectateur se sente sollicité afin de favoriser une communion entre le spectacle et le spectateur. Dans ce futur spectacle, j’aimerais faire partager une expérience multi-sensorielle aux spectateurs-participants. Nous ferons appel aussi à toutes les émotions : musique, théâtre, humour. Ce sera quelque chose d’assez complet et d’assez nouveau. J’ai besoin de faire des choses qui me plaisent à moi aussi. Quand je fais une sculpture, il faut qu’elle puisse être dans mon salon, que j’ai envie de la contempler tous les jours. Quand je vais à un spectacle ou au théâtre, je n’ai pas envie de m’ennuyer. Donc, je vais créer un spectacle, où on sera en même temps spectateur et acteur !

Vous avez sorti aussi un livre !

En mai 2017 chez Michel Lafon : « Richard Orlinski. Pourquoi j’ai cassé les codes. » C’est un livre assez pédagogique qui explique, en toute humilité, mon parcours, les embûches que j’ai pu rencontrer, etc. A chaque fin de chapitre, je donne les codes qui m’ont aidé, en me disant que cela peut servir à d’autres pour aller plus vite, pour éviter de perdre du temps. Il y a pas mal de messages aussi. C’est ma première bio ! Auparavant, j’ai déjà fait des livres, mais c’était des livres d’art…

Des sculptures, des CD, un film au cinéma « Les Effarés » dans lequel vous allez tourner bientôt, une biographie, vous êtes dans une dynamique créatrice incroyable !

On n’a qu’une vie ! Comme disait Moustaki « Nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer ! »

Vous dévorez la vie…

Faut avouer que je n’ai plus vingt ans non plus ! C’est aussi une façon de conjurer la mort…

Vous construisez, édifiez, créez pour détruire la destruction. Pour arrêter la mort ?

C’est très fort chez moi, cette angoisse de la mort depuis que je suis tout petit. C’est ce qui fait que j’ai envie de faire en un an ce que d’autres font en dix ou vingt ans ! Du coup, je cours toujours après le temps. C’est physiquement très éprouvant, c’est beaucoup de stress, mais bon c’est un moteur fabuleux !

Finalement, vous êtes un homme extrêmement sensible…

Oui, c’est sûr, mais je cache beaucoup ma sensibilité. Disons que je donne parfaitement le change. J’ai créé une armure autour de moi pour me protéger. Je n’ai pas le choix. Parfois, ce bouclier se révèle ennuyeux parce qu’il m’empêche de ressentir des émotions. Mais c’est nécessaire parce que des flèches, on en prend dans tous les sens. Quand on a une certaine notoriété, le succès est parfois difficile à gérer.

Quand on est au centre, on est la cible…

Voilà ! Il faut se protéger !

Richard Orlinski, vous semblez tout avoir… Qu’est-ce qui vous manque encore ?

Tout !

Qu’est-ce qui vous fait vibrer ?

La peinture, la sculpture, la musique. Bref, l’art sous toutes ses formes ! C’est aussi tout ce que peut apporter la vie, les enfants. Par ailleurs, je suis très impliqué dans plusieurs causes caritatives. Je fais, par exemple, des ateliers à Garches pour les enfants malades. J’ai animé récemment un atelier artistique où l’on réalise avec les enfants des petits modelages, de la peinture, des dessins. Il y avait là une petite fille extrêmement douée qui produisait à main levée des choses incroyables. Je lui ai dit : « Tiens dans mon prochain bouquin d’art, je publierai ton dessin ! » Je l’avais déjà fait pour les enfants malades de l’hôpital Necker. Donc, le soir je rentre, les médecins et les personnes de l’association me remercient. Soudain, la Présidente de l’association vient vers moi et me dit : « Te rends-tu compte de ce qui s’est passé aujourd’hui ? Je lui rétorque un peu surpris « Non, que s’est-il passé ? », « La petite fille avec qui tu as parlé, elle n’avait jamais parlé auparavant… » J’ai trouvé ça incroyable ! Bien sûr, ce n’est pas grâce à moi, c’est un concours de circonstances, mais c’est à ce moment précis qu’elle s’est exprimée. Pour moi, c’était extrêmement émouvant. Si on fait des choses pour les enfants, ils nous apportent souvent plus que nous ne leur apportons…

Qu’est-ce qui vous rend heureux ?

