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L’HOMME DE DIEU

Mercredi 9 mars sort en salle L’homme de Dieu. Attention chef-d’oeuvre. Ce film éblouissant, pétri de foi, sonne le réveil des consciences. Il combat nos coeurs endurcis, dessille nos yeux aveugles, agit comme un philtre d’amour, en nous réconciliant avec l’au-delà. Après avoir visionné ce biopic dépeignant la vie de saint Nektarios, impossible de douter de l’existence de Dieu, impossible de ne plus croire aux miracles. C’est la cinéaste serbo-américaine Yelena Popovic qui signe cette divine surprise. Primé onze fois, grand succès au box-office international, ce film salutaire est une véritable bénédiction pour l’homme contemporain souvent en proie à un sentiment de déréliction. Comme le souligne sa réalisatrice : « La vie de saint Nektarios est un exemple sur la façon dont nous devrions vivre et mourir. » En si peu de mots, tout est dit. Qui fut donc saint Nektarios ? Un homme saint qui préféra l’abnégation à l’égoïsme, l’humilité à la gloire, la fraternité à l’hostilité, la joie à la révolte, le don à la jalousie, la prière aux vanités. Un être qui, toute sa vie, souffrit de l’injustice, de la calomnie, de la persécution mais n’en fut pas vaincu. Un bienheureux qui, malgré les épreuves, garda toujours la foi, en faisant de sa vie un exemple. Ce théologien admiré et aimé du peuple, passa le plus clair de son temps à se corriger intérieurement comme pour mieux se rapprocher de Dieu. Convaincu que Dieu le rendait plus vivant. Et qu’il fallait aimer son destin, cet amor fati nietzschéen, cette acceptation qui conduit à la paix intérieure. Si ce film est magnifique et poignant c’est parce qu’il puise inlassablement dans l’empathie de sa réalisatrice. Par son regard bienveillant, sa foi vibrante, Yelena Popovic partage les souffrances de Nektarios et l’aide à porter sa croix. Sur l’île d’Egine, baignant dans la lumière éclatante de la Grèce, l’oeil de la caméra capte tout : la profondeur des âmes et celle des paysages. Résultat : les images sont d’une beauté à couper le souffle. Et les acteurs émouvants au-delà des mots. Avec L’homme de Dieu, Yelena Popovic fait preuve d’une immense audace en réalisant un film courageux, non convenu, inspiré et inspirant, non mercantile et qui ose dans une époque matérialiste et consumériste parler enfin de spiritualité.

Isabelle Gaudé

L’acteur Aris Servetalis qui joue le rôle de Nektarios et la réalisatrice Yelena Popovic

L’acteur Mickey Rourke et la cinéaste Yelena Popovic
L’avant-première, le 17 février, à Paris, au cinéma Les 7 Parnassiens, du film L’Homme de Dieu

Pour connaître toutes les séances de ce film indépendant cliquez sur ce lien, puis sur « voir toutes les séances » : https://www.sajedistribution.com/film/lhomme-de-dieu.html

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Enfin un Guitry féministe !

C’est la pièce de l’hiver ! Elle a déjà fait un malheur à l’automne 2021 au théâtre Darius Milhaud, où elle se jouait à guichets fermés. Elle revient en 2022, électriser une plus grande salle de la Comédie Saint-Michel. Courez la voir dès le 14 janvier 2022 ! C’est l’évènement immanquable de ce début d’année. Du grand, du très grand Guitry renaît de ses cendres, vivifié comme jamais, qui éclabousse de sa verve et de son brio la Comédie Saint-Michel. Sur scène, c’est une fête de l’esprit, un festival de fulgurances, de faux-semblants sur fond d’adultère, de cruauté et d’amour. Le Mari, la Femme, l’Amant c’est tout simplement un instant de grâce. Et un pari réussi pour sa metteur en scène, une toute jeune femme de 23 ans, Diane Lotus, sans doute l’une des premières à mettre en scène cette pièce du répertoire de Guitry. Le parti pris était osé : jouer « contre » Guitry. Renverser les rôles, choisir le parti des femmes, et non celui des hommes. Défendre joyeusement les droits des femmes : le droit de désirer pour une femme, d’être désirable sans se se sentir coupable, le droit de s’épanouir en dehors du désir masculin, le droit de se soustraire aux diktats maritaux, etc. Un véritable plaidoyer féministe. Et prendre ainsi le fameux misogyne à son propre piège. Les admirateurs de Guitry apprécieront : cette jeune troupe vibrante de passion interprète d’une façon incroyable et novatrice le texte ravageur du maître de l’ironie. On assiste à la naissance d’une compagnie surdouée, d’un naturel insensé, laquelle nous entraîne durant deux heures dans un époustouflant, éblouissant jeu de dupes, drôle, subtil, succulent d’intelligence. On sourit, on rit, on pleure de rire.

A voir absolument

Isabelle Gaudé

La troupe des Coureurs de Jardin © Julien Theuil

Les trois comédiens du Mari, la Femme, l’Amant (de gauche à droite : Judy Passy, Léo Marchand, Diane Lotus) © Julien Theuil

Les comédiens Paul Wilmart et Tiphaine Froid

En alternance, les comédiens Julian Baudoin, Léonardo Parcoret, Judy Passy, Lorette Magnier et Léo Marchand

Les comédiens Léo Marchand et Judy Passy ©Axel Buitrago

©Axel Buitrago
Les Coureurs de Jardin sous les vivats
Ils sont beaux, jeunes, talentueux, venez les applaudir à la Comédie Saint-Michel

La pièce se joue tous les vendredis et samedis à 21h30, du vendredi 14 janvier 2022 au samedi 7 mai 2022, à La Comédie Saint-Michel, 95 bd Saint-Michel, 75005 Paris.

Site officiel des Coureurs de Jardin : https://lescoureursdejardin.fr/

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Le Studio Harcourt

L’actrice Caterina Murino

Aujourd’hui, nous avions rendez-vous avec la directrice générale du Studio Harcourt, Catherine Renard, pour un entretien à bâtons rompus sur l’art du Portrait. Confinement oblige, l’interview a été reportée. Pour patienter, cap sur ces appels de fiction dont parlait Roland Barthes, splendeurs inaltérables, immatérielles, intemporelles, désincarnées que sont les actrices, acteurs et leurs portraits Harcourt. Car il s’agit bien de cela au Studio Harcourt. Dans cette fabrique à rêves, on métamorphose le réel en irréalité. On transmue le vivant en imaginaire. On fait surgir d’un acteur ou d’une actrice « un dieu ou une déesse, éternellement jeune, fixé à jamais au sommet de sa beauté. » Un être éthéré, évanescent, dont l’apparence immarcescible, à l’opposé du Portrait de Dorian Gray, échappe au temps, au vieillissement et à la mort. Non content de fixer l’éternité dans un instant, le portrait Harcourt offre au comédien une carte d’identité, une intronisation dans le métier d’acteur, et une place dans le Panthéon des Stars. Il lui accorde aussi la chance de s’inscrire dans cette mémoire mythique de la photographie, celle qui appartient au plus ancien et au plus célèbre studio de photographie. Reconnaissance suprême, véritable estampille, le portrait Harcourt fait penser à cette empreinte que les acteurs américains laissent sur Hollywood Boulevard. Histoire d’immortaliser leur passage au cinéma et sur terre. Loin de l’inflation narcissique actuelle où chacun s’expose, s’exhibe, se donne à voir, s’auto-séduit en se contemplant, le Studio Harcourt apparaît comme un lieu de résistance. Ici, la vanité n’est pas de mise. On ne vient pas chercher dans son Portrait Harcourt le quart d’heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol, on vient chercher quelque chose qui vous échappe, une part secrète, inconnue, mystérieuse, inconsciente de soi, mise en lumière par l’objectif du Studio. Où l’on comprend mieux que la surface est le miroir de la profondeur. Dans ce clair-obscur, la psyché se révèle…

Isabelle Gaudé

©Diane Lotus. Les coulisses du Studio Harcourt
L’actrice Romy Schneider
L’actrice Cate Blanchett
© Diane Lotus. Le plateau photo du Studio Harcourt

L’acteur Nicolas Duvauchelle
L’astronaute Thomas Pesquet
L’homme d’affaires Antoine Arnault
L’actrice Hélène de Fougerolles
©Diane Lotus. Le mythique Studio Harcourt

L’acteur Jean Dujardin

L’actrice Béatrice Rosen

L’actrice Marion Cotillard

L’acteur Matthias Schoenaerts

© Diane Lotus. L’acteur John Malkovich au Studio Harcourt

L’écrivain Leïla Slimani
L’actrice Aïssa Maïga
La directrice générale du Studio Harcourt, Catherine Renard
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Le retour du réel

Avec « Toute ressemblance…» (avec le monde réel, existant ou ayant existé, est purement fortuite…), Michel Denisot signe un premier film très réussi, intelligent et particulièrement jubilatoire. Il épingle avec élégance la métamorphose insidieuse du monde contemporain. Où comment cette société du spectacle, totalement asservie à l’impérialisme de l’image, qui comme l’écrivait Guy Debord « est la négation de la vie réelle », impose sa loi et finit par abolir la vitalité humaine. Quid de l’histoire ? D’abord, c’est une plongée palpitante dans les coulisses du JT d’une grande chaîne télévisuelle. A travers le personnage de Cédric Saint Guérande, le fantastique Franck Dubosc, présentateur vedette du 20h, on réalise très vite qu’en 2019, le pouvoir médiatique ne s’embarrasse pas de détails. Il n’admet tout simplement aucun contre-pouvoir… Exit le doute, la vérité, le réel, et pratiquement le politique (qui pour s’exprimer doit montrer patte blanche ! ) Dans cette ambiance quasi totalitaire mais bon enfant, l’image incarne la pensée dominante ou la doxa, et le présentateur du JT s’arroge tous les droits, comme celui de choisir à loisir d’informer ou de désinformer, de falsifier le réel ou de l’embellir. Il contrôle tout. Nul ne réagit face à ses écarts : aveuglé par le pouvoir de la petite lucarne, c’est l’assentiment immédiat, la crédulité absolue du côté du spectateur. Dans ce joli monde conçu comme représentation, notre Cédric Saint Guérande, œil de velours et séduction toute en retenue, trône aux cimes de l’audimat, adulé et vénéré par des millions de téléspectateurs. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où un nouveau patron de chaîne vient détruire cette belle harmonie. Alors que CSG, dopé au succès et aux amphétamines, consacre le plus clair de son temps à s’étourdir dans une vie festive en totale immersion dans sa bulle matricielle (bonjour la fusion intra-utérine !), ce bébé humain qui a de plus en plus de mal à devenir adulte (régression quand tu nous tiens…) va devoir revenir sur terre. Le grand patron a décidé de rajeunir et de féminiser le 20 heures. La guerre est donc déclarée. N’écoutant que son ego surdimensionné (lequel apparaît en réalité bien vacillant puisqu’il éprouve en permanence le besoin d’être rassuré par le regard d’autrui), CSG affronte son patron (symbole du père ? de la loi ?). Enragé à liquider son rival (à tuer le père ?) à n’accepter aucune hiérarchie ou pire par incapacité contemporaine à reconnaître l’Autre, CSG commence sa chute. On le découvre alors plus spectateur qu’acteur de sa vie, incapable de se réconcilier avec le réel, aliéné qu’il est par l’image, ses faux semblants, son cortège de paraître et d’apparences, quasiment condamné à la solitude. Et c’est là où Michel Denisot fait preuve d’une subtilité rare. Il offre à la splendide Caterina Murino, belle à couper le souffle dans ce film, la chance d’incarner le réel. Son personnage Elisa symbolise la vraie vie. Le réel dans ce qu’il a de plus imprévisible, de moins contrôlable. Elisa d’abord c’est l’amour. L’amour, cet invisible dans ce monde trop plein de visible. Elisa la vivante, la vibrante, qui refuse les faux-semblants et les mensonges, qui s’échappe car rien ne peut la contrôler sinon la passion. « Ne te courbe que pour aimer et si tu meurs, tu aimes encore » disait René Char. Aveuglé par le pouvoir médiatique et ses fantasmes de toute-puissance, CSG a perdu de vue l’essentiel, il est passé à côté de la vie réelle. Il intuitionne pourtant que la vraie vie est ailleurs et que quelque chose sur terre libère comme l’amour réel…

D’apparence léger, ce film est une remarquable réflexion sur le réel. Il ne peut être qu’accueilli qu’avec ferveur puisqu’en le visionnant sur le grand écran, peut-être deviendrons-nous plus lucides, plus réalistes, et même voyants face au petit écran…

En attendant, nous avons voulu rencontrer l’incarnation du réel (et l’incarnation de la beauté) !

Conversation à bâtons rompus avec Caterina Murino

L’actrice Caterina Murino

Caterina Murino, vous venez de crever l’écran dans la série télévisée « Le temps est assassin » adaptée du roman de Michel Bussi. Cette série en 8 épisodes diffusée sur TF1 a réuni plus de 6,3 millions de spectateurs par semaine. Un véritable succès. Comment avez-vous vécu ce tournage ?

Avec beaucoup d’émotion. C’était un rôle puissant, d’une belle intensité dramatique. Les productrices et le réalisateur m’ont fait un très beau cadeau en me confiant le personnage de Palma. Celui d’une femme trompée qui veut protéger sa famille et se bat pour elle jusqu’au bout. Cette histoire c’est d’abord un magnifique travail d’écriture de Michel Bussi. Et puis un travail d’adaptation qui donne naissance à un scénario haletant. Mes partenaires étaient tous flamboyants dans ce décor sublime qu’est la Corse, la Corse qui finalement demeure la vedette de la série. Enfin, je suis très reconnaissante au public français de nous avoir suivis avec passion d’épisode en épisode jusqu’au dénouement.  

Depuis ces records d’audience, les passants vous reconnaissent-ils davantage dans la rue ?

Non ! Les gens s’imaginent que le but ultime des acteurs dans la vie, c’est d’être reconnu dans la rue. Mais c’est terrible de croire ça ! Moi, cela ne m’intéresse pas du tout. Par contre, j’ai reçu de magnifiques textos, de messages vraiment incroyables sur les réseaux sociaux. Des mots sincères et touchants qui me réchauffaient le cœur. Quelqu’un m’a même écrit un message bouleversant parce mon personnage l’avait touché. Des femmes, des téléspectatrices qui s’étaient identifiées au vécu de Palma m’ont raconté leur histoire. Je suis en émerveillement devant tant de générosité et d’empathie.

Elisa (Caterina Murino) et Cédric Saint Guérande (Franck Dubosc) dans le film « Toute ressemblance… »

Le mercredi 27 novembre est sorti le film très attendu de Michel Denisot « Toute ressemblance… » Vous a-t-il contacté directement ou avez-vous passé un casting pour décrocher le rôle principal féminin ?

Je n’ai pas passé de casting. Je connaissais déjà Michel Denisot. Je l’avais rencontré il y a quelques années lorsqu’il présentait sur Canal +, le Grand Journal. Nous nous sommes revus lors d’un déjeuner qui a duré plus de trois heures. J’avais face à moi quelqu’un d’extrêmement cultivé, d’extrêmement élégant, d’extrêmement gentil, à l’humour piquant, toutes ces qualités que j’ai retrouvé dans le film.

Durant des années, le journaliste Michel Denisot a reçu dans son Grand Journal (et à Cannes) les plus belles actrices du monde. Et c’est à vous qu’il a pensé pour incarner Elisa. Vous éclipsez toutes les autres… Est-ce parce que vous êtes l’une des actrices les plus charismatiques de votre génération ?

Ah non ! Je ne crois pas !

Pourtant, dès le début, Michel Denisot avait déjà dans l’idée que ce serait vous !

Je savais depuis plus d’un an que Michel Denisot préparait son film. Même si j’avais son numéro de portable, je n’ai pas cherché à le joindre, encore moins à le solliciter pour le rôle. C’est mon ex-agent qui, un jour, m’a contacté en me disant « Ecoute, Michel voudrait te rencontrer pour te parler de son film ». Et j’étais, comme vous le dites, très étonnée qu’avec toutes les actrices susceptibles d’interpréter le rôle d’Elisa, il ait pensé à moi ! Merci Michel !

