Aujourd’hui, nous avions rendez-vous avec la directrice générale du Studio Harcourt, Catherine Renard, pour un entretien à bâtons rompus sur l’art du Portrait. Confinement oblige, l’interview a été reportée. Pour patienter, cap sur ces appels de fiction dont parlait Roland Barthes, splendeurs inaltérables, immatérielles, intemporelles, désincarnées que sont les actrices, acteurs et leurs portraits Harcourt. Car il s’agit bien de cela au Studio Harcourt. Dans cette fabrique à rêves, on métamorphose le réel en irréalité. On transmue le vivant en imaginaire. On fait surgir d’un acteur ou d’une actrice « un dieu ou une déesse, éternellement jeune, fixé à jamais au sommet de sa beauté. » Un être éthéré, évanescent, dont l’apparence immarcescible, à l’opposé du PortraitdeDorianGray, échappe au temps, au vieillissement et à la mort. Non content de fixer l’éternité dans un instant, le portrait Harcourt offre au comédien une carte d’identité, une intronisation dans le métier d’acteur, et une place dans le Panthéon des Stars. Il lui accorde aussi la chance de s’inscrire dans cette mémoire mythique de la photographie, celle qui appartient au plus ancien et au plus célèbre studio de photographie. Reconnaissance suprême, véritable estampille, le portrait Harcourt fait penser à cette empreinte que les acteurs américains laissent sur Hollywood Boulevard. Histoire d’immortaliser leur passage au cinéma et sur terre. Loin de l’inflation narcissique actuelle où chacun s’expose, s’exhibe, se donne à voir, s’auto-séduit en se contemplant, le Studio Harcourt apparaît comme un lieu de résistance. Ici, la vanité n’est pas de mise. On ne vient pas chercher dans son Portrait Harcourt le quart d’heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol, on vient chercher quelque chose qui vous échappe, une part secrète, inconnue, mystérieuse, inconsciente de soi, mise en lumière par l’objectif du Studio. Où l’on comprend mieux que la surface est le miroir de la profondeur. Dans ce clair-obscur, la psyché se révèle…
Avec « Toute ressemblance…» (avec le monde réel, existant ou ayant existé, est purement fortuite…), Michel Denisot signe un premier film très réussi, intelligent et particulièrement jubilatoire. Il épingle avec élégance la métamorphose insidieuse du monde contemporain. Où comment cette société du spectacle, totalement asservie à l’impérialisme de l’image, qui comme l’écrivait Guy Debord « est la négation de la vie réelle », impose sa loi et finit par abolir la vitalité humaine. Quid de l’histoire ? D’abord, c’est une plongée palpitante dans les coulisses du JT d’une grande chaîne télévisuelle. A travers le personnage de Cédric Saint Guérande, le fantastique Franck Dubosc, présentateur vedette du 20h, on réalise très vite qu’en 2019, le pouvoir médiatique ne s’embarrasse pas de détails. Il n’admet tout simplement aucun contre-pouvoir… Exit le doute, la vérité, le réel, et pratiquement le politique (qui pour s’exprimer doit montrer patte blanche ! ) Dans cette ambiance quasi totalitaire mais bon enfant, l’image incarne la pensée dominante ou la doxa, et le présentateur du JT s’arroge tous les droits, comme celui de choisir à loisir d’informer ou de désinformer, de falsifier le réel ou de l’embellir. Il contrôle tout. Nul ne réagit face à ses écarts : aveuglé par le pouvoir de la petite lucarne, c’est l’assentiment immédiat, la crédulité absolue du côté du spectateur. Dans ce joli monde conçu comme représentation, notre Cédric Saint Guérande, œil de velours et séduction toute en retenue, trône aux cimes de l’audimat, adulé et vénéré par des millions de téléspectateurs. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où un nouveau patron de chaîne vient détruire cette belle harmonie. Alors que CSG, dopé au succès et aux amphétamines, consacre le plus clair de son temps à s’étourdir dans une vie festive en totale immersion dans sa bulle matricielle (bonjour la fusion intra-utérine !), ce bébé humain qui a de plus en plus de mal à devenir adulte (régression quand tu nous tiens…) va devoir revenir sur terre. Le grand patron a décidé de rajeunir et de féminiser le 20 heures. La guerre est donc déclarée. N’écoutant que son ego surdimensionné (lequel apparaît en réalité bien vacillant puisqu’il éprouve en permanence le besoin d’être rassuré par le regard d’autrui), CSG affronte son patron (symbole du père ? de la loi ?). Enragé à liquider son rival (à tuer le père ?) à n’accepter aucune hiérarchie ou pire par incapacité contemporaine à reconnaître l’Autre, CSG commence sa chute. On le découvre alors plus spectateur qu’acteur de sa vie, incapable de se réconcilier avec le réel, aliéné qu’il est par l’image, ses faux semblants, son cortège de paraître et d’apparences, quasiment condamné à la solitude. Et c’est là où Michel Denisot fait preuve d’une subtilité rare. Il offre à la splendide Caterina Murino, belle à couper le souffle dans ce film, la chance d’incarner le réel. Son personnage Elisa symbolise la vraie vie. Le réel dans ce qu’il a de plus imprévisible, de moins contrôlable. Elisa d’abord c’est l’amour. L’amour, cet invisible dans ce monde trop plein de visible. Elisa la vivante, la vibrante, qui refuse les faux-semblants et les mensonges, qui s’échappe car rien ne peut la contrôler sinon la passion. « Ne te courbe que pour aimer et si tu meurs, tu aimes encore » disait René Char. Aveuglé par le pouvoir médiatique et ses fantasmes de toute-puissance, CSG a perdu de vue l’essentiel, il est passé à côté de la vie réelle. Il intuitionne pourtant que la vraie vie est ailleurs et que quelque chose sur terre libère comme l’amour réel…
D’apparence léger, ce film est une remarquable réflexion sur le réel. Il ne peut être qu’accueilli qu’avec ferveur puisqu’en le visionnant sur le grand écran, peut-être deviendrons-nous plus lucides, plus réalistes, et même voyants face au petit écran…
En attendant, nous avons voulu rencontrer l’incarnation du réel (et l’incarnation de la beauté) !
Conversation à bâtons rompus avec Caterina Murino
L’actrice Caterina Murino
Vous venez de crever l’écran dans la série télévisée « Le temps est assassin » adaptée du roman de Michel Bussi. Cette série en 8 épisodes diffusée sur TF1 a réuni plus de 6,3 millions de spectateurs par semaine. Un véritable succès. Comment avez-vous vécu ce tournage ?
Avec beaucoup d’émotion. C’était un rôle puissant, d’une
belle intensité dramatique. Les productrices et le réalisateur m’ont fait un
très beau cadeau en me confiant le personnage de Palma. Celui d’une femme
trompée qui veut protéger sa famille et se bat pour elle jusqu’au bout. Cette
histoire c’est d’abord un magnifique travail d’écriture de Michel Bussi. Et
puis un travail d’adaptation qui donne naissance à un scénario haletant. Mes
partenaires étaient tous flamboyants dans ce décor sublime qu’est la Corse, la
Corse qui finalement demeure la vedette de la série. Enfin, je suis très
reconnaissante au public français de nous avoir suivis avec passion d’épisode
en épisode jusqu’au dénouement.
Depuis ces records d’audience, les passants vous reconnaissent-ils davantage dans la rue ?
Non ! Les gens s’imaginent que le but ultime des acteurs dans la vie, c’est d’être reconnu dans la rue. Mais c’est terrible de croire ça ! Moi, cela ne m’intéresse pas du tout. Par contre, j’ai reçu de magnifiques textos, de messages vraiment incroyables sur les réseaux sociaux. Des mots sincères et touchants qui me réchauffaient le cœur. Quelqu’un m’a même écrit un message bouleversant parce mon personnage l’avait touché. Des femmes, des téléspectatrices qui s’étaient identifiées au vécu de Palma m’ont raconté leur histoire. Je suis en émerveillement devant tant de générosité et d’empathie.
Elisa (Caterina Murino) et Cédric Saint Guérande (Franck Dubosc) dans le film « Toute ressemblance… »
Le mercredi 27 novembre est sorti le film très attendu de Michel Denisot « Toute ressemblance… » Vous a-t-il contacté directement ou avez-vous passé un casting pour décrocher le rôle principal féminin ?
Je n’ai pas passé de casting. Je connaissais déjà Michel
Denisot. Je l’avais rencontré il y a quelques années lorsqu’il présentait sur Canal
+, le Grand Journal. Nous nous sommes revus lors d’un déjeuner qui a duré plus
de trois heures. J’avais face à moi quelqu’un d’extrêmement cultivé, d’extrêmement
élégant, d’extrêmement gentil, à l’humour piquant, toutes ces qualités que j’ai
retrouvé dans le film.
Durant des années, le journaliste Michel Denisot a reçu dans son Grand Journal (et à Cannes) les plus belles actrices du monde. Et c’est à vous qu’il a pensé pour incarner Elisa. Vous éclipsez toutes les autres… Est-ce parce que vous êtes l’une des actrices les plus charismatiques de votre génération ?
Ah non ! Je ne crois pas !
Pourtant, dès le début, Michel Denisot avait déjà dans l’idée que ce serait vous !
Je savais depuis plus d’un an que Michel Denisot préparait son film. Même si j’avais son numéro de portable, je n’ai pas cherché à le joindre, encore moins à le solliciter pour le rôle. C’est mon ex-agent qui, un jour, m’a contacté en me disant « Ecoute, Michel voudrait te rencontrer pour te parler de son film ». Et j’étais, comme vous le dites, très étonnée qu’avec toutes les actrices susceptibles d’interpréter le rôle d’Elisa, il ait pensé à moi ! Merci Michel !
L’actrice Caterina Murino (photo Paris Match)
Rien d’étonnant à cela, vous êtes une actrice incandescente !
Trop gentil ! Mais ce qui était touchant c’est que Michel
Denisot et Olivier Kahn ont vraiment lutté pour m’avoir. Le tournage de la
série « Le Temps est assassin » et le tournage de « Toute
ressemblance… » ont débuté en même temps, le 4 septembre 2018. L’un à
Paris, l’autre en Corse. Donc, durant huit semaines, j’ai pris un avion tous
les jours, pour faire Paris-Corse. Dimanche, j’atterrissais en Corse pour y
tourner le lundi. Et dès le lundi soir, je reprenais un avion pour rentrer à
Paris et y tourner dès le mardi matin. Le mardi soir, à nouveau l’avion et
ainsi de suite tous les jours et ce, durant deux mois !
Vous deviez être épuisée ?
Je n’y comprenais rien en fait ! Mais j’étais très heureuse parce qu’Elisa ne ressemblait pas à Palma ! Et qu’interpréter deux rôles en même temps me galvanisait !
Sur le plateau du Quotidien, Yann Barthès reçoit l’équipe du film, l’acteur Franck Dubosc, le réalisateur Michel Denisot, l’actrice Caterina Murino et l’acteur Jérôme Commandeur
« Toute ressemblance… » est un film sur les coulisses du monde de la télé. Michel Denisot montre l’envers du décor et fait ressortir les ridicules de certains comportements des gens de télé. On découvre un univers de manipulations, de trahisons, d’excès, de coup bas, de jeux de pouvoir mais aussi d’addiction à la drogue…
Oui ! Michel voulait révéler au public certaines vérités
sur les médias. Il m’a donné un personnage proche de moi car je ne bois pas, je
n’ai jamais touché une cigarette ni touché à la drogue. C’est un rôle qui dit
non à tout ça. Cette femme porte à son compagnon un amour sincère et elle tente
de lui faire comprendre que la vie c’est autre chose que l’égo et la drogue.
Que cherche Elisa dans la vie ?
A un certain moment, Elisa va quitter Cédric. Elle ne veut
plus voir son compagnon sombrer dans les addictions. Elle ne l’accepte plus.
Elle recherche l’intégrité chez un homme. C’est une femme qui n’est pas dans le
paraitre. Elle possède une certaine richesse de l’âme et n’a pas besoin de faux-semblants
pour avoir le sentiment d’exister. Peu lui importe que son compagnon soit
chaque soir vénéré par six millions de téléspectateurs. Elle ne recherche ni la
célébrité ni la reconnaissance. C’est une femme ancrée dans l’existence, qui
veut simplement vivre dans la vraie vie, et non dans un monde de paillettes
saturé d’apparences.
Est-ce la première fois que vous tourniez avec Franck Dubosc. Est-il drôle et sympathique comme dans « Camping » ?
Oui, absolument, c’est la première fois ! Et non, il est beaucoup mieux que ça ! Cela a été une vraie surprise pour moi. C’est un homme qui n’a rien à voir avec son image. C’est un homme humble, attentionné, prévenant, qui écoute les conseils de tout le monde. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Si j’avais bêtement des a priori à cause de cette image trop réductrice de son rôle dans « Camping », j’ai découvert un magnifique compagnon de voyage…
Lors de l’avant-première du film « Toute ressemblance… », le lundi 25 novembre, Franck Dubosc et son épouse, Danièle.
Dans toute ressemblance, Franck Dubosc incarne le présentateur préféré des Français. Il est beau, riche, célèbre. Chaque jour, il fait vibrer la France entière. Mais lui, qu’est-ce qui le fait vibrer ? Le pouvoir est sa drogue. Est-il dans l’illusion infantile de la toute-puissance ? Son succès lui donne-t-il un sentiment d’impunité ?
Totalement ! Il se drogue au pouvoir. Et la drogue
réelle l’amène à penser qu’il est un Dieu… Finalement, il perd un peu la tête…
D’ailleurs, dans « Toute ressemblance », Franck Dubosc affirme qu’il est le Roi. Il est le roi, le roi du monde qui règne sur le réel grâce à la régence télévisuelle. Il a sa cour, ses codes, ses courtisans. Il se sent indétrônable. Jusqu’à l’arrivée du nouveau président de la chaine incarné Denis Podalydès, qui veut sa tête…
C’est la guerre des égos ! Entre celui qui rafle tous
les succès, le présentateur du JT et son patron qui est aux manettes de la chaîne. L’égo du boss
est dérangé par le triomphe de Franck Dubosc. Il s’énerve à tort – car au lieu
de penser au succès de la boite dont il a la gestion – il s’agace que les
records d’audience ne viennent pas de lui mais de Cédric.
Cédric de Saint Guérande, dit CSG, affirme au début du film « Mon paradis, c’est ça : avoir tous vos yeux braqués sur moi, tous les soirs ». Dans l’ère visuelle, être visible, être partout sur les réseaux sociaux, être vu par tout le monde, passer à la télé, capter l’attention de tous, c’est devenu le nec plus ultra. Pour vous, être actrice, c’est se mirer et s’admirer dans les yeux des spectateurs ?
Non, pas pour moi ! Etre actrice c’est arriver à donner une âme et un corps à de l’encre tracée sur du papier. Mais aussi offrir une parole et raconter une histoire qui grâce à un écran, peut amener à un combat.
Lors de l’avant-première du film « Toute ressemblance… », le réalisateur Michel Denisot et son épouse, Martine.
Les acteurs dépendent-ils du désir des réalisateurs ?
Toujours ! Il faut rentrer dans leur imaginaire. Pour le
rôle de Palma, les productrices Isabelle et Aline m’ont dit dès le début, Palma
c’est toi ! Mais ça c’est rare… C’est comme une grâce… Car,
malheureusement nous ne sommes pas uniques au monde et chaque actrice a le
pouvoir d’interpréter n’importe quel rôle.
Est-ce que plus on vous voit à l’écran, plus les réalisateurs pensent à vous pour un rôle ?
Il y a les deux. Quand on voit trop un acteur, cela peut
engendrer un phénomène de lassitude. Et quand on ne le voit pas assez, on peut
l’oublier !
Le réalisateur du film « Toute ressemblance » Michel Denisot.
Avez-vous une actualité théâtrale ?
Oui, cela fait deux ans que je fais une tournée théâtrale en
Italie, qui se terminera le 8 mars prochain. Je joue dans la pièce « Huit
femmes » de Robert Thomas, adaptée cinématographiquement par François Ozon
en 2002.
Aimeriez-vous jouer au théâtre à Paris ?
J’aimerais tellement ! Je suis une grande fan d’Alexis
Michalik, le metteur en scène qui a monté « Intra Muros », « Edmond »
et « Loin ». C’est un jeune metteur en scène qui a un talent fou. En découvrant
ses spectacles, on voit qu’il est amoureux du théâtre, qu’il a inventé un
nouveau code du langage théâtral, qu’il dirige merveilleusement ses comédiens.
Pour moi, ce serait un rêve de travailler avec lui…
Et du côté du cinéma, y-a-t-il un réalisateur avec qui vous aimeriez jouer ?
Il y en a beaucoup ! Dernièrement, j’ai vu « Les
Misérables ». C’est un très jeune metteur en scène, il a su raconter une
histoire proche de lui. On voit qu’il a compris tout de suite, les codes du
cinéma. Il raconte quelque chose de quotidien mais de bouleversant avec une
énergie et une force qui vont droit au but. C’est un film « coup de poing ».
J’aimerais tourner avec Ladj Ly.
Vous êtes une femme vraie, entière, extrêmement généreuse. Donner du bonheur aux autres vous rend heureuse. Et vous, qu’est-ce qui vous fait du bien à l’âme ?
On a perdu de vue ce qui faisait l’essentiel de la vie. La vie c’est la normalité, la quotidienneté. Par chance, la vie m’a donné des choses un peu extraordinaires, mais moi ce que j’adore c’est le quotidien ! Sans doute que si je n’avais que du quotidien dans ma vie, je m’en lasserai. Mais aujourd’hui, faire les courses, voir des amis, dîner avec mon fiancé, recevoir ma famille, passer un samedi soir à regarder la télé sous la couette, c’est simple, pour moi, c’est le bonheur !
Sylvain Tesson « Le face-à-face avec l’animal, c’est la véritable expérience de l’Altérité »
Peter Handke : « Ecoutez: ma route, mon droit, le dernier chemin libre sur notre planète – je veux le défendre. Je veux ? Je dois. C’est mon rôle » Un spectacle au théâtre national de la Colline, du 3 au 29 mars 2020. Distribution :De Peter Handke, mise en scène Alain Françon. Avec Pierre-François Garel, Gilles Privat, Sophie Semin, Dominique Valadié.