Ce genre de démonstration, vous voyez, me rend heureux ! Cela remplit, c’est un vrai bonheur…

Richard Orlinski, quelle est votre devise ?

Take the best fuck the rest ! (prendre le meilleur et laisser le reste.)

Enfin, estimez-vous que vous êtes notre Jeff Koons français ?

Non ! Mais j’ai déjà eu cette comparaison. Elle ne me dérange pas d’ailleurs.

C’est une comparaison flatteuse…

C’est drôle ce que vous dites, parce qu’il y a 5 ans, il a un critique d’art qui a écrit un article très virulent, très destructeur au sujet de l’art contemporain et surtout des artistes contemporains, et j’étais dans le lot ! Il faisait un parallèle entre le Balloon Dog de Jeff Koons et le Born Wild d’Orlinski, or cette comparaison m’a fait plaisir parce qu’alors je n’avais pas la notoriété que j’ai aujourd’hui. Le journaliste me mettait au niveau de Jeff Koons. Je me suis dit tiens si je suis considéré comme Jeff Koons, du coup c’était très positif pour moi. Cela ne me dérange pas du tout d’ailleurs, on n’a pas la même vision, mais je trouve que ce qu’il fait est intéressant. Il assume ce qu’il fait, et j’aime beaucoup sa démarche. Moi, de la même façon, j’assume de ne pas faire toutes mes sculptures, la plupart de mes sculptures sont faites par mes équipes, je n’ai aucun problème avec ça. A l’époque, c’est déjà ce que l’on faisait. Les gens ne le savent pas mais Rodin faisait couler ses bronzes par ses collaborateurs. Aujourd’hui, je fais intervenir dix corps de métiers différents, presque cent cinquante personnes, des fondeurs, des mouleurs, des soudeurs, des polisseurs, des peintres, des menuisiers, des marbriers etc., et j’assume. Et Koons aussi assume ça. On le voit à son atelier en costume d’hommes d’affaires. Mais on s’en fiche de son apparence, l’important c’est le message qui est derrière. On aime ou on n’aime pas mais ce qui compte c’est l’œuvre. Peu importe comment l’artiste travaille.

Du 8 février au 9 avril 2017, on pouvait gagner une de vos merveilleuses sculptures en participant à un concours de photos à Courchevel. Quand recommencez-vous cette incroyable dotation ?

Très régulièrement, je fais ce genre d’opération parce que je veux que l’art soit accessible ! Je fais des concours, du dumping sur des œuvres, je les vends moins chères que leur prix de revient. Un jour, je suis passé chez Cauet, dans une grande radio, où j’ai proposé des œuvres. Et à ma grande surprise, j’ai découvert que les jeunes étaient très intéressés. Je pensais que ce qui les passionnait c’était la musique, c’est faux. Ils étaient aussi très réceptifs à la sculpture. J’ai même eu des demandes sur mon site. Certains m’écrivaient pour me dire qu’ils aimeraient bien avoir des oeuvres de moi ! Donc, derrière ça, j’ai lancé des petits événements, des concours etc. J’ai même fait des concours de Pokémon. J’essaye d’être dans l’actualité, de toucher, de parler à tout le monde, du plus petit au plus grand.

Vous êtes un véritable bienfaiteur !

Non ! J’essaye simplement de redistribuer !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Paru le 24 mai 2017, livre de Richard Orlinski : « Pourquoi j’ai cassé les codes » aux éditions Michel Lafon.