L’actrice Caterina Murino (photo Paris Match)

Rien d’étonnant à cela, vous êtes une actrice incandescente !  

Trop gentil ! Mais ce qui était touchant c’est que Michel Denisot et Olivier Kahn ont vraiment lutté pour m’avoir. Le tournage de la série « Le Temps est assassin » et le tournage de « Toute ressemblance… » ont débuté en même temps, le 4 septembre 2018. L’un à Paris, l’autre en Corse. Donc, durant huit semaines, j’ai pris un avion tous les jours, pour faire Paris-Corse. Dimanche, j’atterrissais en Corse pour y tourner le lundi. Et dès le lundi soir, je reprenais un avion pour rentrer à Paris et y tourner dès le mardi matin. Le mardi soir, à nouveau l’avion et ainsi de suite tous les jours et ce, durant deux mois !  

Vous deviez être épuisée ?

Je n’y comprenais rien en fait ! Mais j’étais très heureuse parce qu’Elisa ne ressemblait pas à Palma ! Et qu’interpréter deux rôles en même temps me galvanisait !

Sur le plateau du Quotidien, Yann Barthès reçoit l’équipe du film, l’acteur Franck Dubosc, le réalisateur Michel Denisot, l’actrice Caterina Murino et l’acteur Jérôme Commandeur

« Toute ressemblance… » est un film sur les coulisses du monde de la télé. Michel Denisot montre l’envers du décor et fait ressortir les ridicules de certains comportements des gens de télé. On découvre un univers de manipulations, de trahisons, d’excès, de coup bas, de jeux de pouvoir mais aussi d’addiction à la drogue…

Oui ! Michel voulait révéler au public certaines vérités sur les médias. Il m’a donné un personnage proche de moi car je ne bois pas, je n’ai jamais touché une cigarette ni touché à la drogue. C’est un rôle qui dit non à tout ça. Cette femme porte à son compagnon un amour sincère et elle tente de lui faire comprendre que la vie c’est autre chose que l’égo et la drogue.

Que cherche Elisa dans la vie ?

A un certain moment, Elisa va quitter Cédric. Elle ne veut plus voir son compagnon sombrer dans les addictions. Elle ne l’accepte plus. Elle recherche l’intégrité chez un homme. C’est une femme qui n’est pas dans le paraitre. Elle possède une certaine richesse de l’âme et n’a pas besoin de faux-semblants pour avoir le sentiment d’exister. Peu lui importe que son compagnon soit chaque soir vénéré par six millions de téléspectateurs. Elle ne recherche ni la célébrité ni la reconnaissance. C’est une femme ancrée dans l’existence, qui veut simplement vivre dans la vraie vie, et non dans un monde de paillettes saturé d’apparences.  

Est-ce la première fois que vous tourniez avec Franck Dubosc. Est-il drôle et sympathique comme dans « Camping » ?  

Oui, absolument, c’est la première fois ! Et non, il est beaucoup mieux que ça ! Cela a été une vraie surprise pour moi. C’est un homme qui n’a rien à voir avec son image. C’est un homme humble, attentionné, prévenant, qui écoute les conseils de tout le monde. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Si j’avais bêtement des a priori à cause de cette image trop réductrice de son rôle dans « Camping », j’ai découvert un magnifique compagnon de voyage…

Lors de l’avant-première du film « Toute ressemblance… », le lundi 25 novembre, Franck Dubosc et son épouse, Danièle.

Dans toute ressemblance, Franck Dubosc incarne le présentateur préféré des Français. Il est beau, riche, célèbre. Chaque jour, il fait vibrer la France entière. Mais lui, qu’est-ce qui le fait vibrer ? Le pouvoir est sa drogue. Est-il dans l’illusion infantile de la toute-puissance ? Son succès lui donne-t-il un sentiment d’impunité ?

Totalement ! Il se drogue au pouvoir. Et la drogue réelle l’amène à penser qu’il est un Dieu… Finalement, il perd un peu la tête…

D’ailleurs, dans « Toute ressemblance », Franck Dubosc affirme qu’il est le Roi. Il est le roi, le roi du monde qui règne sur le réel grâce à la régence télévisuelle. Il a sa cour, ses codes, ses courtisans. Il se sent indétrônable. Jusqu’à l’arrivée du nouveau président de la chaine incarné Denis Podalydès, qui veut sa tête…

C’est la guerre des égos ! Entre celui qui rafle tous les succès, le présentateur du JT et son patron qui  est aux manettes de la chaîne. L’égo du boss est dérangé par le triomphe de Franck Dubosc. Il s’énerve à tort – car au lieu de penser au succès de la boite dont il a la gestion – il s’agace que les records d’audience ne viennent pas de lui mais de Cédric.

Cédric de Saint Guérande, dit CSG, affirme au début du film «  Mon paradis, c’est ça : avoir tous vos yeux braqués sur moi, tous les soirs ». Dans l’ère visuelle, être visible, être partout sur les réseaux sociaux, être vu par tout le monde, passer à la télé, capter l’attention de tous, c’est devenu le nec plus ultra. Pour vous, être actrice, c’est se mirer et s’admirer dans les yeux des spectateurs ?

Non, pas pour moi ! Etre actrice c’est arriver à donner une âme et un corps à de l’encre tracée sur du papier. Mais aussi offrir une parole et raconter une histoire qui grâce à un écran, peut amener à un combat.  

Lors de l’avant-première du film « Toute ressemblance… », le réalisateur Michel Denisot et son épouse, Martine.

Les acteurs dépendent-ils du désir des réalisateurs ?

Toujours ! Il faut rentrer dans leur imaginaire. Pour le rôle de Palma, les productrices Isabelle et Aline m’ont dit dès le début, Palma c’est toi ! Mais ça c’est rare… C’est comme une grâce… Car, malheureusement nous ne sommes pas uniques au monde et chaque actrice a le pouvoir d’interpréter n’importe quel rôle.

 Est-ce que plus on vous voit à l’écran, plus les réalisateurs pensent à vous pour un rôle ?

Il y a les deux. Quand on voit trop un acteur, cela peut engendrer un phénomène de lassitude. Et quand on ne le voit pas assez, on peut l’oublier !

 

Le réalisateur du film « Toute ressemblance » Michel Denisot

Avez-vous une actualité théâtrale ?

Oui, cela fait deux ans que je fais une tournée théâtrale en Italie, qui se terminera le 8 mars prochain. Je joue dans la pièce « Huit femmes » de Robert Thomas, adaptée cinématographiquement par François Ozon en 2002.

Aimeriez-vous jouer au théâtre à Paris ?

J’aimerais tellement ! Je suis une grande fan d’Alexis Michalik, le metteur en scène qui a monté « Intra Muros », « Edmond » et « Loin ». C’est un jeune metteur en scène qui a un talent fou. En découvrant ses spectacles, on voit qu’il est amoureux du théâtre, qu’il a inventé un nouveau code du langage théâtral, qu’il dirige merveilleusement ses comédiens. Pour moi, ce serait un rêve de travailler avec lui…

 Et du côté du cinéma, y-a-t-il un réalisateur avec qui vous aimeriez jouer ?

Il y en a beaucoup ! Dernièrement, j’ai vu « Les Misérables ». C’est un très jeune metteur en scène, il a su raconter une histoire proche de lui. On voit qu’il a compris tout de suite, les codes du cinéma. Il raconte quelque chose de quotidien mais de bouleversant avec une énergie et une force qui vont droit au but. C’est un film « coup de poing ». J’aimerais tourner avec Ladj Ly.

Vous êtes une femme vraie, entière, extrêmement généreuse. Donner du bonheur aux autres vous rend heureuse. Et vous, qu’est-ce qui vous fait du bien à l’âme ?

On a perdu de vue ce qui faisait l’essentiel de la vie. La vie c’est la normalité, la quotidienneté. Par chance, la vie m’a donné des choses un peu extraordinaires, mais moi ce que j’adore c’est le quotidien ! Sans doute que si je n’avais que du quotidien dans ma vie, je m’en lasserai. Mais aujourd’hui, faire les courses, voir des amis, dîner avec mon fiancé, recevoir ma famille, passer un samedi soir à regarder la télé sous la couette, c’est simple, pour moi, c’est le bonheur !  

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

L’actrice Caterina Murino
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Le Meilleur de 2019 en livres et en images

La panthère des neiges, © Vincent Munier
Sylvain Tesson « Le face-à-face avec l’animal, c’est la véritable expérience de l’Altérité »
Peter Handke : « Ecoutez: ma route, mon droit, le dernier chemin libre sur notre planète – je veux le défendre.
Je veux ? Je dois. C’est mon rôle »
Un spectacle au théâtre national de la Colline, du 3 au 29 mars 2020. Distribution : De Peter Handke, mise en scène Alain Françon. Avec Pierre-François GarelGilles PrivatSophie SeminDominique Valadié.

Jérôme Garcin : « Il est si jeune encore et il y a tant de rôles à endosser, tant de vies imaginaires à épouser, tant de mues à faire et de peaux neuves à porter »

Riss : « Quand on émerge vivant d’une telle horreur, on n’a pas envie de retrouver intactes, toujours aussi triomphantes, la bêtise et la médiocrité.
Comme si rien n’avait changé (…)
On n’ose pas s’exprimer de peur de choquer, d’être incompris puis rejeté. Pour revenir parmi les vivants, on ne dit rien qui pourrait nous en exclure.
Car la vie ne nous est pas due. Mais seulement accordée »
Michel Desmurget : « Notre société a compris qu’il était de toute première importance de fabriquer les personnels acculturés dont le marché avait besoin. (…) Le rêve de l’industriel, c’est l’ilote, l’esclave sans conscience des sociétés antiques, le Crétin des sociétés modernes. »

I.G







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Les bonbons de Laurence Jenkell illuminent l’avenue George V

La sculptrice française Laurence Jenkell

Célébrée partout dans le monde (Dubaï, Miami, New-York, Monaco, Hong Kong, Séoul etc. ) pour ses sucreries en plexiglas, Bonbon-drapeau ou Wrapping, l’artiste française Laurence Jenkell est en passe de devenir aux Etats-Unis aussi célèbre que Jeff Koons. Pour ne citer que New York, c’est tantôt une exposition en plein air sur Madison Avenue, tantôt un parcours d’art au Port Authority Bus Terminal (la plus grande gare routière au monde avec ses 70 millions de passagers par an.) Les Américains l’adorent et c’est justice car ses berlingots appétissants, ludiques, aux couleurs franches, pop, bariolées ou acidulées, ces papillotes éclatantes qui décorent les rues de New York, font le bonheur des passants. Leur glacis coloré, léger et joyeux donne l’eau à la bouche, suscitant en nous une envie régressive de succion. Grâce aux sculptures Bonbon de Laurence Jenkell, c’est toute la société qui retombe en enfance… Et c’est merveille. Car ces sculptures ludiques, source de douceur, de tendresse et de réconfort, nous font du bien. Véritables madeleines de Proust, accélérateurs de mémoire, capteurs d’éternité, les Bonbons de Laurence Jenkell déclenchent à notre insu les mécanismes de la mémoire involontaire. A les contempler, émergent en nous la fraîcheur de souvenirs d’enfance oubliés, de fous-rires entre camarades, ces moments joyeux et insouciants où le pur bonheur de la dégustation d’une confiserie sucrée suffisait à nous combler. Le charme opère. Le passé refleurit dans le présent, Laurence Jenkell vient de donner vie aux bonbons et c’est tout simplement délicieux… Sans doute est-ce pour cette raison que cette artiste qui vit et travaille à Vallauris (dans les Alpes-Maritimes) rencontre un tel succès : ses bonbons représentent un peu de douceur dans un monde de brutes… Ils font plaisir à voir, parlent et plaisent à tous et à chacun, jeunes ou moins jeunes, sont universels et intemporels. Ils ont l’art de nous replonger dans le monde enchanté de l’enfance. Tant et si bien qu’à l’avenir, on ne pourra plus voir un bonbon sans penser à Laurence Jenkell…

Bonbon de Laurence Jenkell devant La Boutique Louis Vuitton




Bonbons de Laurence Jenkell devant La Boutique Louis Vuitton

L’art est une fête

Ces sculptures Bonbons, les parisiens et autres visiteurs du monde entier pourront les admirer sur toute l’avenue George V (Paris 8ème). Dans ce lieu mythique de Paris, proche des Champs-Elysées, qui accueille du mardi 14 octobre au vendredi 15 novembre 2019 pas moins de 60 œuvres d’artistes contemporains connus et reconnus pour une exposition monumentale et gratuite sur 2 kilomètres. Plus besoin de musée, le beau se tient dehors, à portée de main. Bien sûr, on pourra contempler les oeuvres de Laurence Jenkell devant le magnifique hôtel Prince de Galles où a eu lieu le vernissage de l’exposition le mardi 14 octobre avec ses prestigieux invités, mais aussi devant l’enseigne Vuitton ou Elie Saab. Mais ce n’est pas tout… L’enchantement poétique continue au cours de notre flânerie sur l’avenue George V. On croise des oeuvres de l’icône américaine de la sculpture hyperréaliste, Carole A. Feuerman, qui nous donne à apercevoir des corps plus réels que nature. Elle renouvelle notre vision du monde et nous révèle ce que nous ne voyons plus : la réalité vivante. Avec son style inimitable, elle campe la silhouette adorable d’une jeune nageuse enlaçant un ballon aux couleurs chatoyantes. Là aussi, on retrouve la perfection de la jeunesse, sa douce insouciance, son abandon ravissant. Pure beauté. Sous le soir rosé qui tombe sur l’écrin de verdure de l’avenue George V, c’est un peu de rêve qui nous est donné. Plus loin, on découvre une superbe danseuse de Carole A. Feuerman devant Bulgari. Ou encore un nageur à bonnet de bain doré ornant l’incontournable Fouquet’s. Paradent en bas de l’avenue des bustes en « portrait optique » du peintre et sculpteur Marcos Marin comme sa célèbre sculpture à l’effigie de Neymar ou encore des œuvres de la photographe Charlotte Mano. L’art sort du musée, il sort dans la rue pour notre plus grand plaisir. Accessible à tous, il se laisse appréhender lors d’une promenade en plein air, à ciel ouvert, sous une étoile, un clair de lune ou en plein jour dans notre capitale dédiée à l’Art. Après un peu de douceur, voilà enfin une source infinie de beauté dans un monde que l’on voudrait plein de grâce…

A ne pas manquer…

Sculpture de Carole A. Feuerman

Le
Marcos Marin devant son buste de Neymar

Les danseurs de Carole A. Feuerman

Nageur de Carole A. Feuerman devant le Fouquet’s

Pose du voiturier devant le magnifique Hôtel Prince de Galles en compagnie du Bonbon de Laurence Jenkell

I.G

Orlinski le magnifique

Il est l’artiste français contemporain le plus vendu au monde. Mais il est surtout un immense sculpteur. En quelques années à peine, son œuvre s’est imposée par son audace, son originalité, son inventivité. Quel est le secret de cette victoire ? Un bestiaire à couper le souffle. Des loups blancs, des ours polaires, des gorilles noirs, des crocodiles rouges flashy, des panthères chromées, des lions bleus. Un vestiaire tout aussi éclatant, avec ses perfectos roses, ses jeans argentés, ses stilettos laqués vermillon… Un arc en ciel de couleur pour une fête artistique.