Jérôme Garcin : « Il est si jeune encore et il y a tant de rôles à endosser, tant de vies imaginaires à épouser, tant de mues à faire et de peaux neuves à porter »
Riss : « Quand on émerge vivant d’une telle horreur, on n’a pas envie de retrouver intactes, toujours aussi triomphantes, la bêtise et la médiocrité. Comme si rien n’avait changé (…) On n’ose pas s’exprimer de peur de choquer, d’être incompris puis rejeté. Pour revenir parmi les vivants, on ne dit rien qui pourrait nous en exclure. Car la vie ne nous est pas due. Mais seulement accordée »
Michel Desmurget : « Notre société a compris qu’il était de toute première importance de fabriquer les personnels acculturés dont le marché avait besoin. (…) Le rêve de l’industriel, c’est l’ilote, l’esclave sans conscience des sociétés antiques, le Crétin des sociétés modernes. »
Célébrée partout dans le monde (Dubaï, Miami, New-York, Monaco, Hong Kong, Séoul etc. ) pour ses sucreries en plexiglas, Bonbon-drapeau ou Wrapping, l’artiste française Laurence Jenkell est en passe de devenir aux Etats-Unis aussi célèbre que Jeff Koons. Pour ne citer que New York, c’est tantôt une exposition en plein air sur Madison Avenue, tantôt un parcours d’art au Port Authority Bus Terminal (la plus grande gare routière au monde avec ses 70 millions de passagers par an.) Les Américains l’adorent et c’est justice car ses berlingots appétissants, ludiques, aux couleurs franches, pop, bariolées ou acidulées, ces papillotes éclatantes qui décorent les rues de New York, font le bonheur des passants. Leur glacis coloré, léger et joyeux donne l’eau à la bouche, suscitant en nous une envie régressive de succion. Grâce aux sculptures Bonbon de Laurence Jenkell, c’est toute la société qui retombe en enfance… Et c’est merveille. Car ces sculptures ludiques, source de douceur, de tendresse et de réconfort, nous font du bien. Véritables madeleines de Proust, accélérateurs de mémoire, capteurs d’éternité, les Bonbons de Laurence Jenkell déclenchent à notre insu les mécanismes de la mémoire involontaire. A les contempler, émergent en nous la fraîcheur de souvenirs d’enfance oubliés, de fous-rires entre camarades, ces moments joyeux et insouciants où le pur bonheur de la dégustation d’une confiserie sucrée suffisait à nous combler. Le charme opère. Le passé refleurit dans le présent, Laurence Jenkell vient de donner vie aux bonbons et c’est tout simplement délicieux… Sans doute est-ce pour cette raison que cette artiste qui vit et travaille à Vallauris (dans les Alpes-Maritimes) rencontre un tel succès : ses bonbons représentent un peu de douceur dans un monde de brutes… Ils font plaisir à voir, parlent et plaisent à tous et à chacun, jeunes ou moins jeunes, sont universels et intemporels. Ils ont l’art de nous replonger dans le monde enchanté de l’enfance. Tant et si bien qu’à l’avenir, on ne pourra plus voir un bonbon sans penser à Laurence Jenkell…
Bonbon de Laurence Jenkell devant La Boutique Louis Vuitton
Bonbons de Laurence Jenkell devant La Boutique Louis Vuitton
L’art est une fête
Ces sculptures Bonbons, les parisiens et autres visiteurs du monde entier pourront les admirer sur toute l’avenue George V (Paris 8ème). Dans ce lieu mythique de Paris, proche des Champs-Elysées, qui accueille du mardi 14 octobre au vendredi 15 novembre 2019 pas moins de 60 œuvres d’artistes contemporains connus et reconnus pour une exposition monumentale et gratuite sur 2 kilomètres. Plus besoin de musée, le beau se tient dehors, à portée de main. Bien sûr, on pourra contempler les oeuvres de Laurence Jenkell devant le magnifique hôtel Prince de Galles où a eu lieu le vernissage de l’exposition le mardi 14 octobre avec ses prestigieux invités, mais aussi devant l’enseigne Vuitton ou Elie Saab. Mais ce n’est pas tout… L’enchantement poétique continue au cours de notre flânerie sur l’avenue George V. On croise des oeuvres de l’icône américaine de la sculpture hyperréaliste, Carole A. Feuerman, qui nous donne à apercevoir des corps plus réels que nature. Elle renouvelle notre vision du monde et nous révèle ce que nous ne voyons plus : la réalité vivante. Avec son style inimitable, elle campe la silhouette adorable d’une jeune nageuse enlaçant un ballon aux couleurs chatoyantes. Là aussi, on retrouve la perfection de la jeunesse, sa douce insouciance, son abandon ravissant. Pure beauté. Sous le soir rosé qui tombe sur l’écrin de verdure de l’avenue George V, c’est un peu de rêve qui nous est donné. Plus loin, on découvre une superbe danseuse de Carole A. Feuerman devant Bulgari. Ou encore un nageur à bonnet de bain doré ornant l’incontournable Fouquet’s. Paradent en bas de l’avenue des bustes en « portrait optique » du peintre et sculpteur Marcos Marin comme sa célèbre sculpture à l’effigie de Neymar ou encore des œuvres de la photographe Charlotte Mano. L’art sort du musée, il sort dans la rue pour notre plus grand plaisir. Accessible à tous, il se laisse appréhender lors d’une promenade en plein air, à ciel ouvert, sous une étoile, un clair de lune ou en plein jour dans notre capitale dédiée à l’Art. Après un peu de douceur, voilà enfin une source infinie de beauté dans un monde que l’on voudrait plein de grâce…
A ne pas manquer…
Sculpture de Carole A. Feuerman
Marcos Marin devant son buste de Neymar
Les danseurs de Carole A. Feuerman
Nageur de Carole A. Feuerman devant le Fouquet’s
Pose du voiturier devant le magnifique Hôtel Prince de Galles en compagnie du Bonbon de Laurence Jenkell
Il est l’artiste
français contemporain le plus vendu au monde. Mais il est surtout un immense
sculpteur. En quelques années à peine, son œuvre s’est imposée par son audace,
son originalité, son inventivité. Quel est le secret de cette victoire ?
Un bestiaire à couper le souffle. Des loups blancs, des ours polaires, des
gorilles noirs, des crocodiles rouges flashy, des panthères chromées, des lions
bleus. Un vestiaire tout aussi éclatant, avec ses perfectos roses, ses jeans
argentés, ses stilettos laqués vermillon… Un arc en ciel de couleur pour une
fête artistique.
Chez Richard Orlinski,
l’ours blanc, le lion doré ou le tigre argenté ne sont pas de simples
représentations multicolores mais une présence vivante, palpable, dont on
perçoit la chaleur animale. Car Richard Orlinski fait mieux qu’imiter la vie,
il la fait naitre sous ses doigts. D’un seul coup, l’animal palpite, vibre, se
cabre, rugit. Paradoxalement, c’est en exhibant la violence animale, les crocs
effrayants du gorille, les mâchoires acérées des crocodiles, que ces œuvres
d’art nous aident à canaliser notre violence humaine, à dominer notre
agressivité galopante, à la métamorphoser en douceur et tempérance. Par leur
proximité esthétique, ces animaux ont un effet apaisant sur nous. Ils nous
obligent à nous réconcilier avec nous-même. Mieux qu’une thérapie, c’est le
triomphe de la beauté, de l’harmonie, de l’amour sur nous. Pour ce faire, Richard
Orlinski n’a pas besoin de civiliser ses animaux, lesquels « sont plus humains
que les humains ». Plus sages aussi. Il les a simplement corrigés à son
image. « Voir le monde comme je suis, non comme il est » disait
Eluard…
Dès lors, rien de plus
beau que cette sculpture monumentale de 6 mètres de haut, campée sur les
hauteurs de Val d’Isère, qui flirte avec les nuées. A la verticale, dressé vers
le ciel, un ours polaire, immaculé, les pattes lancées vers l’azur en une sublime
assomption, en une tendre accolade, nous invite à le rejoindre. Est-ce pour
nous étreindre ? La sculpture s’élève, s’accorde, s’encorde à la structure
cosmique, aux glaciers, aux cimes, à la montagne magique, au ciel azuréen. La
lumière ruisselle sur sa chair transparente. C’est la pesanteur et la grâce.
L’immobilité et le dynamisme. Eblouissement.
L’artiste que nous
avons rencontré est à la hauteur de ses magnifiques sculptures. Simple, direct,
adorable; la marque des grands. D’une belle supériorité morale, généreux,
altruiste. On tombe instantanément sous le charme de son optimisme contagieux,
comme on tombe immédiatement sous le charme de ses sculptures.
Rencontre avec un
artiste au grand cœur.
En quelques années,
vous avez réussi l’exploit de devenir l’artiste français contemporain le plus
côté au monde. Vos œuvres sont présentes dans plus de 90 galeries aux quatre
coins de la planète. L’enfant de quatre ans que vous étiez, qui modelait de
petites figurines, serait-il fier de l’adulte que vous êtes devenu ?
Peut-être ! Je ne
sais pas… Il faudrait lui demander ! Malheureusement, il n’est pas
là !
Il est peut-être
encore en vous…
Faut que je lui
téléphone ou que je me connecte à lui… Plus sérieusement ! Je ne sais pas
s’il ressentirait de la fierté mais en tout cas, cela ressemble à une espèce
d’accomplissement.
Vous attendiez-vous à
un tel avenir ?
Pas du tout !
C’est une heureuse
surprise alors ?
Non, ce n’est pas une
surprise. Je m’attendais à quelque chose parce que j’avais des ambitions.
Effectivement après, il faut encore les réaliser…
Il y a quelque chose
de très juvénile qui transparaît dans vos sculptures, juvénile au bon sens du
terme. Comme si vous aviez gardé une âme pure, intacte, une âme d’enfant. Vos
sculptures ressemblent à des cocottes en papier, des pliages monumentaux.
Est-ce pour cette raison que les enfants adorent votre œuvre ?
Effectivement,
certaines oeuvres ressemblent à des origamis. Mais je crois surtout que c’est
le thème animalier qui plait aux enfants, l’émotion immédiate qu’ils éprouvent
en présence de ces animaux.
A l’occasion de son 25ème anniversaire, le
parc Disneyland Paris a fait appel à vous pour revisiter son Mickey. Vous avez
donné vie à un Mickey magicien, bleu, de toute beauté. Ce privilège rare,
est-ce une reconnaissance pour vous ?
Oui, c’est une vraie
reconnaissance. C’est aussi, quelque part, rentrer dans l’histoire ! De
savoir que mes enfants, mes petits-enfants, les générations futures pourront
acquérir une œuvre revisitée par moi, c’est pour moi un honneur. De plus,
Disney m’apporte quelque chose d’assez unique puisqu’il me permet de
démocratiser l’art, de le rendre accessible à tous. Je suis un artiste
populaire au bon sens du terme. L’idée, c’est de parler à tout le monde. A
partir du mois de juillet 2017, ces petites figurines de Mickey magicien seront
en vente à quelques dizaines d’euros (ndlr, 49 euros). Aujourd’hui, vu la
qualité de l’œuvre, j’aurais été incapable de réaliser des sculptures à ce
prix-là, cela coûterait beaucoup plus cher, et là Disney me donne la
possibilité de réaliser mon rêve : partager avec le plus grand nombre.
C’est vraiment superbe !
Ce Mickey magicien se
décline-t-il en plusieurs couleurs ?
Il va se décliner
aussi en chromé avec l’étoile bleu. Bleu et argent, c’était les couleurs du 25ème anniversaire du
Parc Disneyland Paris. Mais on va probablement le faire dans d’autres couleurs…
Le monde de l’art
français, les critiques d’art apprécient-ils votre œuvre ? Ou la
boudent-ils au motif que vous êtes médiatique, célèbre, apprécié et jet
set ?
Il y a une frange, une
intelligentsia qui boude effectivement mes œuvres. Un petit milieu de gens
bien-pensants qui croient faire le monde de l’art. Qui s’autorisent même des
critiques très acerbes à l’égard de mes sculptures. D’une part, parce que je
n’ai pas suivi le cursus artistique classique, d’autre part, parce que je
dérange, que je n’ai pas eu besoin d’eux, que j’ai du succès, que je refuse les
étiquettes. D’ailleurs, ce genre de comportement, c’est très français !
Dans les autres pays, je ne rencontre pas ce problème…
En réalité, vous avez
d’abord été reconnu par les Américains avant d’être reconnu par les
Français ?
Tout à fait ! Il
y a un French bashing en France. Il faut savoir que dans l’hexagone, on a du
mal à reconnaître nos artistes. Il y avait dernièrement un article au
Sénat qui évoquait le peu de présence des artistes français à la FIAC.
Imaginez, pas un seul artiste français n’a exposé sur les Champs-
Elysées ! On a fait appel à Botero, à des chinois, des japonais, mais il
n’y a jamais eu de français. En France, il y a un certain snobisme, on préfère
importer des artistes de Russie, d’Inde, de tous les autres continents. En
revanche, quand vous allez aux Etats-Unis, vous découvrez qu’eux sont très
chauvins, très protectionnistes. Les chinois sont très protectionnistes aussi,
ils défendent vraiment leurs artistes. Nous, on ne défend pas nos artistes…
Donc, les productions
artistiques françaises ne sont pas valorisées par la France …
Pas tellement !
Quelques-unes ont ce privilège mais le monde institutionnel de l’art choisit
vraiment ses artistes. Mais bon, depuis deux ans, le Ministère de la Culture
commence à me reconnaitre. Ils ont même envoyé quelques tweets très élogieux à
mon égard au moment où je faisais ma grande exposition à Courchevel, ce qui
était une reconnaissance. Mais cette reconnaissance, j’aurai été content de
l’avoir bien avant ! Enfin, c’est quand même arrivé !
Est-ce de la jalousie
?
Je ne sais pas car
c’est un sentiment qui m’est inconnu. Quand je vois quelqu’un qui réussit, cela
me motive et m’inspire. De toute façon, je ne fais pas grand cas de tout ça,
j’avance, c’est tout. Je fais mon chemin…
A vos débuts, à 38
ans, lorsque vous vous êtes lancé dans cette aventure artistique, muni de votre
seule détermination et de votre talent, vous ne vous êtes jamais
découragé ?
Non, parce que c’était
un hobby. A la base, je ne faisais pas ça pour le montrer ni pour gagner ma
vie. En fait, j’ai d’abord eu la chance d’avoir plusieurs expériences
professionnelles, j’ai eu plusieurs vies, cette maturité m’a donné une idée des
codes et du chemin à suivre. Quand après des mois de travail, j’ai voulu
exposer ma première œuvre, effectivement, certaines personnes ont cherché à me
décourager. Très rapidement quand même, puisque j’avais dans ma tête une espèce
de plan et que je savais où je voulais aller, j’ai rencontré l’adhésion du
public. Cela a marché très vite !
Comment se fait-il que
rien ne vous résiste ?
On voit toujours la
face émergée de l’iceberg ! On ne voit pas tout le travail qu’il y a
derrière, toutes les contrariétés, les déceptions. Derrière tout ça, il y a une
implication très importante. Il y a aussi une équipe solidaire. C’est un
travail d’équipe, ce n’est pas un travail solitaire.
En 2006, la première
pièce que vous présentez au public, est un crocodile en résine rouge
« Born Wild ». Ce « Born Wild » (inspiré du « Livre de
la Jungle » que vous affectionniez enfant) est un bestiaire d’animaux
sauvages, fiers, conquérants. Vos sculptures interrogent-elles nos peurs
concernant nos pulsions sauvages, instinctives ?
Mon message est le
suivant : j’ai exacerbé la violence, l’animalité qui est en eux. Ils ont
toujours la gueule ouverte, les dents acérées, les mâchoires prêtent à mordre.
Ce sont plutôt des animaux féroces que j’ai représenté. Mais cette férocité,
cette violence, les animaux l’utilisent à des fins utiles parce qu’ils tuent
pour se nourrir. Ils tuent par nécessité. Nous, nous faisons des guerres…
L’espèce humaine se pense beaucoup plus intelligente que les animaux parce
qu’elle exerce une sorte de domination sur eux, alors que finalement elle a
beaucoup à apprendre des animaux. Les animaux tuent pour obéir au cycle de la
vie et c’est un cercle vertueux, alors que nous, malheureusement, sommes dans
un cercle vicieux. Cela dit, j’ai aussi réinterprété complètement l’animal. Je
change, je joue avec ses formes. Je corrige la nature à mon image…
Est-ce à dire que les
animaux sont plus sages que nous ?
Ils sont plus humains
que les humains…
Dans lequel de ces
animaux, vous retrouvez-vous le plus ? Le loup épris de liberté qui
échappe au contrôle de l’homme, le gorille invincible, le tigre
prédateur ?
Le gorille ! En
réalité, c’est celui qui se rapproche le plus de l’homme, ne serait-ce que dans
la manière de se tenir ! A part les poils, évidemment ! Je ne sais si
l’homme descend du singe mais de toute évidence, il y a une vraie
similitude !
Vos gorilles sont
souvent amoureux ! Dans votre single « Heartbeat », le gorille
géant fond littéralement devant la chanteuse. On entend les battements de son
cœur amoureux…
Comme dans King Kong,
c’est un singe au grand cœur. Il est plus sage que l’homme. Il défend sa belle.