Chez Richard Orlinski, l’ours blanc, le lion doré ou le tigre argenté ne sont pas de simples représentations multicolores mais une présence vivante, palpable, dont on perçoit la chaleur animale. Car Richard Orlinski fait mieux qu’imiter la vie, il la fait naitre sous ses doigts. D’un seul coup, l’animal palpite, vibre, se cabre, rugit. Paradoxalement, c’est en exhibant la violence animale, les crocs effrayants du gorille, les mâchoires acérées des crocodiles, que ces œuvres d’art nous aident à canaliser notre violence humaine, à dominer notre agressivité galopante, à la métamorphoser en douceur et tempérance. Par leur proximité esthétique, ces animaux ont un effet apaisant sur nous. Ils nous obligent à nous réconcilier avec nous-même. Mieux qu’une thérapie, c’est le triomphe de la beauté, de l’harmonie, de l’amour sur nous. Pour ce faire, Richard Orlinski n’a pas besoin de civiliser ses animaux, lesquels « sont plus humains que les humains ». Plus sages aussi. Il les a simplement corrigés à son image. « Voir le monde comme je suis, non comme il est » disait Eluard…

Dès lors, rien de plus beau que cette sculpture monumentale de 6 mètres de haut, campée sur les hauteurs de Val d’Isère, qui flirte avec les nuées. A la verticale, dressé vers le ciel, un ours polaire, immaculé, les pattes lancées vers l’azur en une sublime assomption, en une tendre accolade, nous invite à le rejoindre. Est-ce pour nous étreindre ? La sculpture s’élève, s’accorde, s’encorde à la structure cosmique, aux glaciers, aux cimes, à la montagne magique, au ciel azuréen. La lumière ruisselle sur sa chair transparente. C’est la pesanteur et la grâce. L’immobilité et le dynamisme. Eblouissement.

L’artiste que nous avons rencontré est à la hauteur de ses magnifiques sculptures. Simple, direct, adorable; la marque des grands. D’une belle supériorité morale, généreux, altruiste. On tombe instantanément sous le charme de son optimisme contagieux, comme on tombe immédiatement sous le charme de ses sculptures.

Rencontre avec un artiste au grand cœur.

En quelques années, vous avez réussi l’exploit de devenir l’artiste français contemporain le plus côté au monde. Vos œuvres sont présentes dans plus de 90 galeries aux quatre coins de la planète. L’enfant de quatre ans que vous étiez, qui modelait de petites figurines, serait-il fier de l’adulte que vous êtes devenu ?

Peut-être ! Je ne sais pas… Il faudrait lui demander ! Malheureusement, il n’est pas là !

Il est peut-être encore en vous…

Faut que je lui téléphone ou que je me connecte à lui… Plus sérieusement ! Je ne sais pas s’il ressentirait de la fierté mais en tout cas, cela ressemble à une espèce d’accomplissement.

Vous attendiez-vous à un tel avenir ?

Pas du tout !

C’est une heureuse surprise alors ?

Non, ce n’est pas une surprise. Je m’attendais à quelque chose parce que j’avais des ambitions. Effectivement après, il faut encore les réaliser…

Il y a quelque chose de très juvénile qui transparaît dans vos sculptures, juvénile au bon sens du terme. Comme si vous aviez gardé une âme pure, intacte, une âme d’enfant. Vos sculptures ressemblent à des cocottes en papier, des pliages monumentaux. Est-ce pour cette raison que les enfants adorent votre œuvre ?

Effectivement, certaines oeuvres ressemblent à des origamis. Mais je crois surtout que c’est le thème animalier qui plait aux enfants, l’émotion immédiate qu’ils éprouvent en présence de ces animaux.

A l’occasion de son 25ème anniversaire, le parc Disneyland Paris a fait appel à vous pour revisiter son Mickey. Vous avez donné vie à un Mickey magicien, bleu, de toute beauté. Ce privilège rare, est-ce une reconnaissance pour vous ?

Oui, c’est une vraie reconnaissance. C’est aussi, quelque part, rentrer dans l’histoire ! De savoir que mes enfants, mes petits-enfants, les générations futures pourront acquérir une œuvre revisitée par moi, c’est pour moi un honneur. De plus, Disney m’apporte quelque chose d’assez unique puisqu’il me permet de démocratiser l’art, de le rendre accessible à tous. Je suis un artiste populaire au bon sens du terme. L’idée, c’est de parler à tout le monde. A partir du mois de juillet 2017, ces petites figurines de Mickey magicien seront en vente à quelques dizaines d’euros (ndlr, 49 euros). Aujourd’hui, vu la qualité de l’œuvre, j’aurais été incapable de réaliser des sculptures à ce prix-là, cela coûterait beaucoup plus cher, et là Disney me donne la possibilité de réaliser mon rêve : partager avec le plus grand nombre. C’est vraiment superbe !

Ce Mickey magicien se décline-t-il en plusieurs couleurs ?

Il va se décliner aussi en chromé avec l’étoile bleu. Bleu et argent, c’était les couleurs du 25ème anniversaire du Parc Disneyland Paris. Mais on va probablement le faire dans d’autres couleurs…

Le monde de l’art français, les critiques d’art apprécient-ils votre œuvre ? Ou la boudent-ils au motif que vous êtes médiatique, célèbre, apprécié et jet set ?

Il y a une frange, une intelligentsia qui boude effectivement mes œuvres. Un petit milieu de gens bien-pensants qui croient faire le monde de l’art. Qui s’autorisent même des critiques très acerbes à l’égard de mes sculptures. D’une part, parce que je n’ai pas suivi le cursus artistique classique, d’autre part, parce que je dérange, que je n’ai pas eu besoin d’eux, que j’ai du succès, que je refuse les étiquettes. D’ailleurs, ce genre de comportement, c’est très français ! Dans les autres pays, je ne rencontre pas ce problème…

En réalité, vous avez d’abord été reconnu par les Américains avant d’être reconnu par les Français ?

Tout à fait ! Il y a un French bashing en France. Il faut savoir que dans l’hexagone, on a du mal à reconnaître nos artistes. Il y avait dernièrement un article au Sénat qui évoquait le peu de présence des artistes français à la FIAC. Imaginez, pas un seul artiste français n’a exposé sur les Champs- Elysées ! On a fait appel à Botero, à des chinois, des japonais, mais il n’y a jamais eu de français. En France, il y a un certain snobisme, on préfère importer des artistes de Russie, d’Inde, de tous les autres continents. En revanche, quand vous allez aux Etats-Unis, vous découvrez qu’eux sont très chauvins, très protectionnistes. Les chinois sont très protectionnistes aussi, ils défendent vraiment leurs artistes. Nous, on ne défend pas nos artistes…

Donc, les productions artistiques françaises ne sont pas valorisées par la France …

Pas tellement ! Quelques-unes ont ce privilège mais le monde institutionnel de l’art choisit vraiment ses artistes. Mais bon, depuis deux ans, le Ministère de la Culture commence à me reconnaitre. Ils ont même envoyé quelques tweets très élogieux à mon égard au moment où je faisais ma grande exposition à Courchevel, ce qui était une reconnaissance. Mais cette reconnaissance, j’aurai été content de l’avoir bien avant ! Enfin, c’est quand même arrivé !

Est-ce de la jalousie ?

Je ne sais pas car c’est un sentiment qui m’est inconnu. Quand je vois quelqu’un qui réussit, cela me motive et m’inspire. De toute façon, je ne fais pas grand cas de tout ça, j’avance, c’est tout. Je fais mon chemin…

© Francis Poirot

A vos débuts, à 38 ans, lorsque vous vous êtes lancé dans cette aventure artistique, muni de votre seule détermination et de votre talent, vous ne vous êtes jamais découragé ?

Non, parce que c’était un hobby. A la base, je ne faisais pas ça pour le montrer ni pour gagner ma vie. En fait, j’ai d’abord eu la chance d’avoir plusieurs expériences professionnelles, j’ai eu plusieurs vies, cette maturité m’a donné une idée des codes et du chemin à suivre. Quand après des mois de travail, j’ai voulu exposer ma première œuvre, effectivement, certaines personnes ont cherché à me décourager. Très rapidement quand même, puisque j’avais dans ma tête une espèce de plan et que je savais où je voulais aller, j’ai rencontré l’adhésion du public. Cela a marché très vite !

Comment se fait-il que rien ne vous résiste ?

On voit toujours la face émergée de l’iceberg ! On ne voit pas tout le travail qu’il y a derrière, toutes les contrariétés, les déceptions. Derrière tout ça, il y a une implication très importante. Il y a aussi une équipe solidaire. C’est un travail d’équipe, ce n’est pas un travail solitaire.

En 2006, la première pièce que vous présentez au public, est un crocodile en résine rouge « Born Wild ». Ce « Born Wild » (inspiré du « Livre de la Jungle » que vous affectionniez enfant) est un bestiaire d’animaux sauvages, fiers, conquérants. Vos sculptures interrogent-elles nos peurs concernant nos pulsions sauvages, instinctives ?

Mon message est le suivant : j’ai exacerbé la violence, l’animalité qui est en eux. Ils ont toujours la gueule ouverte, les dents acérées, les mâchoires prêtent à mordre. Ce sont plutôt des animaux féroces que j’ai représenté. Mais cette férocité, cette violence, les animaux l’utilisent à des fins utiles parce qu’ils tuent pour se nourrir. Ils tuent par nécessité. Nous, nous faisons des guerres… L’espèce humaine se pense beaucoup plus intelligente que les animaux parce qu’elle exerce une sorte de domination sur eux, alors que finalement elle a beaucoup à apprendre des animaux. Les animaux tuent pour obéir au cycle de la vie et c’est un cercle vertueux, alors que nous, malheureusement, sommes dans un cercle vicieux. Cela dit, j’ai aussi réinterprété complètement l’animal. Je change, je joue avec ses formes. Je corrige la nature à mon image…

Est-ce à dire que les animaux sont plus sages que nous ?

Ils sont plus humains que les humains…

Dans lequel de ces animaux, vous retrouvez-vous le plus ? Le loup épris de liberté qui échappe au contrôle de l’homme, le gorille invincible, le tigre prédateur ?

Le gorille ! En réalité, c’est celui qui se rapproche le plus de l’homme, ne serait-ce que dans la manière de se tenir ! A part les poils, évidemment ! Je ne sais si l’homme descend du singe mais de toute évidence, il y a une vraie similitude !

Vos gorilles sont souvent amoureux ! Dans votre single « Heartbeat », le gorille géant fond littéralement devant la chanteuse. On entend les battements de son cœur amoureux…

Comme dans King Kong, c’est un singe au grand cœur. Il est plus sage que l’homme. Il défend sa belle. Il a beaucoup de vertu ce King Kong ! Ou alors beaucoup de défauts, le défaut d’aimer, de vouloir le bien de l’autre…

En 2007, Dominique Desseigne, le PDG du Groupe Barrière, vous offre d’exposer vos œuvres à l’hôtel Normandy en plein festival du cinéma américain de Deauville. L’acteur Andy Garcia flashe aussitôt sur l’un de vos crocodiles et vous l’achète. C’est le début de la gloire…

C’est une anecdote assez amusante. A l’époque, je n’étais pas très connu, mais nous avions fait une belle exposition sur tout le festival. On était en plein vernissage au Normandy et des gens du staff de Dominique viennent vers moi en s’exclamant : « Monsieur Orlinski, il faut absolument venir maintenant ! Andy Garcia veut acheter vos œuvres ! » Pour eux, cela avait l’air d’être un grand événement ! Moi, je ne me rendais pas compte de l’importance de la chose. J’ai donc accepté. On a traversé la rue avec une cohorte de gardes du corps. Andy Garcia était à l’hôtel Royal et le vernissage avait lieu au Normandy. Il y a quelques centaines de mètres entre les deux hôtels. On arrive en bas du Royal. Là, on téléphone à sa chambre. Et on nous répond, Monsieur Garcia s’est endormi ! Il s’est couché très tard ! Le directeur de l’hôtel avait l’air navré et répétait qu’on ne pouvait rien faire. Mais, je n’avais pas l’intention de revenir, alors j’ai dit : « Vous transmettrez que l’artiste s’en va ! De toute façon, il ne reviendra pas ! Il n’a pas que ça à faire ! » Une assistante de Dominique a été très dynamique et ne s’est pas laissée démonter. Deux secondes après, finalement, on a appris que c’était bon ! On est monté là-haut, Andy Garcia était en robe de chambre. En pyjama, devant tout le staff de l’hôtel, là à attendre dans le couloir ! Il m’a fait entrer dans sa suite et on a sympathisé tout de suite. J’avais l’impression qu’on était amis depuis toujours, qu’on s’était quitté la veille. On est resté deux-trois heures à discuter et le lendemain ça a fait « La Une » des journaux locaux ! On a noué une relation très vite. Les américains sont si simples, conviviaux et faciles !

C’était le début de la gloire…

Oui, même si je ne m’en rendais pas compte au début. Même aujourd’hui, j’ai toujours l’impression qu’on en est au début…

Ce succès à Deauville vous a donné l’idée d’exposer vos sculptures dans les lieux fréquentés par les stars et la jet set. Vous installez alors vos gorilles géants sur la Croisette à Cannes…

C’est vrai en partie… mais pas seulement ! C’est ce que relatent les reportages à la télévision car les journalistes aiment bien insister sur le côté spectaculaire des événements, mais si je n’exposais que dans les lieux fréquentés par les stars, je ne vivrais pas aujourd’hui ! Moi, je parle au plus grand nombre. Et puis le terme de jet set me semble un peu démodé. Il correspondait à une époque. Il a perdu son sens aujourd’hui. Il y a tellement de mixité, de monde qui se mélange. Ce n’est plus le Saint-Tropez d’il y a 20 ans où on venait regarder les vedettes. A l’ère d’Internet, le monde a beaucoup évolué.

Vous faites aussi des expositions à ciel ouvert, comme ce sublime ours blanc que vous campez sur les hauteurs de Val d’Isère, au sommet de la montagne. Mais aussi des expositions dans les rues de Paris, comme au Village Royal. Où pourrons-nous croiser vos prochains bébés ?

J’expose en ce moment à Saulieu, avec François Pompon, qui est l’un des plus grands sculpteurs animaliers du 20ème siècle. Le Musée de Saulieu organise une exposition intitulée « Le Choc des Titans ». Ce sculpteur a fait un ours polaire qui est très emblématique. Donc, on a mis mon ours polaire avec le sien ! C’est une rétrospective tout à fait intéressante. Sinon, effectivement, j’ai exposé l’année dernière au Village Royal à Paris, c’était une très belle exposition. Nous allons sûrement renouveler l’opération en septembre prochain d’ailleurs. Mes sculptures sont aussi exposées en ce moment et pour plusieurs mois dans les rues de Montélimar et dans le musée d’art contemporain de la ville. Aujourd’hui, je veux faire plaisir au public. Mon maître-mot, c’est le partage !

© Francis Poirot

En 2014, vous vendez une œuvre pour 15 millions d’euros. Il s’agit d’un Pin-up jaillissant de la bouche d’un crocodile en or. Cette nouvelle Vénus ne sort pas des eaux mais des mâchoires acérées d’un crocodile. Est-ce à dire que le monde contemporain est particulièrement cruel pour la femme, que l’homme « est un loup » pour la femme, que c’en est fini de l’amour courtois ?

En réalité, cette œuvre est assez étonnante parce qu’on peut l’interpréter de plusieurs façons. Je ne veux pas insuffler une interprétation unique. J’aime bien l’idée que les gens l’interprètent comme ils en ont envie. J’aime cette liberté. La Pin-up peut sortir du crocodile mais elle peut y rentrer aussi ! On ne sait pas dans quel sens cela se passe. Est-ce que justement, elle en sort pour s’échapper, pour se désaliéner, pour sortir de l’emprise ?

Oui, mais le crocodile est un prédateur vorace, cela signifie que la femme est menacée, qu’elle est une proie…

Malheureusement, de tout temps, la femme l’a été. Les femmes sont en butte au sexisme, à la violence conjugale, aux agressions etc. C’est pour cette raison que je soutiens beaucoup d’associations qui défendent les conditions de la femme dans le monde, comme l’association Womanity.

J’insiste ! Mais si la femme rentre dans le crocodile, celui-ci la dévore aussi !

Je n’y ai pas pensé au moment de réaliser cette sculpture ! J’éprouve une envie de création immédiate, un élan, mais je ne sais pas forcément pourquoi. Je réalise des choses et je réfléchis après. Ensuite, les observateurs soulignent ou non le manque de relation entre une œuvre et une autre. Or, il y en a toujours une. Pour la bonne raison que ces œuvres sortent toutes de moi ! Mais je n’en suis pas toujours conscient tout de suite.