Il a beaucoup de vertu ce King Kong ! Ou alors beaucoup de défauts, le
défaut d’aimer, de vouloir le bien de l’autre…
En 2007, Dominique
Desseigne, le PDG du Groupe Barrière, vous offre d’exposer vos œuvres à l’hôtel
Normandy en plein festival du cinéma américain de Deauville. L’acteur Andy
Garcia flashe aussitôt sur l’un de vos crocodiles et vous l’achète. C’est le
début de la gloire…
C’est une anecdote
assez amusante. A l’époque, je n’étais pas très connu, mais nous avions fait
une belle exposition sur tout le festival. On était en plein vernissage au
Normandy et des gens du staff de Dominique viennent vers moi en
s’exclamant : « Monsieur Orlinski, il faut absolument venir
maintenant ! Andy Garcia veut acheter vos œuvres ! » Pour eux,
cela avait l’air d’être un grand événement ! Moi, je ne me rendais pas compte
de l’importance de la chose. J’ai donc accepté. On a traversé la rue avec une
cohorte de gardes du corps. Andy Garcia était à l’hôtel Royal et le
vernissage avait lieu au Normandy. Il y a quelques centaines de mètres entre
les deux hôtels. On arrive en bas du Royal. Là, on téléphone à sa chambre. Et
on nous répond, Monsieur Garcia s’est endormi ! Il s’est couché très
tard ! Le directeur de l’hôtel avait l’air navré et répétait qu’on ne
pouvait rien faire. Mais, je n’avais pas l’intention de revenir, alors j’ai
dit : « Vous transmettrez que l’artiste s’en va ! De toute
façon, il ne reviendra pas ! Il n’a pas que ça à faire ! » Une
assistante de Dominique a été très dynamique et ne s’est pas laissée démonter.
Deux secondes après, finalement, on a appris que c’était bon ! On est
monté là-haut, Andy Garcia était en robe de chambre. En pyjama, devant tout le
staff de l’hôtel, là à attendre dans le couloir ! Il m’a fait entrer dans
sa suite et on a sympathisé tout de suite. J’avais l’impression qu’on était
amis depuis toujours, qu’on s’était quitté la veille. On est resté deux-trois
heures à discuter et le lendemain ça a fait « La Une » des journaux
locaux ! On a noué une relation très vite. Les américains sont si simples,
conviviaux et faciles !
C’était le début de la
gloire…
Oui, même si je ne
m’en rendais pas compte au début. Même aujourd’hui, j’ai toujours l’impression
qu’on en est au début…
Ce succès à Deauville
vous a donné l’idée d’exposer vos sculptures dans les lieux fréquentés par les
stars et la jet set. Vous installez alors vos gorilles géants sur la Croisette
à Cannes…
C’est vrai en partie…
mais pas seulement ! C’est ce que relatent les reportages à la télévision car
les journalistes aiment bien insister sur le côté spectaculaire des événements,
mais si je n’exposais que dans les lieux fréquentés par les stars, je ne
vivrais pas aujourd’hui ! Moi, je parle au plus grand nombre. Et puis le
terme de jet set me semble un peu démodé. Il correspondait à une époque. Il a
perdu son sens aujourd’hui. Il y a tellement de mixité, de monde qui se
mélange. Ce n’est plus le Saint-Tropez d’il y a 20 ans où on venait
regarder les vedettes. A l’ère d’Internet, le monde a beaucoup évolué.
Vous faites aussi des
expositions à ciel ouvert, comme ce sublime ours blanc que vous campez sur les
hauteurs de Val d’Isère, au sommet de la montagne. Mais aussi des expositions
dans les rues de Paris, comme au Village Royal. Où pourrons-nous croiser vos
prochains bébés ?
J’expose en ce moment
à Saulieu, avec François Pompon, qui est l’un des plus grands sculpteurs
animaliers du 20ème siècle. Le Musée de Saulieu organise une exposition
intitulée « Le Choc des Titans ». Ce sculpteur a fait un ours polaire
qui est très emblématique. Donc, on a mis mon ours polaire avec le sien !
C’est une rétrospective tout à fait intéressante. Sinon, effectivement, j’ai
exposé l’année dernière au Village Royal à Paris, c’était une très belle
exposition. Nous allons sûrement renouveler l’opération en septembre prochain
d’ailleurs. Mes sculptures sont aussi exposées en ce moment et pour plusieurs
mois dans les rues de Montélimar et dans le musée d’art contemporain de la
ville. Aujourd’hui, je veux faire plaisir au public. Mon maître-mot, c’est le
partage !
En 2014, vous vendez
une œuvre pour 15 millions d’euros. Il s’agit d’un Pin-up jaillissant de la
bouche d’un crocodile en or. Cette nouvelle Vénus ne sort pas des eaux mais des
mâchoires acérées d’un crocodile. Est-ce à dire que le monde contemporain est
particulièrement cruel pour la femme, que l’homme « est un loup »
pour la femme, que c’en est fini de l’amour courtois ?
En réalité, cette
œuvre est assez étonnante parce qu’on peut l’interpréter de plusieurs façons.
Je ne veux pas insuffler une interprétation unique. J’aime bien l’idée que les gens
l’interprètent comme ils en ont envie. J’aime cette liberté. La Pin-up peut
sortir du crocodile mais elle peut y rentrer aussi ! On ne sait pas dans
quel sens cela se passe. Est-ce que justement, elle en sort pour s’échapper,
pour se désaliéner, pour sortir de l’emprise ?
Oui, mais le crocodile
est un prédateur vorace, cela signifie que la femme est menacée, qu’elle est
une proie…
Malheureusement, de
tout temps, la femme l’a été. Les femmes sont en butte au sexisme, à la
violence conjugale, aux agressions etc. C’est pour cette raison que je soutiens
beaucoup d’associations qui défendent les conditions de la femme dans le monde,
comme l’association Womanity.
J’insiste ! Mais
si la femme rentre dans le crocodile, celui-ci la dévore aussi !
Je n’y ai pas pensé au
moment de réaliser cette sculpture ! J’éprouve une envie de création
immédiate, un élan, mais je ne sais pas forcément pourquoi. Je réalise des
choses et je réfléchis après. Ensuite, les observateurs soulignent ou non le
manque de relation entre une œuvre et une autre. Or, il y en a toujours une.
Pour la bonne raison que ces œuvres sortent toutes de moi ! Mais je n’en
suis pas toujours conscient tout de suite.
Lacan disait :
« l’art c’est l’inconscient qui parle à l’inconscient »…
C’est ça ! C’est
mon inconscient qui me parle. Ce qui explique que c’est parfois bien après que
je comprends pourquoi j’ai fait une œuvre…
Simone de Beauvoir
soulignait à propos de la femme qu’il n’y avait pas d’autre alternative que
« bête de sexe ou bête de somme ». Pensez-vous que la femme
contemporaine doit rentrer dans le moule pour plaire ? Ne reste-il donc à
nos contemporains que la performance et la compétition, comme l’écrit Michel
Houellebecq ?
J’ai beaucoup d’amies
qui se livrent à moi et qui me font part des difficultés d’être une femme,
aujourd’hui encore. Bien sûr les mentalités évoluent mais pas aussi vite
qu’elles ne le devraient. Les diktats physiques par exemple sont aujourd’hui
très forts. L’essor de la chirurgie esthétique est révélateur de nos nouveaux
canons de beauté et de notre quête perpétuelle de jeunesse. Mais tout ce qui
était réservé aux femmes, cette course effrénée vers la perfection, l’homme y
participe de plus en plus.
Mais vous, vous
soumettez-vous à ces diktats ou les envoyez-vous promener ?
Moi, je suis un
esthète, je suis toujours en quête de perfection pour mes œuvres. J’aime qu’une
sculpture soit parfaitement finie, aboutie. Bien sûr, quand on est esthète, on
apprécie ce qui est beau. De là à dire que c’est un diktat, c’est ridicule. Je
pense que l’être humain est composé de pas mal de facettes, il faut savoir
aussi être raisonnable et avoir du recul par rapport aux choses. L’excès n’est
jamais bon dans rien. Tout cela est valable dans notre société occidentale.
Mais en allant dans d’autres sociétés, on découvre vite qu’ils n’ont pas les
mêmes codes. Nos codes occidentaux ne sont pas universels.
Vous ne cessez de
montrer la cruauté du monde contemporain, un monde très hostile avec des
mâchoires de prédateurs, ou sa vacuité, avec une sculpture par exemple
symbolisant un pantalon, un jean vide… Ce jean symbolise-t-il la société de
consommation, le consumérisme effréné ?
Non ! Le jean est
vivant, il est flottant, il est déboutonné. Avec lui, je représente une icône.
Comme l’a fait Andy Warhol, mon modèle, à son époque. Le jean, c’était plutôt
une façon de représenter la sensualité. D’ailleurs, dans certains pays, je ne
peux pas vendre cette sculpture, elle est considérée comme trop sensuelle. A ce
propos, on ne sait pas si c’est le pantalon d’un homme ou d’une femme… C’est
l’action que je souhaitais représenter, le côté vivant. C’est difficile de
représenter un jean vivant ! Et puis le jean a participé à mon histoire,
je suis né avec le jean. Nous sommes les enfants du jean. Il a été le pantalon
le plus vendu au monde !
Dans votre œuvre, à la
violence vous répondez par la douceur; à la destruction, vous opposez la vie; à
la férocité, vous répondez par l’amour… D’accord avec ça ?
Complètement !
Vous sculptures sont
très graphiques, avec des pliages, des arrêtes, des facettes. Ce miroir à
facettes, est-ce pour refléter toutes les facettes de l’être humain ?
Mes sculptures sont
taillées à facettes comme un diamant. D’où une certaine brillance, un éclat
particulier. Mais ces facettes, c’est aussi un mélange de symboles. Ce subtil
cristal nous éclaire sur nous-même…
Ces facettes
sont-elles toujours positives ou y a-t-il des faces cachées ?
Non, je suis quelqu’un
de très positif même quand j’interprète une tête de mort !
Toutes les stars raffolent
de vos sculptures. Sharon Stone fut l’une de vos premières admiratrices. Elle
possède plusieurs sculptures de vous. Justin Bieber a devant sa piscine deux de
vos crocodiles bleu, un petit et un grand. Paul McCartney a une guitare en
aluminium de vous…
J’ai aussi parmi mes
collectionneurs des stars de l’Est, en Inde, partout. Pas seulement des stars
américaines connues des occidentaux ! Mais ce n’est vraiment pas le plus
important pour moi, connu ou pas, aisé financièrement ou pas, spécialiste ou néophyte,
je veux que celui qui acquiert mes œuvres en éprouve un réel plaisir, de la
joie même.
Qu’éprouvez-vous à
essaimer ainsi vos sculptures aux quatre coins du monde ?
Je rentre complètement
dans le concept de partage. Je ne cherche pas la notoriété ou la reconnaissance
pour la reconnaissance. Ce que je veux, c’est pouvoir partager avec le plus
grand nombre. Plus je partage, plus je suis content !
Cela vous rend heureux
de rendre heureux les gens ?
Exactement !
C’est ce que je donne qui m’intéresse ! La dernière fois, on a remis à un
collectionneur une panthère pour un événement. Il m’a pris dans ses bras, il
était incroyablement ému… Pareil pour les enfants ou les personnes plus âgées.
Dès qu’une émotion passe, j’ai tout gagné !
Vous sculptez la
résine mais aussi les notes. Vous avez signé deux singles :
« Heartbeat » puis « Paradise », des tubes qui ont fait
danser la planète entière. Avez-vous d’autres projets musicaux ?
Oui, j’ai un premier
album en préparation, contenant une vingtaine de titres.
Et des spectacles
aussi ?
Je travaille à un spectacle interactif pour 2019, dans lequel je ferai participer le public. Ce qui me dérange dans les spectacles actuels, c’est le côté passif. Je préfère que le spectateur se sente sollicité afin de favoriser une communion entre le spectacle et le spectateur. Dans ce futur spectacle, j’aimerais faire partager une expérience multi-sensorielle aux spectateurs-participants. Nous ferons appel aussi à toutes les émotions : musique, théâtre, humour. Ce sera quelque chose d’assez complet et d’assez nouveau. J’ai besoin de faire des choses qui me plaisent à moi aussi. Quand je fais une sculpture, il faut qu’elle puisse être dans mon salon, que j’ai envie de la contempler tous les jours. Quand je vais à un spectacle ou au théâtre, je n’ai pas envie de m’ennuyer. Donc, je vais créer un spectacle, où on sera en même temps spectateur et acteur !
Vous avez sorti aussi un livre !
En mai 2017 chez Michel Lafon : « Richard Orlinski. Pourquoi j’ai cassé les codes. » C’est un livre assez pédagogique qui explique, en toute humilité, mon parcours, les embûches que j’ai pu rencontrer, etc. A chaque fin de chapitre, je donne les codes qui m’ont aidé, en me disant que cela peut servir à d’autres pour aller plus vite, pour éviter de perdre du temps. Il y a pas mal de messages aussi. C’est ma première bio ! Auparavant, j’ai déjà fait des livres, mais c’était des livres d’art…
Des sculptures, des
CD, un film au cinéma « Les Effarés » dans lequel vous allez tourner
bientôt, une biographie, vous êtes dans une dynamique créatrice
incroyable !
On n’a qu’une
vie ! Comme disait Moustaki « Nous avons toute la vie pour nous
amuser, nous avons toute la mort pour nous reposer ! »
Vous dévorez la vie…
Faut avouer que je
n’ai plus vingt ans non plus ! C’est aussi une façon de conjurer la mort…
Vous construisez,
édifiez, créez pour détruire la destruction. Pour arrêter la mort ?
C’est très fort chez
moi, cette angoisse de la mort depuis que je suis tout petit. C’est ce qui fait
que j’ai envie de faire en un an ce que d’autres font en dix ou vingt
ans ! Du coup, je cours toujours après le temps. C’est physiquement très
éprouvant, c’est beaucoup de stress, mais bon c’est un moteur fabuleux !
Finalement, vous êtes
un homme extrêmement sensible…
Oui, c’est sûr, mais
je cache beaucoup ma sensibilité. Disons que je donne parfaitement le change.
J’ai créé une armure autour de moi pour me protéger. Je n’ai pas le choix.
Parfois, ce bouclier se révèle ennuyeux parce qu’il m’empêche de ressentir des
émotions. Mais c’est nécessaire parce que des flèches, on en prend dans tous
les sens. Quand on a une certaine notoriété, le succès est parfois difficile à
gérer.
Quand on est au
centre, on est la cible…
Voilà ! Il faut
se protéger !
Richard Orlinski, vous
semblez tout avoir… Qu’est-ce qui vous manque encore ?
Tout !
Qu’est-ce qui vous
fait vibrer ?
La peinture, la
sculpture, la musique. Bref, l’art sous toutes ses formes ! C’est aussi
tout ce que peut apporter la vie, les enfants. Par ailleurs, je suis très
impliqué dans plusieurs causes caritatives. Je fais, par exemple, des ateliers
à Garches pour les enfants malades. J’ai animé récemment un atelier artistique
où l’on réalise avec les enfants des petits modelages, de la peinture, des
dessins. Il y avait là une petite fille extrêmement douée qui produisait à main
levée des choses incroyables. Je lui ai dit : « Tiens dans mon
prochain bouquin d’art, je publierai ton dessin ! » Je l’avais déjà
fait pour les enfants malades de l’hôpital Necker. Donc, le soir je rentre, les
médecins et les personnes de l’association me remercient. Soudain, la
Présidente de l’association vient vers moi et me dit : « Te rends-tu
compte de ce qui s’est passé aujourd’hui ? Je lui rétorque un peu surpris
« Non, que s’est-il passé ? », « La petite fille avec qui tu as
parlé, elle n’avait jamais parlé auparavant… » J’ai trouvé ça
incroyable ! Bien sûr, ce n’est pas grâce à moi, c’est un concours de
circonstances, mais c’est à ce moment précis qu’elle s’est exprimée. Pour moi,
c’était extrêmement émouvant. Si on fait des choses pour les enfants, ils nous
apportent souvent plus que nous ne leur apportons…
Qu’est-ce qui vous
rend heureux ?
Ce genre de
démonstration, vous voyez, me rend heureux ! Cela remplit, c’est un vrai
bonheur…
Richard Orlinski,
quelle est votre devise ?
Take the best fuck the rest ! (prendre le meilleur et laisser le reste.)
Enfin, estimez-vous
que vous êtes notre Jeff Koons français ?
Non ! Mais j’ai
déjà eu cette comparaison. Elle ne me dérange pas d’ailleurs.
C’est une comparaison
flatteuse…
C’est drôle ce que
vous dites, parce qu’il y a 5 ans, il a un critique d’art qui a écrit un
article très virulent, très destructeur au sujet de l’art contemporain et
surtout des artistes contemporains, et j’étais dans le lot ! Il faisait un
parallèle entre le Balloon Dog de Jeff Koons et le Born Wild d’Orlinski,
or cette comparaison m’a fait plaisir parce qu’alors je n’avais pas la
notoriété que j’ai aujourd’hui. Le journaliste me mettait au niveau de Jeff
Koons. Je me suis dit tiens si je suis considéré comme Jeff Koons, du coup
c’était très positif pour moi. Cela ne me dérange pas du tout d’ailleurs, on
n’a pas la même vision, mais je trouve que ce qu’il fait est intéressant. Il
assume ce qu’il fait, et j’aime beaucoup sa démarche. Moi, de la même façon,
j’assume de ne pas faire toutes mes sculptures, la plupart de mes sculptures
sont faites par mes équipes, je n’ai aucun problème avec ça. A l’époque, c’est
déjà ce que l’on faisait. Les gens ne le savent pas mais Rodin faisait couler
ses bronzes par ses collaborateurs. Aujourd’hui, je fais intervenir dix corps
de métiers différents, presque cent cinquante personnes, des fondeurs, des
mouleurs, des soudeurs, des polisseurs, des peintres, des menuisiers, des
marbriers etc., et j’assume. Et Koons aussi assume ça. On le voit à son atelier
en costume d’hommes d’affaires. Mais on s’en fiche de son apparence,
l’important c’est le message qui est derrière. On aime ou on n’aime pas mais ce
qui compte c’est l’œuvre. Peu importe comment l’artiste travaille.
Du 8 février au 9
avril 2017, on pouvait gagner une de vos merveilleuses sculptures en
participant à un concours de photos à Courchevel. Quand recommencez-vous cette
incroyable dotation ?
Très régulièrement, je
fais ce genre d’opération parce que je veux que l’art soit accessible ! Je
fais des concours, du dumping sur des œuvres, je les vends moins chères que
leur prix de revient. Un jour, je suis passé chez Cauet, dans une grande radio,
où j’ai proposé des œuvres. Et à ma grande surprise, j’ai découvert que les
jeunes étaient très intéressés. Je pensais que ce qui les passionnait c’était
la musique, c’est faux. Ils étaient aussi très réceptifs à la sculpture. J’ai
même eu des demandes sur mon site. Certains m’écrivaient pour me dire qu’ils
aimeraient bien avoir des oeuvres de moi ! Donc, derrière ça, j’ai lancé
des petits événements, des concours etc. J’ai même fait des concours de
Pokémon. J’essaye d’être dans l’actualité, de toucher, de parler à tout le
monde, du plus petit au plus grand.