Lacan disait : « l’art c’est l’inconscient qui parle à l’inconscient »…

C’est ça ! C’est mon inconscient qui me parle. Ce qui explique que c’est parfois bien après que je comprends pourquoi j’ai fait une œuvre…

Simone de Beauvoir soulignait à propos de la femme qu’il n’y avait pas d’autre alternative que « bête de sexe ou bête de somme ». Pensez-vous que la femme contemporaine doit rentrer dans le moule pour plaire ? Ne reste-il donc à nos contemporains que la performance et la compétition, comme l’écrit Michel Houellebecq ?

J’ai beaucoup d’amies qui se livrent à moi et qui me font part des difficultés d’être une femme, aujourd’hui encore. Bien sûr les mentalités évoluent mais pas aussi vite qu’elles le devraient. Les diktats physiques par exemple sont aujourd’hui très forts. L’essor de la chirurgie esthétique est révélateur de nos nouveaux canons de beauté et de notre quête perpétuelle de jeunesse. Mais tout ce qui était réservé aux femmes, cette course effrénée vers la perfection, l’homme y participe de plus en plus.

Mais vous, vous soumettez-vous à ces diktats ou les envoyez-vous promener ?

Moi, je suis un esthète, je suis toujours en quête de perfection pour mes œuvres. J’aime qu’une sculpture soit parfaitement finie, aboutie. Bien sûr, quand on est esthète, on apprécie ce qui est beau. De là à dire que c’est un diktat, c’est ridicule. Je pense que l’être humain est composé de pas mal de facettes, il faut savoir aussi être raisonnable et avoir du recul par rapport aux choses. L’excès n’est jamais bon dans rien. Tout cela est valable dans notre société occidentale. Mais en allant dans d’autres sociétés, on découvre vite qu’ils n’ont pas les mêmes codes. Nos codes occidentaux ne sont pas universels.

Vous ne cessez de montrer la cruauté du monde contemporain, un monde très hostile avec des mâchoires de prédateurs, ou sa vacuité, avec une sculpture par exemple symbolisant un pantalon, un jean vide… Ce jean symbolise-t-il la société de consommation, le consumérisme effréné ?

Non ! Le jean est vivant, il est flottant, il est déboutonné. Avec lui, je représente une icône. Comme l’a fait Andy Warhol, mon modèle, à son époque. Le jean, c’était plutôt une façon de représenter la sensualité. D’ailleurs, dans certains pays, je ne peux pas vendre cette sculpture, elle est considérée comme trop sensuelle. A ce propos, on ne sait pas si c’est le pantalon d’un homme ou d’une femme… C’est l’action que je souhaitais représenter, le côté vivant. C’est difficile de représenter un jean vivant ! Et puis le jean a participé à mon histoire, je suis né avec le jean. Nous sommes les enfants du jean. Il a été le pantalon le plus vendu au monde !

Dans votre œuvre, à la violence vous répondez par la douceur; à la destruction, vous opposez la vie; à la férocité, vous répondez par l’amour… D’accord avec ça ?

Complètement !

Vous sculptures sont très graphiques, avec des pliages, des arrêtes, des facettes. Ce miroir à facettes, est-ce pour refléter toutes les facettes de l’être humain ?

Mes sculptures sont taillées à facettes comme un diamant. D’où une certaine brillance, un éclat particulier. Mais ces facettes, c’est aussi un mélange de symboles. Ce subtil cristal nous éclaire sur nous-même…

Ces facettes sont-elles toujours positives ou y a-t-il des faces cachées ?

Non, je suis quelqu’un de très positif même quand j’interprète une tête de mort !

Toutes les stars raffolent de vos sculptures. Sharon Stone fut l’une de vos premières admiratrices. Elle possède plusieurs sculptures de vous. Justin Bieber a devant sa piscine deux de vos crocodiles bleu, un petit et un grand. Paul McCartney a une guitare en aluminium de vous…

J’ai aussi parmi mes collectionneurs des stars de l’Est, en Inde, partout. Pas seulement des stars américaines connues des occidentaux ! Mais ce n’est vraiment pas le plus important pour moi, connu ou pas, aisé financièrement ou pas, spécialiste ou néophyte, je veux que celui qui acquiert mes œuvres en éprouve un réel plaisir, de la joie même.

Qu’éprouvez-vous à essaimer ainsi vos sculptures aux quatre coins du monde ?

Je rentre complètement dans le concept de partage. Je ne cherche pas la notoriété ou la reconnaissance pour la reconnaissance. Ce que je veux, c’est pouvoir partager avec le plus grand nombre. Plus je partage, plus je suis content !

Cela vous rend heureux de rendre heureux les gens ?

Exactement ! C’est ce que je donne qui m’intéresse ! La dernière fois, on a remis à un collectionneur une panthère pour un événement. Il m’a pris dans ses bras, il était incroyablement ému… Pareil pour les enfants ou les personnes plus âgées. Dès qu’une émotion passe, j’ai tout gagné !

© Francis Poirot

Vous sculptez la résine mais aussi les notes. Vous avez signé deux singles : « Heartbeat » puis « Paradise », des tubes qui ont fait danser la planète entière. Avez-vous d’autres projets musicaux ?

Oui, j’ai un premier album en préparation, contenant une vingtaine de titres.

Et des spectacles aussi ?

Je travaille à un spectacle interactif pour 2019, dans lequel je ferai participer le public. Ce qui me dérange dans les spectacles actuels, c’est le côté passif. Je préfère que le spectateur se sente sollicité afin de favoriser une communion entre le spectacle et le spectateur. Dans ce futur spectacle, j’aimerais faire partager une expérience multi-sensorielle aux spectateurs-participants. Nous ferons appel aussi à toutes les émotions : musique, théâtre, humour. Ce sera quelque chose d’assez complet et d’assez nouveau. J’ai besoin de faire des choses qui me plaisent à moi aussi. Quand je fais une sculpture, il faut qu’elle puisse être dans mon salon, que j’ai envie de la contempler tous les jours. Quand je vais à un spectacle ou au théâtre, je n’ai pas envie de m’ennuyer. Donc, je vais créer un spectacle, où on sera en même temps spectateur et acteur !

Vous avez sorti aussi un livre !

En mai 2017 chez Michel Lafon : « Richard Orlinski. Pourquoi j’ai cassé les codes. » C’est un livre assez pédagogique qui explique, en toute humilité, mon parcours, les embûches que j’ai pu rencontrer, etc. A chaque fin de chapitre, je donne les codes qui m’ont aidé, en me disant que cela peut servir à d’autres pour aller plus vite, pour éviter de perdre du temps. Il y a pas mal de messages aussi. C’est ma première bio ! Auparavant, j’ai déjà fait des livres, mais c’était des livres d’art…

Des sculptures, des CD, un film au cinéma « Les Effarés » dans lequel vous allez tourner bientôt, une biographie, vous êtes dans une dynamique créatrice incroyable !

On n’a qu’une vie ! Comme disait Moustaki « Nous avons toute la vie pour nous amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer ! »

Vous dévorez la vie…

Faut avouer que je n’ai plus vingt ans non plus ! C’est aussi une façon de conjurer la mort…

Vous construisez, édifiez, créez pour détruire la destruction. Pour arrêter la mort ?

C’est très fort chez moi, cette angoisse de la mort depuis que je suis tout petit. C’est ce qui fait que j’ai envie de faire en un an ce que d’autres font en dix ou vingt ans ! Du coup, je cours toujours après le temps. C’est physiquement très éprouvant, c’est beaucoup de stress, mais bon c’est un moteur fabuleux !

Finalement, vous êtes un homme extrêmement sensible…

Oui, c’est sûr, mais je cache beaucoup ma sensibilité. Disons que je donne parfaitement le change. J’ai créé une armure autour de moi pour me protéger. Je n’ai pas le choix. Parfois, ce bouclier se révèle ennuyeux parce qu’il m’empêche de ressentir des émotions. Mais c’est nécessaire parce que des flèches, on en prend dans tous les sens. Quand on a une certaine notoriété, le succès est parfois difficile à gérer.

Quand on est au centre, on est la cible…

Voilà ! Il faut se protéger !

Richard Orlinski, vous semblez tout avoir… Qu’est-ce qui vous manque encore ?

Tout !

Qu’est-ce qui vous fait vibrer ?

La peinture, la sculpture, la musique. Bref, l’art sous toutes ses formes ! C’est aussi tout ce que peut apporter la vie, les enfants. Par ailleurs, je suis très impliqué dans plusieurs causes caritatives. Je fais, par exemple, des ateliers à Garches pour les enfants malades. J’ai animé récemment un atelier artistique où l’on réalise avec les enfants des petits modelages, de la peinture, des dessins. Il y avait là une petite fille extrêmement douée qui produisait à main levée des choses incroyables. Je lui ai dit : « Tiens dans mon prochain bouquin d’art, je publierai ton dessin ! » Je l’avais déjà fait pour les enfants malades de l’hôpital Necker. Donc, le soir je rentre, les médecins et les personnes de l’association me remercient. Soudain, la Présidente de l’association vient vers moi et me dit : « Te rends-tu compte de ce qui s’est passé aujourd’hui ? Je lui rétorque un peu surpris « Non, que s’est-il passé ? », « La petite fille avec qui tu as parlé, elle n’avait jamais parlé auparavant… » J’ai trouvé ça incroyable ! Bien sûr, ce n’est pas grâce à moi, c’est un concours de circonstances, mais c’est à ce moment précis qu’elle s’est exprimée. Pour moi, c’était extrêmement émouvant. Si on fait des choses pour les enfants, ils nous apportent souvent plus que nous ne leur apportons…

Qu’est-ce qui vous rend heureux ?

Ce genre de démonstration, vous voyez, me rend heureux ! Cela remplit, c’est un vrai bonheur…

Richard Orlinski, quelle est votre devise ?

Take the best fuck the rest ! (prendre le meilleur et laisser le reste.)

Enfin, estimez-vous que vous êtes notre Jeff Koons français ?

Non ! Mais j’ai déjà eu cette comparaison. Elle ne me dérange pas d’ailleurs.

C’est une comparaison flatteuse…

C’est drôle ce que vous dites, parce qu’il y a 5 ans, il a un critique d’art qui a écrit un article très virulent, très destructeur au sujet de l’art contemporain et surtout des artistes contemporains, et j’étais dans le lot ! Il faisait un parallèle entre le Balloon Dog de Jeff Koons et le Born Wild d’Orlinski, or cette comparaison m’a fait plaisir parce qu’alors je n’avais pas la notoriété que j’ai aujourd’hui. Le journaliste me mettait au niveau de Jeff Koons. Je me suis dit tiens si je suis considéré comme Jeff Koons, du coup c’était très positif pour moi. Cela ne me dérange pas du tout d’ailleurs, on n’a pas la même vision, mais je trouve que ce qu’il fait est intéressant. Il assume ce qu’il fait, et j’aime beaucoup sa démarche. Moi, de la même façon, j’assume de ne pas faire toutes mes sculptures, la plupart de mes sculptures sont faites par mes équipes, je n’ai aucun problème avec ça. A l’époque, c’est déjà ce que l’on faisait. Les gens ne le savent pas mais Rodin faisait couler ses bronzes par ses collaborateurs. Aujourd’hui, je fais intervenir dix corps de métiers différents, presque cent cinquante personnes, des fondeurs, des mouleurs, des soudeurs, des polisseurs, des peintres, des menuisiers, des marbriers etc., et j’assume. Et Koons aussi assume ça. On le voit à son atelier en costume d’hommes d’affaires. Mais on s’en fiche de son apparence, l’important c’est le message qui est derrière. On aime ou on n’aime pas mais ce qui compte c’est l’œuvre. Peu importe comment l’artiste travaille.

Du 8 février au 9 avril 2017, on pouvait gagner une de vos merveilleuses sculptures en participant à un concours de photos à Courchevel. Quand recommencez-vous cette incroyable dotation ?

Très régulièrement, je fais ce genre d’opération parce que je veux que l’art soit accessible ! Je fais des concours, du dumping sur des œuvres, je les vends moins chères que leur prix de revient. Un jour, je suis passé chez Cauet, dans une grande radio, où j’ai proposé des œuvres. Et à ma grande surprise, j’ai découvert que les jeunes étaient très intéressés. Je pensais que ce qui les passionnait c’était la musique, c’est faux. Ils étaient aussi très réceptifs à la sculpture. J’ai même eu des demandes sur mon site. Certains m’écrivaient pour me dire qu’ils aimeraient bien avoir des oeuvres de moi ! Donc, derrière ça, j’ai lancé des petits événements, des concours etc. J’ai même fait des concours de Pokémon. J’essaye d’être dans l’actualité, de toucher, de parler à tout le monde, du plus petit au plus grand.

Vous êtes un véritable bienfaiteur !

Non ! J’essaye simplement de redistribuer !

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Paru le 24 mai 2017, livre de Richard Orlinski : « Pourquoi j’ai cassé les codes » aux éditions Michel Lafon.

Bruno Coulais

Bruno Coulais : « La musique est un autre personnage du film »

Bruno Coulais

Cioran estimait que « Dieu ne se rendait pas compte de tout ce qu’il devait à Bach ». Le cinéma français sait parfaitement ce qu’il doit à Bruno Coulais. A tel point qu’il lui a ouvert grand les portes du cercle très fermé des stars de la composition de musique de film. C’est simple, en France, ils sont une poignée. Dans le métier, cet artiste génial a même une place à part. Considéré comme un modèle, réclamé, sollicité systématiquement par les plus grands, indispensable à beaucoup, Bruno Coulais est le compositeur attitré des meilleurs réalisateurs. On le retrouve au générique des films de Claude Berri, Alain Corneau, Bertrand Tavernier, Benoît Jacquot, James Huth, Etienne Chatillez, Jacques Perrin, Josée Dayan, Alain Chabat, Olivier Marchal, Laurent Heynemann, Jean-Paul Salomé, Jean-François Richet, Frédéric Schoendoerffer, Volker Schlöndorff, Tomm Moore, Henry Selick etc. Pour cet immense compositeur, la musique dans un film n’est pas là pour souligner l’image mais pour révéler une part secrète, une part mystérieuse, inconnue du film. Elle est là pour exprimer le non-dit.

Sa carrière débute, il y a quarante ans, sur un moment de grâce. Tout commence par une rencontre. Le grand documentariste François Reichenbach lui fait confiance et lui commande la musique de son film « Mexico-Magico ». Bruno Coulais a à peine vingt ans. Sa partition remarquable et remarquée contribue au succès du film.Tout s’enchaîne alors très vite. Bruno Coulais multiplie les collaborations avec des réalisateurs d’horizons divers, du film intimiste au grand blockbuster à la française comme « Vidocq », « Les Rivières Pourpres », « Belphégor », travaille pour la talentueuse Josée Dayan pour qui il compose la musique de son « Balzac », celle du « Comte de Monte-Cristo ». Succès. Bruno Coulais signe ensuite la musique de superbes films d’animation comme « Coraline »,« Mune, le Gardien de la Lune », « Brendan et le secret de Kells », des documentaires comme « Océans »,« Les Saisons », « Genesis », « Le Peuple migrateur ». Succès encore. Sa filmographie est impressionnante. Plus d’une centaine de longs-métrages, presque autant de téléfilms, Bruno Coulais enchaîne les succès. Pas étonnant puisque cet immense artiste a un style inimitable. Bruno Coulais n’a pas son pareil pour créer des climats fantastiques, oniriques, lyriques, poétiques, mystérieux ou  inquiétants. Des œuvres d’une beauté unique. Bruno Coulais qui fuit la facilité, se réinvente à chaque film. Le musicien, toujours en éveil, s’attache en permanence à construire des formules orchestrales inédites. Pour se surprendre, se dépasser, se jouer de la musique. Pour atteindre quelque chose qui ressemble à l’absolu. Question de sincérité, question d’exigence. Comme s’il avait le goût de la perfection ou celui du chef d’œuvre, comme si c’était pour lui une façon de vivre au-dessus de lui-même. Résultat : sa musique joue sur la corde de notre sensibilité. Elle nous va droit au fond de l’âme. Quelques notes de Bruno Coulais et on comprend mieux ce mot de Kant « la musique est la langue des émotions ». Impossible d’oublier ses oeuvres envoûtantes. La musique de « Microcosmos », c’est lui. Celle d’ »Himalaya », c’est lui. « Les Choristes », c’est lui. Trois films, trois Césars de la meilleure musique de film. Les récompenses pleuvent, françaises et internationales, en 2007 Le Grand prix Sacem de la musique pour l’audiovisuel, en 2010 un Annie Awards pour « Coraline ». Si le Maestro est l’enfant chéri du cinéma, l’homme passionné, jamais grisé par ses succès, reste d’une simplicité, d’une humilité, d’une bonté désarmante.

Rencontre avec un merveilleux compositeur.

Bruno Coulais reçoit en 2005 le César de la meilleure musique de film pour « Les Choristes »

Vous avez un parcours incroyable, artiste réputé, personnalité marquante du cinéma français, compositeur de musique de films césarisé, encensé, sollicité. Que cherchez-vous à atteindre par la musique ?

La musique est un rêve d’enfant. D’ailleurs, si j’avais su enfant, qu’un jour je vivrais de la musique, je crois que j’aurai été beaucoup plus heureux encore ! Depuis toujours, la musique est un soutien formidable. Plus qu’un soutien, c’est une façon d’être. La musique fait partie de ma vie, je ne pourrais pas concevoir la vie sans musique. Pour moi, le travail musical s’apparente à une quête infinie. On n’en sait jamais assez. Un jour, on progresse, on découvre des choses, le lendemain on rechute, mais on replonge à nouveau avec passion dans l’aventure musicale afin de rechercher en permanence des voies nouvelles. C’est un presque un jeu avec soi-même.

La musique, était-ce une vocation ?

Oui ! Durant mes études de musique, à 17-18 ans, j’ai effectué un stage dans l’auditorium parisien « Antegor ». Là, j’ai eu la chance de rencontrer François Reichenbach, un grand documentariste. Tout de suite, il m’a proposé de faire une musique de film. A l’époque, je ne savais rien de la musique de film. Pourtant il m’a fait confiance. Il savait que je composais. Peut-être a-t-il pressenti en moi une sorte de don.Toujours est-il qu’il m’a confié la composition de la musique originale du documentaire « Mexico-Magico ». Celle-ci, d’un seul coup, m’a ouvert au cinéma. J’ai découvert alors toute la richesse du monde cinématographique. En travaillant sur des films, j’ai commencé à me passionner, pas tellement pour la musique de film, mais pour la relation qu’entretiennent la musique et le cinéma. Comment faire vibrer des images, comment faire que la musique devienne un personnage du film.

Qui sont vos maîtres en matière de musique ?

Je viens de la musique classique, alors évidemment de Gesualdo à la musique contemporaine. En fait, je m’intéresse à toutes les musiques, classique, variété, jazz (TheloniousMonk) polyphonies corses, rap, musique traditionnelle, musiques du monde. Mais disons, bien sûr, qu’à la base, c’est Bach, Mozart, Debussy, Ravel, Stravinsky…

Pour vous, la musique est-elle une façon d’exprimer les non-dits ? Les notes seraient-elles des mots sonores qui expriment ce qui est tu, ce qui est indicible ?

C’est exactement l’idée que je me fais de la musique de film.

Lacan affirme que l’œuvre d’art c’est « L’inconscient qui parle à l’inconscient » Etes-vous d’accord avec lui ?

Totalement ! Je vous avoue que lorsqu’un réalisateur me confie que grâce à la musique, il a découvert tout un pan du film auquel il n’aurait pas pensé, j’estime avoir réussi mon coup ! Il me semble que la musique n’est pas là pour souligner l’image ou ce que l’on voit déjà, ce que disent les acteurs ou ce que l’histoire raconte, mais justement pour révéler toute une part secrète, une part mystérieuse, inconnue du film.

Vous seriez, en quelque sorte, leur analyste…

Je le leur dis souvent !

Et vous, que souhaitez-vous dire avec ces climats oniriques d’une inquiétante douceur qui habitent parfois vos musiques…

Ce qui est bizarre avec la musique, c’est qu’elle nous échappe. Ce faisant, elle révèle des choses profondes. Parfois, je me dis que pour ma prochaine composition, j’aimerais vraiment changer de musique. Mais on a des manies, des tics qui nous appartiennent et qui reviennent immanquablement. Je les vois ces tics, j’aimerais bien m’en débarrasser, mais j’ai du mal. C’est sûrement une chose qui nous possède malgré nous, alors qu’on croit la posséder…

Philippe Le Guay et Bruno Coulais. Enregistrement de la musique du film « Normandie Nue ». © JPAgency

Qu’est-ce qui prélude à votre inspiration ?

C’est souvent la lumière. La lumière est très importante pour l’orchestration, pour les tonalités. Par exemple, il y a des lumières très réalistes de films sur lesquelles je suis incapable d’écrire. J’ai besoin de voir les premières images, de découvrir le climat du film, ce que dégage le film, l’ambiance, la lumière, le jeu des acteurs pour écrire sur un film. Il y a, pour moi, une correspondance très forte entre lumière et tonalité, orchestration, couleur musicale. Il y a des lumières extraordinaires qui palpitent, d’autres qui sont ternes, comme les films d’ailleurs. C’est au compositeur de capter cela, bien plus que l’histoire ou le scénario.

Vous semblez avoir un monde intérieur très riche, poétique, fantastique, lyrique, secret, mystérieux, onirique. Un peu un univers à la Tim Burton. Etes-vous un homme hypersensible, affectif ?

Oui, un peu trop même ! Parfois, j’aimerais être plus détaché… Hier, par exemple, j’étais en enregistrement, et malgré mon savoir-faire (même si j’ai l’impression qu’il faut se méfier du savoir-faire) j’avais peur. Je suis toujours inquiet de ce que j’écris.

Parce que vous doutez ?

Oui, parce que je pense que rien n’est jamais acquis. C’est pour cela que j’essaye de ne pas trop regarder en arrière. D’avancer, cela m’aide. Il faudrait toujours travailler sur un film comme si c’était le premier.

En tant que compositeur de musique de films, vous réussissez l’exploit d’éviter la redite. Vous cherchez toujours l’inédit. Comment faites-vous pour vous renouveler, vous réinventer à chaque nouvelle composition ? Souhaitez-vous renaître mille fois dans une même vie ?

Peut-être. En tout cas, c’est ce que j’attends du cinéma…Chaque film est particulier, à chaque fois, vous découvrez un nouveau monde, un nouvel univers. C’est la même chose pour les concerts. Cela m’ennuierait de répéter ce que j’ai déjà fait. Ce serait comme une petite mort. Alors que découvrir un monde, « se mettre en danger », tenter des choses nouvelles, c’est tellement plus stimulant que de répéter.

Film « Mélodie ». © JPAgency

Choisissez-vous vos réalisateurs ?

Non. Je suis incapable d’aller voir quelqu’un et de lui dire, même si je l’admire beaucoup, j’ai envie de travailler avec vous. Par coquetterie aussi, j’aime bien qu’on me choisisse…

Je trouve votre musique éminemment symbolique. Elle réunit au lieu de diviser. Vous dynamitez les murs, les frontières, les mondes. Vous êtes celui qui rassemble, qui fédère toutes les cultures, tous les peuples, tous les genres. Votre musique puise dans nos racines les plus profondes, les plus ancestrales de l’humanité. Comme si vous retrouviez notre origine commune à tous. De ce fait, votre musique est universelle, elle parle à tout le monde…

Cela me plait beaucoup même si ce n’est pas une chose consciente chez moi ! Comme je ne peux pas faire les choses à moitié, peut-être que l’énergie, la curiosité que je mets dans chaque nouveau projet, qui est toujours pour moi un terrain d’expérimentation, où je tente brassage de musiques, métissage culturel, recherche de sonorités originales, concourent à créer cette impression. Instinctivement, j’aspire à créer des fusions, des alliances inédites. C’était le cas, par exemple, pour le film « Himalaya », entre chœurs tibétains, percussions égyptiennes et polyphonies corses. Au lieu de revisiter les mêmes musiques, je préfère explorer de nouvelles pistes, m’aventurer vers des chemins inconnus. C’est ce qui fait la beauté de ce travail. Prospecter, découvrir, innover, créer, oser, se surprendre. Non au dogme, oui au risque. D’ailleurs, je préfère me tromper que de ne pas m’engager.

Dans « Microcosmos », vous êtes tour à tour un arbre, une feuille, une abeille, le vent, l’air, l’eau, la terre, le soleil. Au lieu de nous couper du monde, votre musique est le monde. Est-ce ainsi que vous nous offrez toute la poésie du monde ?

Je ne sais pas ! En tout cas, il y a un malentendu, parce que je suis vraiment un homme des villes ! J’ai fait beaucoup de films sur la nature alors que j’aime le béton, la ville, je suis résolument parisien.  Mais des films animaliers comme « Microcosmos »  vont au-delà de la nature, ce sont des films fantastiques, le fruit de grands cinéastes. J’ai vu « Microcosmos » comme un enfant découvre une forêt. Il n’a pas une explication rationnelle de ce qu’il voit mais il éprouve des sensations. Avec la musique, il ne s’agissait pas de prendre le spectateur par la main en lui disant il faut que tu vois ça, il faut comprendre ça, mais de créer un climat un peu fantastique. Cela commence par une comptine qui laisse penser au spectateur qu’il découvre un monde, qu’il a accès à un monde nouveau.

Une comptine enfantine ?

Oui. L’enfance n’est pas une période si gentille que ça, c’est le temps des premières terreurs. Très souvent d’ailleurs, quand je veux créer de l’angoisse, je pars d’éléments musicaux qui viennent de l’enfance, des comptines, des boites à musique. Des choses très ténues peuvent être très angoissantes, par contraste, au cinéma.

Bruno Coulais et Tomm Moore. © JPAgency

Discutez-vous de la musique avec le cinéaste avant le tournage du film ? Ou le réalisateur vous fait-il entièrement confiance, convaincu que votre musique est faite pour son film ?

Les meilleurs sont ceux qui vous laissent croire que vous êtes l’homme idéal, l’homme de la situation ! Et même s’ils nourrissent parfois des angoisses parce qu’au fond, une musique est toujours abstraite avant qu’on ne l’entende, quand ils vous font confiance, vous avez des ailes ! Cela vous porte. Si je sens qu’il y a des doutes, qu’un réalisateur me dit une chose un jour et son contraire le lendemain, cela me paralyse un peu. Mais maintenant, avec l’expérience, je devine tout de suite quand cela ne va pas marcher.

Est-ce que le cinéaste sait déjà lui-même ce qu’il veut ?

Non, très souvent, il ne le sait pas. Donc il attend quelque chose de moi. Je préfère ça plutôt que quelqu’un qui me dise : « Voilà, il faudrait faire un truc à la manière de… » Parfois, il faut « trahir » le cinéaste parce que c’est le film le maître plus que le réalisateur. Il faut le trahir avec bienveillance, bien sûr.

Le trahir, cela signifie quoi ?

Peut-être aller contre ce qu’il attend de la musique de son film. Parce que le film exige une autre musique.

Vous mettez vos pas dans les pas du cinéaste. N’avez-vous pas peur de marcher sur ses rêves ?

Non ! La musique est une autre lecture, c’est un autre personnage du film. Le réalisateur n’a pas la main sur son film. Un film, c’est un travail collectif. Comme c’est un art du groupe, il y a des choses qui vous échappent. Tel acteur, tout à coup, avec telle actrice avec beaucoup de grâce, va transformer ce que le réalisateur attendait d’eux et c’est au cinéaste d’accepter cette métamorphose…

Et la musique vient se greffer dessus …

Oui, j’en rajoute une couche !

Pensez-vous qu’il n’y a pas de bon film sans bonne musique ?

Non, je pense qu’il y a de très bons films qui n’ont pas besoin de musique, et cela, il faut avoir l’honnêteté de le dire. Et il peut y avoir de mauvais films avec une bonne musique. Enfin, une bonne musique ne peut pas sauver un mauvais film.

Avez-vous un titre de film qui vous vienne à l’esprit, où l’on peut parler d’accord parfait entre la musique et le film ?

Peut-être pas tout le film, mais une séquence de la « Nuit du Chasseur» de Charles Laughton. Quand la petite fille chante dans la barque, là, c’est la perfection absolue parce que la musique prend le pas sur la narration. La musique devient le maître du film. On sait que tout le temps de la chanson, les enfants seront protégés comme s’ils étaient protégés par la musique. L’action s’arrête. Le temps est suspendu et c’est la musique qui prend le relais de la narration. Cette perfection, c’est très rare au cinéma.

La musique est-elle censée habiller l’image, la révéler, la prolonger, l’épouser, l’augmenter ?

Révéler non pas l’image mais révéler une part secrète du film. Le non-dit. Quelque chose qui donne une autre lecture du film sans que le spectateur s’en aperçoive. Il ne faut pas, non plus, que la musique sollicite trop le spectateur, car on peut manipuler et une séquence et le spectateur avec une musique.

Roland Romanelli et Bruno Coulais. © JPAgency

En 2005, vous avez créé un Stabat mater. Avez-vous d’autres projets de ce genre ?

Oui, j’ai fait beaucoup de musique pour choeurs. Dans les années 2000, je collaborais à tant de films que j’ai éprouvé soudain une terrible lassitude du cinéma, comme une sorte de rejet. Il faut dire que je multipliais les Serial killers, des polars très durs comme « Les Rivières Pourpres », avec des scènes de crimes. Des films que j’aimais beaucoup mais qui se passaient dans des morgues. Comme le dit un philosophe chinois « On devient la nourriture qu’on absorbe »… Alors j’ai réduit mes contributions au cinéma et je suis revenu à la musique. J’ai compris qu’il fallait que je me consacre à d’autres projets, que j’écrive pour le concert et que j’alterne concert et cinéma.Du coup, j’ai retrouvé avec plaisir le collectif du cinéma.

Vous avez reçu trois César de la Meilleure musique de film, le premier en 1997 pour « Microcosmos », le second en 1999, pour « Himalaya », le troisième en 2005 pour « Les Choristes ». Quel est votre meilleur souvenir ?

« Microcosmos » est un très beau souvenir. D’une part, parce que ce film a fait décoller ma carrière. D’autre part, parce mon fils chantait la comptine dedans…

C’est agréable la reconnaissance de ses pairs ?

Bien sûr. Mais il faut s’en méfier aussi parce qu’on peut penser qu’on sait faire les choses. Je crois qu’il faut faire attention avec la réussite, on peut s’embourgeoiser…

Aviez-vous préparé un petit texte pour les César ?

Non, jamais ! Je préfère les choses spontanées. Pareil pour les Master class, je n’ai jamais de notes. Du coup, on est plus réactif.

En parlant de Master class, vous êtes actuellement professeur de composition et musique à l’image au Conservatoire de Paris, au CNSMD. Vous expliquez à vos élèves en quoi consiste la musique de film, quel rôle elle joue. Qu’attendent-ils de vous ?

Peut-être de les guider sur la relation réelle de la musique avec le film. Il ne s’agit pas de faire une très bonne musique, il faut voir comment une musique peut d’un coup, servir un film, pas l’augmenter, mais lui donner une vie, un supplément d’âme. Il faut voir aussi quelle est la densité de l’orchestration par rapport à la densité de l’image. C’est technique et c’est très sensible aussi. Au début, les élèves ont un peu peur du vide, donc ils ont tendance à vouloir tout expliquer, alors qu’il faut laisser respirer l’image. Je les pousse à oser, à ne pas faire ce que l’on entend partout, à être le plus personnel possible, c’est comme cela qu’ils seront repérés. Ce sont d’excellents musiciens, très doués. Bruno Mantovani, le directeur du CNSMD, qui est un merveilleux compositeur, met à leur disposition des moyens extraordinaires. Ils peuvent faire des enregistrements, des ciné-concerts avec un orchestre, ils vont dans des festivals etc.

Vos élèves sont-ils fascinés par le cinéma ?