Vous êtes un véritable
bienfaiteur !
Non ! J’essaye
simplement de redistribuer !
Paru le 24 mai 2017, livre de Richard Orlinski : « Pourquoi j’ai cassé les codes » aux éditions Michel Lafon.
Bruno Coulais : « La musique est un autre personnage du film »
Bruno Coulais
Cioran estimait que
« Dieu ne se rendait pas compte de tout ce qu’il devait à Bach ». Le
cinéma français sait parfaitement ce qu’il doit à Bruno Coulais. A tel point
qu’il lui a ouvert grand les portes du cercle très fermé des stars de la composition
de musique de film. C’est simple, en France, ils sont une poignée. Dans le
métier, cet artiste génial a même une place à part. Considéré comme un modèle,
réclamé, sollicité systématiquement par les plus grands, indispensable à
beaucoup, Bruno Coulais est le compositeur attitré des meilleurs réalisateurs.
On le retrouve au générique des films de Claude Berri, Alain Corneau, Bertrand
Tavernier, Benoît Jacquot, James Huth, Etienne Chatillez, Jacques Perrin, Josée
Dayan, Alain Chabat, Olivier Marchal, Laurent Heynemann, Jean-Paul Salomé,
Jean-François Richet, Frédéric Schoendoerffer, Volker Schlöndorff, Tomm Moore,
Henry Selick etc. Pour cet immense compositeur, la musique dans un film n’est
pas là pour souligner l’image mais pour révéler une part secrète, une part mystérieuse,
inconnue du film. Elle est là pour exprimer le non-dit.
Sa carrière débute, il y a quarante ans, sur un moment de grâce. Tout commence par une rencontre. Le grand documentariste François Reichenbach lui fait confiance et lui commande la musique de son film « Mexico-Magico ». Bruno Coulais a à peine vingt ans. Sa partition remarquable et remarquée contribue au succès du film.Tout s’enchaîne alors très vite. Bruno Coulais multiplie les collaborations avec des réalisateurs d’horizons divers, du film intimiste au grand blockbuster à la française comme « Vidocq », « Les Rivières Pourpres », « Belphégor », travaille pour la talentueuse Josée Dayan pour qui il compose la musique de son « Balzac », celle du « Comte de Monte-Cristo ». Succès. Bruno Coulais signe ensuite la musique de superbes films d’animation comme « Coraline »,« Mune, le Gardien de la Lune », « Brendan et le secret de Kells », des documentaires comme « Océans »,« Les Saisons », « Genesis », « Le Peuple migrateur ». Succès encore. Sa filmographie est impressionnante. Plus d’une centaine de longs-métrages, presque autant de téléfilms, Bruno Coulais enchaîne les succès. Pas étonnant puisque cet immense artiste a un style inimitable. Bruno Coulais n’a pas son pareil pour créer des climats fantastiques, oniriques, lyriques, poétiques, mystérieux ou inquiétants. Des œuvres d’une beauté unique. Bruno Coulais qui fuit la facilité, se réinvente à chaque film. Le musicien, toujours en éveil, s’attache en permanence à construire des formules orchestrales inédites. Pour se surprendre, se dépasser, se jouer de la musique. Pour atteindre quelque chose qui ressemble à l’absolu. Question de sincérité, question d’exigence. Comme s’il avait le goût de la perfection ou celui du chef d’œuvre, comme si c’était pour lui une façon de vivre au-dessus de lui-même. Résultat : sa musique joue sur la corde de notre sensibilité. Elle nous va droit au fond de l’âme. Quelques notes de Bruno Coulais et on comprend mieux ce mot de Kant « la musique est la langue des émotions ». Impossible d’oublier ses oeuvres envoûtantes. La musique de « Microcosmos », c’est lui. Celle d’ »Himalaya », c’est lui. « Les Choristes », c’est lui. Trois films, trois Césars de la meilleure musique de film. Les récompenses pleuvent, françaises et internationales, en 2007 Le Grand prix Sacem de la musique pour l’audiovisuel, en 2010 un Annie Awards pour « Coraline ». Si le Maestro est l’enfant chéri du cinéma, l’homme passionné, jamais grisé par ses succès, reste d’une simplicité, d’une humilité, d’une bonté désarmante.
Rencontre avec un
merveilleux compositeur.
Bruno Coulais reçoit en 2005 le César de
la meilleure musique de film pour « Les Choristes »
Vous avez un parcours
incroyable, artiste réputé, personnalité marquante du cinéma français,
compositeur de musique de films césarisé, encensé, sollicité. Que cherchez-vous
à atteindre par la musique ?
La musique est un rêve
d’enfant. D’ailleurs, si j’avais su enfant, qu’un jour je vivrais de la
musique, je crois que j’aurai été beaucoup plus heureux encore ! Depuis
toujours, la musique est un soutien formidable. Plus qu’un soutien, c’est une
façon d’être. La musique fait partie de ma vie, je ne pourrais pas concevoir la
vie sans musique. Pour moi, le travail musical s’apparente à une quête infinie.
On n’en sait jamais assez. Un jour, on progresse, on découvre des choses, le
lendemain on rechute, mais on replonge à nouveau avec passion dans l’aventure
musicale afin de rechercher en permanence des voies nouvelles. C’est un presque
un jeu avec soi-même.
La musique, était-ce
une vocation ?
Oui ! Durant mes
études de musique, à 17-18 ans, j’ai effectué un stage dans l’auditorium
parisien « Antegor ». Là, j’ai eu la chance de rencontrer François
Reichenbach, un grand documentariste. Tout de suite, il m’a proposé de faire
une musique de film. A l’époque, je ne savais rien de la musique de film.
Pourtant il m’a fait confiance. Il savait que je composais. Peut-être a-t-il
pressenti en moi une sorte de don.Toujours est-il qu’il m’a confié la
composition de la musique originale du documentaire
« Mexico-Magico ». Celle-ci, d’un seul coup, m’a ouvert au cinéma.
J’ai découvert alors toute la richesse du monde cinématographique. En
travaillant sur des films, j’ai commencé à me passionner, pas tellement pour la
musique de film, mais pour la relation qu’entretiennent la musique et le
cinéma. Comment faire vibrer des images, comment faire que la musique devienne
un personnage du film.
Qui sont vos maîtres
en matière de musique ?
Je viens de la musique
classique, alors évidemment de Gesualdo à la musique contemporaine. En fait, je
m’intéresse à toutes les musiques, classique, variété, jazz (TheloniousMonk)
polyphonies corses, rap, musique traditionnelle, musiques du monde. Mais
disons, bien sûr, qu’à la base, c’est Bach, Mozart, Debussy, Ravel, Stravinsky…
Pour vous, la musique
est-elle une façon d’exprimer les non-dits ? Les notes seraient-elles des
mots sonores qui expriment ce qui est tu, ce qui est indicible ?
C’est exactement
l’idée que je me fais de la musique de film.
Lacan affirme que
l’œuvre d’art c’est « L’inconscient qui parle à l’inconscient » Etes-vous
d’accord avec lui ?
Totalement ! Je
vous avoue que lorsqu’un réalisateur me confie que grâce à la musique, il a
découvert tout un pan du film auquel il n’aurait pas pensé, j’estime avoir
réussi mon coup ! Il me semble que la musique n’est pas là pour souligner
l’image ou ce que l’on voit déjà, ce que disent les acteurs ou ce que
l’histoire raconte, mais justement pour révéler toute une part secrète, une
part mystérieuse, inconnue du film.
Vous seriez, en
quelque sorte, leur analyste…
Je le leur dis
souvent !
Et vous, que
souhaitez-vous dire avec ces climats oniriques d’une inquiétante douceur qui
habitent parfois vos musiques…
Ce qui est bizarre
avec la musique, c’est qu’elle nous échappe. Ce faisant, elle révèle des choses
profondes. Parfois, je me dis que pour ma prochaine composition, j’aimerais
vraiment changer de musique. Mais on a des manies, des tics qui nous
appartiennent et qui reviennent immanquablement. Je les vois ces tics,
j’aimerais bien m’en débarrasser, mais j’ai du mal. C’est sûrement une chose
qui nous possède malgré nous, alors qu’on croit la posséder…
C’est souvent la
lumière. La lumière est très importante pour l’orchestration, pour les
tonalités. Par exemple, il y a des lumières très réalistes de films sur
lesquelles je suis incapable d’écrire. J’ai besoin de voir les premières
images, de découvrir le climat du film, ce que dégage le film, l’ambiance, la
lumière, le jeu des acteurs pour écrire sur un film. Il y a, pour moi, une
correspondance très forte entre lumière et tonalité, orchestration, couleur musicale.
Il y a des lumières extraordinaires qui palpitent, d’autres qui sont ternes,
comme les films d’ailleurs. C’est au compositeur de capter cela, bien plus que
l’histoire ou le scénario.
Vous semblez avoir un
monde intérieur très riche, poétique, fantastique, lyrique, secret, mystérieux,
onirique. Un peu un univers à la Tim Burton. Etes-vous un homme hypersensible,
affectif ?
Oui, un peu trop
même ! Parfois, j’aimerais être plus détaché… Hier, par exemple, j’étais
en enregistrement, et malgré mon savoir-faire (même si j’ai l’impression qu’il
faut se méfier du savoir-faire) j’avais peur. Je suis toujours inquiet de ce
que j’écris.
Parce que vous
doutez ?
Oui, parce que je
pense que rien n’est jamais acquis. C’est pour cela que j’essaye de ne pas trop
regarder en arrière. D’avancer, cela m’aide. Il faudrait toujours travailler
sur un film comme si c’était le premier.
En tant que
compositeur de musique de films, vous réussissez l’exploit d’éviter la redite.
Vous cherchez toujours l’inédit. Comment faites-vous pour vous renouveler, vous
réinventer à chaque nouvelle composition ? Souhaitez-vous renaître mille
fois dans une même vie ?
Peut-être. En tout
cas, c’est ce que j’attends du cinéma…Chaque film est particulier, à chaque
fois, vous découvrez un nouveau monde, un nouvel univers. C’est la même chose
pour les concerts. Cela m’ennuierait de répéter ce que j’ai déjà fait. Ce
serait comme une petite mort. Alors que découvrir un monde, « se mettre en
danger », tenter des choses nouvelles, c’est tellement plus stimulant que
de répéter.
Non. Je suis incapable
d’aller voir quelqu’un et de lui dire, même si je l’admire beaucoup, j’ai envie
de travailler avec vous. Par coquetterie aussi, j’aime bien qu’on me choisisse…
Je trouve votre
musique éminemment symbolique. Elle réunit au lieu de diviser. Vous dynamitez
les murs, les frontières, les mondes. Vous êtes celui qui rassemble, qui fédère
toutes les cultures, tous les peuples, tous les genres. Votre musique puise
dans nos racines les plus profondes, les plus ancestrales de l’humanité. Comme
si vous retrouviez notre origine commune à tous. De ce fait, votre musique est
universelle, elle parle à tout le monde…
Cela me plait beaucoup
même si ce n’est pas une chose consciente chez moi ! Comme je ne peux pas faire
les choses à moitié, peut-être que l’énergie, la curiosité que je mets dans
chaque nouveau projet, qui est toujours pour moi un terrain d’expérimentation,
où je tente brassage de musiques, métissage culturel, recherche de sonorités
originales, concourent à créer cette impression. Instinctivement, j’aspire à
créer des fusions, des alliances inédites. C’était le cas, par exemple, pour le
film « Himalaya », entre chœurs tibétains, percussions égyptiennes et
polyphonies corses. Au lieu de revisiter les mêmes musiques, je préfère
explorer de nouvelles pistes, m’aventurer vers des chemins inconnus. C’est ce
qui fait la beauté de ce travail. Prospecter, découvrir, innover, créer, oser,
se surprendre. Non au dogme, oui au risque. D’ailleurs, je préfère me tromper
que de ne pas m’engager.
Dans
« Microcosmos », vous êtes tour à tour un arbre, une feuille, une
abeille, le vent, l’air, l’eau, la terre, le soleil. Au lieu de nous couper du
monde, votre musique est le monde. Est-ce ainsi que vous nous offrez toute la
poésie du monde ?
Je ne sais pas !
En tout cas, il y a un malentendu, parce que je suis vraiment un homme des
villes ! J’ai fait beaucoup de films sur la nature alors que j’aime le
béton, la ville, je suis résolument parisien. Mais des films animaliers
comme « Microcosmos » vont au-delà de la nature, ce sont des
films fantastiques, le fruit de grands cinéastes. J’ai vu
« Microcosmos » comme un enfant découvre une forêt. Il n’a pas une
explication rationnelle de ce qu’il voit mais il éprouve des sensations. Avec
la musique, il ne s’agissait pas de prendre le spectateur par la main en lui
disant il faut que tu vois ça, il faut comprendre ça, mais de créer un climat
un peu fantastique. Cela commence par une comptine qui laisse penser au
spectateur qu’il découvre un monde, qu’il a accès à un monde nouveau.
Une comptine
enfantine ?
Oui. L’enfance n’est
pas une période si gentille que ça, c’est le temps des premières terreurs. Très
souvent d’ailleurs, quand je veux créer de l’angoisse, je pars d’éléments
musicaux qui viennent de l’enfance, des comptines, des boites à musique. Des
choses très ténues peuvent être très angoissantes, par contraste, au cinéma.
Discutez-vous de la
musique avec le cinéaste avant le tournage du film ? Ou le réalisateur
vous fait-il entièrement confiance, convaincu que votre musique est faite pour
son film ?
Les meilleurs sont
ceux qui vous laissent croire que vous êtes l’homme idéal, l’homme de la
situation ! Et même s’ils nourrissent parfois des angoisses parce qu’au
fond, une musique est toujours abstraite avant qu’on ne l’entende, quand ils
vous font confiance, vous avez des ailes ! Cela vous porte. Si je sens
qu’il y a des doutes, qu’un réalisateur me dit une chose un jour et son
contraire le lendemain, cela me paralyse un peu. Mais maintenant, avec
l’expérience, je devine tout de suite quand cela ne va pas marcher.
Est-ce que le cinéaste
sait déjà lui-même ce qu’il veut ?
Non, très souvent, il
ne le sait pas. Donc il attend quelque chose de moi. Je préfère ça plutôt que
quelqu’un qui me dise : « Voilà, il faudrait faire un truc à la
manière de… » Parfois, il faut « trahir » le cinéaste parce que
c’est le film le maître plus que le réalisateur. Il faut le trahir avec
bienveillance, bien sûr.
Le trahir, cela
signifie quoi ?
Peut-être aller contre
ce qu’il attend de la musique de son film. Parce que le film exige une autre
musique.
Vous mettez vos pas
dans les pas du cinéaste. N’avez-vous pas peur de marcher sur ses rêves ?
Non ! La musique
est une autre lecture, c’est un autre personnage du film. Le réalisateur n’a
pas la main sur son film. Un film, c’est un travail collectif. Comme c’est un
art du groupe, il y a des choses qui vous échappent. Tel acteur, tout à coup,
avec telle actrice avec beaucoup de grâce, va transformer ce que le réalisateur
attendait d’eux et c’est au cinéaste d’accepter cette métamorphose…
Et la musique vient se
greffer dessus …
Oui, j’en rajoute une
couche !
Pensez-vous qu’il n’y
a pas de bon film sans bonne musique ?
Non, je pense qu’il y
a de très bons films qui n’ont pas besoin de musique, et cela, il faut avoir
l’honnêteté de le dire. Et il peut y avoir de mauvais films avec une bonne
musique. Enfin, une bonne musique ne peut pas sauver un mauvais film.
Avez-vous un titre de
film qui vous vienne à l’esprit, où l’on peut parler d’accord parfait entre la
musique et le film ?
Peut-être pas tout le
film, mais une séquence de la « Nuit du Chasseur» de Charles Laughton. Quand la
petite fille chante dans la barque, là, c’est la perfection absolue parce que
la musique prend le pas sur la narration. La musique devient le maître du film.
On sait que tout le temps de la chanson, les enfants seront protégés comme
s’ils étaient protégés par la musique. L’action s’arrête. Le temps est suspendu
et c’est la musique qui prend le relais de la narration. Cette perfection,
c’est très rare au cinéma.
La musique est-elle
censée habiller l’image, la révéler, la prolonger, l’épouser, l’augmenter ?
Révéler non pas
l’image mais révéler une part secrète du film. Le non-dit. Quelque chose qui
donne une autre lecture du film sans que le spectateur s’en aperçoive. Il ne
faut pas, non plus, que la musique sollicite trop le spectateur, car on peut
manipuler et une séquence et le spectateur avec une musique.
En 2005, vous avez
créé un Stabat mater. Avez-vous d’autres projets de ce genre ?
Oui, j’ai fait
beaucoup de musique pour choeurs. Dans les années 2000, je collaborais à tant
de films que j’ai éprouvé soudain une terrible lassitude du cinéma, comme une
sorte de rejet. Il faut dire que je multipliais les Serial killers, des polars
très durs comme « Les Rivières Pourpres », avec des scènes de crimes. Des
films que j’aimais beaucoup mais qui se passaient dans des morgues. Comme le
dit un philosophe chinois « On devient la nourriture qu’on absorbe »…
Alors j’ai réduit mes contributions au cinéma et je suis revenu à la musique.
J’ai compris qu’il fallait que je me consacre à d’autres projets, que j’écrive
pour le concert et que j’alterne concert et cinéma.Du coup, j’ai retrouvé avec
plaisir le collectif du cinéma.
Vous avez reçu trois
César de la Meilleure musique de film, le premier en 1997 pour
« Microcosmos », le second en 1999, pour « Himalaya », le
troisième en 2005 pour « Les Choristes ». Quel est votre meilleur
souvenir ?
« Microcosmos »
est un très beau souvenir. D’une part, parce que ce film a fait décoller ma
carrière. D’autre part, parce mon fils chantait la comptine dedans…
C’est agréable la
reconnaissance de ses pairs ?