Je cherche à les en prémunir ! Heureusement, ils ont des cours formidables sur l’histoire de la musique de film. Je les pousse aussi à aller voir de vieux films. Je pense qu’on ne peut pas faire de la musique de films en ignorant les Raoul Walsh, Fritz Lang, Fellini, Bergman, tous ces monuments du cinéma. Curieusement, aujourd’hui, où avec Internet, on a accès à tout, ce trop-plein fait que finalement la curiosité s’émousse et on ne prend même plus le temps de s’intéresser aux chefs -d’oeuvre du passé. On ne voit que les films de l’année et c’est dommage.

Vos élèves associent-ils le cinéma à la réussite ?

Je m’efforce de leur dire que ce n’est pas un statut d’être compositeur de musique de film, c’est une passion. Les compositeurs qui réussissent sont vraiment des passionnés de cinéma et de musique. Mais on ne fait pas de la musique de film pour réussir, pour la gloriole ou pour l’argent. C’est tellement dur d’être musicien, cela demande tant de travail, qu’on en devient très vite assez humble.

Vous avez composé la musique de plus d’une centaine de films, signé une quantité incroyable de bandes originales de téléfilms, avec autant de succès à chaque fois. Etes-vous un musicien comblé ?

Comblé, non… Je ne me satisfais pas de ce que j’ai. Certes, je suis content d’avoir réalisé tout ça, d’avoir eu la chance de faire toutes ses rencontres, mais je ne peux pas dire que je suis comblé. Je ne rejette aucun des films sur lesquels j’ai travaillé. Mais, parfois, il m’arrive de revoir des films dont j’ai fait la musique et je me dis mince, je n’aurais peut-être pas dû faire ça. Notre « moi » change. Ce sont des vies qui se succèdent et on a un autre regard.

Vous semblez très lié avec certains réalisateurs comme James Huth, Jacques Perrin, Josée Dayan, Etienne Chatillez, Laurent Heynemann, Benoît Jacquot etc. Poursuivez-vous un dialogue de film en film avec eux ?

Bien sûr !

Ce sont vos amis ?

Oui ! Josée Dayan m’a fait confiance avant « Microcosmos », et Laurent Heynemann aussi. Je continue à les voir avec beaucoup de plaisir. Après, il y a eu Jacques Perrin avec qui j’ai eu des projets incroyables. Benoît Jacquot, qui est très prolixe, et donc l’idée de faire un film avec lui chaque année me réjouit. J’ai une grande affection aussi pour James Huth. Tous ses films sont très originaux et marquants. Je trouve qu’il n’est pas reconnu en France comme il devrait l’être. Dans l’hexagone, on cultive une certaine méfiance vis-à-vis de la comédie, comme si c’était un art mineur. Mais James Huth a une approche subtile,singulière de la comédie. Peut-être que celle-ci peut choquer, surprendre mais au moins ces films ne ressemblent pas à des comédies franchouillardes.

Appréciez-vous Jean Dujardin ?

Oui ! Je l’aime beaucoup, c’est un acteur incroyable !

Parmi les acteurs et les actrices, quelle est votre plus jolie rencontre ?

Il y a des actrices qui prennent bien la lumière. Et qui prennent très bien aussi la musique. Je pense à Léa Seydoux dans « Les Adieux à la Reine ». Il suffit de mettre de la musique sur elle et la magie opère.

Parce qu’elle est très jolie ?

C’est beaucoup plus que ça. C’est sa façon de jouer. Ce n’est pas une actrice qui surjoue. Son jeu est  intériorisé. En France, on a beaucoup de chance, il y a une grande diversité chez les acteurs. Par exemple, j’apprécie Alain Chabat. J’ai travaillé avec lui, il est très sensible et timide. C’est un grand acteur.

Avez-vous d’autres passions que la musique ?

Oui, je suis un passionné de littérature, et tout particulièrement de littérature japonaise, Kawabata, Inoue, Tanizaki…

Bruno Coulais avec Kila. Enregistrement de la musique du film « Croc Blanc ». © JPAgency

Vous avez composé la musique du film « Croc Blanc » qui sortira en février 2018, celle d’« Eva » de Benoît Jacquot avec Isabelle Huppert qui paraîtra en 2018. Cela fait quoi d’être le meilleur compositeur français de musique de films ? Et aussi le plus demandé ?

Je ne pose pas la question, même si je suis fier d’être sollicité ! Pour en revenir à « Croc Blanc », j’ai réalisé avec étonnement, alors que nous enregistrions avec un groupe traditionnel irlandais (et plus tard avec la Philarmonique du Luxembourg) que « Croc Blanc » était le seul livre de Jack London qui n’était pas lu en Angleterre alors qu’il est tant apprécié en France. Quant au film « Eva » de Benoît Jacquot, c’est un film très intéressant, très fort, très sombre. Avec une musique mentale qui reflète l’intériorité des personnages.

Composez-vous pour le cinéma d’animation ?

Oui, et j’aime particulièrement les films d’animation. Par exemple « Coraline » est l’un de mes films préférés. Je me suis attaché dans ce film à raconter les peurs de l’enfance, à explorer les mondes parallèles. La musique est très importante dans le cinéma d’animation. J’ai travaillé avec Tomm Moore, le grand cinéaste irlandais. On m’envoie d’abord des animatics avec des dessins. Et là je commence à travailler, en visualisant les mouvements. Parfois je vais même dans les studios d’animation et j’adore !

Pour finir, que conseilleriez-vous aux jeunes qui sont attirés par la musique en général ?

D’aller au bout de leur passion. De ne pas renoncer à leurs envies. Ni à leurs rêves. Hugo disait que « la musique appartient au rêve ». On peut poser des notes sur des rêves… Et rendre la vie encore plus belle et digne d’être vécue grâce à la musique. Même si la société actuelle semble très sage, qu’on a tendance à faire accroire aux jeunes que le monde du travail est triste et bouché, il faut absolument tenter sa chance. Etre opiniâtre, déterminé, multiplier les rencontres. En un mot, être optimiste…

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Site officiel de Bruno Coulais

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Malo Girod de l’Ain

« Je crois que l’art digital a de beaux jours devant lui. Parce que c’est l’avenir du futur… »

Malo Girod de l’Ain est plus qu’un entrepreneur passionné, c’est un visionnaire. Ancien centralien, fondateur de sociétés d’outils logiciels à San Francisco et Sao Paolo, auteur d’un magistral essai « 2010, futur virtuel », il fait partie de ces patrons précurseurs de l’Internet qui ont anticipé l’avenir numérique. Il est l’un des tout premiers en France à s’intéresser à l’art digital (baptisé aussi art numérique, techno-art, computer art etc.). En 2009, Il crée un média sur le Net, Digitalarti Mag, qui devient très vite un magazine de référence, le premier site d’information au monde sur l’art numérique. Quelques mois plus tard, Malo Girod de l’Ain décide d’aller plus loin. Il devient producteur et distributeur de créations numériques principalement pour les entreprises qui ont besoin aujourd’hui d’accompagner leur transition vers le numérique et de proposer de nouvelles expériences à leurs clients. Il s’entoure d’une équipe d’ingénieurs brillants, pointus, fourmillant d’idées qui donneront naissance à de multiples, magnifiques et foisonnantes innovations numériques, comme cette installation interactive lumineuse illuminant la rosace de la Gare de l’Est, symbole de l’effervescence de la gare en temps réel. Ou cet incroyable tunnel de LEDs réalisé pour la sortie mondiale du dernier  Star Wars, une création visuelle avec jeux de lumières et projections d’images. Ou encore cette installation murale présentée au Futuroscope, Senseimage, surface tactile capable de détecter et de réagir au toucher des visiteurs. On l’aura compris, tout le génie de Digitalarti, de ses ingénieurs et de son admirable, brillant et chaleureux dirigeant, Malo Girod de l’Ain, est d’avoir su tirer des entrailles des ordinateurs, par-delà les effets spéciaux et les effets spectaculaires, la poésie de demain. Aujourd’hui, on peint avec la lumière, les sculptures du futur s’animent et évoluent à l’infini. Les codes de l’art ont changé…

On pourrait s’interroger sur la rupture esthétique qu’amorce cette nouvelle approche de l’art, impossible de ne pas reconnaître qu’elle a tout pour séduire les générations futures qui ne cachent plus leur intérêt pour les technologies de pointe. C’est un fait, le  champ artistique s’est agrandi d’un nouveau venu, l’art digital, lequel renouvellera peut-être notre vision du monde, réinventera le réel et pourquoi pas la beauté. Car l’art numérique est un art révolutionnaire. Il bouleverse les codes, invente d’autres règles, d’autres critères, s’adresse à la vue, au toucher, à l’exploration, à l’échange collaboratif, se métamorphose en voyage ludique, en expérience immersive, bref il nous fait toucher « le futur du bout des doigts ».Pour en appréhender la quintessence, tournons-nous vers le philosophe François Dagognet. Celui-ci écrit : «Le plasticien du XXIème siècle  travaillera avec l’ordinateur et se livrera à toutes sortes de productions chromatiques et néo-géométriques (…) Désormais, l’art nouveau ira plus loin, il abandonnera le réel pour le réalisable, pour l’infinité des mondes possibles, une genèse technico-métaphysique. L’atelier nous pourvoira en images inconnues, parce qu’empêchées, qui réconcilieront l’art et la machine, la logique même et l’inspiration, l’inventivité et la pixellisation. »

Bienvenue dans la nouvelle réalité de l’art.

Tunnel de LEDs pour la sortie mondiale de Star Wars VII

Victor Hugo écrivait « ceci tuera cela » en parlant du livre qui tuerait l’édifice. Nous sommes entrés dans l’ère numérique. Pensez-vous, Malo Girod de l’Ain que l’art numérique va tuer l’art figuratif ?

C’est une bonne question. Il me semble intéressant justement de revenir au livre.  On a longtemps cru (les éditeurs, certains lecteurs et amateurs de livres etc.) et j’ai, moi-même, fait partie des précurseurs qui ont lancés les e-book, que l’e-book et les liseuses « tueraient » le livre. On s’aperçoit finalement aujourd’hui que le livre papier a toujours une vie propre et que les ventes de livres continuent à prospérer. Comme la télévision n’a pas tué la radio, comme la liseuse n’a pas tué le livre, l’art numérique ne tuera pas l’art « traditionnel ». Tout au contraire, il y a des évolutions qui s’ajoutent. On va plutôt vers des enrichissements successifs que vers des destructions. La création numérique apporte de nouveaux talents, une nouvelle créativité, une nouvelle vitalité, une autre manière de voir donc de comprendre, d’apercevoir ce qui anime et bouleverse la société actuelle, ce qui n’empêche pas les œuvres disons plus « classiques » de continuer d’exister, de se développer en parallèle.

Vous ne pensez donc pas que l’art digital va « tuer » la main ? Et pourtant, rien de pire que d’imaginer un sculpteur assis devant son clavier à modeler une forme qu’il ne peut toucher.

En effet, c’est paradoxal ! Mais c’est un fait, nous sommes entrés dans l’ère numérique. Cette ère, on peut l’appeler virtuelle, mais elle est de plus en plus réelle. C’est une nouvelle réalité. On assiste à une évolution des paradigmes.Est-ce bien ? Est-ce préjudiciable ? Chacun a son opinion là-dessus. Pour ma part, je trouve que c’est une chance inouïe, passionnante. Car c’est une nouvelle dimension qui s’ouvre. Avec un potentiel créatif illimité. Pour en revenir à l’exemple du livre, que j’évoquais précédemment, d’aucuns s’entêtent à trouver incomparable, irremplaçable, le côté tactile du papier, le fait de le tenir dans la main, de tourner les pages, de toucher une feuille de papier, cette sensation que l’on apprécie tous. Mais le numérique n’est pas antinomique avec le toucher.  Tout au contraire. Le numérique explore la tridimensionnalité (toutes les installations, c’est du tridimensionnel), il cherche souvent à dépasser le « surfacial », il cherche à retrouver « l’entièreté » de l’objet dans l’espace et donc la possibilité pour le spectateur de le toucher. D’ailleurs beaucoup de créations numériques sont tactiles, elles font la part belle au toucher.  Elles l’exaltent même. Connaissez-vous ce duo de créateurs Scenocosme ? Ces artistes ont créé un jardin composé de véritables plantes musicales qui réagissent au moindre contact. En effet, lorsqu’un spectateur effleure ou caresse ces plantes, celles-ci s’éveillent et se mettent à chanter. C’est un peu de poésie, un peu de féerie dans un jardin numérique… Et c’est une expérience sensorielle extraordinaire que ce partage, cette transmission de l’énergie entre une plante verte et un humain. Le vivant et le végétal fusionnent…

Pourtant l’ennui avec les technologies ultramodernes, c’est leur fiabilité, elles prévoient tout. N’est-ce pas la définition même de l’académisme ?

C’est amusant que vous considériez les nouvelles techniques comme une perfection infaillible alors que beaucoup de gens pestent devant leur ordinateur en leur reprochant de se planter tout le temps ! Certes, le logiciel anticipe un certain nombre de choses mais malheureusement il ne prévoit pas tout. Tout simplement parce que c’est un univers de plus en plus complexe,et que les possibilités sont de plus en plus larges. Croyez-moi, nous sommes bien payés pour le savoir à Digitalarti ! Lorsque nous installons une œuvre, nous faisons appel à un technicien, à un ingénieur chargé de la maintenance parce que demeure toujours le facteur imprévisible.

Mapping au Bangkok Illumination 2015

Le philosophe Régis Debray écrit dans son essai « Vie et mort de l’image » que le logiciel n’est pas une œuvre, c’est un outil donnant lieu à une propriété industrielle non artistique. Selon lui, un logiciel peut avoir beaucoup d’applications, il est évolutif. L’œuvre est finie et définitive. D’accord avec lui ?

Beaucoup de réflexions fleurissent autour de ces notions de logiciels, d’œuvres. En effet, où est l’œuvre ? Est-ce dans les logiciels ? Dans la création finale ? Difficile à dire. Penser l’inconnu, l’inédit, le futur de l’art demande de procéder à une véritable expertise, une évaluation de celui-ci. Peut-être serons-nous obligés de renouveler l’outillage conceptuel existant pour mieux connaître la nature de l’art digital. En tout cas, dans l’art digital, Il y a des systèmes de base un peu comme il y a des systèmes d’exploitation Windows. La création finale est aussi du code. Après tout,on peut estimer que le code est fini et définitif autant que l’œuvre d’art. Il n’empêche, toutes ces polémiques à propos de l’art numérique sont révélatrices. Cet art nouveau suscite une certaine frilosité. De toute évidence, il y a une difficulté du monde de l’art contemporain non digital à admettre l’art contemporain digital, que ce soit du côté des critiques, des musées, des galeries. Il y a des chapelles existantes, donc l’art digital rencontre des résistances, comme tout ce qui est novateur, inédit, déstabilisant. Certes, il est difficile de rompre avec ses habitudes artistiques. Difficile d’accepter l’innovation, l’invention, l’originalité et l’inconnu. Pourtant toute l’histoire de l’art prouve que les changements s’opèrent à travers une logique d’opposition et de dépassement. Mais certains n’ayant pas forcément la culture du numérique ont du mal à accepter ce nouveau champ de création qui est varié, complexe, protéiforme, multiple, remué, travaillé en tous sens. En tout cas, ce qui est particulier à la France, s’avère différent dans le monde anglo-saxon. L’art numérique connaît un véritable engouement dans les autres pays. C’est comme si les mentalités étaient déjà en phase avec la révolution numérique artistique. En France, c’est différent. Par exemple, à Beaubourg, il n’y a pratiquement jamais eu de grandes expos d’art contemporain numérique…

Peut-être parce que les critères sont encore un peu flous…

Exactement. Tout ça est en train de se faire, le public est en demande et je sais qu’à Londres, ou à  New York, les grandes institutions proposent déjà régulièrement des créations numériques magnifiques…

Pensez-vous que l’art numérique est le miroir loyal ou déformant de la société du spectacle, de la société du loisir ?

Je ne nie pas que certains côtés de l’art digital peuvent apparaître comme ludiques et divertissants. Cela constitue même l’argument essentiel des critiques  qu’une certaine intelligentsia de l’art contemporain adresse à l’art numérique. Mais ce côté ludique n’est somme toute qu’une facette de l’art numérique. D’ailleurs, il existe aussi des peintures décoratives ! La plupart des créations numériques sont poétiques, fascinantes, contemplatives. Les artistes-plasticiens sont des découvreurs. Ils explorent de nouvelles pistes, de nouveaux horizons, ils prennent des risques. On rencontre des concepteurs comme Antoine Schmidt qui font des créations poétiques, noires et blanches, très belles, pointillistes. Cet artiste n’est en rien dans le ludique ni dans le divertissement. Il crée des œuvres minimales, abstraites. Il s’attache à créer des objets intelligents. Il est dans une approche philosophique, psychanalytique. Il utilise l’outil informatique pour aborder des thématiques contemporaines comme la liberté de l’humain dans un monde complexe. Je pense aussi à Christo, qui même s’il n’utilise pas l’art digital, n’a rien d’un artiste ludique. Sa démarche est purement philosophique. Il a fait un chemin sur l’eau, sa dernière réalisation en Italie, sur le lac d’Iseo en Italie. Il a réalisé un pont sur l’eau en tissu orange, juste pour deux mois, c’était extraordinaire. Il recouvrait, habillait, emprisonnait l’eau et la libérait ensuite. C’est un geste sublime. Il nous montrait finalement ce que l’on oubliait de voir.

Selon vous, l’art numérique répond-t-il aux attentes du grand public épris de beauté ? Il n’y a qu’à voir la foule qui piétine durant des heures devant le Grand Palais pour voir une exposition de Titien, Vinci ou Monet et qui souvent déserte les galeries d’art contemporain ?

C’est vrai, et c’est le sempiternel argument en faveur de la peinture figurative ! Croyez-moi, il y a aussi beaucoup de monde aux grandes expositions de l’art contemporain, à la Fiac ! Il n’empêche, il faut reconnaître que malheureusement en France, le grand public n’a pas beaucoup d’expositions d’art digital à se mettre sous la dent. Et il aimerait en avoir, j’en suis sûr ! Il n’y a qu’à voir la foule qui se presse aux festivals d’art numérique. Dernièrement, a eu lieu une exposition au Palais de la découverte, sur deux jeunes créateurs Adrien M et Claire B. Ils ont rencontré un franc succès. Le public était varié, et il y avait même des familles !

L’art est en pleine mutation, il a un nouveau visage, celui du métissage entre les arts : technique, arts visuels, image, son, numérique. Même s’il existe un fossé entre le calcul numérique et la sensibilité humaine, peut-être que le progrès technique au lieu d’éliminer définitivement la peinture figurative va la ressusciter, lui redonner une autre vie, et pourquoi pas la réinventer ?

En effet, certaines technologies contemporaines s’attachent à montrer sous un nouvel angle des œuvres classiques comme la Joconde. On peut zoomer dedans. Il y a même eu des Mona Lisa numériques !

Pensez-vous que la vitalité, le dynamisme de la création française passera par l’art numérique ?

J’en suis persuadé. Cet art numérique, c’est un concentré d’énergie. Il déborde de vitalité. Il y a une énergie vitale, et il y a beaucoup de talent français dans l’art numérique. Cela fait partie de ces domaines qu’on a appelé la Frenchtech ou la Frenchtouch. Avec des domaines comme le jeu vidéo, ou les créateurs d’effets spéciaux pour le cinéma. Il y a tout un ensemble de secteurs où la France est  reconnue, où les talents français sont très appréciés, parce qu’ils sont à cheval entre la culture scientifique et la culture artistique. Cet alliage, cette alliance entre culture scientifique et artistique est une tradition immémoriale en France. On a les deux et c’est notre force !

Quels sont, selon vous, les bons artistes contemporains en matière de création numérique ?

Aujourd’hui de nombreux créateurs de talents travaillent en France et bien sûr dans le monde entier. Me vient bien sûr à l’esprit Miguel Chevalier. C’est un artiste d’origine mexicaine qui vit en France. Il crée des compositions tout à fait étonnantes, avec des couleurs psychédéliques, des arabesques, des formes géométriques qui se modifient à l’infini, des mouvements, des illusions d’optique, des architectures liquides. Je citais plus haut, parmi les français,  Antoine Schmidt, Adrien M et Claire B, Scenocosme. Nous travaillons beaucoup avec Stéfane Perraud, Pascal Bauer. Un duo de talent qui a longtemps travaillé sous le nom d’Electronic Shadow…

Finalement, à vous écouter, on comprend quel’art numérique invente une autre forme de beauté…

Oui, et je crois qu’on devient de plus en plus sensible à ces beautés parce que cela permet de sortir de ce côté numérique utilitaire, c’est-à-dire l’ordinateur et le téléphone. Avec l’art, cela sort et cela se mélange avec la vie et c’est interactif. Ce sont des créations qui évoluent avec le spectateur, qui le sollicitent et l’entraînent dans une autre dimension…

Malo Girod de L’Ain, vous avez une belle approche de l’art numérique. Vous dites que « l’art numérique est une invitation à la découverte, un voyage intérieur au cours duquel le participant est amené à construire sa propre expérience »

Oui, parce qu’elle est propre à chacun. Il y a des œuvres qui sont contemplatives, d’autres génératives, d’autres interactives, d’autres tactiles : on touche l’écran ou une surface. Et cela donne naissance à un flux de formes mouvantes. A ce propos, notre société Digitalarti a créé quelque chose d’étonnant pour la première du dernier film Stars Wars. Nous sommes bien sûr là plus dans de la création ludique qu’artistique même si les frontières sont floues. Nous avons rendu complètement interactif un tunnel de LEDs  de 14 mètres de long, devant le cinéma d’Europacord d’Aérovile, à côté de Roissy. Les spectateurs passaient dans ce tunnel, bougeaient, et aussitôt se dévoilaient les silhouettes des personnages de Star Wars tels le Stormtrooper, KyloRen, DarkVador. Cela faisait de grandes traînées lumineuses de 14 mètres de long et au milieu évoluaient les personnages de Star Wars. Cette immersion visuelle et sonore offrait au spectateur une sorte de transition spatio-temporelle avant de connaître les derniers frissons de l’épisode VII ! C’était assez fabuleux !

Venons-en maintenant à votre entreprise : Digitalarti. Quand l’avez-vous fondé ?

Nous l’avons démarré en 2009. A l’origine, nous étions deux associés.  Au début, c’était un média, un magazine sur le Net, le premier site d’information sur l’art numérique et l’innovation. Assez vite, nous étions si impressionnés et admiratifs devant des créations numériques extraordinaires qui poussaient un peu partout dans le monde que nous avons voulu accompagner ces créateurs avec notre atelier que l’on appelle le Artlab, un laboratoire de fabrication et de production d’art numérique.

Digitalarti

Vous êtes alors devenu producteur et distributeur de créations numériques. De quelles innovations numériques êtes-vous le plus fier ?

Nous travaillons en ce moment sur une création multi-sensorielle dont nous sommes très fiers. C’est un gigantesque tapis interactif (pour l’instant, nous en sommes encore au prototype) qui va être installé au nouveau centre commercial, le centre Muse, à Metz. Son ouverture est programmée pour l’automne 2017. Ce sont des LEDs, avec de la lumière, entre chaque lumière, il y a un capteur, et cela s’illumine quand on marche dessus. L’effet est spectaculaire. Au delà de ce tapis interactif, plusieurs œuvres d’art digital seront installées dans ce centre commercial, toutes destinées à ré-enchanter l’expérience client sur le lieu de vente.

Pouvez-vous nous parler aussi de votre surface SENSEIMAGE installée au Futuroscope, une surface tactile et interactive qui associe l’image et la technologie de pointe, intégrée à l’exposition « Futur l’Expo » au Futuroscope et plébiscitée par le public ?

C’est la même technologie que ce tapis interactif dont je parlais précédemment, simplement pour le Futuroscope, on a fait une installation murale, une surface tactile, capable de détecter et d’analyser son environnement. Elle propose des  programmes de nature ludique, créative, que l’on effleure du doigt. La surface Senseimage a trouvé sa place dans un espace que le Futuroscope appelle « Futur l’expo ». Celui-ci est un parcours ludique et participatif dans le futur, dans lequel ont été intégrées un certain nombre de créations numériques, interactives tout à fait étonnantes. On y trouve des robots, des objets connectés, des imprimantes 3D.  Il y a même de la réalité virtuelle où un vêtement s’ajuste sur vous. Il y a aussi un bar futuriste où on peut prendre un dessert qui baigne dans l’azote liquide et quand on le déguste, il y a de la fumée qui sort par le nez ! Tout ce pavillon rencontre un énorme succès auprès du public. Les enfants adorent !

SenseImage

Futuroscope

En effet, c’était une installation assez spectaculaire.Elle évoluait en fonction du trafic voyageur et  recréait l’effervescence de la gare de l’Est. Nous avions installé sur la rosace deux cents grosses LEDs qui fluctuaient en fonction du nombre de voyageurs. C’était assez extraordinaire parce que c’était visible de l’intérieur, de l’extérieur, de nuit comme de jour. La nuit, on voyait même la rosace illuminée depuis le Châtelet… C’était une installation éphémère d’une durée de trois mois. La SNCF voulait une action emblématique qui permette de mettre en avant ses travaux de rénovation.

Gare de l’est

Vous avez en permanence des projets de créations numériques ambitieux. Vous avez un laboratoire de fabrication Artlab avec huit créateurs entourés d’ingénieurs, de techniciens, de régisseurs, d’électroniciens,  d’experts urbanistes, tous plus brillants les uns que les autres. Cette équipe à la pointe est-elle en train d’explorer des territoires inconnus ?

Oui, absolument, et on a même déposé plusieurs brevets ! Parce que parfois, on a besoin de technologies qui n’existent pas ! Par l’exemple, l’idée de ce tapis interactif pour le centre commercial Muse à Metz. Il existe plusieurs façons de rendre une surface interactive, mais aucune ne nous donnait satisfaction avec la précision demandée. Du coup, on a finalement inventé et breveté ce tapis !

Dans votre Artlab, on doit trouver les nouveaux Géo Trouvetou du numérique !

Oui ! Avec plein d’électronique partout !

Pouvez-vous nous parler de vos futures créations, celles qui vont sortir prochainement de votre atelier ?

Actuellement,  le projet Skyteam s’installe dans le monde entier. Il s’agit de l’alliance mondiale de compagnies aériennes, Air France, KLM etc. (une vingtaine au total). Avec de nombreux salons VIP dans le monde entier pour les voyageurs de première classe et de classe affaire. Dans ces lounges VIP sont installés des écrans avec des créations numériques, des vidéos artistiques et créatives exclusives que Digitalarti a sélectionnées et produites. Cela constitue un environnement apaisant et relaxant pour les voyageurs.

Skyteam

Digitalarti travaille en ce moment sur plusieurs créations majeures pour de grandes sociétés du luxe. Ces créations seront diffusées mondialement dans les prochains mois et vous pourrez les découvrir dans leurs boutiques ou événements. Malheureusement, nous ne pouvons rien en dire à ce jour, confidentialité oblige.

D’après vous, que vient chercher le public dans ces expériences immersives et interactives ?

Oui, il y a un côté immersif, on peut rentrer dans un monde, se laisser envelopper par une œuvre ou s’envoler vers une autre dimension. Ce n’est plus un tapis volant, on vole sur un tapis digital ! Ce qui plait beaucoup aux visiteurs d’expositions, ce sont les découvertes interactives : le spectateur ne regarde plus passivement une œuvre, l’œuvre le sollicite. Le spectateur participe. Il partage une expérience. C’est un échange collaboratif. C’est valorisant pour lui. « Il se sent exister »…

Etes-vous d’accord avec le philosophe Yves Michaud qui dit que le spectateur ou l’auditeur cherche à oublier son identité dans des expériences immersives, comme par exemple dans les expériences immersives musicales à Ibiza ?

Un phénomène se développe aujourd’hui énormément, celui de la réalité virtuelle.On découvre qu’il y a d’autres réalités. On découvre la réalité d’une nouvelle façon. On découvre que la réalité est multiple… Il y a le réel, l’irréel, et le virtuel. Dernièrement, il y avait le festival du film en réalité virtuelle au Forum des images. C’était une expérience étonnante. Dans une salle, on comptait une trentaine de personnes. Tout le monde mettait son casque et  chacun devenait complètement autonome, perdu là-dedans dans son monde individuel. C’était comme une expérience immersive où chacun s’oublie. Au programme, il y avait plusieurs films, il y avait des courts métrages virtuels. A la fois, c’était un monde très futuriste où on se retrouvait dans une matrice, perdu au milieu d’effets hypnotiquement incroyables. Mais à d’autres moments, on était dans un documentaire sur l’Afrique, sur les derniers rhinocéros en Afrique, avec un rhinocéros juste devant soi, une girafe derrière, le tout à 360°. C’était un peu moins artistique mais tout aussi inouï !

Selon vous, l’avenir est-il plein de promesses pour Digitalarti ?

Absolument ! L’art digital commence à entrer dans les mœurs ! Au début, quand on s’est lancé, lorsqu’on démarchait une entreprise, nos interlocuteurs ne comprenaient pas trop où nous voulions en venir, ils ne voyaient pas bien à quoi cela pouvait leur servir. Aujourd’hui, la grande différence, c’est que tout le monde a vu quelque chose de numérique à la télévision, dans des expositions, dans des parcs d’attractions futuristes, dans les musées. Les gens commencent à découvrir et à apprécier l’art digital. La demande s’amplifie de jour en jour du côté des entreprises. On nous sollicite de partout. Amazon nous a sollicités. Le Qatar aussi. Nous avons même travaillé pour le plus grand centre commercial thaïlandais et pour le salon d’art contemporain à Abu Dhabi. Nous avons des bureaux à Shanghai, à New York. A Paris et en France, les grandes entreprises font appel à nous pour des événements, pour des soirées inoubliables, pour embellir des lieux ou des façades de magasins, pour de nouvelles expériences clients, pour de nouveaux produits numériques interactifs etc. Je crois que l’art digital a de beaux jours devant lui. Parce que c’est l’avenir du futur…

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Exemple du centre commercial Muse à Metz: SenseImage apparaîtra en format tapis interactif de 40 mètres de long (installation en 2017)

« 2010, Futur Virtuel », de Malo Girod de l’Ain, Editions M2, 209 pages, 20€.

A ne pas manquer :

En Janvier 2018, Digitalarti a ouvert son nouveau « Showroom », son espace de démonstration de créations numériques interactives à côté de l’Etoile.

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Jivko

« Parler sur une oeuvre, c’est faire voyager le spectateur dans votre sens »

Du 15 octobre au 15 novembre 2016, place Saint-Germain-des-Prés, place Saint-Sulpice, et à la Mairie du 6ème arrondissement, Paris accueillera les œuvres du sculpteur Jivko. C’est l’occasion de découvrir un immense artiste dont les sculptures ne sont que puissance et légèreté, mouvement et vitalité, grâce et poésie. Des sculptures profondément émouvantes qui irradient une force intérieure, une sorte de spiritualité, une sagesse. Cet artiste d’origine bulgare, qui trouve dans la mythologie une inépuisable inspiration, a donné vie à des œuvres monumentales comme « Le Minotaure », « Le Centaure » et « Le rêve d’Icare ». La qualité de ses œuvres doit beaucoup à sa technique unique (il est l’un des seuls en France à sculpter avec de la cire d’abeille), et à sa façon de jouer sur le plein et le vide.  Des vides éclairant la matière, laquelle ouverte, laisse passer la lumière. On ne peut que tomber sous le charme de ses œuvres. C’est un miracle que ce bronze « Légèreté », on dirait une cathédrale de plumes, ardente comme une flamme, légère comme un fil de clarté, ou ce « Pèlerin », muni pour seul viatique de son bâton qui part d’un pas décidé sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle.

Nous avons rencontré Jivko dans son atelier. A peine entrée dans le patio de sa maison aux murs cramoisis, nous attendaient ses plus belles œuvres. Un choc visuel. Un concentré de beauté et de force.