Bien sûr. Mais il faut
s’en méfier aussi parce qu’on peut penser qu’on sait faire les choses. Je crois
qu’il faut faire attention avec la réussite, on peut s’embourgeoiser…
Aviez-vous préparé un
petit texte pour les César ?
Non, jamais ! Je
préfère les choses spontanées. Pareil pour les Master class, je n’ai jamais de
notes. Du coup, on est plus réactif.
En parlant de Master
class, vous êtes actuellement professeur de composition et musique à l’image au
Conservatoire de Paris, au CNSMD. Vous expliquez à vos élèves en quoi consiste
la musique de film, quel rôle elle joue. Qu’attendent-ils de vous ?
Peut-être de les
guider sur la relation réelle de la musique avec le film. Il ne s’agit pas de
faire une très bonne musique, il faut voir comment une musique peut d’un coup,
servir un film, pas l’augmenter, mais lui donner une vie, un supplément d’âme.
Il faut voir aussi quelle est la densité de l’orchestration par rapport à la
densité de l’image. C’est technique et c’est très sensible aussi. Au début, les
élèves ont un peu peur du vide, donc ils ont tendance à vouloir tout expliquer,
alors qu’il faut laisser respirer l’image. Je les pousse à oser, à ne pas faire
ce que l’on entend partout, à être le plus personnel possible, c’est comme cela
qu’ils seront repérés. Ce sont d’excellents musiciens, très doués. Bruno
Mantovani, le directeur du CNSMD, qui est un merveilleux compositeur, met à
leur disposition des moyens extraordinaires. Ils peuvent faire des
enregistrements, des ciné-concerts avec un orchestre, ils vont dans des
festivals etc.
Vos élèves sont-ils
fascinés par le cinéma ?
Je cherche à les en
prémunir ! Heureusement, ils ont des cours formidables sur l’histoire de
la musique de film. Je les pousse aussi à aller voir de vieux films. Je pense
qu’on ne peut pas faire de la musique de films en ignorant les Raoul Walsh,
Fritz Lang, Fellini, Bergman, tous ces monuments du cinéma. Curieusement,
aujourd’hui, où avec Internet, on a accès à tout, ce trop-plein fait que
finalement la curiosité s’émousse et on ne prend même plus le temps de
s’intéresser aux chefs -d’oeuvre du passé. On ne voit que les films de l’année
et c’est dommage.
Vos élèves
associent-ils le cinéma à la réussite ?
Je m’efforce de leur
dire que ce n’est pas un statut d’être compositeur de musique de film, c’est
une passion. Les compositeurs qui réussissent sont vraiment des passionnés de
cinéma et de musique. Mais on ne fait pas de la musique de film pour réussir,
pour la gloriole ou pour l’argent. C’est tellement dur d’être musicien, cela
demande tant de travail, qu’on en devient très vite assez humble.
Vous avez composé la
musique de plus d’une centaine de films, signé une quantité incroyable de
bandes originales de téléfilms, avec autant de succès à chaque fois. Etes-vous
un musicien comblé ?
Comblé, non… Je ne
me satisfais pas de ce que j’ai. Certes, je suis content d’avoir réalisé tout
ça, d’avoir eu la chance de faire toutes ses rencontres, mais je ne peux pas
dire que je suis comblé. Je ne rejette aucun des films sur lesquels j’ai
travaillé. Mais, parfois, il m’arrive de revoir des films dont j’ai fait la
musique et je me dis mince, je n’aurais peut-être pas dû faire ça. Notre
« moi » change. Ce sont des vies qui se succèdent et on a un autre
regard.
Vous semblez très lié
avec certains réalisateurs comme James Huth, Jacques Perrin, Josée Dayan,
Etienne Chatillez, Laurent Heynemann, Benoît Jacquot etc. Poursuivez-vous un
dialogue de film en film avec eux ?
Bien sûr !
Ce sont vos
amis ?
Oui ! Josée Dayan
m’a fait confiance avant « Microcosmos », et Laurent Heynemann aussi.
Je continue à les voir avec beaucoup de plaisir. Après, il y a eu Jacques
Perrin avec qui j’ai eu des projets incroyables. Benoît Jacquot, qui est très
prolixe, et donc l’idée de faire un film avec lui chaque année me réjouit. J’ai
une grande affection aussi pour James Huth. Tous ses films sont très originaux
et marquants. Je trouve qu’il n’est pas reconnu en France comme il devrait
l’être. Dans l’hexagone, on cultive une certaine méfiance vis-à-vis de la
comédie, comme si c’était un art mineur. Mais James Huth a une approche
subtile,singulière de la comédie. Peut-être que celle-ci peut choquer,
surprendre mais au moins ces films ne ressemblent pas à des comédies
franchouillardes.
Appréciez-vous Jean
Dujardin ?
Oui ! Je l’aime
beaucoup, c’est un acteur incroyable !
Parmi les acteurs et
les actrices, quelle est votre plus jolie rencontre ?
Il y a des actrices
qui prennent bien la lumière. Et qui prennent très bien aussi la musique. Je
pense à Léa Seydoux dans « Les Adieux à la Reine ». Il suffit de
mettre de la musique sur elle et la magie opère.
Parce qu’elle est très
jolie ?
C’est beaucoup plus
que ça. C’est sa façon de jouer. Ce n’est pas une actrice qui surjoue. Son jeu
est intériorisé. En France, on a beaucoup de chance, il y a une grande
diversité chez les acteurs. Par exemple, j’apprécie Alain Chabat. J’ai
travaillé avec lui, il est très sensible et timide. C’est un grand acteur.
Avez-vous d’autres
passions que la musique ?
Oui, je suis un
passionné de littérature, et tout particulièrement de littérature japonaise,
Kawabata, Inoue, Tanizaki…
Vous avez composé la
musique du film « Croc Blanc » qui sortira en février 2018, celle
d’« Eva » de Benoît Jacquot avec Isabelle Huppert qui paraîtra en
2018. Cela fait quoi d’être le meilleur compositeur français de musique de
films ? Et aussi le plus demandé ?
Je ne pose pas la
question, même si je suis fier d’être sollicité ! Pour en revenir à « Croc
Blanc », j’ai réalisé avec étonnement, alors que nous enregistrions avec un
groupe traditionnel irlandais (et plus tard avec la Philarmonique du
Luxembourg) que « Croc Blanc » était le seul livre de Jack London qui
n’était pas lu en Angleterre alors qu’il est tant apprécié en France. Quant au
film « Eva » de Benoît Jacquot, c’est un film très intéressant, très
fort, très sombre. Avec une musique mentale qui reflète l’intériorité des
personnages.
Composez-vous pour le
cinéma d’animation ?
Oui, et j’aime
particulièrement les films d’animation. Par exemple « Coraline » est
l’un de mes films préférés. Je me suis attaché dans ce film à raconter les
peurs de l’enfance, à explorer les mondes parallèles. La musique est très
importante dans le cinéma d’animation. J’ai travaillé avec Tomm Moore, le grand
cinéaste irlandais. On m’envoie d’abord des animatics avec des dessins. Et là
je commence à travailler, en visualisant les mouvements. Parfois je vais même
dans les studios d’animation et j’adore !
Pour finir, que
conseilleriez-vous aux jeunes qui sont attirés par la musique en général ?
D’aller au bout de leur passion. De ne pas renoncer à leurs envies. Ni à leurs rêves. Hugo disait que « la musique appartient au rêve ». On peut poser des notes sur des rêves… Et rendre la vie encore plus belle et digne d’être vécue grâce à la musique. Même si la société actuelle semble très sage, qu’on a tendance à faire accroire aux jeunes que le monde du travail est triste et bouché, il faut absolument tenter sa chance. Etre opiniâtre, déterminé, multiplier les rencontres. En un mot, être optimiste…
« Je crois que l’art digital a de beaux jours devant lui. Parce
que c’est l’avenir du futur… »
Malo Girod de
l’Ain est plus qu’un entrepreneur passionné, c’est un visionnaire. Ancien
centralien, fondateur de sociétés d’outils logiciels à San Francisco et
Sao Paolo, auteur d’un magistral essai « 2010, futur virtuel », il
fait partie de ces patrons précurseurs de l’Internet qui ont anticipé l’avenir
numérique. Il est l’un des tout premiers en France à s’intéresser à l’art
digital (baptisé aussi art numérique, techno-art, computer art etc.). En 2009,
Il crée un média sur le Net, Digitalarti Mag, qui devient très vite un magazine
de référence, le premier site d’information au monde sur l’art numérique.
Quelques mois plus tard, Malo Girod de l’Ain décide d’aller plus loin. Il
devient producteur et distributeur de créations numériques principalement pour
les entreprises qui ont besoin aujourd’hui d’accompagner leur transition vers
le numérique et de proposer de nouvelles expériences à leurs clients. Il
s’entoure d’une équipe d’ingénieurs brillants, pointus, fourmillant d’idées qui
donneront naissance à de multiples, magnifiques et foisonnantes innovations
numériques, comme cette installation interactive lumineuse illuminant la rosace
de la Gare de l’Est, symbole de l’effervescence de la gare en temps réel. Ou
cet incroyable tunnel de LEDs réalisé pour la sortie mondiale du dernier
Star Wars, une création visuelle avec jeux de lumières et projections
d’images. Ou encore cette installation murale présentée au Futuroscope,
Senseimage, surface tactile capable de détecter et de réagir au toucher des
visiteurs. On l’aura compris, tout le génie de Digitalarti, de ses ingénieurs
et de son admirable, brillant et chaleureux dirigeant, Malo Girod de l’Ain, est
d’avoir su tirer des entrailles des ordinateurs, par-delà les effets spéciaux
et les effets spectaculaires, la poésie de demain. Aujourd’hui, on peint avec
la lumière, les sculptures du futur s’animent et évoluent à l’infini. Les codes
de l’art ont changé…
On pourrait
s’interroger sur la rupture esthétique qu’amorce cette nouvelle approche de
l’art, impossible de ne pas reconnaître qu’elle a tout pour séduire les
générations futures qui ne cachent plus leur intérêt pour les technologies de
pointe. C’est un fait, le champ artistique s’est agrandi d’un nouveau
venu, l’art digital, lequel renouvellera peut-être notre vision du monde,
réinventera le réel et pourquoi pas la beauté. Car l’art numérique est un art
révolutionnaire. Il bouleverse les codes, invente d’autres règles, d’autres
critères, s’adresse à la vue, au toucher, à l’exploration, à l’échange
collaboratif, se métamorphose en voyage ludique, en expérience immersive, bref
il nous fait toucher « le futur du bout des doigts ».Pour en
appréhender la quintessence, tournons-nous vers le philosophe François
Dagognet. Celui-ci écrit : «Le plasticien du XXIème siècle
travaillera avec l’ordinateur et se livrera à toutes sortes de productions
chromatiques et néo-géométriques (…) Désormais, l’art nouveau ira plus
loin, il abandonnera le réel pour le réalisable, pour l’infinité des mondes
possibles, une genèse technico-métaphysique. L’atelier nous pourvoira en images
inconnues, parce qu’empêchées, qui réconcilieront l’art et la machine, la
logique même et l’inspiration, l’inventivité et la pixellisation. »
Bienvenue dans
la nouvelle réalité de l’art.
Tunnel de LEDs pour la sortie mondiale de Star Wars VII
Victor
Hugo écrivait « ceci tuera cela » en parlant du livre qui tuerait l’édifice.
Nous sommes entrés dans l’ère numérique. Pensez-vous, Malo Girod de l’Ain que
l’art numérique va tuer l’art figuratif ?
C’est une bonne
question. Il me semble intéressant justement de revenir au livre. On a
longtemps cru (les éditeurs, certains lecteurs et amateurs de livres etc.) et
j’ai, moi-même, fait partie des précurseurs qui ont lancés les e-book, que
l’e-book et les liseuses « tueraient » le livre. On s’aperçoit
finalement aujourd’hui que le livre papier a toujours une vie propre et que les
ventes de livres continuent à prospérer. Comme la télévision n’a pas tué la
radio, comme la liseuse n’a pas tué le livre, l’art numérique ne tuera pas
l’art « traditionnel ». Tout au contraire, il y a des évolutions qui
s’ajoutent. On va plutôt vers des enrichissements successifs que vers des
destructions. La création numérique apporte de nouveaux talents, une nouvelle
créativité, une nouvelle vitalité, une autre manière de voir donc de
comprendre, d’apercevoir ce qui anime et bouleverse la société actuelle, ce qui
n’empêche pas les œuvres disons plus « classiques » de continuer
d’exister, de se développer en parallèle.
Vous ne
pensez donc pas que l’art digital va « tuer » la main ? Et
pourtant, rien de pire que d’imaginer un sculpteur assis devant son clavier à
modeler une forme qu’il ne peut toucher.
En effet, c’est
paradoxal ! Mais c’est un fait, nous sommes entrés dans l’ère numérique.
Cette ère, on peut l’appeler virtuelle, mais elle est de plus en plus réelle.
C’est une nouvelle réalité. On assiste à une évolution des paradigmes.Est-ce
bien ? Est-ce préjudiciable ? Chacun a son opinion là-dessus. Pour ma
part, je trouve que c’est une chance inouïe, passionnante. Car c’est une
nouvelle dimension qui s’ouvre. Avec un potentiel créatif illimité. Pour
en revenir à l’exemple du livre, que j’évoquais précédemment, d’aucuns
s’entêtent à trouver incomparable, irremplaçable, le côté tactile du papier, le
fait de le tenir dans la main, de tourner les pages, de toucher une feuille de
papier, cette sensation que l’on apprécie tous. Mais le numérique n’est pas
antinomique avec le toucher. Tout au contraire. Le numérique explore la
tridimensionnalité (toutes les installations, c’est du tridimensionnel), il
cherche souvent à dépasser le « surfacial », il cherche à retrouver
« l’entièreté » de l’objet dans l’espace et donc la possibilité pour
le spectateur de le toucher. D’ailleurs beaucoup de créations numériques sont
tactiles, elles font la part belle au toucher. Elles l’exaltent même.
Connaissez-vous ce duo de créateurs Scenocosme ? Ces artistes ont créé un
jardin composé de véritables plantes musicales qui réagissent au moindre
contact. En effet, lorsqu’un spectateur effleure ou caresse ces plantes,
celles-ci s’éveillent et se mettent à chanter. C’est un peu de poésie, un peu
de féerie dans un jardin numérique… Et c’est une expérience sensorielle
extraordinaire que ce partage, cette transmission de l’énergie entre une plante
verte et un humain. Le vivant et le végétal fusionnent…
Pourtant
l’ennui avec les technologies ultramodernes, c’est leur fiabilité, elles
prévoient tout. N’est-ce pas la définition même de l’académisme ?
C’est amusant
que vous considériez les nouvelles techniques comme une perfection infaillible
alors que beaucoup de gens pestent devant leur ordinateur en leur reprochant de
se planter tout le temps ! Certes, le logiciel anticipe un certain nombre
de choses mais malheureusement il ne prévoit pas tout. Tout simplement parce
que c’est un univers de plus en plus complexe,et que les possibilités sont de plus
en plus larges. Croyez-moi, nous sommes bien payés pour le savoir à
Digitalarti ! Lorsque nous installons une œuvre, nous faisons appel à un
technicien, à un ingénieur chargé de la maintenance parce que demeure toujours
le facteur imprévisible.
Mapping au Bangkok Illumination 2015
Le
philosophe Régis Debray écrit dans son essai « Vie et mort de
l’image » que le logiciel n’est pas une œuvre, c’est un outil donnant lieu
à une propriété industrielle non artistique. Selon lui, un logiciel peut avoir
beaucoup d’applications, il est évolutif. L’œuvre est finie et définitive.
D’accord avec lui ?
Beaucoup de
réflexions fleurissent autour de ces notions de logiciels, d’œuvres. En effet,
où est l’œuvre ? Est-ce dans les logiciels ? Dans la création
finale ? Difficile à dire. Penser l’inconnu, l’inédit, le futur de l’art
demande de procéder à une véritable expertise, une évaluation de celui-ci.
Peut-être serons-nous obligés de renouveler l’outillage conceptuel existant
pour mieux connaître la nature de l’art digital. En tout cas, dans l’art
digital, Il y a des systèmes de base un peu comme il y a des systèmes
d’exploitation Windows. La création finale est aussi du code. Après tout,on
peut estimer que le code est fini et définitif autant que l’œuvre d’art. Il
n’empêche, toutes ces polémiques à propos de l’art numérique sont révélatrices.
Cet art nouveau suscite une certaine frilosité. De toute évidence, il y a une
difficulté du monde de l’art contemporain non digital à admettre l’art
contemporain digital, que ce soit du côté des critiques, des musées, des
galeries. Il y a des chapelles existantes, donc l’art digital rencontre des
résistances, comme tout ce qui est novateur, inédit, déstabilisant. Certes, il
est difficile de rompre avec ses habitudes artistiques. Difficile d’accepter
l’innovation, l’invention, l’originalité et l’inconnu. Pourtant toute
l’histoire de l’art prouve que les changements s’opèrent à travers une logique
d’opposition et de dépassement. Mais certains n’ayant pas forcément la culture
du numérique ont du mal à accepter ce nouveau champ de création qui est varié,
complexe, protéiforme, multiple, remué, travaillé en tous sens. En tout cas, ce
qui est particulier à la France, s’avère différent dans le monde anglo-saxon.
L’art numérique connaît un véritable engouement dans les autres pays. C’est
comme si les mentalités étaient déjà en phase avec la révolution numérique
artistique. En France, c’est différent. Par exemple, à Beaubourg, il n’y a
pratiquement jamais eu de grandes expos d’art contemporain numérique…
Peut-être
parce que les critères sont encore un peu flous…
Exactement.
Tout ça est en train de se faire, le public est en demande et je sais qu’à
Londres, ou à New York, les grandes institutions proposent déjà
régulièrement des créations numériques magnifiques…
Pensez-vous
que l’art numérique est le miroir loyal ou déformant de la société du
spectacle, de la société du loisir ?
Je ne nie pas
que certains côtés de l’art digital peuvent apparaître comme ludiques et
divertissants. Cela constitue même l’argument essentiel des
critiques qu’une certaine intelligentsia de l’art contemporain adresse à
l’art numérique. Mais ce côté ludique n’est somme toute qu’une facette de l’art
numérique. D’ailleurs, il existe aussi des peintures décoratives ! La
plupart des créations numériques sont poétiques, fascinantes, contemplatives.