Entretien avec un artiste tout à fait sympathique.

Jivko, vous êtes un artiste d’origine Bulgare. A 27 ans, vous quittez l’Europe de l’Est pour vous installer en France. Pourquoi ? Aviez-vous besoin d’une autre patrie ?

Je suis venu réaliser mes rêves ici… J’avais 27 ans et je venais de finir les Beaux-Arts à Prague. Pour nous, étudiants des pays de l’Est, la France était le pays le plus important en matière d’art. Elle était un exemple. Beaucoup d’artistes s’étaient réalisés en France. Et puis, c’était un pays qui accueillait véritablement ceux qui arrivaient avec du talent. C’est pour ça que je suis venu continuer mes études ici. J’ai suivi durant trois ans les cours à l’école des Beaux-arts de Paris. Puis je me suis lancé dans la sculpture. Si on y réfléchit, c’est vrai que j’ai vécu plus de temps en France que dans mon pays natal. Alors, effectivement, la France est devenue ma seconde patrie…

Quand vous commencez une œuvre, êtes-vous comme l’écrivain devant sa page blanche, devant votre pierre blanche ? Enfin « pierre blanche » pas vraiment, puisque c’est du bronze !

D’abord, je fais toutes mes sculptures en cire d’abeille. Ce sont des plaques de cire que je malaxe. Quand je commence une œuvre, j’ai déjà une idée très précise de la sculpture elle-même. La technique que j’ai est telle que l’on ne peut pas beaucoup modifier le résultat final. Donc, il faut être sûr de soi. La sculpture en cire  va ensuite à la fonderie. La fonderie remplace la cire par le bronze. Et moi, à la fin, je retravaille le bronze.

Donc, votre matière, ce n’est pas la terre glaise, c’est la cire d’abeille. Où trouvez-vous toute cette cire ?

Dans n’importe quel magasin d’apiculteur. Mais je n’en ai pas besoin de beaucoup parce que je fais seulement « le mur ». Mes sculptures ne sont jamais pleines.

Vous dîtes qu’une fois qu’on a commencé avec le bronze, tous les autres matériaux semblent fades…

En effet ! Quand on travaille le bronze, tout parait absolument fade après! Le bronze est un très beau matériau. Quant au marbre, il ne me correspond pas tellement. Dans le marbre, vous enlevez de la matière. Dans le bronze, quand je crée mes œuvres, j’ajoute de la matière…

Sculpter, c’est soumettre l’insoumise, la matière ? Engager un combat avec la matière pour la dominer ?

Je n’ai jamais pensé qu’il faille dominer la matière ! Il faut la maîtriser, non la dominer. La matière, c’est votre alliée. Vous connaissez la matière et en fonction de ses réactions, de ses capacités, de ses résistances, vous faites votre œuvre. Ce n’est pas une bataille avec la matière parce que la matière  n’est pas un ennemi, c’est quelque chose que vous vous appropriez, que vous utilisez pour vous exprimer.

On perçoit plusieurs influences dans vos sculptures, César, Giacometti. Il y a même un buste de vous qui, je trouve, ressemble à un Cocteau. Revendiquez-vous ces influences ? Et comment se défait-on de ces influences pour devenir soi-même ?

La façon dont travaille César est absolument opposée à la mienne. J’admire César, son travail mais je ne crois pas que mon travail lui ressemble… Sans doute pensez-vous aussi à Giacometti parce que mes statues sont allongées…

Non, parce ce qu’elles sont légères !

La légèreté, on l’obtient d’abord par du travail, par une grande maîtrise du matériau lui-même. Il faut aussi que la fonte soit de bonne qualité. César réalisait des sculptures en prenant des morceaux de ferraille ou de bronze qu’il assemblait. Après, il utilisait ces matériaux existants pour leur donner une forme, moi au contraire avec la cire, je pousse à l’intérieur pour construire mes œuvres et finalement c’est un travail qui se fait de l’intérieur vers l’extérieur. Cela jaillit dans l’espace et cela prend du volume. Résultat : la matière exprime sa force vers l’extérieur.

En effet, votre sculpture est très mobile, comme en mouvement. Vous faites bouger la matière, ce qu’a parfaitement réussi Giacometti avec ses créatures filiformes. Vous réussissez aussi à créer de la légèreté sans pour autant affiner vos sculptures. Elles sont merveilleusement aériennes. Comment faites-vous ?

Grâce à ce travail de l’intérieur vers l’extérieur, mais aussi à ce contraste entre le vide et le plein.La plupart des sculpteurs partent de la terre et lorsqu’ils travaillent avec la terre, c’est toujours plein à l’intérieur. Avec le marbre, c’est pareil. Avec ces matériaux, on a plus de mal à réaliser des choses fines. Cela ne vous permet pas d’être aussi précis dans le détail et dans l’expression qu’avec le bronze.

Le pèlerin, 2008

Vos sculptures sont hautes, présentes dans l’espace, c’est volontaire ?

Je fais des œuvres imposantes mais même mes petites œuvres ont ce côté monumental. C’est ça ma particularité : toutes les sculptures que je crée peuvent être agrandies de plusieurs mètres.

Selon vous, est-ce que vos sculptures disent tout, absolument tout… Au point qu’il n’y a plus besoin de parler dessus ?

Il faut s’exprimer mais il ne faut pas donner une explication ou se justifier. Il peut être intéressant de  parler sur le thème ou sur la technique d’une œuvre mais il faut laisser le spectateur faire son chemin. Parler sur une œuvre, c’est faire voyager le spectateur dans votre sens… Or, je crois qu’il est préférable de lui laisser la liberté de nourrir ses propres rêves, sa propre interprétation.

 La sculpture peut-elle dire ce qu’est l’homme ?  Vos sculptures disent-elles ce que vous êtes ?

Oh oui !

Alors qui êtes-vous Jivko ?

Moi, je ne peux pas dire qui je suis ! Je vais me contenter de vous répéter ce que les gens disent de mes sculptures. Ils disent (mais attention ce ne sont pas mes mots!) qu’elles sont poétiques, pleines de force, d’élégance…

J’ajouterai qu’elles sont puissantes ! Elles ne sont pas forcément tendres mais plutôt viriles !

J’ai un côté assez doux et un autre assez brut !

Dans une époque où tout bouge, tout s’accélère, «l’immobilité» de la sculpture a-t-elle encore un sens ?

Bien sûr, parce que si elle atteint son but, l’œuvre d’art provoque toujours des sentiments. Par exemple, je suis allé, il y a deux jours, au Musée de l’Homme, voir cette Vénus vieille de 25000 ans. Celle-ci représente la maternité. Elle était si belle, si actuelle, si atemporelle que j’en étais bouleversé. Si l’on parvient à provoquer des sentiments, qui soient éternels,  universels, qui touchent tout le monde, alors même dans cent ans, même si l’accélération est toujours au menu de notre monde, les œuvres éminemment belles parviendront encore à toucher les gens !

Pensez-vous que les jeunes sont touchés par l’art contemporain ?

Aujourd’hui, l’art contemporain cherche à surprendre. Chaque artiste cherche à faire quelque chose que personne n’a fait. Mais ce sont des phénomènes de modes qui seront balayés par le temps. Regardez les matériaux actuels : ce sont des matériaux comme du papier mâché qui ne peuvent pas résister plus de dix ans !

Alors que des matériaux nobles, comme le bronze, passent le temps…

Exactement ! Dans les années 50-60, il y eu une  mode extraordinaire de l’art abstrait. Plein d’artistes sont sortis. A l’époque, tout le monde était artiste. Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, vous ne souvenez même pas d’un nom ! Tout ça, ce sont des phénomènes de mode, de commerce. Parce qu’il faut bien inventer de nouvelles choses pour vendre…

Comme l’expression d’une certaine violence…

Par exemple. Mais c’est facile de créer quelque chose qui provoque une répulsion chez les gens, il suffit d’être un peu audacieux. Déplaire ne demande pas beaucoup d’efforts. Mais parvenir à inventer quelque chose qui va toucher les gens, ça, c’est une autre affaire !

Parce que le beau est presque inaccessible ?

Oui. Je crois aussi que l’œuvre est le reflet de l’artiste : elle reflète ce qu’il est. Avant, une œuvre d’art c’était le reflet du monde, maintenant c’est le miroir de l’artiste !

Pour vous, le monde contemporain est-il bancal et l’homme déséquilibré  comme semble le dire votre statue « Indépendance » ?

Je n’ai pas conçu cette statue dans ce sens. Je ne cherchais pas à dire que l’homme était déséquilibré. Si  déséquilibre il y a, c’est plutôt dans le sens où on franchit la ligne ou pas. Dans la vie, l’être humain doit faire des choix. Il balance entre les réussites et les défaites. Pour bien s’orienter, il doit prendre les bonnes décisions.

Vous reconnaissez-vous dans le monde actuel ?

Pour moi, c’est vrai que c’est parfois très frustrant parce que ce n’est pas évident de trouver sa place.

Vous n’avez pas trouvé votre place ?

J’ai trouvé ma place à mon niveau. Je me suis réalisé dans mon travail. Mais par rapport à l’Art officiel qui plait, je pense que je suis à la périphérie des intérêts officiels.

Mais vous arrivez à vivre de votre sculpture ?

Je vis même très bien !

Il y a une pudeur merveilleuse chez vous, une élégance : il n’y a ni agressivité, ni pulsion de mort  dans vos sculptures: est-ce parce que vous êtes en paix avec vous-même ?

Je ne pense pas… Je suis en paix avec moi-même dans mes créations. Je suis confiant. Je fais ce que j’ai envie de faire. Je ne suis pas dans le compromis, je suis incroyablement libre, et je suis surtout moi-même. Avec moi-même, comme personnage, ce n’est pas tout à fait le cas… J’ai quelques remords sur le plan professionnel qui de temps en temps me reviennent. Parce que j’ai commis certaines erreurs, peut-être des mauvais choix. Ou peut-être, parce que je suis trop exigeant…

 Depuis des années, vos sculptures rencontrent un vif succès. Vous exposez partout, au Sénat, place Saint-Germain, place Saint-Sulpice, en Allemagne, en Asie (en Corée du Sud, à Singapour et à Hong Kong, là où ils aiment vos œuvres les plus épurées, les plus symboliques). Vous êtes couvert de prix de médailles, de récompenses. Etes-vous sensible aux honneurs et aux vanités de ce monde ?

Au début, quand j’ai commencé à présenter mes œuvres, j’ai participé à beaucoup de salons, à beaucoup de concours, j’en ai gagné plusieurs, et je dois dire que c’était très rassurant. C’est  vrai que c’est une récompense, vous avez vos pairs et un public qui vous reconnait. C’est agréable parce qu’on apprécie votre travail, vous avez des distinctions, vous commencez à vendre, l’aspect financier n’est pas négligeable. J’ai eu le Prix de la Fondation de France (qui à l’époque s’élevait à 45 000  francs, ce qui était beaucoup), celui de l’Académie française. Cela récompensait toute mon œuvre d’alors, et surtout cela m’encourageait à continuer ! C’est très positif lorsqu’on est jeune, et que l’on éprouve le besoin de recueillir toutes sortes d’encouragements. Sinon, concernant « le chapitre des vanités », je ne suis pas quelqu’un de très mondain. Je suis très sociable, j’aime la compagnie de mes amis, mais je ne suis pas quelqu’un de « branché » qui court les réceptions mondaines, qui passent son temps dans les émissions de télé !

Malgré l’attachement que vous leur portez, vous dites de vos œuvres qu’il faut qu’elles fassent leur vie ailleurs… D’accord avec les Grecs qui disaient que les « œuvres ont leur destin » ?

C’est moi qui ai dit ça ?

C’est vous qui l’avez dit ! Je l’ai lu quelque part !

C’est très vrai, c’est exactement ça ! Toutes mes sculptures, je les travaille jusqu’au dernier détail, et à la fin, j’estime qu’elles sont parfaites ! Chaque fois que j’expose une œuvre, selon moi, elle est irréprochable. A ce moment-là, pour moi, c’est fini ! Elle ne m’intéresse plus. Il faut que ça parte ailleurs !

Donc, vos statues, ce ne sont pas vos enfants de bronze ?

Peut-être un peu quand je les travaille…Mais ensuite, je coupe le cordon ! A la maison, tous mes originaux sont cachés. Disons que je les range pour qu’ils n’influencent pas mon futur travail. Je ne les regarde plus. Ils font partie de mon passé. Par contre, c’est différent quand je vais chez des amis, ou des clients qui possèdent mes œuvres. A ce moment-là, dans un autre contexte, hors de mon atelier, je porte un nouveau regard sur elles et  je revois le moment où je les ai créées. C’est comme un flash, cela me rappelle des moments de ma vie.

Après le concert, 2007

Jivko, vendez-vous beaucoup ?

Je ne vends pas beaucoup, je vends bien !

Dans certaines statues, on dirait que pour vous l’être humain est une juxtaposition de plaques, de tiroirs, de cases, un peu comme chez Dali. Cherchez-vous à montrer à la fois, l’intérieur et l’extérieur, le mouvement et le repos, le plein et le vide ?

C’est une juxtaposition de volumes, pas de tiroirs ! Dans mes sculptures, en effet, c’est un jeu entre le plein et le vide. Ce vide porte sur les parties qui sont les plus faibles du corps, les jambes. Le bas du corps est évidé. Ce vide donne encore plus de force à cette faiblesse. Et donc plus de force dans les muscles qui sont à côté. Toujours ce fameux contraste ! C’est vrai que ce vide pour moi, au début, c’était comme un peu de souffrance à faire sortir. Ce vide signifiait quelque chose. Mais, c’était aussi une façon de donner de la légèreté à l’œuvre. La structure elle-même étant vide, cette ouverture permet de voir le jeu de la lumière dans les parties plus profondes.

Jivko, la sculpture, ce n’est pas le travail sur la lumière comme la peinture. Est-ce le travail sur l’ombre, sur la ligne ?

C’est d’abord un travail sur le volume, les lignes esthétiques. Mais c’est aussi un travail en spirale. De chaque côté où vous tournez la sculpture, à chaque regard, et à chaque angle où vous regardez, elle doit avoir un aspect esthétique. D’un côté, je cherche des lignes très simples, très épurées, de l’autre, la forme elle-même est riche dans sa surface.

Vous parlez assez peu d’amour dans vos sculptures. Pourquoi ?

Quand je suis amoureux, je crée des sculptures sur le thème de l’amour. Quand je le suis moins, je fais autre chose ! Mais, je vous rassure, je suis en permanence amoureux ! Cela dit, c’est vrai qu’une fois dans ma vie, il y a eu un moment où j’étais très amoureux. J’ai eu une déception, et j’ai donné naissance au « Minotaure ».

« Le Minotaure », c’est une statue magnifique dont il émane une force incroyable !

C’est l’une de mes préférées !

En octobre prochain, vous allez exposer place Saint-Sulpice et place Saint-Germain à Paris. Que représentent vos statues ?

Sur la place Saint-Germain, il y aura sept sculptures et autant sur la place Saint-Sulpice. Il y a quelques nouvelles œuvres et quelques anciennes. Les nouvelles œuvres portent surtout sur la légèreté. Il aura une exposition pour les promeneurs et aussi une exposition dans la mairie du 6ème arrondissement, avec quelques petites œuvres.


Hommage à Pierre Messmer.

Vous êtes en train de réaliser une statue monumentale de l’homme politique, Pierre Messmer, qui est une commande de la ville de Sarrebourg. Celle-ci sera exposée à partir du 3 septembre 2016 à Sarrebourg, en Lorraine. Cette statue est si ressemblante qu’on dirait qu’elle est vivante…

Il y aura, en même temps, la même exposition dans la ville jumelle qui porte le même nom en Allemagne, à Sarrebourg !

Enfin ma dernière question : Jivko, que cherchez-vous à atteindre à travers la sculpture ?

Un peu d’éternité…

Propos recueillis par Isabelle Gaudé

Le minotaure, Bronze, 2000

Indépendance, Bronze, 1998

Rêve de musique, bronze. Septembre 2017