Les artistes-plasticiens sont des découvreurs. Ils explorent de nouvelles
pistes, de nouveaux horizons, ils prennent des risques. On rencontre des
concepteurs comme Antoine Schmidt qui font des créations poétiques, noires et
blanches, très belles, pointillistes. Cet artiste n’est en rien dans le ludique
ni dans le divertissement. Il crée des œuvres minimales, abstraites. Il
s’attache à créer des objets intelligents. Il est dans une approche
philosophique, psychanalytique. Il utilise l’outil informatique pour aborder
des thématiques contemporaines comme la liberté de l’humain dans un monde
complexe. Je pense aussi à Christo, qui même s’il n’utilise pas l’art digital,
n’a rien d’un artiste ludique. Sa démarche est purement philosophique. Il a
fait un chemin sur l’eau, sa dernière réalisation en Italie, sur le lac d’Iseo
en Italie. Il a réalisé un pont sur l’eau en tissu orange, juste pour deux
mois, c’était extraordinaire. Il recouvrait, habillait, emprisonnait l’eau et
la libérait ensuite. C’est un geste sublime. Il nous montrait finalement ce que
l’on oubliait de voir.
Selon
vous, l’art numérique répond-t-il aux attentes du grand public épris de
beauté ? Il n’y a qu’à voir la foule qui piétine durant des heures devant
le Grand Palais pour voir une exposition de Titien, Vinci ou Monet et qui
souvent déserte les galeries d’art contemporain ?
C’est vrai, et
c’est le sempiternel argument en faveur de la peinture figurative !
Croyez-moi, il y a aussi beaucoup de monde aux grandes expositions de l’art
contemporain, à la Fiac ! Il n’empêche, il faut reconnaître que
malheureusement en France, le grand public n’a pas beaucoup d’expositions d’art
digital à se mettre sous la dent. Et il aimerait en avoir, j’en suis sûr !
Il n’y a qu’à voir la foule qui se presse aux festivals d’art numérique.
Dernièrement, a eu lieu une exposition au Palais de la découverte, sur deux jeunes
créateurs Adrien M et Claire B. Ils ont rencontré un franc succès. Le public
était varié, et il y avait même des familles !
L’art
est en pleine mutation, il a un nouveau visage, celui du métissage entre les
arts : technique, arts visuels, image, son, numérique. Même s’il existe un
fossé entre le calcul numérique et la sensibilité humaine, peut-être que le
progrès technique au lieu d’éliminer définitivement la peinture figurative va
la ressusciter, lui redonner une autre vie, et pourquoi pas la réinventer ?
En effet,
certaines technologies contemporaines s’attachent à montrer sous un nouvel
angle des œuvres classiques comme la Joconde. On peut zoomer dedans. Il y a
même eu des Mona Lisa numériques !
Pensez-vous
que la vitalité, le dynamisme de la création française passera par l’art
numérique ?
J’en suis
persuadé. Cet art numérique, c’est un concentré d’énergie. Il déborde de
vitalité. Il y a une énergie vitale, et il y a beaucoup de talent français dans
l’art numérique. Cela fait partie de ces domaines qu’on a appelé la Frenchtech
ou la Frenchtouch. Avec des domaines comme le jeu vidéo, ou les créateurs
d’effets spéciaux pour le cinéma. Il y a tout un ensemble de secteurs où la
France est reconnue, où les talents français sont très appréciés, parce
qu’ils sont à cheval entre la culture scientifique et la culture artistique.
Cet alliage, cette alliance entre culture scientifique et artistique est une
tradition immémoriale en France. On a les deux et c’est notre force !
Quels
sont, selon vous, les bons artistes contemporains en matière de création
numérique ?
Aujourd’hui de
nombreux créateurs de talents travaillent en France et bien sûr dans le monde
entier. Me vient bien sûr à l’esprit Miguel Chevalier. C’est un artiste
d’origine mexicaine qui vit en France. Il crée des compositions tout à fait
étonnantes, avec des couleurs psychédéliques, des arabesques, des formes
géométriques qui se modifient à l’infini, des mouvements, des illusions
d’optique, des architectures liquides. Je citais plus haut, parmi les
français, Antoine Schmidt, Adrien M et Claire B, Scenocosme. Nous
travaillons beaucoup avec Stéfane Perraud, Pascal Bauer. Un duo de talent qui a
longtemps travaillé sous le nom d’Electronic Shadow…
Finalement,
à vous écouter, on comprend quel’art numérique invente une autre forme de
beauté…
Oui, et je
crois qu’on devient de plus en plus sensible à ces beautés parce que cela
permet de sortir de ce côté numérique utilitaire, c’est-à-dire l’ordinateur et
le téléphone. Avec l’art, cela sort et cela se mélange avec la vie et c’est
interactif. Ce sont des créations qui évoluent avec le spectateur, qui le
sollicitent et l’entraînent dans une autre dimension…
Malo
Girod de L’Ain, vous avez une belle approche de l’art numérique. Vous dites que
« l’art numérique est une invitation à la découverte, un voyage intérieur
au cours duquel le participant est amené à construire sa propre
expérience »
Oui, parce
qu’elle est propre à chacun. Il y a des œuvres qui sont contemplatives,
d’autres génératives, d’autres interactives, d’autres tactiles : on touche
l’écran ou une surface. Et cela donne naissance à un flux de formes mouvantes.
A ce propos, notre société Digitalarti a créé quelque chose d’étonnant pour la
première du dernier film Stars Wars. Nous sommes bien sûr là plus dans de la
création ludique qu’artistique même si les frontières sont floues. Nous avons
rendu complètement interactif un tunnel de LEDs de 14 mètres de long,
devant le cinéma d’Europacord d’Aérovile, à côté de Roissy. Les spectateurs
passaient dans ce tunnel, bougeaient, et aussitôt se dévoilaient les
silhouettes des personnages de Star Wars tels le Stormtrooper, KyloRen,
DarkVador. Cela faisait de grandes traînées lumineuses de 14 mètres de long et
au milieu évoluaient les personnages de Star Wars. Cette immersion visuelle et
sonore offrait au spectateur une sorte de transition spatio-temporelle avant de
connaître les derniers frissons de l’épisode VII ! C’était assez
fabuleux !
Venons-en
maintenant à votre entreprise : Digitalarti. Quand l’avez-vous
fondé ?
Nous l’avons
démarré en 2009. A l’origine, nous étions deux associés. Au début,
c’était un média, un magazine sur le Net, le premier site d’information sur
l’art numérique et l’innovation. Assez vite, nous étions si impressionnés et
admiratifs devant des créations numériques extraordinaires qui poussaient un
peu partout dans le monde que nous avons voulu accompagner ces créateurs avec
notre atelier que l’on appelle le Artlab, un laboratoire de fabrication et de
production d’art numérique.
Digitalarti
Vous
êtes alors devenu producteur et distributeur de créations numériques. De
quelles innovations numériques êtes-vous le plus fier ?
Nous
travaillons en ce moment sur une création multi-sensorielle dont nous sommes
très fiers. C’est un gigantesque tapis interactif (pour l’instant, nous en
sommes encore au prototype) qui va être installé au nouveau centre commercial,
le centre Muse, à Metz. Son ouverture est programmée pour l’automne 2017. Ce
sont des LEDs, avec de la lumière, entre chaque lumière, il y a un capteur, et
cela s’illumine quand on marche dessus. L’effet est spectaculaire. Au delà de
ce tapis interactif, plusieurs œuvres d’art digital seront installées dans ce
centre commercial, toutes destinées à ré-enchanter l’expérience client sur le lieu
de vente.
Pouvez-vous
nous parler aussi de votre surface SENSEIMAGE installée au Futuroscope, une
surface tactile et interactive qui associe l’image et la technologie de pointe,
intégrée à l’exposition « Futur l’Expo » au Futuroscope et plébiscitée
par le public ?
C’est la même
technologie que ce tapis interactif dont je parlais précédemment, simplement
pour le Futuroscope, on a fait une installation murale, une surface tactile,
capable de détecter et d’analyser son environnement. Elle propose des
programmes de nature ludique, créative, que l’on effleure du doigt. La surface
Senseimage a trouvé sa place dans un espace que le Futuroscope appelle
« Futur l’expo ». Celui-ci est un parcours ludique et participatif
dans le futur, dans lequel ont été intégrées un certain nombre de créations
numériques, interactives tout à fait étonnantes. On y trouve des robots, des
objets connectés, des imprimantes 3D. Il y a même de la réalité virtuelle
où un vêtement s’ajuste sur vous. Il y a aussi un bar futuriste où on peut
prendre un dessert qui baigne dans l’azote liquide et quand on le déguste, il y
a de la fumée qui sort par le nez ! Tout ce pavillon rencontre un énorme
succès auprès du public. Les enfants adorent !
SenseImage
Futuroscope
En effet,
c’était une installation assez spectaculaire.Elle évoluait en fonction du
trafic voyageur et recréait l’effervescence de la gare de l’Est. Nous
avions installé sur la rosace deux cents grosses LEDs qui fluctuaient en
fonction du nombre de voyageurs. C’était assez extraordinaire parce que c’était
visible de l’intérieur, de l’extérieur, de nuit comme de jour. La nuit, on
voyait même la rosace illuminée depuis le Châtelet… C’était une installation
éphémère d’une durée de trois mois. La SNCF voulait une action emblématique qui
permette de mettre en avant ses travaux de rénovation.
Gare de l’est
Vous
avez en permanence des projets de créations numériques ambitieux. Vous avez un
laboratoire de fabrication Artlab avec huit créateurs entourés d’ingénieurs, de
techniciens, de régisseurs, d’électroniciens, d’experts urbanistes, tous
plus brillants les uns que les autres. Cette équipe à la pointe est-elle en
train d’explorer des territoires inconnus ?
Oui,
absolument, et on a même déposé plusieurs brevets ! Parce que parfois, on
a besoin de technologies qui n’existent pas ! Par l’exemple, l’idée de ce
tapis interactif pour le centre commercial Muse à Metz. Il existe plusieurs
façons de rendre une surface interactive, mais aucune ne nous donnait
satisfaction avec la précision demandée. Du coup, on a finalement inventé et
breveté ce tapis !
Dans
votre Artlab, on doit trouver les nouveaux Géo Trouvetou du numérique !
Oui ! Avec
plein d’électronique partout !
Pouvez-vous
nous parler de vos futures créations, celles qui vont sortir prochainement de
votre atelier ?
Actuellement,
le projet Skyteam s’installe dans le monde entier. Il s’agit de l’alliance
mondiale de compagnies aériennes, Air France, KLM etc. (une vingtaine au
total). Avec de nombreux salons VIP dans le monde entier pour les voyageurs de
première classe et de classe affaire. Dans ces lounges VIP sont installés des
écrans avec des créations numériques, des vidéos artistiques et créatives
exclusives que Digitalarti a sélectionnées et produites. Cela constitue un
environnement apaisant et relaxant pour les voyageurs.
Skyteam
Digitalarti
travaille en ce moment sur plusieurs créations majeures pour de grandes
sociétés du luxe. Ces créations seront diffusées mondialement dans les
prochains mois et vous pourrez les découvrir dans leurs boutiques ou
événements. Malheureusement, nous ne pouvons rien en dire à ce jour, confidentialité
oblige.
D’après
vous, que vient chercher le public dans ces expériences immersives et
interactives ?
Oui, il y a un
côté immersif, on peut rentrer dans un monde, se laisser envelopper par une
œuvre ou s’envoler vers une autre dimension. Ce n’est plus un tapis volant, on
vole sur un tapis digital ! Ce qui plait beaucoup aux visiteurs
d’expositions, ce sont les découvertes interactives : le spectateur ne
regarde plus passivement une œuvre, l’œuvre le sollicite. Le spectateur
participe. Il partage une expérience. C’est un échange collaboratif. C’est
valorisant pour lui. « Il se sent exister »…
Etes-vous
d’accord avec le philosophe Yves Michaud qui dit que le spectateur ou
l’auditeur cherche à oublier son identité dans des expériences immersives,
comme par exemple dans les expériences immersives musicales à Ibiza ?
Un phénomène se
développe aujourd’hui énormément, celui de la réalité virtuelle.On découvre
qu’il y a d’autres réalités. On découvre la réalité d’une nouvelle façon. On
découvre que la réalité est multiple… Il y a le réel, l’irréel, et le virtuel.
Dernièrement, il y avait le festival du film en réalité virtuelle au Forum des
images. C’était une expérience étonnante. Dans une salle, on comptait une
trentaine de personnes. Tout le monde mettait son casque et chacun
devenait complètement autonome, perdu là-dedans dans son monde individuel.
C’était comme une expérience immersive où chacun s’oublie. Au programme, il y
avait plusieurs films, il y avait des courts métrages virtuels. A la fois, c’était
un monde très futuriste où on se retrouvait dans une matrice, perdu au milieu
d’effets hypnotiquement incroyables. Mais à d’autres moments, on était dans un
documentaire sur l’Afrique, sur les derniers rhinocéros en Afrique, avec un
rhinocéros juste devant soi, une girafe derrière, le tout à 360°. C’était un
peu moins artistique mais tout aussi inouï !
Selon
vous, l’avenir est-il plein de promesses pour Digitalarti ?
Absolument !
L’art digital commence à entrer dans les mœurs ! Au début, quand on s’est
lancé, lorsqu’on démarchait une entreprise, nos interlocuteurs ne comprenaient
pas trop où nous voulions en venir, ils ne voyaient pas bien à quoi cela
pouvait leur servir. Aujourd’hui, la grande différence, c’est que tout le monde
a vu quelque chose de numérique à la télévision, dans des expositions, dans des
parcs d’attractions futuristes, dans les musées. Les gens commencent à
découvrir et à apprécier l’art digital. La demande s’amplifie de jour en jour
du côté des entreprises. On nous sollicite de partout. Amazon nous a
sollicités. Le Qatar aussi. Nous avons même travaillé pour le plus grand centre
commercial thaïlandais et pour le salon d’art contemporain à Abu Dhabi. Nous
avons des bureaux à Shanghai, à New York. A Paris et en France, les grandes
entreprises font appel à nous pour des événements, pour des soirées
inoubliables, pour embellir des lieux ou des façades de magasins, pour de
nouvelles expériences clients, pour de nouveaux produits numériques interactifs
etc. Je crois que l’art digital a de beaux jours devant lui. Parce que c’est
l’avenir du futur…
Exemple du centre commercial Muse
à Metz: SenseImage apparaîtra en format tapis interactif de 40 mètres de long
(installation en 2017)
« 2010, Futur Virtuel »,
de Malo Girod de l’Ain, Editions M2, 209 pages, 20€.
A ne pas manquer :
En Janvier 2018,
Digitalarti a ouvert son nouveau « Showroom », son espace de
démonstration de créations numériques interactives à côté de l’Etoile.
« Parler sur une oeuvre, c’est faire voyager le spectateur dans votre sens »
Du 15 octobre
au 15 novembre 2016, place Saint-Germain-des-Prés, place Saint-Sulpice, et à la
Mairie du 6ème arrondissement, Paris accueillera les œuvres du sculpteur
Jivko. C’est l’occasion de découvrir un immense artiste dont les sculptures ne
sont que puissance et légèreté, mouvement et vitalité, grâce et poésie. Des
sculptures profondément émouvantes qui irradient une force intérieure, une
sorte de spiritualité, une sagesse. Cet artiste d’origine bulgare, qui trouve
dans la mythologie une inépuisable inspiration, a donné vie à des œuvres monumentales
comme « Le Minotaure », « Le Centaure » et « Le
rêve d’Icare ». La qualité de ses œuvres doit beaucoup à sa technique
unique (il est l’un des seuls en France à sculpter avec de la cire d’abeille),
et à sa façon de jouer sur le plein et le vide. Des vides éclairant la
matière, laquelle ouverte, laisse passer la lumière. On ne peut que tomber sous
le charme de ses œuvres. C’est un miracle que ce bronze « Légèreté »,
on dirait une cathédrale de plumes, ardente comme une flamme, légère comme
un fil de clarté, ou ce « Pèlerin », muni pour seul viatique de son
bâton qui part d’un pas décidé sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle.
Nous avons
rencontré Jivko dans son atelier. A peine entrée dans le patio de sa maison aux
murs cramoisis, nous attendaient ses plus belles œuvres. Un choc visuel. Un
concentré de beauté et de force.
Entretien avec
un artiste tout à fait sympathique.
Jivko,
vous êtes un artiste d’origine Bulgare. A 27 ans, vous quittez l’Europe de
l’Est pour vous installer en France. Pourquoi ? Aviez-vous besoin d’une
autre patrie ?
Je suis venu
réaliser mes rêves ici… J’avais 27 ans et je venais de finir les Beaux-Arts à
Prague. Pour nous, étudiants des pays de l’Est, la France était le pays le plus
important en matière d’art. Elle était un exemple. Beaucoup d’artistes
s’étaient réalisés en France. Et puis, c’était un pays qui accueillait
véritablement ceux qui arrivaient avec du talent. C’est pour ça que je suis
venu continuer mes études ici. J’ai suivi durant trois ans les cours à l’école
des Beaux-arts de Paris. Puis je me suis lancé dans la sculpture. Si on y
réfléchit, c’est vrai que j’ai vécu plus de temps en France que dans mon pays
natal. Alors, effectivement, la France est devenue ma seconde patrie…
Quand
vous commencez une œuvre, êtes-vous comme l’écrivain devant sa page blanche,
devant votre pierre blanche ? Enfin « pierre blanche » pas
vraiment, puisque c’est du bronze !
D’abord, je
fais toutes mes sculptures en cire d’abeille. Ce sont des plaques de cire que
je malaxe. Quand je commence une œuvre, j’ai déjà une idée très précise de la
sculpture elle-même. La technique que j’ai est telle que l’on ne peut pas
beaucoup modifier le résultat final. Donc, il faut être sûr de soi. La
sculpture en cire va ensuite à la fonderie. La fonderie remplace la cire
par le bronze. Et moi, à la fin, je retravaille le bronze.
Donc,
votre matière, ce n’est pas la terre glaise, c’est la cire d’abeille. Où
trouvez-vous toute cette cire ?
Dans n’importe
quel magasin d’apiculteur. Mais je n’en ai pas besoin de beaucoup parce que je
fais seulement « le mur ». Mes sculptures ne sont jamais
pleines.
Vous
dîtes qu’une fois qu’on a commencé avec le bronze, tous les autres matériaux
semblent fades…
En effet !
Quand on travaille le bronze, tout parait absolument fade après! Le bronze
est un très beau matériau. Quant au marbre, il ne me correspond pas tellement.
Dans le marbre, vous enlevez de la matière. Dans le bronze, quand je crée mes
œuvres, j’ajoute de la matière…
Sculpter,
c’est soumettre l’insoumise, la matière ? Engager un combat avec la
matière pour la dominer ?
Je n’ai jamais
pensé qu’il faille dominer la matière ! Il faut la maîtriser, non la
dominer. La matière, c’est votre alliée. Vous connaissez la matière et en
fonction de ses réactions, de ses capacités, de ses résistances, vous faites
votre œuvre. Ce n’est pas une bataille avec la matière parce que la
matière n’est pas un ennemi, c’est quelque chose que vous vous
appropriez, que vous utilisez pour vous exprimer.
On
perçoit plusieurs influences dans vos sculptures, César, Giacometti. Il y a
même un buste de vous qui, je trouve, ressemble à un Cocteau. Revendiquez-vous
ces influences ? Et comment se défait-on de ces influences pour devenir
soi-même ?
La façon dont
travaille César est absolument opposée à la mienne. J’admire César, son travail
mais je ne crois pas que mon travail lui ressemble… Sans doute pensez-vous
aussi à Giacometti parce que mes statues sont allongées…
Non,
parce ce qu’elles sont légères !
La légèreté, on
l’obtient d’abord par du travail, par une grande maîtrise du matériau lui-même.
Il faut aussi que la fonte soit de bonne qualité. César réalisait des
sculptures en prenant des morceaux de ferraille ou de bronze qu’il assemblait.
Après, il utilisait ces matériaux existants pour leur donner une forme, moi au
contraire avec la cire, je pousse à l’intérieur pour construire mes œuvres et
finalement c’est un travail qui se fait de l’intérieur vers l’extérieur. Cela
jaillit dans l’espace et cela prend du volume. Résultat : la matière
exprime sa force vers l’extérieur.
En
effet, votre sculpture est très mobile, comme en mouvement. Vous faites bouger
la matière, ce qu’a parfaitement réussi Giacometti avec ses créatures
filiformes. Vous réussissez aussi à créer de la légèreté sans pour autant
affiner vos sculptures. Elles sont merveilleusement aériennes. Comment
faites-vous ?
Grâce à ce
travail de l’intérieur vers l’extérieur, mais aussi à ce contraste entre le
vide et le plein.La plupart des sculpteurs partent de la terre et lorsqu’ils
travaillent avec la terre, c’est toujours plein à l’intérieur. Avec le marbre,
c’est pareil. Avec ces matériaux, on a plus de mal à réaliser des choses fines.
Cela ne vous permet pas d’être aussi précis dans le détail et dans l’expression
qu’avec le bronze.
Le pèlerin, 2008
Vos
sculptures sont hautes, présentes dans l’espace, c’est volontaire ?
Je fais des
œuvres imposantes mais même mes petites œuvres ont ce côté monumental. C’est ça
ma particularité : toutes les sculptures que je crée peuvent être
agrandies de plusieurs mètres.
Selon
vous, est-ce que vos sculptures disent tout, absolument tout… Au point qu’il
n’y a plus besoin de parler dessus ?
Il faut
s’exprimer mais il ne faut pas donner une explication ou se justifier. Il peut
être intéressant de parler sur le thème ou sur la technique d’une œuvre
mais il faut laisser le spectateur faire son chemin. Parler sur une œuvre,
c’est faire voyager le spectateur dans votre sens… Or, je crois qu’il est
préférable de lui laisser la liberté de nourrir ses propres rêves, sa propre
interprétation.
La
sculpture peut-elle dire ce qu’est l’homme ? Vos sculptures
disent-elles ce que vous êtes ?
Oh oui !
Alors
qui êtes-vous Jivko ?
Moi, je ne peux
pas dire qui je suis ! Je vais me contenter de vous répéter ce que les
gens disent de mes sculptures. Ils disent (mais attention ce ne sont pas mes
mots!) qu’elles sont poétiques, pleines de force, d’élégance…
J’ajouterai
qu’elles sont puissantes ! Elles ne sont pas forcément tendres mais plutôt
viriles !
J’ai un côté
assez doux et un autre assez brut !
Dans
une époque où tout bouge, tout s’accélère, «l’immobilité» de la sculpture
a-t-elle encore un sens ?
Bien sûr, parce
que si elle atteint son but, l’œuvre d’art provoque toujours des sentiments.
Par exemple, je suis allé, il y a deux jours, au Musée de l’Homme, voir cette
Vénus vieille de 25000 ans. Celle-ci représente la maternité. Elle était si
belle, si actuelle, si atemporelle que j’en étais bouleversé. Si l’on parvient
à provoquer des sentiments, qui soient éternels, universels, qui touchent
tout le monde, alors même dans cent ans, même si l’accélération est toujours au
menu de notre monde, les œuvres éminemment belles parviendront encore à toucher
les gens !
Pensez-vous
que les jeunes sont touchés par l’art contemporain ?
Aujourd’hui,
l’art contemporain cherche à surprendre. Chaque artiste cherche à faire quelque
chose que personne n’a fait. Mais ce sont des phénomènes de modes qui seront
balayés par le temps. Regardez les matériaux actuels : ce sont des
matériaux comme du papier mâché qui ne peuvent pas résister plus de dix
ans !
Alors
que des matériaux nobles, comme le bronze, passent le temps…
Exactement !
Dans les années 50-60, il y eu une mode extraordinaire de l’art abstrait.
Plein d’artistes sont sortis. A l’époque, tout le monde était artiste.
Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, vous ne souvenez même pas d’un nom !
Tout ça, ce sont des phénomènes de mode, de commerce. Parce qu’il faut bien
inventer de nouvelles choses pour vendre…
Comme
l’expression d’une certaine violence…
Par exemple.
Mais c’est facile de créer quelque chose qui provoque une répulsion chez les
gens, il suffit d’être un peu audacieux. Déplaire ne demande pas beaucoup
d’efforts. Mais parvenir à inventer quelque chose qui va toucher les gens, ça,
c’est une autre affaire !
Parce
que le beau est presque inaccessible ?
Oui. Je crois
aussi que l’œuvre est le reflet de l’artiste : elle reflète ce qu’il est.
Avant, une œuvre d’art c’était le reflet du monde, maintenant c’est le miroir
de l’artiste !
Pour
vous, le monde contemporain est-il bancal et l’homme déséquilibré comme
semble le dire votre statue « Indépendance » ?
Je n’ai pas
conçu cette statue dans ce sens. Je ne cherchais pas à dire que l’homme était
déséquilibré. Si déséquilibre il y a, c’est plutôt dans le sens où on
franchit la ligne ou pas. Dans la vie, l’être humain doit faire des choix. Il
balance entre les réussites et les défaites. Pour bien s’orienter, il doit
prendre les bonnes décisions.
Vous
reconnaissez-vous dans le monde actuel ?
Pour moi, c’est
vrai que c’est parfois très frustrant parce que ce n’est pas évident de trouver
sa place.
Vous
n’avez pas trouvé votre place ?
J’ai trouvé ma
place à mon niveau. Je me suis réalisé dans mon travail. Mais par rapport à
l’Art officiel qui plait, je pense que je suis à la périphérie des intérêts
officiels.
Mais
vous arrivez à vivre de votre sculpture ?
Je vis même très
bien !
Il y a
une pudeur merveilleuse chez vous, une élégance : il n’y a ni agressivité,
ni pulsion de mort dans vos sculptures: est-ce parce que vous êtes en
paix avec vous-même ?
Je ne pense
pas… Je suis en paix avec moi-même dans mes créations. Je suis confiant. Je
fais ce que j’ai envie de faire. Je ne suis pas dans le compromis, je suis
incroyablement libre, et je suis surtout moi-même. Avec moi-même, comme
personnage, ce n’est pas tout à fait le cas… J’ai quelques remords sur le plan
professionnel qui de temps en temps me reviennent. Parce que j’ai commis
certaines erreurs, peut-être des mauvais choix. Ou peut-être, parce que je suis
trop exigeant…
Depuis
des années, vos sculptures rencontrent un vif succès. Vous exposez partout, au
Sénat, place Saint-Germain, place Saint-Sulpice, en Allemagne, en Asie (en
Corée du Sud, à Singapour et à Hong Kong, là où ils aiment vos œuvres les plus
épurées, les plus symboliques). Vous êtes couvert de prix de médailles, de
récompenses. Etes-vous sensible aux honneurs et aux vanités de ce monde ?
Au début, quand
j’ai commencé à présenter mes œuvres, j’ai participé à beaucoup de salons, à
beaucoup de concours, j’en ai gagné plusieurs, et je dois dire que c’était très
rassurant. C’est vrai que c’est une récompense, vous avez vos pairs et un
public qui vous reconnait. C’est agréable parce qu’on apprécie votre travail,
vous avez des distinctions, vous commencez à vendre, l’aspect financier n’est
pas négligeable. J’ai eu le Prix de la Fondation de France (qui à l’époque
s’élevait à 45 000 francs, ce qui était beaucoup), celui de
l’Académie française. Cela récompensait toute mon œuvre d’alors, et surtout
cela m’encourageait à continuer ! C’est très positif lorsqu’on est jeune,
et que l’on éprouve le besoin de recueillir toutes sortes d’encouragements.
Sinon, concernant « le chapitre des vanités », je ne suis pas
quelqu’un de très mondain. Je suis très sociable, j’aime la compagnie de mes
amis, mais je ne suis pas quelqu’un de « branché » qui court les
réceptions mondaines, qui passent son temps dans les émissions de télé !
Malgré
l’attachement que vous leur portez, vous dites de vos œuvres qu’il faut
qu’elles fassent leur vie ailleurs… D’accord avec les Grecs qui disaient que
les « œuvres ont leur destin » ?
C’est moi qui
ai dit ça ?
C’est
vous qui l’avez dit ! Je l’ai lu quelque part !
C’est très
vrai, c’est exactement ça ! Toutes mes sculptures, je les travaille
jusqu’au dernier détail, et à la fin, j’estime qu’elles sont parfaites !
Chaque fois que j’expose une œuvre, selon moi, elle est irréprochable. A ce
moment-là, pour moi, c’est fini ! Elle ne m’intéresse plus. Il faut que ça
parte ailleurs !
Donc,
vos statues, ce ne sont pas vos enfants de bronze ?
Peut-être un
peu quand je les travaille…Mais ensuite, je coupe le cordon ! A la maison,
tous mes originaux sont cachés. Disons que je les range pour qu’ils
n’influencent pas mon futur travail. Je ne les regarde plus. Ils font partie de
mon passé. Par contre, c’est différent quand je vais chez des amis, ou des clients
qui possèdent mes œuvres. A ce moment-là, dans un autre contexte, hors de mon
atelier, je porte un nouveau regard sur elles et je revois le moment où
je les ai créées. C’est comme un flash, cela me rappelle des moments de ma vie.
Après le concert, 2007
Jivko,
vendez-vous beaucoup ?
Je ne vends pas
beaucoup, je vends bien !
Dans
certaines statues, on dirait que pour vous l’être humain est une juxtaposition
de plaques, de tiroirs, de cases, un peu comme chez Dali. Cherchez-vous à
montrer à la fois, l’intérieur et l’extérieur, le mouvement et le repos, le
plein et le vide ?
C’est une
juxtaposition de volumes, pas de tiroirs ! Dans mes sculptures, en effet,
c’est un jeu entre le plein et le vide. Ce vide porte sur les parties qui sont
les plus faibles du corps, les jambes. Le bas du corps est évidé. Ce vide donne
encore plus de force à cette faiblesse. Et donc plus de force dans les muscles
qui sont à côté. Toujours ce fameux contraste ! C’est vrai que ce vide
pour moi, au début, c’était comme un peu de souffrance à faire sortir. Ce vide
signifiait quelque chose. Mais, c’était aussi une façon de donner de la
légèreté à l’œuvre. La structure elle-même étant vide, cette ouverture permet
de voir le jeu de la lumière dans les parties plus profondes.
Jivko,
la sculpture, ce n’est pas le travail sur la lumière comme la peinture. Est-ce
le travail sur l’ombre, sur la ligne ?
C’est d’abord
un travail sur le volume, les lignes esthétiques. Mais c’est aussi un travail
en spirale. De chaque côté où vous tournez la sculpture, à chaque regard, et à
chaque angle où vous regardez, elle doit avoir un aspect esthétique. D’un côté,
je cherche des lignes très simples, très épurées, de l’autre, la forme
elle-même est riche dans sa surface.
Vous
parlez assez peu d’amour dans vos sculptures. Pourquoi ?
Quand je suis
amoureux, je crée des sculptures sur le thème de l’amour. Quand je le suis
moins, je fais autre chose ! Mais, je vous rassure, je suis en permanence
amoureux ! Cela dit, c’est vrai qu’une fois dans ma vie, il y a eu un moment
où j’étais très amoureux. J’ai eu une déception, et j’ai donné naissance au «
Minotaure ».
« Le
Minotaure », c’est une statue magnifique dont il émane une force
incroyable !
C’est l’une de
mes préférées !
En
octobre prochain, vous allez exposer place Saint-Sulpice et place Saint-Germain
à Paris. Que représentent vos statues ?
Sur la place
Saint-Germain, il y aura sept sculptures et autant sur la place Saint-Sulpice.
Il y a quelques nouvelles œuvres et quelques anciennes. Les nouvelles œuvres
portent surtout sur la légèreté. Il aura une exposition pour les promeneurs et
aussi une exposition dans la mairie du 6ème arrondissement, avec quelques
petites œuvres.
Hommage à Pierre Messmer.
Vous
êtes en train de réaliser une statue monumentale de l’homme politique, Pierre
Messmer, qui est une commande de la ville de Sarrebourg. Celle-ci sera exposée
à partir du 3 septembre 2016 à Sarrebourg, en Lorraine. Cette statue est
si ressemblante qu’on dirait qu’elle est vivante…
Il y aura, en
même temps, la même exposition dans la ville jumelle qui porte le même nom en
Allemagne, à Sarrebourg !
Enfin
ma dernière question : Jivko, que cherchez-vous à atteindre à travers la
sculpture ?
C’est un photographe dont le regard est libre. Ses instantanés sont à son image : affranchis de toute contrainte. Imprévisibles, insoumis, insouciants et profondément humains. Car Xavier Wttrwulghe ne se soumet à aucun code. Il les invente. Il capte l’invu. Revitalise l’irréel. Dissipe les frontières entre l’invisible et le visible. Le jamais-vu et le trop montré. Incite à la révolte. Mobilise nos regards. Réinvente le réel à sa sauce. Résultat : ses photos impriment en nous de jolies émotions. Voyage dans un univers audacieux.
Vous êtes un artiste plasticien et un photographe qui réalise des retouches créatives et des images visuelles. Votre travail est original et souvent surprenant. Que cherchez-vous à atteindre à travers ces photomontages, ces métamorphoses ?
Lorsque je réalise une photo, je recherche surtout à créer
de l’émotion. La photo doit surprendre, étonner, redonner l’émotion de la
présence vivante. Elle doit nous faire pénétrer au cœur du vivant, du vital.
Cherchez-vous à retoucher le réel pour le recréer ? Pour vous en extraire ou pour proposer une autre vision du monde ?
Je veux surtout que le résultat n’ait pas l’air factice.
Beaucoup de personnes m’interrogent en me demandant comment j’ai fait pour
amener ce rhinocéros sur les Planches de Deauville. Cela m’amuse et je me dis :
T’as réussi ! Je veux arriver à rendre l’irréel… réel !
Il y a dans toutes vos images, un sens de la composition indéniable. Vos compositions sont toujours soignées, recherchées. Comment les travaillez-vous ?
Je travaille avec de nombreux programmes informatiques.
Avant cela, je dessine beaucoup et je crée un storyboard afin de me projeter
dans un univers décalé. Lorsque j’ai l’idée, je recherche aussitôt un endroit
bien particulier pour mes décors.
Vous avez réalisé une photo incroyable : celle d’un rhinocéros marmorisé sur les Planches de Deauville. Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce cliché ?
Lorsque j’ai fait ma première expo à Deauville en mars 2018,
je suis tombé littéralement sous le charme de cette ville. Alors je l’ai
immédiatement immortalisée avec mon appareil photo. Je savais que j’avais en
stock une image des Planches. Ne restait plus qu’à trouver ce que j’y allais y
mettre dessus. Je suis pour la protection des animaux. La menace qui plane sur
les rhinocéros m’affecte beaucoup. Lorsque j’ai réalisé le cliché du Rhinocéros
blanc, au moment où l’obturateur de mon appareil s’est déclenché, en une fraction
de seconde, j’ai vu l’image de ce rhino venant vers moi sur les Planches de
Deauville. Et je me suis dis « tu l’as ta photo ! »…. Neuf
mois plus tard le résultat est là, au salon ART SHOPPING de Deauville.
Vous vous êtes spécialisé dans la photo animalière décalée. Parmi vos clichés, on peut admirer un raton laveur géant placidement installé sur un pont qui surplombe une autoroute. Vouliez-vous signifier par là qu’on a dénaturé la nature à force de l’urbaniser et que la vie sauvage, les animaux n’y ont plus leur place ?
Oui, tout à fait. Grâce à cette série, j’ai voulu montrer
que l’homme a construit des villes, des autoroutes, des espaces bétonnés et pourtant
les animaux sauvages nous disent ok très bien, vous avez bâti tout cela, mais nous
on vient quand on veut, on y a et on y aura toujours notre place !
La route est un thème récurrent chez vous. Il y a beaucoup de chemins, de routes, d’autoroutes dans vos photos. La photo c’est un instantané, la route c’est la durée (celle d’une vie). La route représente aussi la vitesse, le mouvement. Mais aussi la fièvre de la liberté (celle de Jack Kérouac et son roman » Sur la route »). Ni bornes, ni limites. Pour vous, la route c’est la vie ? Ou est-ce la révolte car rien n’est tracé ?
Les chemins, les routes, j’adore cela. Ces lignes, ces
perspectives donnent beaucoup de dimensions à l’image. Alors oui, elles sont
souvent cassées, brisées, déformées mais la vie est comme cela… semée
d’embûches. Oui je suis un peu révolté, et ce par rapport à mon enfance qui n’a
pas été facile. No comment…..
Dans vos clichés, la route est souvent déformée, démolie. Vos routes ressemblent aux montres de Dali, elles symbolisent le temps. Or la photo arrête le temps. Cartier-Bresson disait : « La photographie peut fixer l’éternité d’un instant ». Pour vous, la photographie, est-ce une façon de conjurer la mort ?
J’adore Dali, Magritte, Picasso ! Ces grands artistes
déformaient aussi les objets ou les personnages et j’ai toujours trouvé cela
fascinant.
Vivre pour le photographe que vous êtes, c’est regarder, capter, refléter, s’imprégner, dévoiler le secret du monde ?
Je crée des images pour que l’on ait un autre regard sur ce
que l’on a l’habitude de voir. A force de courir dans la vie, métro, boulot,
dodo, on a des oeillères et on ne voit plus autour de nous. Rêver éveiller,
c’est important. On a besoin de cela.
La photographie, pour vous, est-ce un langage ? Que cherchez-vous à exprimer ?
Comme je l’ai dit, je cherche à exprimer une émotion, à
transporter les gens dans une autre vie, une vie parallèle.
Pourquoi êtes-vous devenu photographe ?
Pour la passion de l’image, l’illustration, l’expression,
l’émotion que l’on peut transmettre aux autres.
Vous êtes photographe mais vous faites aussi de la peinture. Baudelaire disait de la photographie que c’était « la servante de la peinture ». D’accord avec lui ?
J’ai fait mes études aux Beaux-Arts de Bruxelles. Je pense
que peinture et photographie sont liées. Je fais de la peinture lorsque j’en
ressens le besoin, cela correspond à des périodes bien distinctes de ma vie.
Mais je n’arrêterai jamais de peindre ni de créer. Lorsque les gens viennent
régulièrement à mes expositions, ils sont toujours surpris car, à chaque
exposition, il y a toujours quelque chose de différent…
A travers vos photos se dessine votre personnalité. Etes-vous un homme farouchement libre, imaginatif, affectueux comme le sont vos deux zèbres tendrement enlacés, non conventionnel comme le crient toutes vos photos, et plein d’humour comme l’est votre travail (par exemple comme ce bateau encavé dans la mer) ?
Oui mes zèbres représentent l’amour éternel, l’amour sans arrière-pensées.
Je suis très amoureux de ma femme, nous sommes inséparables comme le sont ces deux
zèbres…
Votre cliché « Gorille dans la brume » est sublime. Vos photos sont émouvantes, poétiques, et celle-là l’est tout particulièrement. On dirait que vous étiez là au premier matin du monde à capter l’essence de la beauté animale…
« Gorille dans la Brume » est bien sûr une mise en scène. Il s’agit d’un gorille Silverback en captivité que j’ai voulu remettre dans son milieu naturel. Comme s’il était heureux et libre…
Votre regard a-t-il évolué au fil des années ?
Bien sûr. Je pense que l’on évolue tous au fil du temps.
Quelle soit positive ou négative, la vie a toujours un impact sur tout un
chacun. Moi je me sers du bon et du moins bon (car il n’y a pas de mauvais)
pour avancer. Mais je reste toujours positif.
Un photographe est-il un homme qui montre ce que les autres ne remarquent pas ?
Disons qu’un photographe en a la possibilité. Reste à savoir
s’il va le faire ou non.
Vous avez reçu un Silver Award en 2018 pour vos photos. Que couronnait-il ? Dites-nous en plus…
Je me suis inscrit sur le site Artmajeur qui est un site de
vente d’art en ligne. Au bout de trois mois, grâce aux ventes réalisées, aux
vues et à la qualité du travail, le jury m’a octroyé un Silver Award. Je suis
content.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ? Quelles seront vos prochaines expositions ? Y-a-t-il une galerie d’art parisienne qui expose vos clichés ?
J’ai beaucoup de projets en tête mais je ne peux pas encore vous en parler… Mes prochaines expositions auront lieu à La Baule, à Paris Carrousel du Louvre, à Lyon, Reims, Mulhouse, Bruxelles, en Suisse, à Monaco, etc. Je ne peux pas toutes les citer car il y en aura encore beaucoup ! Je n’ai pas encore de Galerie sur Paris, mais c’est dans mes projets !
« Je n’envisage pas d’écrire une pièce sans humour et sans réjouir le public. »
Jaques Mougenot et Hervé Devolder dans la pièce Le cas Piche
On ne présente
plus Jacques Mougenot. Tour à tour comédien, professeur de théâtre au cours
Jean-Laurent Cochet, dramaturge reconnu, il est l’auteur et l’interprète de
« L’affaire Dussaert », un monologue jubilatoire sur l’art
contemporain qu’il a joué plus de 600 fois depuis sa création en 2002. Cet
auteur dramatique, constamment taraudé par le besoin de création, a écrit des pièces
inspirées et subtiles comme « La carpe du duc de Brienne » ou
« Le Cas Martin Piche ». Il n’a de cesse de monter ses propres
spectacles où il manie tout en finesse l’humour et la dérision. Ses pièces de
théâtre devraient être remboursées par la Sécurité Sociale tant elles sont une
fête de l’intelligence, un concentré de joie, un bonheur d’écriture. On en sort
ravi et guéri ! Dernièrement Jacques Mougenot a adapté une pièce de
jeunesse de Feydeau : « Les Fiancés de Loches ». Il a réussi le
pari incroyable de la transformer en une superbe comédie musicale (aidé pour
cela par un compositeur et metteur en scène talentueux, Hervé Devolder). Ces
« Fiancés de Loches » sont un pur chef-d’œuvre de drôlerie et bien
sûr la Profession n’a pas manqué de le remarquer. C’est pourquoi la pièce est
nominée aux Molières 2016 dans la catégorie « Meilleur Spectacle
Musical ».
Entretien avec
l’heureux nominé.
Jacques
Mougenot, vous êtes nominé dans la catégorie « Meilleur spectacle
musical » pour les Molières 2016 pour la pièce « Les Fiancés de
Loches ». Est-ce une forme de reconnaissance que la consécration de vos
pairs ?
Bien sûr, cela
fait très plaisir ! C’est une pièce qui mérite d’être récompensée parce
qu’elle est le résultat d’un gros travail d’équipe avec une mise en scène
exigeante, les talents conjugués d’un chorégraphe, de musiciens, d’une pléiade
de comédiens, chanteurs et danseurs très doués, sans parler des costumes et
décors magnifiques. Bref, beaucoup de monde a participé à ce spectacle. C’est
vrai que ce serait pas mal si nous avions une récompense, cela permettrait de
reprendre la pièce dans des conditions favorables.
Avez-vous
une idée du discours que vous prononcerez si vous êtes l’heureux gagnant ?
Quels seront vos premiers mots ? Une chanson peut-être ?
Oui, il était
question que j’écrive une chanson ! Mais je n’aurai pas le temps de le
faire. De toute façon, ce n’est pas moi qui ferai le discours.
Pourquoi ?
C’est pourtant vous qui avez fait l’adaptation !
Oui, j’ai fait
l’adaptation et les couplets. Mais c’est Hervé Devolder qui a fait la musique
et la mise en scène. C’est plutôt lui qui parlera si jamais nous avons la
chance de recevoir ce Molière, à moins que ce ne soient les producteurs du
spectacle, ce ne serait que justice puisque ce sont eux qui nous ont permis de
jouer dans ce si beau cadre.
La
presse et le public ont salué unanimement « Les Fiancés de Loches »
qui ont triomphé deux étés consécutifs au Palais-Royal. Comment expliquez-vous
cet engouement ?
Parce que c’est
une pièce de qualité. D’abord « Les Fiancés de Loches » est une pièce
de jeunesse de Feydeau ( Feydeau a 26 ans lorsqu’il l’écrit ) qui permet qu’on
la mette en musique. Toutes les pièces de Feydeau ne se prêtent pas à cet
exercice, notamment les chefs-d’œuvre de la fin de sa carrière. Cette pièce est
une de ses premières collaborations avec un auteur qui s’appelait Maurice
Desvallières (par la suite, les deux auteurs collaboreront davantage). Cela
dit, à l’époque, c’est une pièce à laquelle on a fait beaucoup de reproches. En
disant que c’était un peu fouillis, que cela ne tenait pas la route, mais en
tout cas elle nous a permis de réaliser cette comédie musicale.
Cela
fait combien de temps que vous jouez les Fiancés de Loches ?
Cela fait deux
ans. Elle a été créée en 2014. Mais n’a été jouée que durant l’été. En
revanche, il y a eu une tournée importante en Province, de cinquante dates, qui
s’est terminée à la fin 2015.
C’est
totalement inédit d’adapter entièrement une pièce de Feydeau en comédie
musicale. Et c’est vous qui vous êtes attelé à ce pari osé. A partir du texte
original, vous avez troussé un bon nombre de couplets chantés. Pour ce faire,
vous avez sabré, coupé, enlevé ici, ajouté là, dans le texte de Feydeau.
Quelles difficultés avez-vous rencontré dans ce tour de passe-passe ?
C’était la
première fois, en effet, que l’on adaptait entièrement une pièce de Feydeau en
comédie musicale. C’est une idée d’Edy Saïovici qui était le directeur du
théâtre Tristan Bernard. C’est une idée qu’il portait depuis très longtemps. Ce
projet lui tenait à cœur et il y croyait. Il nous a passé commande en 2010, à
Hervé Devolder et à moi. Malheureusement il est décédé en 2013 et n’a pas pu
assister à la première de la pièce, sinon aux côtés des « enfants du
Paradis » ! J’espère, je crois, qu’il aurait aimé notre réalisation.
Quant au texte de Feydeau, je n’y ai pas trop touché, j’ai juste beaucoup
coupé. La difficulté essentielle c’était de mettre en musique des scènes de
théâtre. Il fallait que cela reste du théâtre. Le problème dans cette pièce de
Feydeau, c’est qu’il y a beaucoup de contraintes. Il y a un foisonnement de
personnages. Une vingtaine dans la pièce originale. Edy était effrayé par ce
nombre de personnages donc il m’avait demandé de les réduire au minimum. Le
minimum, c’était neuf. On ne pouvait pas faire moins !
Tout
coule tellement de source dans ce spectacle que le spectateur finit par croire
que c’est Feydeau qui a écrit cette opérette. Vous vous êtes glissé dans la
peau de Feydeau pour délivrer son chant le plus beau. Peut-on dire que Feydeau,
c’est vous ?
Non !
Certainement pas ! Disons que je me suis coulé dans le style de l’époque.
Grâce à la musique aussi, cela a été plus facile car c’est une musique adaptée
à l’époque de Feydeau. Hervé Devolder avait déjà fait auparavant d’autres
comédies musicales, et il a cette merveilleuse faculté de pouvoir s’adapter à
tous les styles musicaux. C’est très parisien comme pièce, c’est pour ça que
l’été, elle attirait aussi beaucoup de touristes.
Que
cherchiez-vous atteindre en créant cette comédie musicale ?
Essayer de
retrouver l’esprit de l’époque, l’esprit des pièces de Feydeau, qui est quand
même un auteur joyeux malgré son désespoir profond. Feydeau était un grand
neurasthénique. Et c’est justement peut-être pour se dégager de cette
neurasthénie, qu’il a cherché à faire rire. En principe, les pièces de Feydeau,
quand elles sont bien jouées, font rire à chaque réplique. Bien sûr, Feydeau ce
n’est pas facile à monter. Il y a eu un travail de direction d’acteurs puisque
les comédiens-chanteurs venaient plutôt de la comédie musicale et qu’ils
n’étaient pas tous préparés à jouer du Feydeau. C’est Hervé qui les a choisis
parce qu’il fallait des chanteurs. Moi, je ne connaissais pas du tout le monde
de la comédie musicale.
Sur
scène, cela virevolte, pirouette, rebondit, tourbillonne de partout. C’est
ravigotant, revigorant, roboratif en diable. C’est joyeux, comique, drôle à
l’infini. Pour vous le théâtre c’est d’abord le plaisir de faire rire. Le rire
permet-il de tout dédramatiser ?
Oui, le théâtre
c’est la joie ! Au Palais Royal, Feydeau était « chez lui »,
puisqu’il y a créé nombre de ses pièces. D’ailleurs, au Palais Royal, un des
plus beaux théâtres de Paris, un théâtre classé, au-dessus du cadre de scène,
il y a un médaillon avec une phrase de Rabelais qui dit : « mieux est
de ris que de larmes escrire, pour ce que rire est le propre de
l’homme !». A l’entracte, je voyais que les spectateurs découvraient cette
phrase avec plaisir. Effectivement, je crois que faire rire, c’est quand même
un honneur pour un auteur dramatique. Guitry, qui était un admirateur de
Feydeau a beaucoup écrit là-dessus. Je n’envisage pas d’écrire une pièce sans
humour et sans réjouir le public…
Vous
connaissez la phrase de Nietzsche qui dit : « il faut que les hommes
aient beaucoup souffert pour avoir inventé le rire » ?
Et
connaissez-vous la phrase de Voltaire qui dit « J’ai décidé d’être gai,
parce que c’est bon pour la santé » ?
Dites-moi,
c’est culturel comme interview !
N’est-ce
pas !
Bon,
revenons aux « Fiancés de Loches ». La pièce, construite sur une
série de quiproquos, aborde l’éternelle fracture entre les provinciaux (un peu
niais et naïfs) et les parisiens (un peu méprisants), la campagne et les
citadins. Selon vous, qui sont les plus civilisés ?
Cette pièce,
c’est un peu la fable du « Rat des Villes et du Rat des Champs ».
Dans l’esprit de Feydeau, il ne donnait pas raison aux parisiens, ils sont
cyniques, méprisants effectivement. Les provinciaux ont une sorte de candeur et
de naïveté qui est assez fraîche. Moi, j’aime bien avoir ça dans toutes mes
pièces, j’aime bien me moquer de l’intellectualisme parisien, comme vous avez
pu vous en rendre compte ! Personne n’a tort ni raison, c’est ça qui est
merveilleux aussi chez Feydeau, chaque personnage a son caractère et chacun est
dans sa raison d’être.
En quoi
cette pièce résonne-t-elle aujourd’hui pour vous ?
Dans l’état de
morosité ambiant (on a toujours de bonnes – de mauvaises – raisons d’être
triste) c’est difficile de trouver des raisons d’être joyeux. Je crois que
l’une des missions du théâtre (et de l’artiste en général) c’est de nous
révéler cette part de joie que contient, en dépit des apparences, l’existence.
Depuis
longtemps, à travers vos écrits théâtraux et autres, vous cherchez à
percer le mystère du langage, du verbe. Rousseau affirme dans son « Essai
sur l’origine des langues » que l’homme a d’abord chanté avant de parler
(imitant par-là les sons de la nature, le chant des oiseaux). Rousseau écrit
qu’autour « des fontaines, les premiers discours furent des
chansons. » Cette pièce, est-ce une façon pour vous de retrouver le
langage des premiers hommes, c’est-à-dire le chant, la langue des poètes ?
Je peux vous
raconter une anecdote : un de mes proches est autiste, il ne possède pas
le langage. « Les Fiancés de Loches » aura été son disque préféré
pendant toute l’exploitation de la pièce. Il l’écoutait tous les soirs. Il
pouvait chanter alors qu’il ne parlait pas aisément. Si l’on prononçait l’un
des vers d’une chanson, il enchaînait tout naturellement. Le chant, c’est plus
naturel, plus aisé que la parole. Le chant, c’est la poésie de l’homme. On peut
dire en paraphrasant Nietzsche que sans les chansons, la vie serait une erreur.
Après
avoir participé à ce tourbillon gai et savoureux de danses et de chansons, le
public en sort enchanté. L’enchantement se prolonge puisqu’on se prend à
entonner jusque dans les draps l’inoubliable « Michette, Michette… ».
C’est l’effet Feydeau ou l’effet Mougenot ?
Le personnage
de Michette, c’est un personnage récurrent dans les pièces de Feydeau, c’est le
personnage de la cocotte, cela a donné la Môme Crevette dans « La Dame de chez
Maxim’s ». Mais si c’est aussi entraînant, c’est grâce à la musique
d’Hervé qui est très mélodique. Il a commencé par écrire la musique, bien sûr
dans l’esprit de la scène, et moi, je me suis dit : « quel texte, je
vais mettre là-dessus ? » Et ça a donné l’air de Michette.
Effectivement, les gens chantent en sortant du théâtre, ils ont les airs en
tête. Ce que je reproche à certaines comédies musicales, c’est justement de ne
pas être assez mélodiques. Certaines m’ennuient profondément, car lorsqu’on
entend un air, on ne peut pas tout de suite le rechanter. C’est peut-être un
peu populiste, un peu populaire ce que je raconte mais ce que j’apprécie avant
tout dans les comédies musicales, c’est la mélodie, comme par exemple dans
« My Fair Lady » où celle-ci est très réussie.
Vous
jouez au Petit Montparnasse en alternance, « L’affaire Dussaert » et
« Le Cas Martin Piche » jusqu’en juin, est-ce que vos deux pièces
marchent ?
Sinon, nous ne
prolongerions pas !
Jacques
Mougenot, sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Hervé et moi,
nous sommes en train d’écrire une autre comédie musicale…
Ce sera
un texte de votre cru ?
En effet, ce
sera une pièce entièrement originale mais je ne peux pas vous en dire plus… Je
préfère faire la surprise aux futurs spectateurs !
A voir absolument, jusqu’au 16
mai 2018, la pièce écrite et interprétée par Jacques Mougenot.
Jacques Mougenot et Hervé
Devolder, dans la pièce Le Cas Martin Piche. Une pièce désopilante et
surprenante.